Auteurs et autrices / Interview de Guillaume Bianco
Retour sur cette rencontre des plus sympa avec Guillaume Bianco, un auteur aussi entier que son style, à Angoulême en janvier dernier.
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Bonjour. Content de même.
Je voulais déjà te féliciter pour Billy Brouillard que j’ai adoré. J’ai découvert « Billy » avec le premier album il y a quatre ans maintenant, quand il était en compétition ici d’ailleurs (FIBD 2009).
Oui, c’est vrai.
Et c’est marrant parce qu’à ma première lecture, j’ai décroché au bout de 15 pages, je ne suis vraiment pas rentré dedans ; mais il y avait pourtant quelque chose qui m’accrochait quand même, je m’y suis remis et là je suis tombé dedans.
C’est marrant, les goûts et les couleurs ; je pense qu’il y a aussi des moments pour lire des BD ou voir des films. Moi c’est pareil, des fois des potes me disent « Tiens, regarde ça tu vas adorer ». Ça reste un an sur mon étagère, et puis un jour où je ne sais vraiment pas quoi faire, je me dis « Tiens, je vais mater ce truc qui ne me fait pas du tout envie», et là je vais revoir mon pote et je lui en parle pendant des plombes. Et là il me dit « Bah oui, j’te l’avais dit ». Tu vois, quand tu le sens pas, tu le sens pas ; y’a des moments.
Oui, il y a des moments, et pour « Billy » ça a été carrément ça.
Merci, c’est sympa de le dire.
Pour nous lancer un peu, est-ce que tu peux te présenter un peu, nous parler de ton parcours et ce qui fait que tu es ici aujourd’hui à Angoulême après le lancement de ton 3e album de Billy Brouillard ?
Ohlala, il faudrait… Il faudrait deux mois ! Pour faire bref, j’ai toujours dessiné comme tout le monde, sauf que les adultes en grandissant s’arrêtent et nous on continue. Et donc je ne trouvais pas un métier qui me satisfasse. J’ai compris qu’après l’école ça n’allait pas rigoler du tout et j’ai suivi les conseils de mon oncle qui m’a dit « Fais ce que tu veux, au pire si ça ne marche pas, tu te seras au moins amusé ». Donc c’est resté mon crédo pendant toutes ces années. Et même si au bout d’un moment pendant mon parcours scolaire j’ai vraiment renoncé à la BD parce que je n’arrivais pas à être publié et je n’étais pas content de ce que je faisais, je m’y suis remis d’arrache-pied. C’est comme ça après que j’ai rencontré Didier Tarquin qui faisait des ateliers de BD, qui a un peu fait le grand frère, qui nous a un peu appris le taff. Ça nous a vraiment ouvert l’esprit et motivés. Ensuite je suis allé faire des études de langue orientale à la fac d’Aix en Provence, parce que j’étais passionné d’art chinois, d’art martial, etc., et je voulais aller faire le prof de français là-bas. Mais j’ai réalisé qu’il me fallait quand même une mise à niveau en français, donc je suis allé plus souvent au studio Gottferdom qui est devenu la rédaction de Lanfeust Mag et petit à petit je me suis retrouvé chez Soleil à apprendre sur le tas sans avoir vraiment démarché.
