Auteurs et autrices / Interview de Frédéric Brrémaud
Frédéric Brémaud est un artiste protéiforme que l’on peut avoir du mal à suivre sous ses multiples patronymes Brémaud, Brrémaud ou même Labrémure. Retour sur les facettes multiples d’un scénariste touche-à-tout mais omniprésent sur les étagères du 9ème art !
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Je suis né à Séoul mais aussi dans les Antilles. J'ai grandi en France, en Italie, en Angleterre et sur l'île de Noirmoutier. J'ai fait des études d'un peu de tout et des stages chez des éditeurs où j'ai rencontré pas mal d'auteurs et de gens travaillant dans la BD. Chez Soleil notamment où j'ai ensuite pu écrire des histoires.
Au terme d'un DESS de Sexologie, j'ai fait un stage au Cnbdi à Angoulême que j'ai intégré ensuite pour m'occuper de haute technologie et de francophonie. Là, j'ai rencontré de jeunes auteurs des Beaux-Arts et du Laboratoire d'Imagerie Numérique comme Bruno Duhamel, Mathieu Reynès, Benoît Girier, Lematou, Artoupan, Jean-Emmanuel Vermot-Desroches.
Frédéric, une vieille question : Pourquoi avoir rajouté un « r » à ton nom ?
Des origines tchèques.
Parlons de cette Histoire des plus fameux pirates. Quelle est l'origine de la série ? Comment en êtes-vous venu à décider d'adapter cet ouvrage de Defoe ?
Avec Benoît Girier/Lematou/Artoupan, on a présenté à Jean-David Morvan un projet sur l'Inde. Il l'a trouvé chouette mais en tant que grand maître de la collection Ex-Libris, Jean-David nous a demandé si ça nous intéressait d'intégrer la collection. Comme depuis longtemps, on voulait faire une histoire de pirates, on en a discuté. Très vite, après avoir pensé au Corsaire noir de Salgari, et à Kernok le pirate d'Eugène Sue, on a proposé L'Histoire des plus fameux pirates de Defoe. Le projet a été finalement accepté, et publié ensuite, non pas dans Ex-libris, mais dans une autre collection, au format plus grand.
Parmi toutes les biographies de pirates recensées par Defoe, pourquoi avoir commencé par celle de William Kidd ?
L'idée du projet, pour ne pas être redondant, n'était pas d'adapter la vie des 38 portraits réalisés par Defoe dans son œuvre, mais de présenter les pirates qui nous semblaient les plus intéressants et qui nous permettaient d'analyser le phénomène. William Kidd n'est peut être pas le plus fun, c'est même un gros loser, mais il nous montre comment on peut devenir pirate, comment un honnête homme peut sombrer dans la piraterie presque malgré lui. Pour éviter une mutinerie, par faim, par ras-le-bol etc. Un début logique donc.
Quelles sources avez-vous explorées pour creuser avec plus de détails la biographie de Kidd (vu qu'a priori le livre de Defoe donne des informations assez fragmentaires) ?
Defoe parle de certaines attaques en disant qu'un bateau en a attaqué un autre, sans dire pourquoi et comment, mais par le simple fait qu'il se trouvait là. On a fait des recherches sur le net, mais aussi dans certaines archives à Londres où je vivais à l'époque, et à la Corderie Royale de Rochefort. Sur Kidd, beaucoup plus connu en Angleterre, je n'ai pas trouvé un grand nombre de faits.
Il y a autrement quelques livres, comme The Pirate Hunter : The true story of captain Kidd et Captain Kidd, un film des années 40. J'ai ensuite lu des ouvrages sur la piraterie en général. Capitaine Laguibolle d'Abuli et Rossi est un chef d’œuvre.
Qu'en est-il du tome 3 ? De quel pirate avez-vous choisi de mettre en image l'histoire et pourquoi ?
Le premier tome raconte l'épopée de Capitaine Kidd. On y montre donc comment un honnête homme devient pirate, malgré lui.
Dans le tome 2, en revanche, on a choisi celui qui incarnait le plus la sauvagerie et l'aspect fantastique du pirate : Barbe Noire. Trois siècles après, Barbe Noire est sans aucun doute le plus connu. Celui dont on parle le plus.
