Auteurs et autrices / Interview de Eldiablo et Pozla
Rencontre avec El Diablo et Pozla, les deux auteurs de la série complètement déjantée « Monkey Bizness » éditée dans le Label 619 e chez Ankama. Une série très remarquée et dont j’apprendrai en même temps qu’eux au cours de cet entretien qu’elle sera couronnée par le Prix Schlingo 2014 !
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Pozla : Justement, enfin moi je parle pour mon cas personnel, j’ai pas trop besoin de prendre des trucs ; j’évite car sinon ça partirait complètement en couille. [rires]
El Diablo : On carbure à l’imagination ! Je ne suis pas sûr qu’on soit plus créatif en prenant des substances – ce qui n’empêche pas – mais on fait juste de la BD qui nous fait marrer. C’est ça l’ingrédient principal ; on essaye de se faire plaisir au maximum.
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El Diablo : On est beaucoup plus sage que nos personnages, mais c’est une histoire de catharsis, un exutoire…
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Pozla : Ba ça parait évident, non ?
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Pozla : En même temps c’est un savant mélange, on est un peu l’un l’autre… Je peux paraitre plus fou fou que Rémi, et lui plus posé que moi, et inversement, quand on rentre dans la vie intime [rires]
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El Diablo : Pour moi, c’est un des futurs possibles. J’ai une vision très pessimiste et en même temps fataliste. Et du coup je le dis assez bien. Je ne pense pas que le monde dans lequel vit l’humanité en a pour très longtemps ; je pense que dans 2/300 ans on sera vraiment sur le départ ; je donne encore, allez, 500 ans pour que l’espèce entière, malheureusement disparaisse d’une façon ou d’une autre. Je ne pense pas que ce soit les singes qui prendront notre place, mais je ne suis pas certain que dans 2 millions d’années ce soient les humains qui tiennent les rênes. On ne sera plus les chefs ici.
Pozla : Et en même temps, je trouve que ce n’est aussi qu’une transposition du monde actuel, d’une manière un peu excentrique et projetée. Tu remplaces tous les animaux par des humains et tu es chez nous.
El Diablo : C’est ce qu’on dit d’ailleurs dans le tome 1. Les animaux ont pris la place des humains, mais manque de pot ils sont tout aussi cons que nous. Les choses n’ont pas fondamentalement changées dans cet univers, mais en même temps c’est plus sauvage, c’est plus assumé on va dire, c’est moins faux cul que le monde dans lequel on peut évoluer actuellement.
Pozla : C’est caricatural, c’est le reflet direct de ce que l’on peut vivre à l’heure actuelle.
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El Diablo : En fait, la BD qu’on fait, c’est la BD qu’on a envie de lire, on se fait plaisir. On a cette possibilité de pouvoir créer. Moi quand je lis Monkey Bizness, je me projette y’a quelques années en me disant j’aurais trop aimé l’acheter, il est trop bien ce bouquin ; j’aurai aimé le trouver en librairie, j’aurai kiffé. On l’a calibré pour se faire plaisir avec tout le groupe, et il se trouve qu’il y a des gens à qui ça fait aussi plaisir, donc c’est parfait. Mais à part ça, ça va aussi dans la droite lignée d’un certain genre qui ne se fait plus vraiment à l’heure actuelle. Dans les années 80’ tu avais pas mal d’auteurs qui étaient encore un peu plus rentre dedans. Je pense à Vuillemin dans ses première années, y’en à d’autres aussi, qui étaient capables d’aller très très loin dans ce qu’ils racontaient. C’est très varié ; ça peut aussi être les « Freaks Brothers », « Torpedo », des BD où tu peux avoir beaucoup de violence, pas beaucoup de morale.
Pozla : On ne sent pas vraiment la bride spécialement. Voilà, t’as envie de raconter quelque chose : tu le poses, sans te poser les questions de censure, de lectorat, de morale…
El Diablo : Quelle cible est visée, on s’en fout. Ce qui compte, c’est « Est-ce que ça nous fait rigoler ? » Si oui, on y va.
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El Diablo : Voilà ! Quitte à aller dans le total délire. Pozla : Après le fait de jouer avec les animaux, ça permet d’aller un peu plus loin aussi, à la sauce des fables de la Fontaine ; ça permet de raconter des choses qui sont plus crues ou qui seraient plus dures à raconter avec des humains. El Diablo : Mais c’est même pas spécialement une volonté de choquer.
Pozla : Il faut que ça reflète la vraie vie, que ça serve le propos, que ça nous fasse marrer.
Scénaristiquement, c’est quand même très profond, on essaye d’avoir quelque chose, de travailler la psychologie, que ce soit celle de nos personnages principaux ou des personnages secondaires ; c’est pas juste un défouloir. On n’est pas dans le gratuit.