Ensuite, j’étais toujours plus dessin franco-belge, on me disait que mes traits devaient être bien fermés, les couleurs ne devaient pas déborder, que l’aquarelle ça ne marchait absolument pas (C’était avant Blacksad d’ailleurs) et petit à petit je me suis mis à dessiner en voulant être quelqu’un que je n’étais pas. Après quelques années où j’étais malheureux quand je dessinais, je me disais « J’ai pourtant suivi les conseils de mon tonton, mais là ça ne va pas du tout ». J’avais la boule au ventre le matin quand j’allais dessiner une page de Will, alors que j’adore Will, mais j’avais une méthodologie qui ne me convenait pas. Et en rencontrant des copains, en rencontrant ma nana qui récupérait mes petits dessins faits en écriture automatique à 3 heures du mat’, comme ceux qu’on peut faire au téléphone, des dessins qui sont plus toi, plus personnels, elle a récupéré des Billy Brouillard dans la poubelle et qu’elle mettait sous cadres. On a fait une expo avec ces cadres, à Aix-en-Provence, et tous mes copains ont vu une facette de moi qu’ils ignoraient et m’ont surtout retrouvé. Devant cet encouragement, je me suis dit, « Tiens on a le droit de dessiner en tremblotant, de raconter un peu ce qu’on veut et à la manière qu’on veut ». Le fameux « be yourself », c’est un poncif, mais c’est tout à fait ça, et je me suis donc retrouvé à faire Billy Brouillard dans la nouvelle collection qui se créait et qui m’allait comme un gant aux éditions Soleil. L’éditeur de l’époque, Boudjellal, qui aujourd’hui fait du rugby, m’a dit – je ne vendais pas de BD- « Ecoute, tu fais ce que tu veux, on t’aime bien, tu prends le temps que tu veux et on te paye : tu as carte blanche ». Donc sur trois ans, de temps en temps, je faisais ce que je voulais. Ça fait une espèce de gros bordel un peu formel qui était le premier tome de Billy Brouillard et mes éditrices, Barbara Canepa et Clothilde Vu m’ont suivi. Je me suis retrouvé avec ce que je pensais qui allait faire le handicap de Billy Brouillard, le côté hétéroclite des premiers tomes, et finalement, c’est ce qui a plu, et ça m’a ouvert un autre lectorat, plus jeunesse, plus littérature, des gens qui ne lisent pas de BD. C’est super, je ne pouvais pas rêver mieux.
En effet, dans ce que tu me dis, on sent plein d’influences aussi, énormément littéraires, cinématographiques aussi, moi c’est ce que j’ai ressentis. Est-ce que tu as des auteurs de littérature ou des gens du cinéma qui t’ont influencé ?
Cinéma certainement, mais je ne vois pas qui de prime abord… Bien souvent on me compare à Burton, parce que dès que tu fais un petit style macabre comme ça avec des gros yeux tu penses à lui, alors que pour moi c’est plus Edward Gorey que j’ai découvert sur le tard, qui dessinait de cette manière avec des petites hachures et ce ton très bizarre, que Burton a un peu pompé sur certains trucs. En y pensant bien, il y a aussi "Calvin & Hobbes". C’est ça qui est intéressant quand tu pratiques un media, parce que je n’aime pas dire pratiquer un art, je ne sais pas ce que ça veux dire, c’est bien d’aller chercher dans d’autres formes d’art. Quelqu’un qui fait du cinéma, c’est bien s’il va se nourrir de peinture et de musique ; quelqu’un qui fait de la BD, c’est bien qu’il ne copie pas que de la BD ; c’est bien qu’il se nourrisse d’autre chose. Moi mes trucs quand j’y pense, car mes personnages ont toujours un côté avec des gros yeux, on dirait un peu des marionnettes. C’est très Jim Henson en fait, Muppet Show, Fraggle Rock, des choses comme ça. Lui, c’est une influence, après le côté littéraire, je ne suis pas un grand lecteur, mais moi j’ai grandi aussi avec les tourne-disques de mon père qui mettait toujours Jacques Brel ou Georges Brassens. Et je me sentais plus proche de Brassens, et Brassens m’a initié à pratiquement tout ça. Après il y a Maupassant que j’aime bien pour ses nouvelles fantastiques, son accessibilité au niveau de l’écriture. Donc voilà, ça fait un peu snob de dire que j’ai des références littéraires. Après j’aime toutes les formes de BD ; je te dirais que Les Tuniques Bleues m’ont influencé dans la mesure où j’ai eu envie de raconter des histoires. Astérix, puisqu’il y a Uderzo sur Angoulême, évidement, enfin tous les grands classiques. Pas mal de BD américaine aussi, le temps des « Peanuts » avec ce côté, « Tiens, on ne va pas forcément faire un truc qui se termine par un mec qui glisse sur une peau de banane à la fin ». Mais graphiques curieusement, Matt Groening aussi peut-être, mais c’est ce courant un peu underground, Edika, Le Concombre Masqué, même si je ne le lisais pas, tu vois ce dessin un petit peu tordu et débile, que tu retrouves dans l’esthétisme de Jim Henson.
