Auteurs et autrices / Interview de Grzegorz Rosinski et Yves Sente
A l’occasion du vernissage de l’exposition Rosinski à la Galerie Maghen et du salon du roman historique à Paris, nous avons pu rencontrer les auteurs de Thorgal. Une occasion à ne pas manquer, entre improvisation et admiration...
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Non, c’est la première fois. Pas la première fois à Paris cependant ; à l’époque de La Vengeance du Comte Skarbek, j’ai fait des repérages dans la ville, où vivait mon fils Piotr à l’époque. Je cherchais des traces du Paris d’avant Haussmann, le Paris romantique. Il y a eu aussi l’exposition à la Conciergerie, et plus récemment à Versailles, en janvier de cette année.
Avez-vous participé à l’accrochage, à la mise en scène des pièces présentées ici ?
Pas du tout, j’ai découvert ça en entrant dans la galerie aujourd’hui, et ça me plaît beaucoup.
Parmi les pièces présentées, et notamment à la vente, il y a des planches originales de vos deux derniers albums Thorgal, le Bateau-sabre et Kah-Aniel. Pourquoi seulement cette partie de vos planches ?
Je ne saurais vous dire, ce sont mes enfants qui s’occupent de cela, et en particulier Piotr. Je fais mon travail, mes tableaux, mes dessins ; ce qu’il se passe après, ce n’est pas mon problème.
Avec toutes ces expositions, vos albums et la monographie qui va sortir et qui vous est consacrée, y’a-t-il encore des choses inédites ?
Il y en a toujours. Je travaille en permanence avec trois chevalets, car à côté de mon travail en cours, il y en a toujours un qui me sert à ne pas gâcher la peinture. Ça me permet de nettoyer mon pinceau, et parfois c’est plus intéressant que mon travail. Donc certains de ces tableaux sont encore inconnus. Je travaille toujours debout, car sur ces formats-là, on peut danser, on peut bouger… Pour les planches de Thorgal je travaille debout aussi, car je travaille sur deux planches à la fois, celle de gauche et celle de droite, pour garder une même ambiance entre les deux. Quand on ouvre un livre, on voit deux pages à la fois ; c’est seulement ensuite qu’on commence à analyser, puis à parcourir de haut en bas, de gauche à droite, image par image...
Quels sont les outils que vous utilisez, votre technique de travail ?
J’utilise un peu tout. Pour la bande dessinée c’est toujours la même technique, en alternant gouache, pastel, crayon... Pour l’illustration par contre c’est en fonction du sujet, du but à atteindre, et j’utilise l’outil qui me semble le plus adapté. Si par exemple je dois faire une histoire futuriste, le premier outil qui me vient en tête c’est l’ordinateur, et j’utiliserai l’ordinateur.
Une monographie qui vous est consacrée sort le 9 décembre ; pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Je l’ai vue hier pour la première fois ; c’est un travail remarquable de Patrick Gaumer, qui allie textes et images, l’image étant le plus important, car il y a des choses que personne n’a jamais vues. Il y a par exemple des photos de moi bébé (sourire), mais aussi beaucoup de travaux de jeunesse, des photos rares…
Le décor de votre dernier album, Kah-Aniel, est surprenant, car vous promenez votre héros dans des décors typiques du Proche-Orient. Vous vous documentez beaucoup quand le décor change ?
En effet, j’aime bien varier les décors, ici c’est le Proche-orient du IXème siècle, après les décors glacés des contrées vikings et la jungle sud-américaine, par exemple. La documentation c’est ma passion ; je ne me documente pas d’après des films, mais plutôt en regardant des vieux bouquins, des gravures, cela me semble plus naturel comme sources, les films étant une source intermédiaire, car puisant déjà dans les sources documentaires primaires.
Quel regard portez-vous sur le travail de De Vita et Surzhenko ?
Je suis très fier de travailler avec ces deux dessinateurs de talent.
Combien de tomes sont prévus pour la série ?
La série durera tant que les lecteurs seront au rendez-vous. Et au besoin, elle pourra être continuée par d’autres auteurs. Je n’ai pas cette réflexion, avec l’ego très gonflé qu’ont d’autres auteurs, qui dit « après moi le déluge ». Si d’autres auront, le moment venu, le talent pour reprendre le flambeau, à leur tour de s’amuser, comme je l’ai fait depuis plus de 35 ans. Ils pourront y apposer leur marque, tout en respectant les valeurs humaines qui ont présidé aux histoires, ces valeurs d’humanisme et de réalisme social qui ont, je l’espère, touché les lecteurs. Pas de violence gratuite, pas d’érotisme exacerbé, etc.
Quels sont vos projets ?
