Auteurs et autrices / Interview de Mathieu Lauffray
Il y a tout juste 1 an sortait le dernier tome de Long John Silver. Nous avons rencontré son dessinateur à Angoulême pour décortiquer la série sous tous les angles. On y parle de couvertures, de fantasmagorique, de versions antérieures du scénario, de critiques … Une interview enrichissante comme on les aime !
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Il possède une vitalité, une force hors norme mais son corps l’abandonne. Reste son caractère… il est à la fois organisé, il veut avoir des plans, faire comme il faisait avant, manipuler, planifier les choses à l’avance, manipuler son petit monde comme il le souhaite. Mais il est de plus en plus piloté par ses pulsions, par ses colères, par ses frustrations, par sa tristesse. Quand il perd Jack ou quand le capitaine le cherche un peu trop, il commet d’incroyables imprudences. Sans doute parce qu’il n’est plus dans le contrôle comme auparavant. Il est malade, blessé et il n’a plus tous ses moyens. Ça lui donne ce côté excessif, à fleur de peau qu’on ne lui connaissait pas dans l’île au trésor. Nous avons poussé ce trait jusque dans le dernier album où il est vraiment plus noir, plus violent, plus tourmenté encore. C’est là que chacun pousse ses limites et que la vérité des personnes se fait jour. A ce stade toutes les réactions atteignent des niveaux de levier démentiels.
Au cours de la réalisation des albums avez-vous gardé un exemplaire de l'île au trésor à portée de main ou au contraire avez-vous essayé de vous couper du roman pour donner votre propre vision des personnages ainsi qu'un style personnel à la série ?
C’est plutôt ça, c’est une lecture d’enfance qu’on a faite il y a longtemps et qui nous avait marqué profondément. En partie je crois parce que le personnage de Long John est un pirate profondément atypique. Ce n’est pas le héros flamboyant qui saute d’un mat à l’autre, ou qui va accomplir des exploits physiques invraisemblables. Il doit procéder différemment. Cet aspect nous intéressait d’avantage que de retranscrire l’esprit de l’époque. Long John a toujours été un roublard, quelqu’un qui est dans le contournement et la manipulation. Il a 20 ans de plus, l’ère de la piraterie s’est arrêtée, ou du moins elle est mourante. Les états ont repris possession des terres et des mers. Il n’y a plus aucune possibilité pour un pirate de faire sa vie, donc ils se sont faits corsaires, se sont planqués et ils attendent la mort. C’est un climat beaucoup plus crépusculaire et plus vieillissant que sur le roman d’origine qui est un roman léger, familial et très solaire. On ne voulait pas se remettre dans ce climat là. Nous voulions quelques chose de plus sombre, beaucoup plus romantique, beaucoup plus tourmentée, beaucoup plus expressionniste. C’est pour ça qu’on l'a fait vieillissant, blessé, malade mais désespéré de pouvoir faire un dernier coup d’éclat qui le ferait rentrer dans l’histoire de la piraterie. Nous nous sommes vite éloigné du roman.
Comment marche le travail sur les couvertures ? Xavier te donne des pistes ou tu les bosses tout seul ?
C’est très variable, cela dépend. Là par exemple, vous vous rappelez peut être d’une peinture du tome 1 où Long John est à la table. C’est une peinture qui est à la fin des albums où il est assis dans une taverne, dans les tons rouges et noirs. Cela devait être la couverture du tome 1. On sentait que ça ne fonctionnait pas, c’était une image sympa. Elle était juste un pouvoir d’évocation d’atmosphère. C’est Xavier qui, le premier a eu l’idée de faire ce personnage de dos, une couverture. Xavier a un talent très particulier, c’est qu’il sait à la fois être dans la conception de la série et l’écriture mais il sait aussi être le lecteur. C’est très difficile parce que lorsqu’on écrit ou qu’on dessine on est en immersion. Donc on essaye juste de résoudre des problèmes liés à ce qu’on a à résoudre. C’est un processus long et on peut perdre de vue qu’au final, tout est réunis dans un livre qui va être embrassé en quelques secondes et lu en une demie heure. Et il n’y a que la synthèse qui compte au final. Et sur les couvertures il a une très bonne lecture de ce qui va être le point d’orgue d’un album et de la chose qu’il faut communiquer en priorité.
Ce n’est pas courant de voir un personnage de dos sur une couverture
Ce n’est pas courant, surtout en BD, ça devient un peu plus habituel en cinéma. Dans notre cas, ça donne une promesse assez intrigante. C’était un peu fou dans l’idée, c'est-à-dire y’avait pas de sujet, pas de présentation de héros, pas de vraie mise en place du genre, c’est un tricorne mais ça ne dit pas forcément piraterie. On a réfléchi, et je me suis dit que ce serait au logo de communiquer sur le genre pirate. Tandis que l’image disait « attention quand ce gars-là va se retourner, il va se passer quelque chose ». Et du coup l’ensemble a donné une dynamique satisfaisante.
Et sur les albums suivants, elles vous sont venues comment ces couvertures ?
La couverture du tome 3 c’est ma création, intégralement. C’est moi qui l’ai suggérée et qui ai amené la chose, tout comme celle du 2. Celle du 4 on y a pensé ensemble. Il n’y a pas de règle en fait. C’est trouver l’image qui va faire l’évidence. Nous sommes convaincus que la couverture représente l’épine dorsale du livre. C’est quelque chose auquel on tient beaucoup, c’est que la promesse faite soit tenue. C'est-à-dire qu’il ne faut pas d’écart entre la couverture et le contenu. Si on donne un signal d’évidence sur la couverture il ne doit pas, en aucun cas, être décalé par rapport au contenu du livre. Cela fait partie des pires déceptions qu’on puisse infliger aux lecteurs. On parle beaucoup avec Xavier des couvertures, c’est un processus long et appliqué.
