Auteurs et autrices / Interview de Run et Guillaume Singelin
Rencontre de Run et Guillaume - Blacky - Singelin, deux piliers du label 619 des éditions Ankama. L'interview se déroule dans un bar d’Angoulême pendant le festival... Ce n'est pas peu dire que cette entrevue à lieu dans la bonne humeur.
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S : Alors on vit en couple depuis maintenant…. (rires) Au niveau de mon cursus j’ai fait une prépa d’art et une école de graphisme. Pendant ces années d’études j’ai pu commencer à faire de la BD chez Casterman, chez KSTR, grâce à Antoine Ozanam et Antoine Carion. J’ai sorti 2 bouquins chez eux. Pendant mes études de graphisme j’ai fait mon stage d’été chez Ankama, c’est là que j’ai rencontré Run et tout est parti à ce moment-là.
R : Moi j’ai fait les beaux-arts en section Art Graphique. J’ai travaillé dans une boite multimédia qui s’appelait Teamchman à l’époque, qui était précurseur du multimédia. Il faisait les premiers jeux en flash à l’époque où flash c’était vraiment juste une interface graphique et basta point barre. Ils l’avaient détourné pour en faire un jeu qui s’appelait Ganja. J’ai bossé là-dedans cinq ans je crois. Et puis ensuite j’ai cherché à faire publier ma BD. En fait il y avait déjà le projet Mutafukaz au sein de Teamchman, mais j’ai quitté la boite pour des raisons de différents artistiques. J’ai alors cherché à faire publier ma BD et je suis tombé chez Ankama deux ans plus tard où j’ai pu publier le premier tome de Mutafukaz. Puis progressivement j’ai gagné mes gallons pour devenir directeur de collection du Label 619, toujours chez Ankama.
A cette époque Ankama était plus connu dans le monde du jeu vidéo que de la bande dessinée.
R : En fait quand je suis arrivé y’avait Dofus le jeu vidéo qui existait et y’avait la volonté du boss de créer une maison d’édition Ankama. Lui il avait déjà publié un artbook du jeu vidéo Dofus, et un manga. Il attendait un projet extérieur pour pouvoir prétendre à lancer sa maison d’édition d’une manière concrète. Parce que malheureusement avec ses deux titres il n’avait pas de diffuseur ni de distributeur, donc ça restait en vente sur Internet. Dofus avait quand même une grosse communauté de joueurs, c’était donc quand même visible, mais Ankama n’était pas encore considéré comme une maison d’édition en devenir. C’était plutôt compris comme un caprice on va dire. C’était pas encore totalement crédible, sérieux.
Est-ce que le Label 619 existait avant que tu arrives ?
R : Non ça n’existait pas. Il y a eu Mutafukaz, et on en a vendu six mille sans rien, sans maison de distribution, sans diffusion, ça se trouvait pas dans les magasins. C’était un gars qui s’appelait Carmelo, il était avec son petit téléphone, il appelait les mecs et il arrivait à en placer 10 ou 20. On est arrivé comme ça à 6000 et puis progressivement on a commencé à prendre un peu plus de poids. Et puis y’à Maliki qui est arrivé. D’autres projets également, et ensuite on a enfin eu notre distributeur qui marquait l’arrivée d’Ankama Editions je vais pas dire dans la cour des grands mais tout simplement dans le game. Et ensuite c’est progressivement, comme il y avait beaucoup de projets éclectiques qui étaient signés avec différentes orientations graphiques et éditoriale que j’ai demandé à Tot qui est le big boss si je pouvais créé une espèce de collection qui serait orienté un peu plus jeune adulte, un peu plus sombre et qui s’appelait Label 619. Il m’a permis de le faire, ça à commencé comme ça. C’est sur Debaser qu’il y a eu la première fois le label 619. Mutafukaz tome un et deux sont sortis sans le label, sans le logo. Donc ça à mis un peu de temps avant de se créer vraiment.
