Auteurs et autrices / Interview de Christophe Chabouté
Maître du noir et blanc, prince de la fable sociale et metteur en scène hors pair, Christophe Chabouté nous reçoit.
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J'étais en contact avec le directeur de collection de Vents d'ouest, nous avions un projet en cours (qui n'a jamais rien donné d'ailleurs) et il m'a proposé de travailler sur cette thématique) ...
En 1997 vous participez au collectif Chirac dans tous ses états. Une petite anecdote à ce sujet ?
Non !
En 1998 vous réalisez deux albums, Sorcières et Quelques Jours d'été, qui sont remarqués et gagnent des prix. Comment vivez-vous cette nouvelle notoriété ?
La notoriété, heu... Ils sont remarqués, ce qui est très bien pour deux premiers bouquins, ça ouvre un peu mieux les portes des éditeurs...
Sorcières a dû vous demander un gros boulot de recherche, j’imagine ?
J'étais déjà un grand lecteur de toute l'oeuvre de Claude Seignolle, adepte des nouvelles courtes a chute dans l'esprit de Fredric Brown, Jacques Sternberg ou Bradbury, j'ai grandi dans une région (un coin de l'Alsace...) qui avait un petit passé dans ce domaine et ma grand-mère me racontait pas mal d'histoires sur ce thème…
Sorcières a depuis été réédité chez Vents d’Ouest, éditeur chez lequel vous êtes toujours. Comment se construit une telle fidélité ?
Par une confiance réciproque, ils me permettent vraiment de me lâcher sur mes projets, j'ai une grande liberté, ce qui est vraiment confortable pour travailler... Et moi je m'engage à livrer le boulot dans les temps.
Pourquoi être passé aux couleurs pour cette réédition ?
La première édition de Sorcières était en couleurs mais à la base elle était conçue pour du noir et blanc, la réédition est donc revenue à son format initial (grosse pagination et noir et blanc).
"Quelques jours d'été sort" seulement quelques mois après Sorcières… Vous travailliez les deux en parallèle ?
J'avais ce bouquin dans un tiroir depuis un moment sous forme de story-board... Mais c’était une histoire très personnelle et je n'osais pas la sortir de ce tiroir...
J'ai trouvé énormément d'intensité au récit que propose Quelques Jours d'été. Est-ce de la pure fiction ou la retranscription d'un vécu personnel ?
On met toujours de soi dans ce qu'on écrit, là j'en ai mis pas mal...
Il a obtenu un prix à Angoulême ; comment avez-vous vécu cette reconnaissance de la profession ?
J'étais super content et comme je le disais précédemment ça m'a vraiment facilité le boulot pour les projets suivants…
Zoé vous permet de vous affirmer en tant qu’auteur avec un ton tout à fait particulier, cynique et noir. J’imagine que vous n’aimez pas être mis dans une case…
On met toujours dans des cases, ça rassure... J'ai longtemps eu l'étiquette "successeur de Comes", c'est flatteur... Mais un peu casse-pieds à la longue.
On a donc comparé cet album à ceux de Comès, comme La Belette ou Silence ; quelles ont été vos influences ?
J'ai grandi à la campagne, je dessine et raconte ce que je connais bien... Quant aux influences, j'en ai eu tellement et pas uniquement en BD que la liste serait trop longue...
Pleine lune ressemble à une sorte de réalisation du fantasme de nombre de gens : voir une personne éminemment antipathique en prendre pour son grade… et bien plus encore. C’est un cri de colère ?
Un cri de colère non, mais j'avais envie de me marrer un peu, je me suis défoulé...
N’avez-vous pas pensé, après coup, avoir trop « chargé » le personnage principal ? On n’est pas loin de la caricature…
Ben oui je n'y suis pas allé avec le dos de la cuillère, on m'a reproché le coté manichéen du bouquin, c'est juste... Je raconterais cette histoire certainement autrement aujourd'hui.
Un îlot de bonheur est surprenant, car prenant le contrepied des albums précédents ; certains de vos lecteurs ont peut-être été déstabilisés…
Bien au contraire, j'essaye de ne pas me répéter, d'aller là où on ne m'attend pas...
