Auteurs et autrices / Interview de Andreas
C’est après avoir eu la chance de visiter l’exposition qui lui était consacrée à Angoulême en sa compagnie et celle de sa coloriste Isabelle Cochet, que nous avons pu discuter et échanger sur son travail.
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Merci.
Pour commencer, est-ce que vous pourriez vous présenter en nous faisant suivre le fil rouge qui vous a mené jusqu’à cette exposition…
Oulà ! Et bien, j’ai commencé professionnellement en 77’ dans le journal de Tintin. Puis je suis venu m’installer en France, et là j’ai commencé Rork. Et puis de là, tout s’est plus ou moins enchaîné. Des éditeurs sont venus me chercher ; j’ai travaillé pour plusieurs éditeurs au départ, mais je suis toujours resté au Lombard quand même.
Fidèle ?
Oui c’est ça. Et puis quand Delcourt s’est mis à faire de l’édition, comme je les connaissais déjà avant, j’ai tout naturellement travaillé pour lui, et maintenant j’ai essentiellement deux éditeurs, Le Lombard et Delcourt. Voilà, et c’est le Lombard qui a pris l’initiative de l’exposition avec le Festival de Saint-Malo et Angoulême est venu se greffer dessus.
Belle opportunité ?
Oui tout à fait. Pour moi je ne sais pas. (rires)
Tous les gens que je connais et qui vous apprécient sont très heureux de cette exposition, car vous êtes relativement « discret » sur les festivals. C’est donc une très bonne occasion de vous rencontrer et de vous découvrir un peu plus. Là vous me parlez de votre parcours, mais quand vous êtes arrivé dans la BD, c’est quelque chose que vous aviez tout de suite décidé ?
Non, disons que quand j’étais plus jeune je voulais faire architecte. Mais quand il a été temps de décider de ce que je voulais faire après le bac, c’était de la bande dessinée. Je suis allé à Bruxelles à l’Institut Saint Luc pour étudier, enfin pour apprendre la BD. Je ne sais pas si ça s’apprend dans une école, mais voilà. Ensuite j’ai rejoint aussi le cours d’Eddy Paape, et puis après quelques temps il m’a demandé de travailler avec lui et c’est comme ça que je suis entré au Lombard.
Sur votre travail, on vous prête beaucoup d’influences : comics, science fiction, ou fantastique. Quels sont les auteurs qui vous ont vraiment marqué ou inspiré dans votre travail ?
Lovecraft forcément, K. Dick…
Et est-ce qu’il y a des auteurs qui pour vous, même dans la BD, restent des influences prépondérantes ?
Moins maintenant. Je pense qu’au début on se cherche un peu ; on cherche un peu soi même ce qu’on aimerait faire et puis après on développe son propre univers. Je ne dirais pas qu’il y a encore des influences, mais disons qu’il y a un peu de tout qui me nourrit, et ça peut être le cinéma, ou la BD ou la peinture, ou n’importe quoi. Vraiment il n’y a plus d’influence majeure.
Et est-ce qu’il y a des auteurs de littérature que vous aimez particulièrement aujourd’hui ?
Pas particulièrement, non. (rires)
Comme je vous le disais tout à l’heure lors de notre visite de l’exposition, c’est avec Rork que j’ai découvert votre univers. Je voulais savoir comment est né ce personnage apparu dans le journal de Tintin ?
Et bien disons que je voulais faire des histoires fantastiques, et comme c’était le journal de Tintin il fallait un personnage. Et il y avait ce personnage qui ne faisait pas grand-chose finalement dans les histoires. Voilà, et puis avec le temps celui-ci est devenu le centre du récit. Ça s’est fait comme ça. C’était un peu un personnage prétexte au départ qui est devenu le moteur de la série.
Au début on sent que ce sont de courtes histoires qui sont réalisées pour le format magazine. Comment s’est faite la transition pour évoluer vers la série en elle-même ? Le concept de « série » est d’ailleurs très important dans votre travail, votre façon de voir et de construire vos histoires. Comment s’est fait ce passage, ce glissement ?
Disons qu’au début c’était prévu en 14 histoires complètes qui auraient été publiées dans les 2 premiers albums. Et puis, il y a eu une pause entre les deux premiers albums et quand ils ont vu que les deux premiers se vendaient bien, ils m’ont demandé de faire d’autres histoires et de poursuivre la série. Pour les éditeurs c’était plus une question commerciale qu’autre chose. Bon, évidement j’étais content de pouvoir faire ça (rires) et j’ai décidé tout de suite d’aller jusqu’au septième.
C’était donc prévu dès que vous avez recommencé ?
Oui.
C’est déjà une vision arrêtée de l’histoire. Je sais qu’il y a des auteurs qui avancent un petit peu comme ça, sans trop savoir où ils vont…
Non non, c’était vraiment prévu. Parce que c’était mes débuts quand même, c’était mon premier personnage, mais je ne voulais pas faire ça éternellement.
Et pour les autres séries (Capricorne, Arq), vous aviez également une vision sur le long terme et aussi construite dès le début ?