Est-ce que vous pensez que vous auriez pu éditer vos BD ailleurs que chez Ankama ?
R : Moi clairement non. Parce que toutes les maisons d’éditions me regardaient en restant comme des ronds de flancs devant ce que je leur présentais. Pour tout un tas de raisons : on ne peut pas s’identifier à ton personnage, on peut pas faire du 128 pages, on peut pas faire ceci, on peut pas changer de papier… Donc moi je sais que non. En tout cas tel quel, je n’aurais pas pu le faire. J’ai été approché par des maisons d’éditions plus ou moins sérieuses pour le faire, mais je n’aurais pas pu le faire. A l’époque en 2006, sur du franco-belge pur et dur en tout cas, en création française, y’avait pas beaucoup, voire quasiment pas de format plus petit ou de pagination plus grosse. KSTR est arrivé sur le marché alors que Mutafukaz 1 était déjà sorti, ça a créé une petite brèche l’air de rien. Et puis je pense que si j’arrivais maintenant avec Mutafukaz j’aurais peut-être plus de facilité.
Blacky, je ne pense pas qu’il avait besoin d’Ankama Editions pour sortir ses projets, je vais le laisser répondre mais moi de mon côté c’était trop tôt.
S : Moi, pour The Grocery, c’est vrai que le fait que j’ai déjà bossé pour KSTR qui faisait des bouquins un peu différent dans le format, à ce niveau-là, ça aurait peut-être pu coller. Mais le projet tel qu’il est maintenant je n’aurais pas pu le faire ailleurs. Autant dans le ton, dans l’univers, car mine de rien y’a pas grand monde qui fait des trucs comme ça. Pareil pour l’objet, ce qu’on voulait en faire, le fait d’avoir des coupures dans le bouquin, des interludes, beaucoup de trucs qui sont plus du graphisme, c’est assez différent et peu d’éditeur font ça. Je pense que c’est un projet qui se destinait à 619 et quasiment uniquement.
Du coup après vous vous retrouvez sur Doggybags. Ça s’est passé comment cette aventure ?
S : Humm je ne souviens plus comment ça a germé…
R : Moi je m’en souviens, j’étais allé au Comic-Con à San Diego, et j’avais vu qu’ils avaient réédité les vieux trucs de EC Comics et je me disais mais bordel, pour moi, c’est ça la vraie BD. Tout vient de là pour moi. Et donc quand je suis retourné en France je me suis dit il faudrait créer ce truc là, mais français. En gardant nos références propres, même si il se trouve que j’aime bien ce côté américain. Mais en tout cas le concept, le fait de pouvoir s’exprimer sur peu de pages, d’essayer de ne pas s’enfermer sur une prod’ qui va durer un an, essayer de trouver des alternatives, des expériences graphiques différentes. Je me suis dit y’a pas grand monde que je connais qui pourrais me suivre sur ce truc là. Y’avait Blacky, Singelin ici présent, et Maudoux et basta.
Je me rappelle encore quand je les ai appelés. Blacky il était bien emballé par le truc, Maudoux lui il était à fond, aussitôt raccroché il avait déjà fini son histoire. Et après est venu le problème de « Bon les gars si je veux vraiment monter le projet je risque de pas vraiment pouvoir vous payer ». Donc ça c’est fait sur la bonne volonté de chacun. Blacky il a profité d’un stage chez Ankama puisqu’il était encore tout petit à l’époque.
S : Normalement je devais faire du graphisme et de la maquette, et il m’a dit « Au lieu de ça tu vas faire de la BD ».