De plus sa lecture était plutôt rapide, laissant ceux qui ont apprécié l’histoire un peu déçus…
Dupont va le lire vite, Martin va le lire lentement, Duchmoll va plutôt lire le texte en priorité, Durand va rester plus longtemps sur les images... En BD l'auteur propose le rythme de lecture, il ne l'impose pas et surtout il ne le maitrise pas... Et je ne mesure pas l'émotion que j'essaye de faire passer dans un bouquin au nombre de pages...
Au fil de tous ces albums, votre maîtrise du noir et blanc n’a cessé de s’affirmer. Pourquoi ce choix artistique ?
Réponse con : j'aime ça !
Avec La Bête, vous revenez à votre domaine de prédilection, le drame rural. Et c’est une vraie réussite ; mais depuis vous avez délaissé ce genre pour en explorer d’autres…
J'essaye de me bousculer pour ne pas refaire la même chose, j'essaye de ne pas tourner en rond... Ce qui n'est pas toujours évident quand on travaille seul...
Purgatoire rappelle un peu Pleine lune, racontant la descente aux enfers d’un homme « normal »…
Ce qui peut arriver à n'importe qui... et malheureusement très rapidement... Je vais piocher dans le quotidien que je fais déraper en lui donnant un côté fantastique mais toujours crédible.
En 2006, après trois ans d’absence, vous revenez avec une bande dessinée consacrée à Landru, tueur en série (Henri Désiré Landru). Première incursion hors de la fiction pure ; pourquoi ? Pourquoi revenir sur l’histoire d’un homme que la Justice a déclaré coupable ?
Je n'ai pas été absent, j'ai fait Purgatoire... Au départ, je trouvais qu’il avait une tête intéressante à dessiner. Mais on ne fait pas un bouquin seulement sur une tronche donc j’ai commencé à lire sa biographie. Il s’avère que l’histoire est aussi intéressante avec pas mal de zones d’ombres dans l’enquête. Je suis alors parti de tous les faits avérés dans l’histoire de Landru et j’y ai greffé une autre histoire.
Jusqu'à présent, c'est le seul personnage historique qu'on a pu voir dans votre œuvre. Pourquoi lui et pas un autre ?
Quand j’attaque un bouquin, il me faut un défi à relever. Il fait bien avouer que Landru traîne de sacrées casseroles et je trouvais amusant d’essayer d’innocenter quelqu’un que tout accuse.
La confrontation entre la boucherie de la première guerre mondiale et l’histoire de ces femmes et enfants tués –apparemment- par Landru semble prouver que le monstre n’est peut-être pas celui que l’on croit…
Cela ne m’intéresse pas non plus de faire de l’historique pur sans pouvoir y amener mon grain de sel. Je trouve dommage de raconter sans prendre plus ou moins position. Landru m’a donc permis de parler de la guerre de 14-18. Cela serait prétentieux de condamner, mais je voulais montrer d’une certaine manière ce qui se passait dans les tranchées. Des soldats qui pataugeaient dans la boue et se faisaient plomber.
Mais on n’a jamais su quand et comment il les avait tués. Rien n’a jamais été prouvé. On se doute qu’il était l’assassin, mais il n’y a pas de preuves indiscutables.
Dans Construire un feu, le dessin est fait en couleur, alors que paradoxalement, une grande partie de l’histoire se passe dans la neige… Pourquoi ce choix ?
J'associe mes couleurs - ou leur absence - à l'histoire que je veux écrire. Dans tous mes livres je suis resté en noir et blanc parce que la couleur n'apportait rien. Pour Purgatoire seulement, j'avais eu besoin de couleur. Dans Construire un feu, j'aurais pu rester en noir et blanc, en effet. Mais il y a quelques points importants dans le bouquin, particulièrement, bien sûr, ce fameux feu. Cette chaleur du feu, ce rouge et jaune, je voulais qu'il réchauffe le lecteur lors de son apparition. C'est ce qui a guidé mon choix, parce que sinon, la couleur n'a finalement pas grande importance dans le reste de l'album.
