Auteurs et autrices / Interview de Chloé Cruchaudet
Rencontre avec Chloé Cruchaudet, auteur de "Mauvais genre" chez Delcourt.
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Et bien j’ai fait l’école Emile-Cohl à Lyon, l’école des Gobelins et j’ai travaillé en fait pendant 10 ans dans le dessin animé avant que mon projet ne soit accepté. L’animation ça a été mon gagne-pain en attendant qu’un éditeur veuille bien me prendre mes projets, et là c’est mon 5e album.
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C’est un livre qu’on m’a offert tout simplement. Je précise que ce n’est pas un roman du tout, c’est un essai historique réalisé par deux universitaires qui ont fait un travail très sérieux. Ils ont retrouvé les archives de l’avocat qui s’est occupé du procès que je reprends dans mon album. Ce que je présente, ce n’est pas forcément la vérité, mais c’est ce que j’ai cru comprendre d’après le caractère des personnages sur ce qui a pu se passer. Par exemple on ne sait pas qui a eu l’initiative du travestissement, si c’est Paul, ou sa femme Louise.
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Ah complètement et j’y tiens vraiment. C’est romancé, fictionnalisé à mort. Dans le livre d’origine, il n’y a pas de dialogues, c’est une présentation d’archives. Quand j’en ai discuté avec les historiens, je leur ai demandé ce qui avait pu se passer selon eux, ils m’ont répondu qu’ils n’extrapolaient pas sur ce qui avait pu se passer mais qu’ils présentaient juste les faits. Alors oui, ce que je présente, c’est une version très personnelle.
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Alors ça non par contre, c’est quelque chose qui est complètement avéré. Il a eu des traumatismes dus à la première guerre mondiale, comme beaucoup de soldats qui l’ont vécue ; là-bas il est devenu alcoolique. Donc ça c’est quelque chose que je n’ai pas inventé. Moi j’ai émis l’hypothèse qu’il est devenu très violent avec sa femme et de plus en plus insupportable. Je l’ai poussé jusqu’au fait qu’il fasse de véritables delirium tremens, que je n’ai pas appelé comme ça dans le livre, mais c’est finalement ce qui se passe. Il a des hallucinations et Louise raconte qu’il faisait énormément de cauchemars. Cela semble tout à fait crédible, vus les personnages de la guerre qui sont venus le hanter.
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Non. Par exemple je me suis demandé « Est-ce qu’il a été le seul à choisir ça ? ». On pourrait imaginer qu’il y a eu plusieurs déserteurs qui ont vécu avec l’identité d’une femme. Sauf que pour lui ça s’est terminé par une affaire judiciaire et que du coup on en a eu connaissance ; mais peut-être qu’il y en a eu d’autres. Je ne l’ai pas mis dans la BD, mais je me suis demandé s’il y avait eu des réunions de déserteurs travestis quelque part dans Paris. Quand j’ai posé la question aux historiens ils m’ont dit qu’en Allemagne il y avait eu des cas similaires de déserteurs allemands qui se sont travestis.
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Non, on ne sait pas. Ce cas-là est devenu « célèbre » car, quand Paul a réintégré son identité d’homme, des journalistes se sont intéressés à son histoire et on a trouvé dans les articles de l’époque des traces de Paul qui racontait son expérience du monde des femmes. Et puis il y avait tout un tas de lecteurs qui écrivaient au journal, soit des hommes pour lui demander « Qu’est-ce que c’est le mystère de la femme ? » ; ils cherchaient le côté croustillant. Et des femmes qui lui demandaient des secrets de beauté...
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J’aime bien l’ambigüité de ce titre-là parce qu’effectivement le genre, c’est l’histoire de masculin, de féminin. Mais par exemple aussi dans le langage courant, c’est « Ah, t’as mauvais genre ! » ou encore Paul fait la réflexion à Louise « Ne m’accompagne pas au Bois de Boulogne, c’est pas ton genre » ; et elle lui demande « Mais c’est quoi mon genre ? » et il lui répond « Genre qui va m’emmerder ». Donc ça peut être interprété de plein de manières différentes comme le mauvais goût, le sexe masculin féminin ; c’est ça qui me plaisait assez. J’ai fait plein d’hypothèses pour le titre, et au final c’est celui-là que j’ai gardé. Le titre original du livre c’était « La garçonne et l’assassin ». Lui aussi c’est un titre ambigu, parce que la garçonne ce n’est pas celle qu’on croit, on peut croire que c’est Louise, et l’assassin n’est pas celui qu’on pourrait croire non plus.
