Auteurs et autrices / Interview de Gwendoline Raisson
Rencontre avec Gwendoline Raisson. Journaliste et femme de lettres, elle est la co-auteure de la bande dessinée « Mères Anonymes », un récit qui par-delà son humour et son autodérision nous force à réfléchir sur le statut de la mère au XXIème siècle.
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Je suis un individu de sexe féminin, née à la fin du XXème siècle en France. J’ai suivi des études de lettres, puis de journalisme, ce qui m’a logiquement amenée à écrire pour la presse. Après de nombreux articles et une série de plans sociaux, j’ai commencé à écrire des histoires pour les enfants. Albums illustrés, romans de première lecture, BD, pièces de théâtre, poèmes… Un nouveau petit glissement de terrain m’a finalement menée à écrire de la BD pour adultes. Je suis aussi très impliquée dans l’association La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, qui défend et promeut les auteurs.
Mères anonymes est (à ma connaissance) votre première bande dessinée. Comment êtes-vous passée du roman jeunesse à cette chronique sociale destinée aux adultes ?
Pour ce qui est de la forme, j’avais déjà écrit de la BD pour la jeunesse, une petite série pour le magazine Mes premiers j’aime lire, et curieusement, ce format ne m’a pas posé de problème, j’ai même envie de dire qu’il s’est imposé. Un jour je me suis surprise en train d’écrire un scénario de BD pour adultes, sans préméditation aucune. Je m’étonnais moi-même de mon audace et de l’évidence qu’il y avait pourtant à le faire. J’aime bien cette inconscience – une forme d’innocence – du débutant qui ne doute de rien, ou qui au contraire, doute tellement de la probabilité d’aboutir dans son entreprise insensée qu’il n’a aucune pression, aucune peur. C’est souvent plus dur la deuxième fois, quand on mesure ce qu’on est en train de faire (ou de tenter de faire).
Et pour ce qui est du passage d’un public enfant à un public adulte, c’est sans doute parce qu’après avoir écrit plein de livres jeunesse sur les mamans, il fallait renouveler mon lectorat. Sous peine d’épuisement des pauvres petits (et de mes blagues).
Vous semblez pouvoir aisément sauter d’un support à un autre (bande dessinée, roman, théâtre). Quels sont selon vous les similitudes et les différences majeures entre ces différents supports ?
Passer de l’album illustré à la BD ne m’a pas plus perturbée que ça. Ce n’est pas la même chose, certes, mais le rapport texte/image était déjà intégré dans mon petit cerveau. J’ai eu un peu la même sensation en écrivant un scénario pour une série d’animation. Quelle que soit la finalité, BD, album illustré, théâtre, animation, c’est toujours une façon d’écrire à deux niveaux : ce qu’on donne à lire/entendre et ce qu’on donne à interpréter à une personne tierce. Dans tous les cas, l’écriture est incomplète, elle est une proposition dont l’illustrateur, le comédien, le metteur en scène ou le réalisateur va s’emparer, qu’il va s’approprier, pour parvenir à une œuvre commune. Une œuvre de collaboration comme on dit en langage juridique.
Pour ce qui est des différences entre ces supports, elles sont bien entendu multiples, et cette possibilité de les explorer toutes est passionnante.
Je suppose que, dans Mères anonymes, la part autobiographique est importante.
Je suis toutes les mères du livre, mis à part les situations qui m’ont été soufflées par Magali Le Huche, et toutes celles qui sont le fruit d’une observation - très fine et fort pertinente - de mon environnement. En fait, c’est comme quand on s’achète une Twingo verte, on se met à en voir partout dans la rue. Moi, quand je suis devenue une mère, j’ai commencé à en voir partout et à m’y intéresser.
Derrière l’humour omniprésent, vous décrivez un véritable problème de société. Isolement, sentiment de ne pas être à la hauteur, recours aux médicaments. Certes, tout cela est vu au travers du prisme grossissant de la caricature, mais cela donne à réfléchir !
