Auteurs et autrices / Interview de Olivier Speltens
Olivier Speltens est un auteur complet passionné d’histoire. Avec "L’armée de l’ombre", il signe un récit de guerre qui nous emmène dans les traces d’Ernst Kessler, jeune soldat allemand confronté à la dure réalité du terrain. Un premier album fort remarqué et très bien accueilli par la critique.
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Aucune idée mais, promis, je demanderai à ma femme.
Comme tant d’autres, tu as suivi la fillière Saint-Luc. Quels étaient tes professeurs et que retiens-tu de ces années de formations ?
Plus précisément, j'ai fait mes études à l'ERG qui est une filiale de St Luc. J'ai eu Olivier Grenson et Gérard Goffaux comme profs de BD et de dessin. Je leur dois beaucoup, parce que pour le reste ça a été une colossale perte de temps... A part les cours classiques, philo, psychanalyse, histoire de l'art, etc... les cours étaient inintéressants ou inutiles. Heureusement que je suis tombé sur Gérard et Olivier, car eux m'ont vraiment appris quelque chose.
Par exemple, je me souviens d'une anecdote pendant le cours de modèle vivant d'Olivier : en me regardant dessiner la nana qui posait pour nous, il m'a dit quelque chose dans le genre « Bon, arrête de dessiner ce que tu sais et dessine ce que tu vois ! ». La nuance est très grande et il a rajouté : « À partir de maintenant tu vas dessiner de la main gauche (je suis droitier) ». Ҫa m'a beaucoup aidé, parce que je devais mettre tout ce que j'avais appris de côté et en quelque sorte réapprendre à voir.
Gérard était aussi de très bons conseils et m'a appris plein de choses comme l'anatomie, la perspective, le cadrage, enfin bref, tout ce qui me serait utile pour faire de la BD. Il n'hésitait pas à prendre un crayon et à nous montrer comment il faut faire. Ҫa peut paraître élémentaire, mais ceux et celles qui ont suivi des cours d'arts plastiques me comprendront !
L'Armée de l'ombre, ton nouvel album, est un récit historique. L’histoire, c’est une passion pour toi ?
En sortant de mes humanités j'ai vraiment hésité entre la BD et l'histoire. Je savais que dans la BD ce serait très difficile mais je me suis dit que si je n'essayais pas, je le regretterais. Je me suis lancé dans la BD… et je ne le regrette pas, mais l'histoire demeure à mes yeux un domaine passionnant, surtout l'histoire contemporaine !
Peux-tu nous expliquer les raisons qui t’ont poussé à choisir la seconde guerre mondiale et le front de l’Est comme théâtre de ton récit ?
Cela vient de ma passion pour l'histoire, c'est une période qui m'a toujours fort intéressé. D'abord l'aviation et les grandes batailles puis plus précisément la vie des soldats sur le front (peu importe leur nationalité). Je me suis dit que ce serait peut-être intéressant de voir l'autre côté, celui des Allemands car nous avons toujours eu une vision très manichéenne et « américanisée » de la guerre 40. Le front de l'Est est moins traité en BD alors qu'il a été le plus important en Europe et sans conteste celui qui a fait le plus de victimes. Les conditions de vie étaient aussi très difficiles et il m'a semblé que ce serait une bonne idée d'y consacrer une série. Paquet a d'ailleurs été très vite convaincu.
Tu as choisi de nous faire vivre ce récit au travers du regard d’un jeune soldat allemand. Peux-tu un peu mieux nous le présenter ?
Ernst Kessler est un jeune homme comme les autres, ébloui par les récits « héroïques » des soldats du front. Il croit en ce qu'on lui a raconté et désire par-dessus tout servir son pays. Je l'ai voulu comme ça car je crois qu'il est à l'image de tous ces jeunes qui ont combattu pour leur pays dans les différents conflits modernes. Dans le tome 2 le lecteur fera connaissance avec les parents de Kessler et sa ville natale. On découvrira alors sa personnalité un peu plus en profondeur.
Ce qui m’a marqué à la lecture, c’est cette omniprésence du climat. En fait, sur le front de l’Est, l’ennemi était partout et le plus redoutable n’était peut-être pas celui auquel on pense en premier !
Oui, bien sûr et les soldats ont eux-mêmes été surpris par ces températures extrêmes. Ils étaient bien plus préoccupés par la nécessité de se protéger du froid que de combattre l'ennemi. Une simple maison pouvait donner lieu à des combats sans merci entre Russes et Allemands parce que celui qui pouvait y passer la nuit survivait, les autres mourraient ! Outre le climat, les partisans sévissant sur les arrières de l'armée allemande ont toujours représenté un immense problème. Ils attaquaient sans relâche les convois de ravitaillement ou les renforts. Et puis bien sûr, l'armée rouge elle-même était redoutée par les Allemands. La réciproque est vraie. Ces deux peuples ont été si bien conditionnés à se haïr que les combats ont été sans pitié.
Non content d’assurer le scénario, tu assumes aussi seul le dessin. Quelles sont tes influences dans ce domaine ?
J'apprécie énormément les auteurs BD tel que Loisel, Guarnido, Giraud... Ils m'ont vraiment donné envie de faire ce métier.
Actuellement encore, il y a beaucoup d'auteurs BD qui m'inspirent mais, comme nous parlons de la même époque et du même lieu, Hugault est en tête. Ses ambiances de couleurs sont très réussies, sans parler de ses avions.
Quant aux écrits qui m’ont donné l’envie de créer une série comme "L’armée de l’ombre", ils sont très divers. J'ai lu beaucoup de récits de guerre, le plus souvent des témoignages de soldats ayant vécu l'une ou l'autre guerre. Je citerais les témoignages de August von Kageneck, Guy Sager, Hans Rudel ou Adolph Galland. Plusieurs petits témoignages glanés ici et là sur internet ont aussi retenu mon attention.
Comment ton éditeur t’épaule-t-il dans ton boulot ?
Je travaille avec Pol Beauté qui soumet mon travail à pas mal de monde chez Paquet et, entre autres, à Michel Koeniguer. Après avoir collecté toutes les remarques, il m'en fait part. Pol est lui-même de très bon conseil et ses remarques me sont fort utiles. Il a le recul nécessaire pour voir les petits défauts qui m'échappent. Il insistait par exemple pour le tome 1 sur le fait que je devais accentuer la sensation de froid dans telle ou telle case. Et je crois que le résultat final n'est pas trop mauvais.
Ҫa, je te le confirme ! Il est même excellent ! La série est bien prévue en quatre tomes ?
C’est bien ça : quatre tomes de prévus. Je travaille activement au découpage du tome 2. Et comme jusqu’à présent, les critiques que j'ai pu lire au sujet du tome 1 sont bonnes, et que de bonnes critiques font un auteur et un éditeur heureux, je suis très confiant pour la suite de l’aventure. Les quatre tomes seront bien menés à terme, j’en suis convaincu.
Enfin une question un peu bizarre : comment quelqu’un qui travaille sur un récit traitant de la seconde guerre mondiale perçoit-il l’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union Européenne ?
C'est une question difficile. Force est de reconnaître que nous vivons actuellement en Europe une des plus longues périodes de paix de notre histoire. Bien sûr des conflits locaux ont éclaté pas loin de chez nous mais ils n'ont pas embrasé l'Europe comme au temps du premier conflit mondial, du second ou même des guerres napoléonienne. Peut-être est-ce le moment de dire qu'il vaut mieux passer à autre chose sans toutefois oublier ?
Olivier, merci pour le temps que tu viens de nous consacrer. Un petit mot en guise de conclusion ?
Carpe Diem !
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