Pour Arq, oui, c’était 18 albums dès le début ; pour Capricorne je me suis dit que j’irai jusqu’au 20e et puis que je verrai ce qui se passe après. Si j’ai envie d’arrêter ou si l’éditeur a envie d’arrêter, voilà. Et là il se fait qu’on a envie d’arrêter tous les deux après le 20e, c’est parfait. Mais là aussi, j’avais pré-pensé les choses (pas tout) jusqu’au 20eme.
Et après il y a eu un nouveau Rork qui est sorti…
Zéro.
Le « zéro », oui ! Et ça fait quoi de retrouver un personnage comme ça qui a un peu lancé votre carrière ?
C’est sympa ! C’était bien.
Et du coup, au niveau du graphisme…
C’est un peu plus étoffé, les planches en général sont plus grandes que les autres. Ca m’a vraiment fait plaisir de refaire ça. Ce n’était pas vraiment prévu comme une histoire de Rork au départ…
Ah oui ?
Oui oui, j’avais juste l’histoire, et puis je me suis dit, « comment je vais faire ça ? », et puis bon, finalement, ça collait bien au décor, à l’univers, donc je me suis dis, pourquoi ne pas faire un autre Rork. Rien n’était interdit : ne jamais dire jamais et puis voilà. Et puis je l’ai placé avant les autres, parce que si on ne peut pas continuer après, enfin on pourrait, mais bon, je n’ai pas envie (rires). Et puis il est indépendant des autres, on peut le lire sans les autres ou les autres sans celui-là.
Ça peut aussi être une façon de découvrir le personnage et de partir dans la série après ?
Oui.
Et au niveau de votre travail pour construire ces récits, vous partez d’une idée, d’images ? Comment ça se passe ?
Ça peut se passer de toutes les façons possibles. Par exemple, l’album « Le cimetière des cathédrales » est parti de la double page en fait. J’avais envie de cette double page et de construire une histoire autour.
D’accord
D’autres histoires sont vraiment parties de l’histoire même que j’avais envie de raconter ; le cinquième Rork, Capricorne, c’était pour essayer le personnage de Capricorne que je voulais faire après. Il n’était pas vraiment prévu dans Rork, mais je réfléchissais à ce que j’allais faire après. Je voulais faire une vraie série longue, et donc je l’ai mis dans Rork. Voilà, ça peut donc venir de tous les côtés la motivation pour une histoire. Après une fois rentré dans la série ça se fait pratiquement tout seul. C'est-à-dire, je sais quand je fais un album ce qu’il va y avoir dans le suivant parce que les albums précédents appellent le suivant.
D’accord. Et donc, c’est vous qui travaillez sur le scénario et sur le dessin, et c’est vous (Isabelle Cochet) qui travaillez sur la couleur. Travailler en partenariat avec quelqu’un d’autre sur le scénario…
Non.
Non, ce n’est pas possible ?
Non, ce n’est pas que ce n’est pas possible. Je l’ai fait dans de rares cas, mais je préfère travailler tout seul. Bon, d’abord je suis un peu un solitaire donc j’aime bien travailler comme ça.
Au moins on sait si on est d’accord ou pas d’accord avec soi-même.
(rires) Voilà. Et puis depuis le début on m’a donné toute liberté, c'est-à-dire jamais personne ne m’a dit « il faut que tu fasses comme ça, comme ça ou comme ça » ; donc j’ai toujours choisi et décidé ce que je faisais.
Même dans la forme, parce que les albums que vous avez réalisés sont très « libres ». On sent cette volonté de sortir des cadres établis, au niveau des formats, de votre travail. On sent cette recherche perpétuelle qui est un peu le fil rouge de votre travail et que je trouve personnellement formidable. Ça se sent aussi là-dedans je trouve.
Oui tout à fait, j’ai envie d’explorer, j’ai envie de ne pas toujours faire la même chose…
Ça se ressent aussi au travers de l’évolution de votre dessin. Les débuts de Rork sont très ciselés, on est près du travail d’un dessin de gravure, très proche de l’illustration pour certaines planches…
Non je ne sais pas, moi ça a toujours été comme ça. J’ai commencé à dessiner pour raconter des histoires.
Oui ?
Oui bien sûr, il y a le plaisir du dessin, mais le dessin ce n’est pas mon truc principal, c’est vraiment le récit.
Justement, cette évolution du dessin, est-ce qu’elle est liée à une volonté de faciliter la narration par rapport à quelque chose de plus épuré, ou c’est simplement expérimenter, une volonté de passer à autre chose ?
Vous parlez du dessin ?
Oui, du dessin
Disons, mes dessins, je fais ce que je peux (rires)
Spooky : C’est déjà pas mal !
J’aimerais bien dessiner mieux, mais bon… (rires) Bien sûr j’ai envie d’évoluer dans le dessin, mais il est toujours plus ou moins soumis à l’histoire pour moi.
Spooky : Vous voulez dire que c’est l’histoire qui vous guide ?