R : Voilà ! Il faut un projet de fin de stage, alors je lui ai dit « Ton projet de fin de stage ce sera ta BD ». Le but du jeu c’était de se dire si ça marche bien on se récupèrera sur les ventes. C’était la contrepartie. Et je suis content qu’on l’ai fait, car si je l’avais pas fait avec eux, et bien tout simplement ça n’aurait pas pu se faire, parce que le projet aurait peut-être couté cher. Enfin ce n’est pas que ça coute cher en soi, c’est que c’était risqué. Et si on s’écrasait la gueule en le sortant, ce n’était vraiment pas le moment. Donc je suis content qu’on l’ai fait comme ça, c’est pour ça aussi qu’il y a eu du temps entre la sortie du tome 1 et du tome 2, parce qu’en attendant les premiers chiffres de retour on ne pouvait pas commencer à lancer tout de suite le tome 2. Et puis avec les autres auteurs on ne pouvait pas faire de la même façon. On ne pouvait pas leur dire on vous paye pas… Il fallait qu’on soit relativement sûr de notre coup. Ca a mis du temps. Le projet a plus ou moins trouvé son public et puis nous on a beaucoup d’envies. On va rempiler avec Blacky sur un nouveau projet, on va d’ailleurs en parler pendant le séjour. (L’interview à lieu pendant le festival d’Angoulême). Et heu j’ai oublié la question (rires)… Et toi tu t’en rappelles plus du truc ?
S : Je ne me souviens plus exactement comment tu m’as présenté le projet, je crois que tu m’en as parlé comme ça, que tu voulais faire un projet d’histoires en se disant on fait un peu un coup de poker, justement par rapport à ne pas être payé au début. Moi j’avais déjà fait un premier stage chez Ankama où j’avais bossé sur le trailer du tome 0, sur l’animé, et t’avais dû m’en parlé pendant que j’étais en cours. Moi je lui avais dit que j’aimerais bien faire un 2e stage, et je n’avais pas envie d’aller dans une boite de graphisme à faires des logos ‘de merde’. Chez Ankama, je me sens biens, je fais des trucs cools, alors moi le côté « tu seras pas payé », c’était vraiment pas un souci. Je m’y retrouvais, ça me faisait plaisir.
Et le nom de la série vous est venu comment ?
S : Je me souviens qu’on avait trouvé le nom de Doggybags en bouffant. On cherchait des idées…
R : Ben c’est Maudoux, il a un petit estomac et à un moment il dit… on était au subway, en train de chercher des noms… on cherchait des vieux trucs tout bidon, et au moment où on se disait on laisse tomber, ça nous viendra quand ça nous viendra, Florent qui avait croqué deux fois dans son sandwich, il dit « Vous pensez qu’ils peuvent nous donner des Doggybags pour emporter dans le train ? », Qu’est-ce que t’as dis ? Répète ton mot Florent ? Et on s’est dit Doggybags c’est parfait. Ca fait Doggy Style, ça fait pleins de trucs, ça fait sale, ça fait restes, ça marche bien. Donc c’est arrivé comme ça en fait.
Tu nous parlais de tes influences très inspirées Etats Unis. Tu peux nous parler un peu de ton univers ? Tu es parti en voyages aux USA, pour t’inspirer pour Mutafukaz ou pour autre chose ?
R : J’avais rencontré une nana, et à la base c’était pour aller la voir. Moi je connaissais rien de tout ça, pour moi quand je dessinais tout se passait en France, c’était mon univers. D’ailleurs la première bande dessinée noir et blanc que j’ai dessiné, ça se passait à Nancy.
S : Ça pète moins…
(Rires)
Dark Meat City, ça ne ressemble pas trop à Nancy quand même.