Ce que j’ai beaucoup aimé aussi dans « Billy », c’est qu’on sort aussi des formats classiques, que ce soit au niveau du fond ou de la forme, mais surtout de la forme d’ailleurs. Rien que la collection Métamorphose chez Soleil, j’ai trouvé ça assez étonnant ; j’ai mis un moment à réaliser que c’était chez Soleil que tu étais publié ! Et je trouve ça très bien, quand je vois la collection Noctambule aussi qu’ils ont pu faire…
Oui c’est sûr, et ça c’est une exigence de Clothilde et de Barbara qui voulaient un espace à elles au sein d’un éditeur. Ça montre aussi, malgré le mal qu’on puisse dire ou penser de ce qui est publié à la base, que c’est aussi grâce à ces grands titres, à ces « Lanfeust » que des petits espaces plus intimistes peuvent se créer ; ça montre aussi l’ouverture d’esprit d’un éditeur. Oui, c’est une édition dans l’édition, quelque part.
C’est aussi le soin porté à l’objet.
Là-dessus, on a vraiment un amour du livre. Donc c’est cher, il y a une belle fabrication, mais pour nous, je partage ça avec Barbara et Clothilde, ton histoire avec ton bouquin, elle commence quand tu le découvres sur une étagère chez ta grand-mère. On aime bien l’idée de la transmission, d’un truc qui se garde, qui se passe de père en fils ou qu’on retrouve, une espèce de vieux grimoire. Et là déjà on est dans une ambiance, il y a un climat qui est créé. C’est important pour moi de soigner la couverture, ce qui n’empêche pas par ailleurs que j’aime bien le fumetto, le manga, la BD jetable, mais avec Métamorphoses, on a joué ce jeu de l’odeur du papier, le contact tactile avec les feuilles…
Ca va bien avec le personnage aussi.
Ca va bien avec, oui, tout à fait.
La question que je me posais aussi, c’est au travers de tes trois tomes, as-tu senti une évolution sur ta façon de travailler, sur le personnage, sur ta façon de construire tes récits ? Tu savais que tu allais faire trois tomes ?
Je dirais que j’y vais pas mal à l’improvisation. Si je réfléchis trop après je ne fais rien. J’ai une envie, donc une espèce de sentiment de communiquer quelque chose, de me balader avec un personnage, j’ai envie de me replonger en enfance, envie de fantasmer tout seul, de me raconter des histoires avant tout à moi, et aux autres aussi s’ils veulent les entendre. Mais Billy Brouillard, le premier, je ne savais pas quoi faire. J’avais envie de faire des poèmes, donc je me suis improvisé pseudo poète et puis ça me lassait vite. Puis j’ai eu envie de faire de la BD, et ça me lassait assez vite aussi. Il y a eu plusieurs formes narratives qui sont venues comme ça. Je pensais faire plusieurs petits livres au début et finalement, c’est devenu un gros truc. La BD même si je l’adore, ça n’est qu’un outil ; on la sacralise, donc c’est un outil génial parce qu’il est accessible et peu coûteux pour le réaliser. Mais moi je me dis quand on construit une maison, on n’a pas qu’un marteau. Pour construire ta maison il te faut des clous, il te faut du bois. Moi je me dis « Tiens, je vais raconter une histoire » ou plutôt planter un décor et j’ai utilisé plusieurs outils. J’ai plusieurs outils à ma disposition, pourquoi m’en priver ? Après, je voulais aborder le thème de la mort parce que c’était un sujet autobiographique, j’ai découvert mon chat mort dans le jardin et j’ai pris conscience de ma mortalité vers 7/8 ans, comme le disent (je l’ai appris après) les pédopsychiatres. Devant ce tabou de la mort, mes parents me disaient « Oui, tu vas mourir, comme tout le monde, mais ne t’inquiète pas, dans très longtemps » et ça ne me rassurai pas du tout. (rires) J’ai eu besoin d’en parler, d’exorciser ça, et ça me fait très plaisir qu’il y ait des petits enfants qui me disent, tiens, je ne suis pas le seul à avoir peur de ça, parlons-en de manière décomplexée et apprivoisons la mort.
