Auteurs et autrices / Interview de Olivier Ka et Alfred
Récompensé par un prix (heu non deux) à Angoulême, Pourquoi j'ai tué Pierre fut un des albums phares de l'année 2006. Rencontre avec ses deux auteurs, Olivier Ka et Alfred.
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Alfred : Grand, lunettes, mal coiffé… des parents comédiens qui me donnent très tôt le goût d’écouter des histoires, et surtout l’envie d’en raconter. Dès l’âge de 12 ans, je monte des fanzines et je parcours des festivals BD pour les vendre. A 18 ans, je passe mon bac, arrête mes études et monte un petit label éditorial (Ciel Ether) que j’anime durant deux années et grâce auquel j’apprends pleiiin de choses sur ce métier et la manière de le faire… Les éditions Delcourt lancent leur collection Encrage, j’y publie La digue (sc. Corbeyran), mon premier livre chez eux…
Olivier : Je suis né dans un environnement très proche de la bédé. Dès l’âge de douze ans, j’ai commencé à fréquenter les salons, en vendant des fanzines, des magazines. Puis je me suis mis à écrire, dans différents magazines, notamment dans Psikopat (mensuel de bédé). Après avoir écrit plusieurs romans, pour adultes et pour la jeunesse, je me suis naturellement dirigé vers le scénario. La rencontre avec Alfred a été un déclencheur évident pour moi.
Olivier, quels souvenirs gardes-tu de ton passage au magazine Joystick ? Joues-tu toujours ?
J'en garde d'excellents souvenirs, de nombreux fous-rires, des nuits blanches, et une bande de potes avec lesquels tout était possible. Au bout de deux ans cette bande a explosée, j'ai quitté le journal un peu fâché, je n'étais plus du tout d'accord avec ce qu'il était en train de devenir.
En ce qui concerne le jeu, je ne jouais pas avant d'entrer à Joystick, et je n'ai plus jamais joué après. En fait, je n'ai jamais aimé ça, ce qui faisait de moi un testeur honnête et exigeant, certainement plus proche de la moyenne des lecteurs que mes collègues, fondus et monomaniaques.
Avant Pourquoi j'ai tué Pierre, vous aviez déjà collaboré une 1ère fois sur Monsieur Rouge, mais aussi, plus brièvement, sur le collectif Cases départs. Comment s'était passé votre rencontre ?
Alfred : Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années sur un salon du livre, à Agen. Coup de foudre immédiat, plein de points communs, plein d’envies similaires, nous habitons la même ville… Bref, deux mois après notre rencontre l’appartement en-dessous de chez Olivier se libère et on décide, avec ma compagne, de s’y installer.
Olivier : On a la chance, dans nos boulots, de pouvoir concilier travail et amitié. L’envie de vivre des moments forts ensemble pouvait se marier avec celle de créer des choses. Le jour de notre rencontre, on a mis à peu près un quart d’heure avant de se dire : « Bon, et si on réfléchissait à un album à faire ensemble ? » Monsieur Rouge a été la première bêtise qui nous est passée par la tête.
Olivier, tu as scénarisé l’album L'Ange ordinaire pour ta sœur Mélaka. La famille Karali est très investie dans la BD. Le talent est-il génétique ?
Olivier : Quand on était enfant, notre père nous frappait sur la tête jusqu’à ce qu’on sorte quelque chose de drôle. « Le talent, ça se travaille à coup de ma main dans ta gueule », disait-il. Non, sérieusement, c’est une question d’environnement. Pour nous, écrire ou dessiner n’est pas quelque chose d’extraordinaire, d’inaccessible, c’est un boulot normal, puisqu’on a toujours vu nos parents le faire. Après, il faut avoir envie de se lancer là-dedans, et peut-être, oui, que cette envie-là se transmet de manière génétique.
Alfred, en 2004 tu sors une adaptation très appréciée de Roland Topor, Café Panique. C’est une sorte de gros délire décalé et absurde. Un petit retour sur cet album ?