R : Non non, mais ça ne s’appelait pas Dark Meat City, ça s’appelait pas Nancy non plus, ça s’appelait pas… c’était une ville comme ça… Les extraterrestres déboulaient place Stanislas (rires) Moi j’étais content avec ça, mais après en allant au States, tout ce que je voyais c’était large, c’était gros. Les voitures étaient grosses, les mecs quand ils marchent t’as l’impression qu’ils pèsent trois tonnes. Y’avait un truc comme ça qui se dégageait. Et puis les Etats-Unis c’est là où ça se passe : la zone 51, tout le folklore. Oui y’a des camps en France mais ça reste l’autre dans son champ qui a vu un truc. C’est la soupe au choux quoi. Donc le côté ricain, ça me parlait plus. Et puis à l’époque, en 2006, ce n’était pas encore…. Enfin si, je ne vais pas dire n’importe quoi… mais tout ce qui était sous culture Latino ce n’était pas si connu que ça. Que ce soit le catch mexicain, c’était vraiment des niches, que ce soit la vierge de Guadalupe, les gangs, la mara salvatrucha… qui parlait de ça ? Personne. Même dans Enquête Exclusive on n’en parlait pas. Maintenant ça y est ça fait parti du paysage, mais à l’époque ce n’était pas si connu que ça. Et moi je l’ai découvert sur place, là-bas à Los Angeles. Donc en revenant j’ai eu envie de partager cette espèce de truc que je trouvais complètement bizarre. Je n’avais pas encore tout digéré, mais c’était un ressenti. A force de creuser ça me parle de plus en plus. C’est vrai que j’aime bien. Et puis c’est très cinématographique les Etats-Unis quand même. C’est large, c’est vaste.
Et puis c’est ce que je disais à Blacky, moi ça ne m’intéresse pas de faire des histoires avec des cails’ parisiennes, des trucs qui te font peur au quotidien. Tu te demandes si tu vas pas te faire planter dans le métro. Y’a pas ce côté folklorique que tu peux mettre dans une fantasmatique.
Ce qui t’intéresse aussi c’est le côté déjanté ?
R : Oui, et puis c’est loin de moi, je m’en fous des gangs latinos, c’est pas mon quotidien donc tu peux plus facilement prendre de libertés, déconner avec ça. En plus, en France, ça touche tout de suite à des problèmes sociaux. Bon, aux Etats-Unis aussi, mais ça ne m’intéresse pas, limite ça me fait chier. Je préfère jouer avec les codes américains qui me plaisent beaucoup plus, et que je trouve plus visuels.
Au niveau du graphisme tu t’es inspiré de ce voyage, de ce que tu as récupéré là-bas ?
R : Oui, tout ce qui est décors. Notes qu’en France y’a des trucs intéressant aussi, mais on n’a pas le recul. En France, même à Roubaix, tu vois les mecs en Djellabas avec les blousons en cuir qui boivent du thé, c’est visuel aussi. Y’a un truc aussi qui se passe. Les burkas, les machins… Mais je ne suis pas à l’aise. Je suis trop proche.
Il te faut un certain détachement en fait ?
R : Oui il me faut un certain détachement parce que sinon… Bon j’y viendrais peut être. A un moment je disais à Blacky, j’ai trop envie de faire un truc qui se passe à Roubaix. Mais peut être le jour où j’irais vivre aux Etats Unis je ferais ça (rires). J’aurais un peu plus de distances, mais là pour l’instant ça me plombe. J’ai l’impression que y’a quand même un peu de rêve quand je dessine. Là ça serait : tu dessines et quand tu sors t’as le même décor….
Tu restes plus sur l’imaginaire en travaillant sur quelque chose de lointain en fin de compte ?
R : Exactement.
Et toi pour The Grocery, c’est pareil, tu es allé de l’autre côté de l’Atlantique ?
S : Moi je ne suis pas allé à Baltimore, je suis allé un petit peu aux États-Unis, mais pour des vacances. Le truc le plus direct c’est la série The Wire qui m’a totalement marqué et du coup, après avoir vu cette série là j’étais dans l’univers, j’avais toutes les références, j’avais tous les décors en tête. Donc pour moi ça allait de soi en fait. Après, j’ai vu des critiques qui disaient « Ouais les mecs ils veulent faire comme des américains, ils veulent que tout se passe aux Etats Unis », mais c’est aussi parce qu’en étant jeune j’ai grandi avec des films américains, c’est ça qui m’a fait rêver. C’est l’ambiance, le graphisme… Quand on voit des gros donuts au-dessus d’une boutique, c’est génial les trucs comme ça. C’est tous ces petits éléments qui m’ont marqué quand j’étais jeune, à travers les films, et comme Run je ne me vois pas faire un truc en France. Y’a le coté détachement, y’a le coté sexy aussi.
