Auteurs et autrices / Interview de Pedro Rodriguez
Pedro Rodriguez fait partie de cette vague de jeunes dessinateurs espagnols partis à la conquête du marché francophone. Issu du monde de l’illustration, il garde un style personnel. Rencontre avec un talent prometteur.
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Bonjour. Et bien, je suis auteur de BD et illustrateur et je suis espagnol. Je publie en France depuis 3, 4 ans. Auparavant, j’ai réalisé plusieurs travaux en Espagne, mais principalement dans l’illustration car la bande dessinée n’est pas vraiment rentable dans mon pays. Ma première BD a été publiée uniquement en Espagne et a gagné un prix au salon de Barcelone. Pour cet album, j’ai tout assumé seul, scénario et dessin. C’est une histoire que j’aime beaucoup et j’espère qu’elle sera un jour publiée en France (voir la couverture).
Tu te souviens de la première bande dessinée que tu as lue et de celle qui t’a donné l’envie de te lancer dans la bande dessinée ?
La première bande dessinée que j’ai dû lire, ou en tous les cas, la première qui me vient à l’esprit, est une bande dessinée très connue en Espagne, c’est Mortadel et Filemon de Francisco Ibáñez. Une série destinée aux jeunes, pleine de fantaisie avec un humour absurde et un trait proche du franco-belge alors en vogue. Après il y en a beaucoup d’autres : Tintin, Astérix et Obélix,… C’est avec eux que j’ai découvert la bande dessinée franco-belge et je me suis dit : « mais c’est ça ! C’est comme Mortadel et Filémon, mais en encore mieux ! » Mais ce n’est que bien plus tard, avec Corto Maltese, que j’ai vraiment eu envie de faire de la bande dessinée. Ce personnage m’a tout de suite fasciné. Corto Maltese, c’est un tout. Le dessin, bien sûr, mais aussi une ambiance incomparable et des histoires plus adultes. Un style plus littéraire, aussi. Si la première histoire que j’ai imaginée parlait d’un marin, ce n’est certainement pas un hasard.
Mais Corto Maltese, c’est du noir et blanc. Et tu n’en as jamais fait ? Ça te tente ?
Les seules fois où j’ai fait du noir et blanc en Espagne, c’était pour les fanzines ou pour les dessins d’humour. Cela découlait donc plus d’un choix économique que d’un choix artistique. Mais passer au noir et blanc pour des raisons artistiques ne me déplairait pas. Bien sûr, c’est dur et il faut un trait précis et sûr pour que cela fonctionne parfaitement mais, d’un autre côté, la couleur est également difficile pour moi, donc pourquoi ne pas tenter l’expérience ?
Jusqu’à présent tu as adapté beaucoup de nouvelles existantes. Or ta première BD reposait sur un scénario original. Pourquoi n’as-tu pas continué ?
Parce que la plupart du temps, je dépends des propositions des éditeurs. Je n’ai pas encore assez de notoriété pour imposer mes propres histoires. Par ailleurs, j’aime beaucoup la littérature classique. C’est donc toujours un plaisir de me livrer à ce genre d’exercice, même si cela m’oblige à laisser mes scénarios de côté, faute de temps. Mais je vais reprendre l’écriture. D’ailleurs, dans « Macabre » les adaptations sont de moi, parce que j’en avais le temps.
Avec ta nouvelle production, Les Lutins et le Cordonnier, tu es passé à des histoires pour enfants. Ça doit beaucoup te changer de Macabre, qui proposait plusieurs nouvelles fantastiques. Pourquoi un tel choix ?
Il y a plusieurs raisons. D’abord la pression de l’éditeur qui me publie et ensuite parce que j’ai une petite fille. Mon dessin était souvent assez sombre et j’ai envie de faire des choses plus lumineuses, des livres que je peux montrer à ma fille et lire avec elle. Je n’avais jamais eu l’occasion de le faire précédemment, alors lorsque l’opportunité s’est présentée, j’ai sauté le pas avec beaucoup de plaisir. Maintenant qu’un éditeur m’a fait la proposition, je suis très content parce que je peux faire une chose que j’aime. J’aimerais d’ailleurs continuer dans cette voie-là. J’ai d’autres projets en bande dessinée mais je n’ai pas toujours le temps de faire tout ce que je veux. Je travaille beaucoup dans l’illustration et même si je regrette de ne pas pouvoir choisir ce que je vais faire, l’illustration m’apporte une certaine sécurité financière… même si je ne sais jamais ce que je vais être amené à faire.
L’Espagne a toujours eu de grands auteurs de bandes dessinées mais semble être beaucoup mieux représentée en francophonie ces dernières années. As-tu une explication à ce phénomène ?