Alfred : C’est un album qui reste important, pour moi, dans ce qu’il m’a permis d’oser en dessin ou en narration. Ca ne paraît pas grand-chose, mais un réel déclic s’est fait durant sa réalisation. En cherchant à coller à l’univers de Topor qui m’est si cher, j’ai fait sauter plein de retenues ou de complexes que je pouvais avoir dans mon dessin. J’ai lâché des choses, je m’en suis autorisé certaines…
Pour faire court, je peux dire que faire ce livre m’a aidé à y voir plus clair dans mes envies, mes attentes, mes réflexions par rapport au dessin et au fait de raconter des histoires avec.
Depuis quelques temps, tu mets moins d’oiseaux dans tes albums… une forme de maturité ? Est-ce parce que tu évolues vers des histoires plus noires, moins poétiques ?
Alfred : Heu… pour être très franc, de la même manière qu’il était inconscient pour moi d’en mettre partout, je crois qu’il est inconscient de ne plus en mettre !!! En revanche il est vrai que mon travail s’oriente aujourd’hui vers des choses peut-être moins « légères », ce qui n’interdit pas d’y mettre de la poésie quand même…
Olivier, tu as une « longue » carrière d’auteur jeunesse. Pourquoi j'ai tué Pierre et Le Philibert de Marilou sont-ils les premiers pas vers une production plus adulte ?
Olivier : Non, j’ai d’ailleurs commencé par publier des bouquins pour adultes, des choses très trashs, très gores, très sales. L’envie d’aller vers la jeunesse est venue ensuite, comme une sorte de défi lancé à moi-même, et une envie d’explorer des voies plus subtiles. Je travaille selon les envies du moment, je ne sais pas vers quoi je me dirigerai plus tard, l’écriture pour les très vieilles personnes, peut-être. Ou pour les chiens. Ou les plantes vertes.
Olivier et Alfred, vous organisez régulièrement des animations autour de vos BD auprès des bibliothèques, des écoles. Comment est née cette vocation pédagogique ?
Alfred : Ni vocation, ni pédagogique !! On faisait déjà chacun de notre côté ce genre d’animations. Avec notre rencontre, l’évidence d’en faire ensemble s’est vite imposée. Après, c’est le plaisir de ces ateliers qui nous a poussés à en faire. On s’est beaucoup amusé, ensemble, à faire les pitres avec les gamins et à faire des animations devant 500 gamins d’un coup !
Olivier : Quand on bosse pour la jeunesse, on nous propose très souvent des rencontres avec des gamins. Au bout de quelques années, on tourne vite en rond, on se répète, ça devient un peu routinier. Alors faire ça à deux, ça apporte une nouvelle dimension aux rencontres, d’autant qu’on se marre franchement bien quand on fait ça ensemble.
Alfred, tu travailles depuis quelques temps dans un atelier, à Bordeaux, avec notamment Richard Guérineau (dessinateur du Chant des Stryges), et d'autres illustrateurs. Quels avantages le travail en communauté procure-t-il au dessinateur ?
Nous sommes cinq dans l'atelier, Richard Guérineau, Régis Lejonc, Henri Meunier et Olivier Latyk. Le plus fascinant étant que nous ne faisons pas tous la même choses (les autres sont auteurs/illustrateurs), ce qui provoque des échanges inattendus, et surtout un regard au quotidien sur le boulot des uns et des autres qui ne se nourrit pas des mêmes codes.
Je ne pourrais pas être dans un atelier constitué uniquement d'auteurs BD. Ce sont les influences très variées des une et des autres qui enrichissent le quotidien de l'atelier. J'ai passé dix ans à bosser seul chez moi et je sentais que j'étais arrivé au bout de cette façon de fonctionner. Depuis trois ans, l'atelier m'apporte énormément de choses. Des questions nouvelles sur son propre travail ou celui des autres, et aussi, surtout, tout un tas de réponses et de pistes à explorer.
C’est très stimulant et excitant, au quotidien. D'autant que nous n'avons pas tous les mêmes façons d'aborder notre travail et qu'il est toujours stimulant d'aller piocher chez les autres, ou de retrouver de soi dans le boulot de son voisin. Il y a une sorte de bouillonnement qui se crée, et c'est très agréable.
Olivier, venons-en à Pourquoi j'ai tué Pierre. Le sujet est très sérieux, très dur... Pourquoi cette envie de raconter cette expérience en BD ? Depuis quand as-tu eu envie de le faire ?