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El Diablo : En gros c’est ça. Le premier permettait de définir les personnages de façon intemporelle, dans leur univers ; dans le deuxième, et forcément dans le troisième qu’on est en train d’écrire actuellement, c’est vraiment une courbe narrative qui les emmène quelque part ; à la fin du deuxième ils en sortent transformés…
Pozla : Mais jamais tout à fait car c’est des personnages qui trouvent leur équilibre dans des choses simples. Et à la fin du troisième ils auront encore évolué. On pose l’univers dans le premier ; on développe dans le deux ; et on clos dans le troisième.
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Pozla : En fait, à la base, le premier c’était un one shot. Moi particulièrement, j’aime pas trop trainer sur les projets, du coup l’idée du one shot me plaisait bien. Mais quand on est arrivé à la fin du premier, on avait posé un bon truc et on avait encore plein de trucs à raconter ; on pouvait pas s’arrêter là. De là est parti la trilogie. On a commencé à bien imbriquer toutes les choses pour avoir un triptyque cohérent.
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El Diablo : Elles sont multiples. Cinéma, on est dans un cadre inspiré directement de « Mad Max », de « La Planète des Singes » ; au niveau BD, pour ma part, en tant que scénariste, c’est beaucoup des BD des années 80’ dont on parlait, « Torpédo » notamment énormément, mais il y en a plein d’autres.
Pozla : Moi graphiquement j’ai baigné dans du Franquin, du « Lucky Luke », de la bonne BD à papa que tout le monde a lu. Du Fred, oui « Torpédo » a une grosse influence, bien que ce soit très très loin graphiquement au premier abord de Monkey Bizness, mais c’est vrai que ça a eu pas mal d’impact dans la réalisation de l’album, sur des histoires très noires, très courtes, bien lâchées, assez crues. Mmm, c’est un peu dur de tout condenser… Ah ça m’énerve parce qu’après coup je me dis « Putain j’aurais du dire ça ! » Attends je regarde ma bdthèque… [rires] Oui, sinon, y’a plein d’auteurs contemporains ; des Larcenet, des Blain, des Blutch… Y’a beaucoup de très bons qui foutent des claques quand t’ouvres les BD, et forcément ça t’influence. Mais c’est vrai que cinématographiquement, « Mad Max », « La Planète des Singes » ou même « Retour vers le futur », nous ont beaucoup influencé.
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El Diablo : On est tous les deux issus de la culture buddy movies. Encore une fois dans « Torpédo », tu as deux personnages à la psychologie pas forcément concordante mais qui s’entendent très bien.
Pozla : Et c’est un peu nous deux !
El Diablo : Oui, ça part aussi de délires d’ados ; c’est le côté "tu rues dans les brancards"…
Pozla : C’était vraiment ça au début. Le premier album quand on l’a écrit, on l’a pensé comme un one shot, on voulait y mettre tout ce qu’on avait envie. Et on se retrouve un peu dans chaque personnage : Jack, Hammerfist et il ne faut pas oublier Franck Ramos, qui est un peu le looser que chacun de nous est. C’est d’ailleurs à mon sens le personnage qui scénaristiquement est le plus intéressant, parce que c’est celui qui est amené à plus de changements et d’évolutions.
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El Diablo : Oui ! [rires] Et de plus d’enjeux. Donc on a deux singes qui se complaisent dans une certaine médiocrité quelque part ; ils sont heureux dans l’existence, sauf quand on vient les faire chier finalement, et on vient tout le temps les faire chier. Mais sinon globalement, ils sont content d’eux, ils vivent leur vie, alors que Franck Ramos, lui, c’est un déraciné, qui n’a qu’un seul but dans la vie : revenir de là où il vient par tous les moyens. Même la 3e Guerre Mondiale est provoquée par lui. Ca vient de lui à la base ; s’il n’était pas là, il ne se passerait pas autant de choses dès le début.
Pozla : Et sans oublier une toile de fond où chaque personnage a une relation au père un peu compliquée.
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Pozla : Ouais, ouais. Mais il veut tellement y croire et que son père soit fiers de lui.
El Diablo : Mais on en apprendra davantage dans le tome 3 sur la relation père fils.
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El Diablo : Au tout départ, j’ai donné l’impulsion, l’idée, et très rapidement on en a discuté ensemble. Ce qui fait que, autant sur le design, on en a parlé Pozla et moi pour être satisfait tous les deux, mais c’est quand même lui qui est aux pinceaux ; et sur l’écriture, de la même façon, moi, ce que j’écris est toujours soumis à son approbation. On se fait des ping pong jusqu’à ce que l’histoire nous paraisse à tous les deux satisfaisante ; c’est vraiment un travail en commun. On a chacun nos spécialités, mais c’est organique comme boulot ; c’est pas « j’écris le scénario, j’te le dicte » et « c’est toi qui dessine ». C’est vraiment un travail d’équipe, un bon binôme qu’on a mis en place. On travaillait déjà ensemble dans l’animation ce qui a facilité les choses quand on est passé à la BD où là on avait carte blanche et on était là pour se faire plaisir.