Dans ce bouquin j'avais envie de faire peur avec du blanc.
Le héros de Jack London est un être assez méprisable, qui semble avoir mérité ce qui lui arrive, quelque part. Vous aimez mettre en scène des salauds…
Les héros m'ennuient. Je ne vois pas l'intérêt d'un personnage beau et lisse. Chercher des qualités chez un salaud, c'est beaucoup plus intéressant que d'avoir un héros bon et un méchant mauvais. C'est mon truc : je préfère dessiner des tronches, le fantastique m'intéresse, donc on glisse souvent vers le noir. En général mes personnages ne sont ni bon ni mauvais, ils sont, c'est tout...
340 planches pour Tout seul, alors que cela pourrait tenir en 46 planches ; pourtant on ne s’ennuie pas une seconde… Comment faites-vous ?
Ce ne serait absolument pas le même rythme en 46 planches... prenez un bon verre de vin et buvez-le cul sec... maintenant prenez ce même verre de vin et buvez le trèèèèèès lentement, tranquillement en cherchant chaque saveur, chaque petit goût qu'il développe, prenez le temps de regarder sa couleur, sentez le parfum qu'il dégage... Il est meilleur non ?
Terre-Neuvas vous permet de passer du phare à la haute mer. Le début de l’album fait très documentaire, très travaillé, lorsque soudain une intrigue de thriller surgit, pour se terminer de façon un peu étrange… Si c’était à refaire, que changeriez-vous dans cet album ?
Rien je crois, il est fait... On passe à autre chose
Fables amères de tout petits riens vous permet de renouer avec le drame social, et le format de l’histoire courte. Ces histoires ont-elles toutes été réalisées à la même époque, ou au contraire collectées sur une période plus large ?
Ce sont des notes que j'ai rassemblées, ce sont effectivement des petites histoires que j'ai écrites et mises dans mon tiroir (toujours le même) pendant des années...
Dans Les Princesses aussi vont au petit coin, vous entremêlez pour la première fois deux trames narratives, pour un résultat surprenant ; êtes-vous totalement satisfait de cette orientation technique et pensez-vous la réutiliser ?
On n’est jamais totalement satisfait de quelque chose (pas moi en tous cas) ; je me suis amusé à le faire et si j'ai pu embarquer et "promener" le lecteur, c'est que je ne me suis pas trop planté dans ce que je voulais raconter.
En cette rentrée, arrive votre nouvel album : Un peu de bois et d'acier. Le « héros » de cette histoire est très particulier… Quelle est la genèse de ce projet ?
J’avais envie d’un héros particulier. J’avais envie de parler de choses futiles, simples, pas importantes. Le défi était de rendre important le pas important, le futile, de donner un côté extraordinaire au quotidien, un autre angle de vue à ce que l’on voit tous les jours, voir autrement ce que l’on ne voit plus. Pour cela, il faut s’arrêter.
Les premières pages, visibles sur le site de Glénat, laissent augurer d’un récit entièrement muet… sur 330 pages ?
C’est le point de vue de chacun qui fait l’histoire. Je ne surenchéris pas avec du texte pour ne pas donner d’importance aux personnages, dont on se fout, à la limite. L’image parle d’elle-même et cela permet au lecteur d’imaginer ce qu’il veut. Je lui laisse constamment des portes ouvertes pour qu’il se fasse son propre dialogue, sa propre histoire, son propre passé et le propre futur des gens. Je travaille sur un axe central où chaque lecteur peut prendre un chemin de traverse et s’approprier l’histoire. Je n’impose rien, je propose. En littérature, le lecteur "imagine" l’image. Là, les images sont faites et le lecteur imagine le texte qu’il peut y avoir.
Quels sont vos autres projets ?
Je ne parle jamais de mes projets, j'aurais l'impression d’éparpiller l'énergie que je peux mettre dans un futur bouquin.
L'essentiel de vos albums est destiné aux adultes. Aimeriez-vous faire des BD pour un public plus jeune ?
Un Îlot de bonheur, Quelques jours d'été, Un peu de bois et d'acier peuvent être lus par des enfants... Ma fille les a lus, elle a 9 ans...
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