Et enfin, un tome 3, sur Rackham. Là, c'est le côté glamour, le romantisme qu'on aborde. Suite à quoi on aura présenté pas mal de facettes de la piraterie. Normalement, on devrait commencer l'album cette année. Il n'aura pas la forme des deux premiers, ni même a priori le même éditeur, mais pour nous, la boucle sera bouclée, et surtout, l'expérience nous aura permis de tester des techniques de narration associant le croquis, les recherches graphiques et le texte.
Le destin de Kidd a quelque chose de très moral, flibustier devenant pirate, il sera puni pour avoir basculé du côté sombre, mais as-tu envie de conter l'histoire d'autres pirates aux destins plus ambigus ou mystérieux ?
Barbe Noire donc, qui est présenté dans le tome 2. Et Rackham, le joli cœur de ces dames. L'idée ensuite d'écrire d'autres histoires de pirates, pourquoi pas ? Ça dépend comment, et si j'ai le temps, évidemment. Et si un éditeur en veut. J'ai un projet en tous cas autour de Cook.
À quand la suite de Daffodil ? Et le prometteur Drakka ?
On a fait trois Daffodil. Un de trop, selon moi. Les deux premiers me plaisent encore même si Giovanni a changé de style en cours de route (c'est sympa comme idée, mais ça peut en décontenancer plus d'un). Le troisième tome, selon moi, ne sert à rien, n'apporte rien, mais bon, c'est trop tard, et puis, graphiquement, les dessins de Rigano sont toujours intéressants. Une chose qui me plairait serait de proposer les deux premiers tomes en romans illustrés. Ça pourrait se faire, mais quand, je ne sais pas.
Quant à Drakka, on sort le tome 2 à la fin de l'année. L'histoire initiale devait faire deux ou trois albums en fonction de la pagination. Finalement, il y aura deux tomes, le tome 2 étant plus long que le premier. Cette série, si je l'aime bien, m'a surtout permis de rencontrer Lorenzo De Felici, un jeune dessinateur italien bourré de talent. Ensemble, on a deux autres projets, très différents, mais qui lui permettront, je pense, de montrer au monde qu'il est un dieu du dessin.
Kochka semble terminée. As-tu d’autres projets avec Bruno Duhamel ?
Hé hé, faut voir. Ça se pourrait.
Où en est la suite de Hao Mei, qui semble être un projet assez ambitieux ?
L'histoire était prévue en deux albums et les deux albums ont été publiés, dans l'indifférence générale. Je suis content que tu me parles de cette série, parce que je me suis vraiment amusé à la faire. C'est aussi mon premier projet SF, je crois. Avec Tommaso Renieri, on a attaqué une autre histoire en deux tomes sur la Chine médiévale. Tommaso est aussi le dessinateur de Tao, chez Clair de Lune. Du pain sur la planche donc. Il ne ressemble en tous cas à aucun autre de « mes dessinateurs ».
Si je me souviens bien, c'est avec ce projet que j'ai commencé à collaborer avec Clair de Lune. J'ai plusieurs projets actuellement chez cet éditeur, dont quelques traductions. Clair de Lune est le seul éditeur français qui ait accepté de publier plusieurs fumetti que j'ai présentés en France, tels que Tex, Diabolik ou Dampyr. En ce moment, il se lance dans l'édition de l’œuvre de Grazia Nidasio, une des plus grandes dessinatrices italiennes de tous les temps. La grande classe, entre Claire Brétecher et Cabu.
Alika aurait tout à fait eu sa place dans le catalogue Soleil. C’est plus surprenant au Lombard. Comment es-tu arrivé avec Loche chez eux ?
À la fin du tome 3 de Robin Hood, on a présenté Alika chez Soleil. Ils étaient intéressés mais sans doute pas assez pour signer immédiatement. Les mois sont passés, on a présenté le projet au Lombard, et c'est Pôl Scorteccia qui nous a dit oui.
Avec Mathieu Reynès, vous vous êtes lancés dans l’écriture de séries humoristiques chez Bamboo. Pourquoi vouloir explorer ce genre, que l’on peut craindre épuisé ?
Et pourquoi pas ? D'ailleurs, je ne crois pas que le gag ou l'histoire en une planche soit épuisé. C'est au contraire un genre en plein développement, infini. Parmi les séries de gags que j'ai réalisées chez Bamboo, les Maîtres Nageurs est de loin celle que je préfère. Ça me dirait bien d'ailleurs de la continuer. J'aime bien aussi Toutou & cie, mais avec Chats et Camomille & les chevaux que je réalise chez Hugo BD, voire Love chez Ankama, je n'ai plus beaucoup de place pour des histoires d'animaux.