Pozla : Oui voilà. Ce sont de bons allez/retour, que ce soit sur le scénario ou le dessin, chacun a un regard et échange sur le boulot de l’autre.
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El Diablo : On le revendique ! [rires]
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El Diablo : C’est une très bonne question.
Pozla : En fait, le moment où on l’a présenté à Ankama, c’est un moment ou Ankama cherchait des nouveaux talents, des nouveaux trucs (c’était le début de la BD chez Ankama). On eu cette chance, parce que je suis pas certain qu’il y ait un éditeur maintenant qui accepte le projet, et que cela ait été aussi facile. C’est pas un coup bol ; on est arrivé au bon moment, avec la bonne équipe. Mais on sait qu’on aurait pu beaucoup plus galérer.
El Diablo : Mais en l’occurrence on n’a pas tellement galéré.
Pozla : Et en même temps, comme je te disais, nous on bosse dans l’anim’ en parallèle, et dans l’anim’ on a de grosses contraintes. Il y a énormément d’argent qui est mis sur la table, tu as les producteurs qui ont leur mot à dire, ça passe à dans des créneaux où il ne faut pas choquer, tu ne peux pas dire ce que tu veux… Pour nous passer à la BD c’était synonyme de liberté totale, on avait plus à se prendre la tête. Enfin, on enlève la bride et on raconte les choses comme on l’entend. Donc c’était ça pour nous l’intérêt de passer à la BD.
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El Diablo : Complètement. Le meilleur espace de liberté. Moi je viens aussi du cinéma, donc j’écris aussi entre autre des longs métrages. C’est très intéressant aussi, mais en terme de structure, tu dois te poser beaucoup plus de questions qui ne sont pas forcément d’ordre qualitatif, mais des questions de productions ; t’es obligé de te lâcher un peu moins. Alors que là on se lâche.
Pozla : La BD c’est un média plus propice à l’expérimentation, à tester des choses, comme les enjeux sont moins importants. Sur un film, ça passe par une chaine de validation de ouf, évidement, parce que ce sont des millions d’euros qui sont investis ; sur une BD c’est pas de smillions d’euros, donc l’éditeur peut te faire davantage confiance.
El Diablo : Quand il voit que tu maitrises plus, tu peux te permettre de plus te lâcher, et moi ça me va très bien !
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Pozla : Ba non… C’est compliqué…
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Pozla : Si c’est pour faire quelque chose de moins bien et de moins fort que la BD c’est pas la peine.
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Pozla : On est allé les voir. On aimait bien ce qui sortait, particulièrement le Label 619. Au niveau de l’objet, on trouvait que c’était de beaux albums, de bonne qualité. Enfin voilà, on avait l’impression de se reconnaitre un peu dans ce qui sortait, donc on a tenté.
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Pozla : On a pu avoir 2 pentones fluo sur la couv’, là, ce qui est un luxe !
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Pozla : Oui, c’est un peu mon défaut, j’ai une angoisse du blanc, une fâcheuse tendance à vouloir remplir l’espace. [rires]
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Pozla : En fait, graphiquement je m’y retrouvais bien. Moi je viens du graffiti, j’ai pas mal trainé dans les usines où tu as cette dualité urbain/végétal toujours en rapport de force, et moi ça me plait vachement, j’adore dessiner la végétation. C’est un peu du dessin automatique téléphonique ; pour moi c’est assez synonyme de détente. C’est assez jouissif de mêler végétation et architecture comme ça et ça fait pas mal écho à ce que je pouvais voir, l’univers dans lequel j’ai baigné ado.
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Pozla : Carrément, oui.
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El Diablo : Ensemble on a des projets. C’est pas encore fait mais on compte bosser sur l’univers de Monkey Bizness, sans forcément utiliser les deux personnages principaux, mais Los Animales. Parce qu’on estime qu’il y a encore plein de choses à raconter avec tout ces personnages secondaires qu’on a mis en place, etc. Ca ne serait pas forcément le même format, tout en gardant l’esprit bien sûr, mais ça serait d’autres histoires avec d’autres personnages.
Pozla : Oui faire des Spin off de personnages, parce qu’on a posé plein de personnages secondaires, qui apparaissent juste ou qui disparaissent. Donc voilà, ça serait intéressant de développer tout ça, on a encore plein de trucs à raconter.
El Diablo : Sinon à titre personnel je suis en train de bosser avec Cha sur un 2e album, toujours chez Ankama, après le petit succès qu’on a eu avec « Road trip »
Pozla : Moi, j’ai quelques projets dans les tiroirs, dont un projet autobiographique sur lequel je travaille, sur des histoires de santé ; je suis en train d’essayer de vendre à qui veut bien !
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