Pour éviter tout malentendu, je tiens à préciser que la souffrance maternelle dont je parle n’est pas une caricature. C’est une situation peut-être méconnue (en général on n’en fait pas trop la pub) ou minimisée (ou alors présentée comme phénomène de foire à l’occasion d’un faits-divers), mais je peux vous assurer qu’il existe réellement des groupes de parole pour mères en difficulté ayant besoin de parler et de partager leurs soucis. Je ne le savais pas au moment de l’écriture, mais ça existe. La maternité n’est pas un état vécu de manière naturelle et forcément épanouissante pour tout le monde, c’est comme ça. Ma façon d’en parler ne se voulait pas dramatique, la dérision est naturellement un outil pour aborder les sujets douloureux, un moyen d’essayer de prendre du recul, de se protéger du drame ou de l’auto-apitoiement. J’ai ajouté à ça des éléments fantaisistes et non rationnels, et j’ai parfois forcé le trait (mais à peine, je vous jure), parce que tant qu’à en rire, pourquoi se priver d’images fortes.
Honnêtement, en tant qu’homme, j’ai parfois du mal à comprendre ce que les femmes désirent. A la fin de ma lecture, j’en suis même venu à me demander dans quelle mesure l’héroïne ne regrettait pas la situation de la mère de famille d’il y a un demi-siècle, lorsque celle-ci ne se consacrait qu’à la cellule familiale.
Ce que les femmes désirent ? Peut-être qu’on arrête de penser qu’elles sont une seule et même espèce d’individus mus par les mêmes désirs et besoins. Il y a donc dans le lot des femmes pour qui la maternité n’est pas une raison d’être, un aboutissement, et qui préfèreraient sans doute aller manager une entreprise du CAC 40 ou pêcher des sardines pendant que leur homme - doux et aimant - s’occupe de leur descendance. Ce n’est pas un phénomène nouveau, simplement, c’était difficilement envisageable avant, et encore moins avouable. Et si les femmes rechignaient sans doute moins à endosser le rôle de parent, elles n’en étaient pas forcément plus épanouies. Reste que c’était leur place. Sois mère et tais-toi.
Aujourd’hui, les femmes savent qu’elles peuvent occuper d’autres places, vivre autrement, mais elles subissent encore, quoi qu’on en dise, des dictats de l’ancien temps. Donc, non, mes héroïnes ne regrettent pas la situation de leurs grands-mères, elles voudraient juste se sortir de cette double injonction paradoxale : sois moderne, émancipée, mais occupe-toi des gosses aussi, tu le fais si bien. Autrement dit, soyons parent avant d’être mère ou père et partageons le boulot, parce que c’est un vrai boulot.
Là où les femmes ne sont pas toujours très claires et cohérentes dans leurs désirs, je suis d’accord, c’est qu’elles ont parfois du mal à laisser cette place aux hommes, tout en leur reprochant de ne pas la prendre. Il faut donc les aider à se débarrasser de ces fantasmes de la maternité toute puissante et rayonnante. Cette image trompeuse que véhiculent souvent les magazines people ou féminins. C’est un peu, à sa petite mesure, l’objet de ce livre.
Une question un peu « provoc » : Faut-il laisser les parents éduquer leurs enfants ?
Et pourquoi on n’éduquerait pas plutôt les parents ? Les enfants sont bien les seules « choses » livrées sans mode d’emploi, ou cours de conduite obligatoire. Sans aller jusqu’à passer un permis, ce serait bien de prendre quelques leçons avant de faire n’importe quoi, non ? Quand on sait toute la littérature qui existe sur le sujet, toutes ces personnes brillantes qui ont réfléchi comme des fous au sujet, les Dolto, Bettelheim, Winnicott et consorts, c’est navrant de constater le gâchis à l’œuvre dans certaines familles.
Si le livre expose bien (et avec humour) la situation, il n’offre pas vraiment de solution. En auriez-vous une à nous proposer ?
Oui, absolument, mais avant de vous la donner, je vais la faire breveter, comme ça je serai riche, très riche.
Après le passé et le présent, parlons un peu de votre futur. Cette première intrusion dans le monde de la bande dessinée sera-t-elle suivie d’autres ?
Je travaille en ce moment même sur un tome 2 de Mères anonymes, où l’on devrait retrouver Caroline et ses copines des M.A. . J’ai aussi gravement envie d’écrire une BD sur les… pères. Ça équilibrera.
Gwendoline, un grand merci pour le temps que vous venez de nous consacrer. A bientôt, peut-être ?
Mais, avec plaisir !
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