Dans le deuxième c’était plus la rupture des illusions, comme dans la chanson de Brassens, je ne sais pas si tu la connais, « Les illusions perdues » :
« On jeta mon Père Noël en bas du toit,
Ça fait belle lurette, et j'en reste pantois »
La première fois que tu réalises que le Père Noël n’existe pas, qui est quand même la dernière super folie des adultes de te faire croire une fois par an qu’il y a un monsieur qui va passer, c’est quand même génial !
Et le troisième, je ne vais pas chercher les idées bien loin, je les puise dans ma petite enfance : la première fois que j’ai été amoureux. J’ai eu l’impression de me faire dévorer le cœur, c’était génial et en même temps c’est une souffrance… Donc voilà, les thèmes sont venus comme ça et suivant mes envies. Après j’ai eu d’autres envies au milieu. Je n’ai pas envie de rentrer dans le côté systématique. Pauvre Roba, Dieu ait son âme, enfin Dieu ou je ne sais pas quoi, c’est une façon de parler, mais je n’ai pas envie de faire un truc à la Boule et Bill qui dure 107 ans. Donc j’espère ne pas être pompeux, et comme j’ai des choses à dire et que je juge intéressantes, tant que j’ai envie de raconter des choses, je les raconte, mais le jour où j’aurai plus rien à raconter j’arrêterai.
On retrouve d’ailleurs à travers tes albums, ce thème central qui est celui de l’enfance, que ce soit dans Billy ou dans Ernest & Rebecca.
Oui. Tu sais j’habite à Aix-en-Provence, cité étudiante, et les étudiants s’amusent tout le temps. Ils baisent, ils boivent, parce qu’après les études ils vont commencer à travailler. Et moi je me dis, « Pourquoi ne pas s’amuser tout le temps ? ». On peut être responsable et s’amuser. Pourquoi, comme je le dis dans Billy Brouillard, tuer l’enfant qui est en nous ? On est une somme d’âges. Ce n’est pas qu’on se transforme en adulte du jour au lendemain. On est composé de sortes de strates ; et l’enfant, mais vraiment physiquement, au niveau des informations du vécu et même au niveau des gênes, on a un peu toujours la même tête que quand on était gamin, on est des vieux enfants. Et il est toujours là l’enfant qui est en nous. Si on le laissait un peu plus s’exprimer de temps en temps, que ce soit les politiques ou les gens en général, ça irait peut-être un peu mieux dans le monde. Des fois on me dit « Comment vous faites ? Vous avez des enfants ? – parce que je travaille dans des centres avec des enfants- Parce que c’est juste ». Mais c’est pas du tout difficile pour moi parce que je me considère comme un enfant qui a un peu de poil au menton et qui boit de la bière de temps en temps, mais sinon il n'y a pas grand-chose qui a changé (rires).