Avant de collaborer avec Bamboo, je n'avais jamais écrit de gags. C'est donc l'idée d'un exercice nouveau qui m'a avant tout intéressé, voir où cela allait me mener. Je me suis rendu compte, d'ailleurs, que j'avais énormément à apprendre, qu'un genre que je croyais assez simple ne l'était pas autant que ça. Il ne suffit pas qu'une idée de gag soit bonne, il faut aussi que le gag soit bien amené. Là-dessus, Olivier Sulpice de Bamboo nous a beaucoup aidés.
Je me rends compte aussi qu'écrire des gags n'utilise pas la même case du cerveau qu'un documentaire animalier, ni même qu'une histoire érotique ou un polar. En réalisant des histoires dans plusieurs genres, je peux passer de l'une à l'autre sans me fatiguer, sans jamais avoir l'impression de me répéter, et toujours avec enthousiasme. C'est très motivant.
Frédéric, cela fait plus de 10 ans que ton premier album, le tome 1 du Coeur de royaume, est sorti. Si tu jettes un regard en arrière, quel est ton sentiment ?
Que ce que j'écris maintenant tient mieux la route, et que c'est plus varié qu'auparavant. Un de mes objectifs était d'aborder le plus de genres possibles, de tout faire, sans me mettre de barrière. Le tout avec des dessinateurs que j'estime. Finalement, j'ai fait un peu de tout, de l'heroic-fantasy au polar, en passant par la SF, l'humour, le western, l'érotisme, l'horreur et le documentaire. En fait, ce qui me plaît bien cette année, c'est d'avoir publié des albums sous le pseudo Brrémaud, comme Love, Draka etc. Lili Mésange avec Camomille & les chevaux et Labrémure pour Mahârâja.
J’ai beaucoup apprécié Love (Ankama), ce sera un diptyque ou d’autres titres sont envisagés ? D’ailleurs mais pourquoi ce titre ?
Le deuxième tome sort fin août. On y montre un renard sur une île volcanique en train de sombrer, dans le grand nord. Je suis en train d'écrire le troisième tome. En fait, tant qu'on aura la capacité de présenter le monde animal sous des angles différents, on continuera. Et franchement, le sujet est plus vaste que je ne le pensais quand on a présenté le projet. On a l'idée du 4, voire du 5. Bref, espérons que ça dure.
Pour le titre, on l'explique par ces mots :
"Dans le règne animal, les bêtes ne s'aiment pas, mais ne se détestent pas non plus. L'amour et la haine forment un tout. Un tout universel. Un ensemble suprême qu'on pourrait appeler le divin ou encore amour. L'amour que l'homme n'atteindra jamais".
La série Banana fight est-elle définitivement morte et enterrée? Y a pas moyen de la faire renaître de ses cendres (même en y mettant le paquet) ?
Au début, l'idée n'était de faire qu'un tome. Mais il est vrai que notre fin appelle drôlement une suite. C'est de ma faute, j'aurais dû mieux la clôturer. L'histoire du tome 2 est écrite. Qui sait, un jour. J'y réfléchis en tous cas.
Tu as travaillé pour bon nombre d’éditeurs, est-ce un choix volontaire ou bien un pur hasard ? Comment se passe le contact avec eux ?
Ce n'est pas un choix volontaire mais une nécessité. Je ne pense pas que Le Lombard aurait signé Mahârâja. Je ne suis pas sûr non plus que le projet aurait intéressé Bamboo. Les éditeurs ont des politiques éditoriales qui ne se ressemblent pas toujours. Ça tombe bien parce que mes séries ne se ressemblent pas non plus. C'est parfois un choix. Il y a des projets qui ne peuvent pas fonctionner de la même façon chez l'un ou l'autre. Des projets, plus ou moins grand public, auront du mal à vendre immédiatement 10 000 exemplaires. Si on le fait chez un gros éditeur et qu'on vend 5 000, on se fait virer, parce que le seuil de rentabilité est très haut, alors qu'un petit éditeur qui a 50 fois moins de monde dans les bureaux s'y retrouve beaucoup plus vite. À 3 000 copies, voire beaucoup moins, il y voit un potentiel et développe la série, qui aura toutes ses chances par la suite. Il pourra même en vendre bien plus au final, et tout ça dans la bonne ambiance. Je ne suis pas sûr que Lanfeust d'Arleston aurait fonctionné aussi bien chez Dargaud ou Dupuis.