Olivier : Parce que justement, c’est très sérieux, très dur, et que c’est parfois en plongeant dans la douleur qu’on en sort de bonnes choses. Moi, je n’ai pas raconté cette histoire en bédé. Je l’ai racontée à Alfred, qui, lui, l’a raconté en bédé. Autrement dit, je n’ai pas écrit un scénario, mais un texte, une sorte de roman jeté, craché, qu’Alfred a empoigné pour lui donner forme. Quant à l’envie de sortir cette histoire, elle remonte à loin. Il y a vingt ans, quand j’ai commencé à rédiger mes premiers textes, je savais qu’un jour je parlerais de cet épisode de ma vie, mais j’ai dû attendre d’être suffisamment mûr, d’avoir assez recul pour pouvoir m’y mettre.
As-tu immédiatement pensé à Alfred pour le dessin ?
Alfred : La proposition de mettre des dessins sur cette histoire vient de moi. Olivier n’avait pas prévu ça comme ça au départ.
Olivier : C’est en lui parlant de mon projet de l’écrire qu’Alfred m’a suggéré d’en faire une bédé. C’était pas une mauvaise idée, hein ?
Et pourquoi Delcourt ? Cet éditeur n'est pas forcement réputé pour ses oeuvres autobiographiques...
Olivier : Pour une raison très simple : Alfred publie chez Delcourt depuis dix ans, il leur a naturellement proposé le projet.
Alfred, quelle a été ta réaction quand tu as pris connaissance du scénario qu’Olivier te demandait de dessiner ?
Alfred : Olivier n’a pas écrit de scénario. Ce n’était pas la démarche.
Après m’avoir raconté son histoire, un soir tandis qu’on buvait un coup, et après que j’aie encaissé le choc de ce qu’il m’apprenait, j’ai vite demandé à Olivier d’écrire cette histoire telle qu’il me la racontait, là, maintenant. Et surtout, SURTOUT, ne pas chercher à la scénariser !! Qu’il me donne un texte brut duquel je me dépatouillerai moi, après. J’ai donc fait « l’adaptation » du journal intime d’une vie d’Olivier… Voilà comment on s’y est pris.
Quand et pourquoi avez-vous décidé de réaliser les dernières pages de la BD en photographie ?
Alfred : Tout le livre raconte des souvenirs, ceux d’Olivier. Et puis, d’un coup, nous retournons sur place et le présent nous rattrape. D’un livre de souvenirs, nous arrivons presque à un récit de reportage, brutalement... L’évidence de mettre ces photos, qui sont en fait des captures d’écran d’un petit film que tourne Olivier à ce moment-là, est instantanée. Je ne voyais pas comment faire autrement que de ne pas les utiliser, c’est pourquoi j’ai souhaité marquer cette rupture par l’apparition brutale des photos.
Olivier : Les dernières pages ont été réalisées dans une telle urgence qu’on n’a pas eu le temps de se poser beaucoup de questions. On vivait dans l’instant, cette histoire bouleversante et la fin d’un album, disons que le présent était très présent. Seules les photos pouvaient rendre cet état.
Pourquoi j'ai tué Pierre vous a rapporté un prix à Angoulême cette année. Que pensez-vous de ce genre de prix ?
Alfred : Beaucoup de bien !
Olivier : Deux prix ! Eh, l’autre, éh ! Pas un, deux ! (NDW : Prix du public et Album essentiel)
Quels sont vos projets en cours ou futurs, communs ou non ?
Alfred : Pour ma part, plusieurs choses en court dont l’une des principales est la suite du Désespoir du Singe avec mon copain Peyraud. Et puis d’autres choses que je suis en train d’avancer en même temps et dont nous parlerons plus tard.
Et puis, avec Olivier, nous sommes à fond sur une pièce de théâtre que nous avons écrit et que nous jouons. Un duo absurde et étrange de conteurs musiciens… (voir photo)
Olivier : Je viens de terminer un nouveau roman pour la jeunesse, j’en continue un autre, un gros, que j’ai du mal à mener jusqu’au bout, et je suis sur plusieurs projets de bédés. Quant au spectacle avec Alfred, j’essaye d’apprendre mes textes par cœur, c’est pas gagné…
Merci, et encore bravo pour Pourquoi j'ai tué Pierre !
Alfred : C’est gentil, merci…
Olivier : Merci tout plein.
Lien utile :
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