Donc, oui, c’est un peu pessimiste, mais comme dit Renaud dans une de ses chansons que j’aimais bien « Après l’enfance c’est quasiment fini » ; donc, ça peut être très noir, mais tout ce que tu es se fait dans ton enfance : tes fondements, tes racines, elles sont là. A notre époque où on perd un peu nos repères, je pense qu’il faut alors se rapprocher un peu des tiens, c'est-à-dire tes amis, et essayer de renouer avec le petit gamin que tu étais. Quand tu es gamin tu es enthousiaste, plein d’énergie, plein de vie. Il faut essayer de renouer avec ça et essayer de le laisser s’exprimer plus souvent. C’est pour ça que j’aime bien les Anglais ou l’humour juif, ils cultivent beaucoup ça. Il y a Quentin Blake qui est un illustrateur jeunesse très connu qui a illustré pas mal de livres de Roald Dahl, qui est un vieux monsieur de 80 ans. Je l’avais vu à une remise de prix arriver avec une chaussette rouge, une chaussette bleue, très élégant, très poli, très courtois, et qui avait une veste à rayure. Je trouvais ça génial ! Il s’habillait comme un enfant. J’adore ça ! Ça me libère un peu, ça me met un petit peu en paix, ça fait du bien. Donc naturellement, je m’oriente vers mes souvenirs d’enfance, vers mon âme d’enfant pour raconter mes histoires. Mais je ne réalise même pas que j’ai peu de personnages adultes ; c’est toi qui me le fais réaliser en me le disant. C’est un thème quasi obsessionnel.
Mais au contraire, je trouve ça très bien. Car c’est vrai qu’il n’y a pas énormément de BD où j’ai ressenti ça sur cette thématique. Et d’ailleurs je me posais la question : est-ce que tu te vois un peu comme Billy, avec ce don de « troublevue » pour arriver à ce côté graphique et trouver ces idées que tu vas développer dans tes BD ?
Tu sais tous les personnages sont une partie de nous-même. Ce sont des espèces de graines qu’on sème comme ça. C’est Schulz qui disait ça aussi « Quand je suis en colère, je vais faire parler Lucie, quand je suis déprimé je vais faire parler Charlie Brown », c’est très névrotique. Et Billy Brouillard du coup, il a un peu la même tête que moi gamin, j’avais un sparadrap sur le front parce que je m’étais ouvert la tête. Je tirais les cheveux à ma petite sœur, j’ai failli la tuer comme à la fin du premier tome, vraiment, et puis j’étais un peu solitaire. Je m’ennuyais, donc je m’inventais des histoires. A l’époque il n'y avait pas internet et pas autant de programmes à la TV. Fatalement, on avait le temps de s’ennuyer et de créer finalement. C’est Souchon qui dernièrement disait « Moi si je ne m’étais pas emmerdé jeune, jamais j’aurais attrapé une guitare qui trainait sur le lit pour gratouiller ». J’ai trouvé ça super juste. Aujourd’hui on n'a plus le temps de s’emmerder.
Et concernant l’imagination de Billy Brouillard, oui c’est la mienne, et la « troublevue » c’est parce que j'ai fait un complexe le jour où on m’a dit qu’il me fallait des lunettes alors que je pensais avoir une super vue. Je suis myope et du coup je vois trouble, flou, et j’ai décidé d’en faire un super pouvoir, plutôt que d’en faire un super défaut. Parce que c’est mon histoire avec Billy Brouillard, il faut essayer de faire de tes défauts des qualités ; c’est ça qui fait ta personnalité, ta différence et ton style quelque part, qui fait que tu es toi, qu’on t’aime ou qu’on ne t’aime pas. Donc j’ai décidé de faire de mon don de myope ce don de troublevue. Finalement, le flou permet l’imaginaire, tu peux voir des formes un petit peu comme tu veux, et c’est pas plus mal. Une fois j’ai une copine très myope qui me disait « Quand je suis stressée j’enlève mes lunettes et je ne vois rien ». Et c’est bien, c’est mon univers à moi, c’est ma vision à moi, ce n’est pas celle qui est lambda des adultes bien définie, bien déterminée. Ca laisse la place au rêve ; j’ai trouvé que ça collait bien avec l’univers de Billy et qui est complètement le mien pour le coup.
Et ce choix du fantastique par rapport à ce don, ça tient à un goût prononcé pour ce genre ?