Pour le reste, j'aime tout le monde. Les éditeurs sont très gentils.
Parmi tes collaborateurs, on peut relever une belle brochette de dessinateurs italiens . . . est-ce le reflet d’un attrait pour les courbes latines ou pas seulement ?
Je vis en Italie, ça aide forcément. Et pourquoi s'en priver, beaucoup d'Italiens ont un talent fou et sont sous-exploités chez eux. Il n'y a grosso modo que les éditions Bonelli en Italie, à permettre à des auteurs de vivre du dessin.
On sent une évolution dans le ton donné aux récits, tes dernières productions étant moins "délurées". Est-ce le résultat d’un cheminement logique et conscient (envie de passer à autre chose) ? Rassure-nous : ton esprit facétieux a-t-il quand même su résister à l’œuvre du temps ?
Avec Love qui est un mélange entre fiction et documentaire muet, Mahârâja, un album érotique, j'ai au contraire l'impression d'être plus facétieux et déluré qu'avant. Et bien plus varié. Enfin, je trouve.
Tu engages une complicité sur du long terme avec certains dessinateurs (Loche, Reynès). Est-ce que ces liens d’amitié rendent le travail plus facile ou, au contraire, plus sensible ?
Quand je commence une collaboration, je ne connais pas toujours très bien le dessinateur, mais je fais tout pour le rencontrer. Ensuite, les liens se créent et on est très vite sur la même longueur d'onde. Ça permet au dessinateur et au scénariste de proposer quelque chose qu'ils aiment vraiment.
D’ailleurs je crois que je n’ai jamais autant apprécié une œuvre érotique aussi réussie que Mahârâja avec ce mystérieux Monsieur Artoupan. Fais-moi plaisir, dis moi qu’il n’y aura pas de suite mais que d’autres histoires de ton cru avec le même dessinateur sont au programme ?
Merci monsieur. Une suite, non, ce n’est pas prévu, mais le développement d'un ou deux personnages de l'album, pourquoi pas. Avec Artoupan, en tous cas, on a commencé un nouveau projet olé olé. L'action se déroule sur l'île de Capri, et si l'histoire est très différente, ceux qui ont aimé Mahârâja devraient aimer celle-ci aussi.
Les festivals bd sont, selon toi, plutôt une bonne occasion de voir les copains, faire la fête et rencontrer son lectorat ou bien est-ce davantage une contrainte ?
C'est un peu tout ça à la fois. Jamais une contrainte en tous cas, peut-être aussi parce que je n'en fais pas tellement. Quand je ne peux pas aller quelque part, je refuse et on n'en parle plus. Des festivals comme Angoulême ou Lucca en Italie sont aussi pour moi une façon de voir ce que font les autres et ce que veulent les éditeurs.
La moitié des dédicaces que je fais sont sur l'île de Noirmoutier. Là, c'est l'occasion de rentrer chez moi.
Et une petite dernière pour la route : Quelle est ta bière préférée ?
La Mahârâja. Faite sur le lac de Côme, en super petite quantité, mais si on m'invite en Belgique, je veux bien changer d'avis.
Bon et bien sûr quels sont les nouveaux projets sur la marmite ?
Pas mal de choses. Chez Clair de Lune, j'ai deux ou trois projets qui me plaisent tout particulièrement. Une série très ligne claire dessinée par Frank Leclercq qui me donne l'impression d'écrire un Blake et Mortimer, et un nouvel album avec Artoupan sur l'île de Capri donc. Un album avec des avions dans les années 60, avec De Gaulle, Mao et Edgar La Rochelle, dessiné par Olivier Jolivet. Deux autres projets avec Federico Bertolucci. Une nouvelle série avec Paola Antista. Des projets sur l'Inde, sur Rackham, sur Terre-Neuve et la pêche à la morue, sur les épaves autour de Noirmoutier.
Bref, on verra bien.
Je rajoute cette dernière question pour conclure cette interview si tu veux bien y répondre : "La directrice du palace de Mahârâja existe-t-elle vraiment " ?
Concernant la directrice de la Villa d'Este, oui elle a existé. Elle est morte il y a un peu plus de dix ans, à plus de 110 ans. On dit en Italie qu'elle utilisait ses informations pour faire chanter des hauts membres du clergé et de la politique italienne. Un drôle de personnage donc.
Merci pour toutes ces réponses Fred et au plaisir de lire toutes ces nouveautés !
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