Bien sûr, une explication très simple : si tu es dessinateur de BD en Espagne, tu es mort ! Pour nous, la France c’est la Mecque de la BD. Dans la BD, il y a la famille américaine et la famille franco-belge. Si tu aimes la franco-belge, il faut aller en France. La BD en Espagne ne marche pas. Tu peux faire beaucoup de BD mais il n’y a pas d’argent, donc tu dois faire de l’illustration. Tu n’as dès lors pas le choix : pour réussir dans la BD, tu dois t’exporter. C’est difficile parce que les candidats sont nombreux mais si tu veux réussir, c’est la seule solution.
Quelle formation as-tu reçue en Espagne ? Existe-t-il des écoles orientées vers la bande dessinée ?
Non, en Espagne, la priorité, c’est l’illustration. Il y a des écoles de bande dessinée mais elles sont privées et surtout très académiques. Elles s’occupent alors uniquement de l’encrage, de la ligne, il n’y a pas une formation générale pour la BD. J’ai suivi de nombreux stages dans les écoles des Beaux-Arts mais ils ne connaissent pas les spécificités de la BD. Ils parlent soit du dessin, soit de la narration, de la façon de raconter l’histoire. Mais pour moi, la bande dessinée, c’est un tout, on ne peut pas séparer le dessin de l’histoire. Donc nous sommes avant tout formés pour devenir illustrateurs et non auteurs de bandes dessinées.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle le dessin des auteurs espagnols est si caractéristique ?
Oui, il y a justement une personne qui m’a demandé pourquoi mon dessin était si différent. L’explication est sans doute là : nous sommes avant tout des illustrateurs et nous nous adaptons aux spécificités de la bande dessinée, mais en gardant une touche personnelle. On ne nous a pas appris, alors nous venons avec nos propres solutions…
Sur trois bandes dessinées, tu as trois styles graphiques différents. Tu adaptes vraiment le dessin à l’histoire ?
Oui, c’est vrai que j’essaie de m’adapter à l’histoire. Mais, par ailleurs, je crois que je suis encore en train de chercher mon trait. Je pense que j’ai mon style mais j’ai encore beaucoup de pistes à explorer. Il y a deux types d’illustrateurs : ceux qui ont un style très fermé et ceux qui ne cessent d’évoluer au fil de leur carrière. Pour moi, garder toujours le même style, ce n’est pas amusant. Je préfère chercher parce que je pense que je peux toujours trouver quelque chose. J’aime beaucoup un dessinateur espagnol qui s’appelle Max et pour moi c’est l’exemple à suivre parce qu’il a toujours le même style mais il a aussi beaucoup évolué au fil de sa carrière. Il faut toujours chercher.
Les aventures du jeune Jules Verne n’ont à ce jour connu qu’un seul tome. La série continue-t-elle encore ?
Non, Glénat France a décidé d’arrêter la série après le premier tome. C’est dommage parce que cet album avait reçu un prix en Espagne et avait également été nominée parmi les meilleures BD jeunesse à Angoulème… mais ce sont les dures lois de l’édition.
Pour cette série, est-ce que tu as eu des contraintes pour dessiner un personnage réel ?
Non, je pouvais dessiner Jules Verne comme je voulais, j’avais une liberté totale. Bien sûr, je me suis beaucoup documenté. Je n’y étais pas obligé mais je l’ai fait pour moi. Mais, bon, comme il n’existe qu’une seule représentation de Jules Verne enfant, avec son frère, j’étais très libre.
Quels sont les avantages à travailler chez un plus petit éditeur, comme Emmanuel Proust ?
Chez Emmanuel Proust, je me sens vraiment soutenu. On sort les albums en de plus petits tirages mais chaque projet est suivi jusque dans les bacs des librairies. C’est sans doute ce qui a manqué au « Jeune Jules Verne » chez Glénat. Une petite maison d’édition ne peut pas se permettre de laisser tomber un de ses livres.
Quels sont tes projets ? Tu vas plus aller vers le livre pour enfants ?
Oui, le livre pour enfants. Et j’ai un projet futur, pour adultes cette fois, qui j’espère sera prêt pour le prochain salon. C’est une adaptation d’un roman d’un jeune écrivain très connu en Espagne, un roman historique qui se passe à Séville. Maintenant je suis en train de chercher un éditeur pour la France, l’Espagne ce sera après. Mais je préfère ne pas trop en parler tant que rien n’est officiel.
Pedro Rodriguez, merci pour le temps que tu viens de nous consacrer. Bonne continuation dans ta carrière et à bientôt, j’espère.
A bientôt.
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