Ils sont nombreux. Vivre dans le bonheur, en bonne santé, le plus longtemps possible. Continuer à m’amuser dans les arts, que ce soit la bande dessinée, l’illustration, la peinture, la sculpture aussi…La bande dessinée n’est qu’un de mes nombreux moyens d’expression. Pour me reposer, je lis beaucoup de littérature, mais sans images. Je ne lis pas de bandes dessinées, ou très peu, ça me fatigue, je n’ai pas grand-chose à y apprendre. La littérature m’inspire, car souvent je ferme les yeux, et les images se forment dans mon esprit.
M. Sente, à la fin de ce tome 34, il y a un schéma de l’univers de Thorgal, avec les séries parallèles. Le tome 36 va réunir les trois séries, La Jeunesse de Thorgal restant une préquelle ?
Il y a en effet une convergence, je travaille avec Yann là-dessus. Après le tome 36 la série va repartir, mais je ne sais pas sous quelle forme ; car la série-mère et les deux séries Kriss de Valnor et Louve se déroulent en parallèle, et vont donc se rejoindre. Les nœuds vont se dénouer. Après, je ne sais pas encore comment cela va évoluer, si Thorgal va rester au village, avec Louve, si Aaricia va partir, si Jolan va revenir... Cela fera l’objet d’un nouveau cycle, avec certainement d’autres auteurs. La définition d’une saga, c’est de raconter l’histoire d’une famille, qui comme toutes les familles, essaie de se préserver, autour de l’amour du couple, les conditions pour élever les enfants... C’est l’aventure qui permet la série. Après, ce sont les dieux, des imprévus, ou des fâcheux de passage qui font que les choses ne se passent jamais comme prévu. Ils doivent se retrouver, ils doivent se battre, ils doivent combattre... Thorgal va bientôt revenir au village, mais beaucoup de choses auront changé ; les rapports entre lui et Louve auront changé : il l’a quittée petite fille, elle va être jeune adolescente. Aaricia a eu ses propres histoires également, ça va d’ailleurs provoquer des discussions dans le couple… Quand les choses se seront remises en place, Dieu sait ce que la vie réserve à la famille Aegirsson… Enfin quand je dis Dieu, je veux bien sûr Dire Odin et les autres dieux.
A une époque on a pu penser que Jolan allait devenir le personnage principal de la série, son père étant très effacé, avant de revenir au premier plan lors des derniers tomes. Y’aura-t-il tout de même une passation de pouvoir ? Ou Jolan va-t-il faire l’objet de sa propre série ?
C’est fort possible. A une époque effectivement je pensais créer une sorte de deuxième saison en mettant Jolan en avant. Et puis c’est Grzegorz lui-même qui a réclamé le retour de Thorgal, sans doute parce qu’il se sentait proche du personnage, en termes d’âge, de maturité, le fait qu’il était père de famille aussi. Je l’ai donc remis au centre du récit, ça m’a pris un ou deux albums, et j’en ai profité pour faire intervenir Jolan dans la série Kriss de Valnor, tout cela se passant de façon simultanée. L’idée est tout de même qu’au tome 36, on sache tout ce qu’il s’est passé pendant l’absence de Thorgal. Celui qui ne veut lire que la série Kriss de Valnor, effrayé par les 36 tomes de la série-mère, pourra également comprendre, car elle a sa popre logique, et elle reste indépendante. Bien sûr, pour ceux qui suivent l’ensemble, il y a des ponts, plus ou moins discrets, entre les séries ; Yann et moi nous rencontrons souvent, au restaurant, au café, pour mettre tout cela en œuvre. C’est un jeu qu’on a instauré avec les lecteurs. Avant le lancement des séries parallèles, on avait des reproches comme quoi il fallait attendre deux ans entre chaque album ; maintenant qu’on en a plus fréquemment, le reste de la famille de Thorgal est concerné. Le public semble content de cette diversité. D’ailleurs on le voit bien en séances de dédicaces, on demande à Grzegorz la mère, les enfants, pas seulement le héros principal de la série.
J’ai remarqué également une différence de ton sur les derniers albums ; il se passe moins de choses lorsque Thorgal est le héros que lorsque c’est Jolan. Il ne se serait pas empâté, le patriarche ?
Pour moi c’est plutôt le fait que Thorgal est un peu sous le poids de la solitude, l’apathie est aussi liée à la mélancolie, due au voyage notamment… Il se pose des questions sur ce qu’il se passe pour ses enfants, sa femme... On sent aussi un homme qui a mûri, qui a pris des coups. Le sursaut, la réaction que vous attendez, arrivera dès la première planche du prochain tome. Rendez-vous dans deux ans, donc.
Messieurs, merci.
Un grand merci à Dyane Hertogs, de la Galerie Daniel Maghen, pour avoir permis cette rencontre.
Un petit aperçu de l’exposition Rosinski.
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