Tu as aussi besoin de ce côté imagé ?
S : Voilà. J’essaye de ne pas faire de clichés. Mais y’a un côté qui me passionne plus. Ça permet de voyager un peu plus. Moi j’ai pris vachement de plaisir à chercher de la documentation sur Baltimore. Si j’avais fait ça à Paris, je ne me serais pas senti d’aller en Banlieue, faire mes photos et faire ma doc là- bas.
R : Et à Roubaix t’étais bien là dans ta petite chambre ?
(Rires)
R : Après c’est tout un décor. Parce que tout seul ça va, mais là c’est au bout d’une rue où la moitié des lampadaires sont pétés, la brique, à moitié pétée aussi… je ne sais pas si tu t’en rappelles : le gamin qui jouait en bas la fois ou on est arrivé en bagnole… il nous regarde, il avait quoi ? 6 ou 7 ans, et puis il est pris dans les phares de la voiture, parce que moi je faisais un demi-tour. Et là le gamin il avance vers nous, genre je vais vous défoncer… un délire quoi.
S : Non c’est vrai pour le coup. Roubaix c’est peut-être l’endroit le plus intéressant à faire. (rires)
En fait Roubaix c’est peut-être plus craignos que Los Angeles ?
R : Ouais peut être (rires) En fait Los Angeles c’est tranquille jusqu’à ce que tu prennes une balle dans la tête. Roubaix…. Y’a une tension quand même.
Au niveau graphique pur, Mutafukaz ça part dans pleins de styles, comment tu travailles ? Ton histoire est écrite pour ton graphisme ou c’est plutôt ton graphisme qui se construit par rapport à ton scénario ?
R : C’est surtout le graphisme le principal de mes défauts : je fais quand je peux, comme je peux, au moment où je peux quoi (rires) J’essaye des trucs, de temps en temps je suis soulé par un truc donc je fais une rupture de style, même si c’est jamais gratuit. Maintenant, moi, ma hantise c’est que je ne fais pas ma BD en 2012 comme je la faisais en 2006, dans le sens ou entre temps j’ai rencontré Blacky, j’ai aussi rencontré Florent Maudoux, j’ai rencontré Mathieu Bablet, j’ai rencontré des gens comme ça et ça m’alimente.
C’est quelque chose que j’ai vachement senti dans ton travail, le coté « éponge » : tout ce que tu peux récupérer et qui t’intéresses tu l’intègres.
R : Ce n’est même pas conscient, c’est pas une volonté. Moi par exemple avec Blacky… (il hésite) Moi par exemple je fais ma BD, j’ai le dessin utile entre guillemets, mais si on me dit « tiens fais-moi ton personnage pour que j’en fasse une sculpture », j’en sais rien là. Je peux le faire de tellement de manière différentes, je choisis quoi comme proportion, j’en sais rien. Donc j’avais demandé Blacky en renfort, en back up, pour m’aider à faire ça et pendant un petit moment on bossait pas mal aussi ensemble. A la fois, j’ai beau être directeur de collection du label, je suis aussi fan de son travail, et je suis aussi en apprentissage perpétuel. C’est souvent ce que je lui demandais « Comment tu rends ça ? ». … Et puis Maudoux c’est pareil, souvent je lui dis mais comment t’arrives à rendre ce truc-là ?