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Souvent j’écris les dialogues en premier, parce que je fonctionne comme quand on est petit et qu’on joue avec des jouets, qu’on fait se rencontrer des personnages et qu’on s’imagine ce qui pourrait se passer suivant le caractère de l’un et de l’autre. Donc pour moi c’est un peu le même processus. Je me dis Louise à tel caractère, Paul à tel caractère, il se passe ça comme événement, qu’est-ce qu’ils pourraient se dire ? Qu’est-ce qui pourrait se passer ? Finalement, je me joue les scènes dans ma tête et tout le reste découle de ça. Je ne sais pas comment font les autres auteurs, mais moi c’est des voix que j’entends, des dialogues et ensuite il y a tout un travail de remaniement car je fais très attention à ce que le rythme de l’histoire soit très efficace car mon but c’est que le lecteur soit pris dedans. J’essaye de doser ça, mais c’est très compliqué car on ne sait jamais comment ça peut être reçu. J’accorde en premier toute mon attention à la narration, je n’économise pas du tout mon temps sur la phase du scénario et du storyboard. Cela prend le temps que ça prend, parce que je veux être satisfaite de l’histoire pour pouvoir passer à la suite. J’avoue que quand j’en suis à la réalisation des planches, là je m’impose des quotas de travail par jour. Je n’ai pas envie de passer 4 ans sur un album. Donc je choisis un dessin qui soit le plus expressif et le plus efficace possible, et à choisir entre un dessin joli et un dessin expressif, je préfère le dessin expressif.
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Pour les atmosphères, je m’imprègne de l’ambiance des livres que j’aime. Par exemple, j’ai relu « Voyage au bout de la nuit » pour retranscrire la noirceur de la guerre. Sinon pour la gestuelle, par exemple, j’ai regardé des vidéos de danses apaches du début du siècle. Et la danse apache c’était quelque chose de pas du tout gracieux, qui mimait des scènes de ménage entre couple, mais c’était malgré tout une danse. Et pour que ça reste dans le mouvement, il m’arrive de regarder des vidéos, de faire des arrêts sur image et de faire des dessins. Cela me sert pour éviter que mes dessins soient figés pour en faire quelque chose de vivant.
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En fait, il y a des auteurs qui ont cette maturité très vite, mais moi j’ai mis un bout de temps à comprendre que la bande dessinée ce n’est pas forcément des cases bien tracées et j’ai mis du temps à quitter ce côté bon élève ; et puis je voulais donner une impression de chaos. Moi ma manière de travailler a été chaotique parce que je ne faisais pas de belles planches, mais plein de dessins sur des feuilles éparses que je recomposais et je voulais garder cette impression-là. La vie c’est un chaos et je voulais que mes planches soient chaotiques. Mais ceci dit le chaos est très difficile à organiser. J’avais quand même fait un pré-découpage et j’ai passé beaucoup de temps à réorganiser tous mes dessins, sans cases, en gardant une dynamique générale. Ça a été un gros boulot même si ça paraît quelque chose de très lâché, c’est une illusion.
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C’est un super compliment.
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Et bien c’est en me promenant, à Belleville ou à Mesnilmontant, dans les quartiers de Paris dont je me suis un peu inspirée pour les décors, pour le côté un peu prolétaire et l’ambiance. Quand je me suis baladée il y avait un ciel parisien typique, gris et les façades étaient gris-sale. Tout simplement je me suis dit, ça serait parfait juste de mettre quelques touches de couleur pour attirer l’attention. Ajouté aux compositions d’image, on a tout de suite l’attention qui est focalisée là-dessus. Et puis après il y a une symbolique que le lecteur ne perçoit pas forcément que j’ai essayé de mettre en place. C'est-à-dire qu’au début c’est Louise qui a la féminité. Elle a donc la robe rouge, et petit à petit Paul alias Suzanne, devient plus féminin que sa propre femme, c’est le disciple qui dépasse le maître, donc c’est elle qui accapare toute l’attention avec des couleurs vives. Et puis aussi tout simplement parce qu’il y a quand même une histoire de meurtre là-dedans et que le rouge c’est le sang.
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Oui, en plus.
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Je fais attention à ce que le moins de choses puissent sortir le lecteur du récit et je trouve que trop de détails et de virtuosité dans le dessin perdent le fil du propos. Je fais donc attention à ça. Il y a des fois où j’aurais eu envie de mettre des détails. Par exemple j’ai lu dans de la documentation qu’il y avait eu des bombardements jusque dans certains quartiers de Paris ; les commerçants mettaient des adhésifs sur les vitrines et ça donnait quelque chose d’assez étrange, de graphique, qui visuellement devait être assez bizarre, et ça aurait pu être intéressant de le montrer, mais en même temps ça aurait trop attiré l’attention. Le lecteur se serait demandé « Mais c’est bizarre, c’est quoi ce truc ? » et du coup il perd le fil. Si ça avait été quelque chose de juste contemplatif où on décrit le Paris de l’entre deux guerre, ça aurait été super, mais là il se passait des choses importantes et il fallait focaliser là-dessus. Donc j’évoque simplement certaines choses et je ne rentre pas dans le détail.
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Oui, avec la séquence de la guerre. En faisant des recherches je suis tombée sur des photos abominables. Je m’y attendais, mais c’était difficile. C’est un lieu commun de dire ça, mais c’était vraiment très dur. En plus j’ai dû recommencer plusieurs fois cette séquence.
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Je vais travailler avec un scénariste pour la première fois qui s’appelle Thomas Cadène, qui a sorti « Romain et Augustin » dernièrement. Ça va se passer dans le Paris de nos jours et c’est une fiction complète cette fois-ci.
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