Qui décide de la narration, de la mise en page. Et quand je fais un album un peu conceptuel comme le dernier Capricorne, il faut toujours que cela soit justifié par l’histoire. Je ne vais pas faire ça sur n’importe quelle histoire. Des fois j’ai des idées pour un album comme ça et puis je ne peux pas le faire car l’histoire ne s’y prête pas. Et des années après j’y reviens parce que justement il y a une histoire qui tombe pile et puis voilà. C’est toujours l’histoire qui décide.
Oui et on sent chez vous le goût du challenge avec des contraintes que vous vous imposez…
Oui tout à fait.
…et ça a un côté ludique en même temps.
Ah oui je m’amuse bien ! (rires)
Oui, ça se sent. D’ailleurs, ce que j’ai trouvé, que ce soit du côté du fonds ou de la forme, on sent toujours cette volonté de recherche. Autant sur votre travail graphique il y a toujours cette remise en question recherchée, contrainte, mais toujours très ludique, c’est ce que je disais, mais on trouve ça aussi dans le fonds de vos différentes séries, que ce soit une quête identitaire, un mystère…
Oui…
On a l’impression d’une œuvre construite tout autour de l’énigme…
Oui ? Et bien, j’aime bien ça. Faire des énigmes, des jeux à l’intérieur des séries, etc. Et puis Rork, c’est mon apprentissage dans la BD, donc c’est une recherche d’identité, de ce que je suis dans la BD et du personnage dans l’histoire. Et Capricorne c’est un petit peu ça aussi, mais légèrement différent quand même. C’est plus…
Spooky : C’est une mise en pratique peut-être ?
Oui, c’est plus ça. C’est plus conscient.
Spooky : Rork c’est une recherche et Capricorne une mise en pratique qui est plus… scientifique ?
Scientifique je ne sais pas (rires).
Spooky : Ce n’est pas ce que je voulais dire mais…
Oui c’est plus une application de quelque chose, mais sans abandonner la recherche, sans abandonner le côté ludique aussi.
Dans Arq on sent aussi une différence par rapport au traitement des personnages, qui sont beaucoup plus poussés, chacun individuellement. Comment s’est faite cette volonté de travailler plus sur les personnages ?
Disons qu’on m’a toujours dit que mes personnages étaient froids, avec peu de personnalité. Ce qui est vrai, parce que j’utilise plus mes personnages comme des rouages dans la mécanique de l’histoire, de la narration, que comme des personnages qui ont des caractères, des personnalités, etc. Dans Arq, j’ai essayé d’aller plus dans ce sens là et de faire des personnages un peu plus étoffés. Bien sûr, il y a la mécanique aussi, il y a le côté imbriqué, etc. ça je ne peux pas m’en empêcher. Et puis ne faire que du personnage sur 18 albums ça serait un peu fatigant.
Oui…
Enfin pour moi en tout cas
J’ai une autre question. En préparant cette entrevue, je suis tombé sur une interview que vous avez faite il y a une dizaine d’années à Quai des Bulles. A propos des expositions vous disiez que vous conceviez plus l’œuvre sous l’angle de la BD en elle-même que sous la forme de planches. A propos de la planche vous parliez d’un « machin »…
Oui, oui.
Et du coup, aujourd’hui, par rapport à cette exposition, comment concevez-vous cette perception de l’exposition de vos planches ?
Et bien pour moi ça n’a pas vraiment changé. Pour moi l’original, c’est l’album. Donc voilà. C’est pour ça que je travaille. La planche, c’est une étape, ce n’est pas vraiment fait pour être exposé. Mais bon… Là c’est l’éditeur qui a pris l’initiative de faire cette exposition, de la cofinancer, de faire des efforts publicitaires, etc. et donc j’ai fait ma part aussi, je ne vais pas dire non à tout. Voilà.
Oui parce qu’on sent quand même à travers toutes ces séries un sens global que vous essayez de dégager de ce que vous créez.
Je voulais surtout qu’elle soit variée, qu’elle ne soit pas monotone… Quand je vais dans une exposition de BD, en général, enfin celles que j’ai vues, (je n’en ai pas vu beaucoup), au début on a des couvertures, des machins comme ça, et après c’est planche, planche, planche, planche, planche. En général les auteurs font la même chose, enfin restent dans un style. Et donc je regarde trois planches et puis après je m’en vais parce que j’ai l’impression d’avoir tout vu. Moi je voulais quand même qu’il y ait de la couleur, du noir et blanc, et des choses différentes dans le dessin, etc. pour que les gens ne s’embêtent pas, au moins.
Donc c’est un peu contradictoire pour moi, parce que d’un côté ça me plaît bien quand même, mais d’un autre côté ça me met quand même un peu mal à l’aise parce que ce n’est pas vraiment mon truc.
Mais bon si ça peut amener des nouveaux lecteurs, c’est bien aussi.
Et même, en tant que lecteur, c’est bien aussi.
Ah oui je ne sais pas. Mais moi je ne suis pas un fan du making off. Moi quand je vois le travail d’un dessinateur, ça m’intéresse aussi, mais c’est plus un intérêt professionnel. Je ne sais pas trop comment dire ça. Je n’ai rien contre le fait que les gens aiment bien, tant mieux.
Andreas, merci pour cet entretien.
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