Les choses mal faites c’est facile de les expliquer : ça tient pas la route parce que ça, ça ou ça. C’est facile à démonter. Un truc qui marche bien, comment c’est fait exactement, t’en sais rien, donc moi je me suis beaucoup nourri de leur travail. Et puis il arrive un moment où tu te dis, si je suis le chef de file entre guillemets, va falloir que je me mette des coups de pieds au cul, parce que ça ne va pas devenir le plus mauvais projet du label. Donc voilà, moi je continue d’apprendre au fur et à mesure.
Blacky m’a filé des coups de main dans le tome 3 notamment, je me suis inspiré de certains trucs qu’il a pu faire dans le film. Florent Maudoux c’est pareil, je lui ai demandé un coup de main en back up, pour la narration d’un truc. J’avais une idée comme ça et puis je ne voulais pas le faire. Il m’a dit non non, il faut que tu le fasses, je vais t’aider à le faire si tu veux. On en a discuté et puis ensuite ça ne m’empêche pas de prendre des libertés et de trouver ma propre voie. Mais c’est une émulsion de groupe. En tout cas moi me concernant.
Toi c’est pareil tu as quand même un style graphique atypique dans le paysage de la BD qu’on peut voir un peu partout. Tu parlais de « Muppet Show urbain ». Alors ? Vraiment inspiré par le Muppet show ou c’est des conneries ?
S : Non non c’est pas des conneries. Moi je me lasse assez vite d’un style graphique. Quand je bosse j’aime bien varier en fait. C’est pour ça que pour le moment tous mes projets BD sont quasiment tous différents graphiquement. Enfin, il y en a qui se ressemblent, mais The Grocery est complètement différent. J’ai envie de toujours essayer de renouveler mon travail, parce que ça m’amuse de chercher des nouveaux trucs, des nouveaux designs, de nouvelles façons de dessiner un décor, ou des choses comme ça. Et ça me stimule parce que rester toujours sur la même chose c’est comme un truc qui s’assèche au bout d’un moment. Donc j’ai toujours besoin de renouveler mon style de façon brusque. C’est vrai que par exemple pour Doggybags, j’avais bossé avec Run juste avant sur le film, je bossais sur les designs donc je ne m’inspirais pas de son style, après lui il reprenait des trucs que j’avais fait. Et puis y’avait encore un échange, un ping-pong, donc j’ai pris un peu de ce qu’il avait. Moi c’est pareil, Mutafukaz, j’ai découvert ça y’a longtemps et j’étais super fan, donc j’essayais de comprendre comment il faisait. Donc sur Doggybags c’était vraiment le côté tout ce que j’ai pu apprendre par rapport à Run, j’ai voulu le mettre dedans.
Et pour The Grocery, j’arrivais justement à une rupture, à un moment où j’en pouvais plus du style réaliste ou semi réaliste : dessiner des visages avec des nez, des oreilles bien placées, des cous, des morphos… j’en pouvais plus. Ça me faisait chier et comme moi j’adore tout ce qui est « folklore » qui se passe au Etats-Unis au niveau du Muppet Show, pleins de trucs sur les mascottes. On est allé au Japon, donc y’avait toutes leurs mascottes, tous les trucs S.D. Moi c’est des choses qui me font vraiment marrer. Et je voulais avoir tout ce côté un peu marionnette / peluche mais dans un univers réaliste, terre à terre, premier degré.
C’est vrai que le contraste entre la forme et le fond est un peu cinglant et « sanglant ».
S : C’est vrai. Avec Aurélien on s’est dit que c’était le bon truc à faire parce qu’on l’aurait traité de façon réaliste finalement ça n’aurait peut être pas eu le même impact. Ca aurait peut être été un peu plus chiant, moins impactant. Justement que les persos soient des sortes de petites créatures ça marche mieux.
Et au niveau du scénario, ça s’est passé comment le travail tous les deux ?
S : En fait j’avais déjà commencé à développer le projet dans mon coin, j’avais déjà commencé à faire mes petits persos… (Il hésite)
T’avais déjà une idée de l’histoire que tu voulais raconter ?