Un goût prononcé, non. Disons que je trouvais la vie tellement emmerdante, heureusement que l’homme ou je sais pas qui a inventé l’humour et le fantastique. Le fantastique, c'est-à-dire l’intrusion d’un événement surnaturel dans le réel, c’est fabuleux. Après ça dépend de notre vision des choses. Il y a des gens qui pensent que les fantômes n’existent pas et certains ont décidé d’y croire. Moi je trouve ça plutôt cool d’être surpris au détour d’un couloir et de croiser un fantôme. Ca te fait peur, mais ça te fait aussi un petit peu rêver et tu t’emmerdes un peu moins. S’il fallait toujours être sérieux, ne jamais rigoler et ne jamais se faire peur, ça serait emmerdant. Là c’est Poe et évidemment Maupassant pour ses nouvelles fantastiques qui m’ont inspiré en partant d’histoires très réelles, ennuyeuses et tout d’un coup ça bascule pratiquement dans la folie. Et ça rejoint un petit peu l’état d’esprit de l’enfance : le petit grain de folie, comme Quentin Blake dont je parlais tout à l’heure, qui surgit à n’importe quel moment. On s’en fout d’ailleurs si c’est vrai ou pas vrai, la réalité est bien relative.
Et il y a cette faculté de croire des enfants qui est quand même extraordinaire.
Voilà, et puis il y a bien des gens qui croient en Jacques Chirac, en Allah, pourquoi on ne pourrait pas croire aux fantômes ? Moi j’aime bien toute la culture bretonne aussi. Ils vivent avec leurs trolls, leurs elfes et tout, je trouve ça génial, même si je n’adhère pas forcément à tout, je ne suis pas un geek du truc. J’aime bien aussi les Japonais qui pensent que sous leur île il ya un poisson-chat qui frémit de temps en temps, et puis pourquoi pas ! Ce n’est pas plus faux que le Père Noël ou que la gauche en France (rires), c’est une croyance, c’est la tienne. On nous en impose comme on est, moi je dis, créons des religions, ça pourrait être cool ! D’ailleurs j’y pense… (rires)
Il me reste une petite série de questions diverses que des lecteurs du site de BDthèque avaient envie de te poser. Un de nos internautes voyait en toi « Le Sempé des années contemporaines » ; t’es-tu comme lui lancé dans l’illustration de livres comme Sempé ?
C’est marrant que tu cites Sempé, parce que pour moi, c’est quelqu’un qui m’émerveille. Alors me comparer à lui… Je ne sais pas s'il connaît bien Sempé ou s'il a fumé ton lecteur (rires)… Ca fait évidement très plaisir que tu voies un petit bonhomme qui te fasse penser à ce que pouvait faire Sempé avec le Petit Nicolas ou avec ses petits bonshommes. « Le Sempé des temps modernes », je ne sais pas ce que ça veut dire… La comparaison m’honore, c’est tout ce que je peux dire. Alors oui, les bouquins de Sempé me plaisent, peut-être qu’il a vu juste, et j’aimerais quand j’en aurai assez de la BD, d’ailleurs c’est un peu ce que je fais avec Billy Brouillard, faire des livres un peu plus modestes, et puis des petites tranches de vie beaucoup plus agréables, accessibles au niveau de la maquette, avec une petite illustration juste en bas et laisser le lecteur faire son trip. Moins lui en montrer et plus lui en suggérer, ce que Sempé fait à merveille. Il ne dessine pas du tout le futile, que l’utile et c’est ce qui fait que c’est plein de tendresse et que c’est intemporel. En ce sens c’est vrai que Billy Brouillard c’est un peu intemporel ; on fait pause sur une période de son enfance et on te fait visiter.
Il est sympa ton lecteur.
Sinon, hormis les tiens, un bouquin indispensable pour toi ?