S : Pas exactement. Tout à la base, ça devait se passer plus avec un groupe de potes, genre une bande de loosers qui habitent en banlieue, que ce soit Etats-Unis, ou je revenais d’Allemagne donc j’avais des souvenirs de Berlin. Donc c’était vraiment une ambiance de looser, la colloc’ pourrie. Un peu après j’ai commencé à mater la série The Wire, ça m’a inspiré un peu sur le côté gang, donc je l’ai un peu injecté dedans et j’avais mis ça sur mon site. Aurélien il m’a dit « ah c’est cool, je suis fan de la série aussi, je t’ai écrit un bout de scénar et tu me dis si ça te plait… ». Moi ça m’a accroché tout de suite et comme je ne sais pas écrire de scénar, j’ai dit c’est le bon gars avec qui faire parce qu’il aime bien le dessin, il a les mêmes références que moi au niveau histoire, donc autant y aller. Maintenant je lui fais confiance au niveau du scénario, il écrit son truc et après on fait juste des réajustements, des petites corrections. Mais dans l’ensemble c’est son scénar et ça se passe très bien comme ça.
J’ai lu que pour toi le dessin c’était plutôt un chemin de croix qu’autre chose, c’est vrai ou pas ?
R : Ah ouais bien sûr. Mais en même temps quand j’écris une histoire j’ai tellement des images précises qu’ après j’aurai du mal à dire à quelqu’un « Vas-y, fais le ». Donc, malgré tout, j’ai quand même ce besoin de m’exprimer… malheureusement ça doit passer par le dessin. Je suis à l’aise dans certaines parties, par exemple dans l’encrage et dans la couleur. Mais dans le crayonné par contre… le découpage ça va mais alors le crayonné quelle galère ! Mais bon voilà, après y’a des gens qui ont la fibre, Blacky il l’a, Florent Maudoux l’a, moi je l’ai pas du tout. J’essaye, je m’inspire, je prends des photos…. J’essaye et je découvre des trucs. C’est vrai que dans le tome 4 de Mutafukaz j’y ai repris du plaisir, clairement. Mais aussi, encore une fois, grâce à eux je pense. Et puis j’avais envie qu’ils soient aussi un peu content de moi. Je ne sais pas comment l’expliquer… qu’ils se disent tiens ce n’est pas un looser du dessin quand même. Parce que bon, y’a un moment, je me présente tellement comme le looser du dessin, enfin eux ils me connaissent bien, ils savent ce que je veux dire. Y’a ce côté… (il hésite) J’y ai repris plaisir, eux ils ont fait une fresque de malade, un truc qui fait 10 mètres sur 2 ou je ne sais pas combien… je ne sais même pas pourquoi je parle de ça (rires). Y’a eu une espèce de déclic, de me dire allez faut pas que je baisse les bras ! Et surtout j’ai eu un peu plus de temps pour dessiner, chose que je n’avais pas avant. Avant il fallait gérer 150 trucs à la fois, à un moment donné on s’est retrouvé, y’avait plus de boss à l’édition, y’avait plus rien, y’avait plus de chef de fab’, fallait commander du papier. Un truc de dingo, j’avais plus de temps. Quand je dessinais j’étais en stress.
Là, pendant le tome 4 entre temps, en juin, on est passé … Au label 619 on était 2 au début, après j’étais tout seul pendant un moment, ensuite on était 2, et maintenant on est 4, depuis le mois de septembre. Y’a un mec que moi j’appelle le coach, et qui s’occupe de toute la partie administrative, le suivi des projets, les plannings, chose que je me cognais avant et je le faisais mal en plus. Quand ce n’est pas ton domaine, tu mets trois fois plus de temps à le faire, donc c’est un bordel phénoménal. Et du coup voilà, j’ai quand même pris plus de temps, j’étais un peu plus posé au moment où je dessinais. Quand le truc ne passait pas, je me disais, ça passera demain. Je n’étais pas en train d’essayer de forcer le truc, et du coup je pense que ça se ressent un peu sur le tome 4, en tout cas je l’espère. Mais j’y prends un peu plus de plaisir qu’avant c’est sûr. Par contre j’ai toujours pas cette fibre en moi… alors raconter l’histoire oui, mettre en scène oui, mais dessiner pas encore tout à fait.
C’est marrant parce que tu viens de nous dire que tu ne sentais pas de laisser le dessin à un autre, que t’avais envie que cela représente vraiment les images que tu avais en tête, mais tu n’as pas hésité à confier le dessin du tome 0 de Mutafukaz à un quelqu’un d’autre.
R : Oui. Là j’ai fait tout le découpage, et le tome 0 c’est tellement différent de ce que j’aurais pu faire moi que là ça ne me dérange pas. Moi je n’aurais pas pu faire ça comme ça. Et puis le tome 0 c’est de la bande dessinée oui et non, c’est presque de l’illustration narrative. Tu vois, y’a un dessin figé et un texte qui n’en finit plus, comme les vieux trucs de l’époque. Mais y’a pas ce côté mise en scène à proprement parler, qui va bouger et tout. Là effectivement j’aurais plus de mal, c’est pour ça aussi que je me suis cogné les scènes de catch, parce que le mec il aurait peut-être pas su faire ça comme ça, comme moi je n’aurais pas pu faire ce qu’il a fait. Donc y’a eu un équilibre qui s’est créé. Mais par exemple je sais que sur Doggybags 2, comme c’est moi qui avait écrit l’histoire, y’avait une scène qui pourtant n’impliquait pas grand-chose dans l’histoire, mais le mec il fallait qu’il se gare là où dans ma tête il se garait. On avait refait des croquis et des petits plans à Blacky, parce qu’il s’était pas garé à l’endroit où dans ma tête il se garait.
Sur vos albums on retrouve pleins d’excellentes fausses publicités. Ca vient d’où ce gout pour ces fausses pub ?
R : Ca vient de quand j’étais petiot... Y’avait dans des BD, comme dans les Strange, ou même dans le Nouveau Détective, qui s’appelait Détective à l’époque, le journal de meurtres. Ma mère elle avait ça et je lui chipais en cachette. Parce que y’avait la femme à poil au milieu (rires) et puis y’avait aussi tous ces délires-là, les lunettes à rayons X qui voient les gens nus. Je me disais c’est ouf ça ou quoi ! Pour moi ça existait. Et donc ça m’a toujours fasciné. Quand je voyais dans les Stranges les publicités, c’était toujours le vieux looser tout maigre qu’était pas bien, et la nana elle l’envoyait chier. Et puis le gars il se mettait à la muscu et d’un coup « tac » c’est bon il enchaînait les nanas et au passage il met un coup de poing dans la gueule du gars. Ca me faisait rêver moi. Je me disais waow génial ! Et donc voilà c’est des réminiscences de ça, et puis c’est vrai que ça habille plus, ça approfondit l’univers un peu plus, c’est généreux. Sur les Doggybags, heureusement il y a Yok, l’infographiste de 619, qui nous aide bien a développer ce côté-là, parce que ça prend du temps l’air de rien. Mais voilà c’est des réminiscences de tout ça.
Pour conclure un mot sur vos projets en cours et à venir ?
R : Il y aura un 5e tome de Mutafukaz.
S : Moi j’ai encore 2 Grocery à faire et puis peut être un Doggybags… tous les deux, en amoureux (rires)
R : Attends on va parler des délais après, aie aie aie (rires) Donc un Doggybags à deux, et puis après, ben là il y a le mariage pour tous, alors on est content. On avait pensé adopter Florent, non ? Qu’est-ce que t’en penses ? (fou rire général). Voilà on va se mettre en couple et adopter Florent.
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