Ah ! Il y en a tellement… Comme ça, ça ne me vient pas. Le premier truc qui me vient à l’esprit… Quand on va se quitter ça va me venir et je me dirai « pourquoi j’ai pas dit ça ? » Il y a un truc qui me plait, ce sont les citations. Là j’ai trouvé un petit livre de poche de citations de Georges Brassens. Moi ça m’émerveille à chaque fois, c’est comme des petits poèmes japonais ; tu peux te faire trois quart d’heure avec un phrase de trois mots. Par exemple il disait « Si on m’ôtait tout ce que les autres m’ont donné je serais bien peu de choses ». Moi je trouve ça super beau. Ou alors il disait qu’il détestait tellement la maréchaussée que pour les éviter il traversait dans les clous ; donc il respecte la loi pour ne pas avoir affaire à eux tellement il les déteste. Moi je trouve ça assez marrant comme truc ! (rires). « Les chemins qui ne mènent pas à Rome » ça s’appelle.
Autre question, faire un « pur titre d’horreur », ça te brancherait ?
C’est marrant que tu dises ça, parce qu’avec des copains on a toujours été fasciné par le sentiment de trucs effrayants ; donc on faisait la liste des choses qui nous avaient effrayés. Moi il y a Blair Witch ; il y a des gens qui y ont été insensibles, moi ça m’a terrifié ; certains trucs de Paranormal activity, qui est un peu naze mais qui a son effet sur moi. Le film de Stephen King un peu kitsch qui a dû mal vieillir, « Simetierre » qui m’avait terrifié aussi… Donc, on cherchait ce qui déclenchait cette peur. A mon sens les japonais le font très bien dans la BD ; ils réussissent à développer ce sentiment d’épouvante absolue. On avait fait des listes et on essayait de comprendre techniquement comment faire peur aux gens avec une situation, un cadrage… C’était super intéressant. Faire rire, je trouve que ce n’est pas facile mais ça vient plus naturellement, mais faire peur c’est un peu compliqué. Et je m’étais dit, tiens, faire un truc qui fout vraiment les jetons, les chocottes au possible ça pourrait être sympa. Les trucs qui me font peur, c’est plus Cronenberg. Et si je devais vraiment faire peur avec mes vrais vrais vrais peurs à me faire vomir, je pense qu’on m’enfermerait tout de suite à l’hosto. C’est du haut niveau question n’importe quoi cauchemardesques. Et je n’ai pas le courage de faire ça. Je me suis dit, c’est bien d’étaler un peu ses névroses, mais si c’est pour flipper en le faisant, flipper en le relisant… C’est un sentiment qui n’est pas super agréable et cool à communiquer. Je préfère communiquer un petit peu d’épouvante romantique, c’est quand même plus positif que mes névroses. Mon caca je me le garde, je n’ai pas envie de le distribuer à tout le monde. J’essaye de devenir meilleur, donc de ne pas trop me mentir, mais bon, je ne dis pas que ceux qui font de la BD d’horreur étalent leur caca. (rires)
Et pour finir, peux-tu nous parler de tes projets à venir ?
Et bien j’ai le 4e Billy Brouillard pour Noël, qui sera plus court et plus narratif pour le coup. Parce que le sujet le nécessite, et comme je te le disais tout à l’heure je n’ai pas envie de devenir ma caricature et de faire obligatoirement des bestiaires tout le temps. J’ai un Ernest & Rebecca avec Antonello chez le Lombard qui sort au printemps ; j’ai le dernier "Eco", collection Métamorphose avec Almanza, qui clot du coup l’histoire ; il l’aura terminé cet été je pense. Zizi chauve-souris que j’anime avec Trondheim dans le magazine Spirou aussi... Et plein de projets très variés, plus contemporains, sur le quotidien. J’essaye donc de me recaler sur mes priorités et les projets dans lesquels je me suis engagé avec des éditeurs.
Ca fait déjà pas mal !
Oui ! Ce ne sont pas les envies et les projets qui manquent, ça c’est clair !
Et bien Guillaume, merci
Merci à toi.
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