Comment se déroule la collaboration et la répartition des tâches entre Xavier et toi ? Qui décide de la mise en page, du nombre de cases par pages, de l'emplacement des doubles planches, etc...
Pour ce qui est du gaufrier spécifique, c'est-à-dire de l’importance à donner à chaque séquence, je donne une interprétation. On co-écrit les scènes, on parle des intentions de manière très approfondie. Sur les 3 ans d’exécution du dernier tome, on a passé quasi un an et demi d’écriture. On a vraiment passé beaucoup de temps pour comprendre la psychologie des personnages, et définir l’émotion des scènes. Nous ne sommes pas dans du polar ou de l’espionnage, pas dans de timings chronométrés, etc… C’est un récit pulsionnel mêlant / action / réaction. Il faut que les personnages aillent un coup à gauche, un coup à droite, improvisent, changent leurs plans en permanence ! Et donc pour essayer de faire tenir tout ça, il faut que l’émotion de la scène passe. L’idée est que dans la panique de l’instant, tu te dises que tu réagirais un peu comme eux le font. Ensuite, on ressoude les morceaux, mais c’est assez difficile à monter. Par moments avec Xavier ont avait écrit une version qui était beaucoup plus cartésienne et qui allait beaucoup plus vite, c’était plus facile à faire. Le problème c’est qu’on avait du coup une succession de péripéties de surface sur lesquelles on subissait une frustration émotionnelle.
En plus on est dans le feu de l’action, il n’y a pas cette possibilité de prendre du recul ?
Non, il n’y a pas d’arguments dans le sens où les décisions sont rarement logiques. C’est « qui m’aime me suive », si vous avez des couilles vous venez, si vous croyez en moi vous venez, etc… Ils ont eu tort sur toute la ligne, tous les plans se sont cassé la gueule, il n’y a plus de navire, plus d’équipage, c’est la cata ! On ne peut plus considérer qu’on suive une épine dorsale cohérente. Donc les personnages, ils vont juste entre désespoir, renoncement et foi dans l’idée qu’il y a encore un dernier truc à tenter pour s’en sortir. Faire des récits où on est tellement sur le fil en permanence donne ce ton très particulier à ce bouquin qui fait vraiment dans l’outrance, dans le fantasmagorique, dans la violence, dans les excès.
Quand on regarde les couleurs des planches il y a une vraie atmosphère. Par exemple quand ils sont en Amazonie il y a une torpeur qui ressort. Comment est-ce que tu bosses sur ces couleurs ?
D’abord j’aime ça, depuis toujours. J’ai toujours travaillé les atmosphères, le climat, le pathos, l’émotionnel. Comme je parle par l’image, il fallait que je trouve quelque chose qui le dise et qui le transmette de manière évidente. J’aime bien ça. Le fait de travailler dans le cinéma m’a aussi sensibilisé à cela. La couleur en bande dessinée est quelque chose qui est souvent utilisée pour détacher les éléments les uns des autres. Mais moi je viens de l’autre côté, de là où la couleur est un élément émotionnel, c'est-à-dire un élément qui va créer un climat ou une atmosphère qui va définir une heure du jour, une température, un niveau d’anxiété ou d’apaisement. C’est tout à fait un autre système de couleur. Si vous faites attention, les séquences dans Long John Silver ont des harmonies colorées par scènes. C’est très important, ce n’est pas une harmonie constante, la couleur des peaux va changer, la couleur des costumes va changer légèrement, et tout va suivre cette évolution émotionnelle. On va de quelque chose de calme, à quelque chose d’épique, de violent, les tons vont se réchauffer. La couleur est un vrai élément de narration et de transmission d’émotions.
C’est une forme d’exacerbation des personnages ?
Nous sommes un peu des expressionnistes, ce qui fait qu’on se focalise sur l’état d’esprit des personnages. Et s’il est en colère, l’environnement est en colère. Si le personnage est calme, l’environnement le sera également. Tout est constamment déformé et twisté par son regard. C’est pour cela qu’il y a de telles variations chez Long John Silver, tout est lié au pathos. Ce qui suggère que le monde autour n’existe pas vraiment. Il n’existe que dans la façon dont il est perçu. C’est assez particulier comme façon de raconter, car bien souvent on raconte une vérité aussi objective que possible. Là, le décor n’est là que pour mettre en avant la claustrophobie, la puissance, l’espoir, la joie, la colère, et tout le graphisme, le dessin de l’environnement sont là pour le transcrire. Et je pense que 9 auteurs sur 10 fonctionnent rigoureusement à l’inverse et décrivent des vérités dans lesquelles il se passe des éléments identifiables, ces éléments identifiables génèrent des émotions.
On le voit dans la scène finale, Long John est sur son trône au milieu de son or, il y a de la chaleur mais en même temps de la froideur de par sa résolution de rester là …
[SPOILER] Il y a la froideur de la catastrophe, car cela se termine en absolu désastre. Il voulait non pas son trésor car il s’en fiche fondamentalement, il va mourir. Mais il voulait pouvoir dire : « c’est moi qui ai réussi. » On est dans les figures du genre, il n’y a absolument aucun doute, notamment dans sa dernière scène avec le docteur Livesey, on avait une vraie réflexion depuis le début : pourquoi des personnes se lèvent et vivent des aventures incroyables ? C’est le point d’orgue de Livesey qui est un docteur, qui vit tranquillement chez lui. Pourquoi diable a-t-il voulu aller dans un univers qui n’est pas le sien, dans un monde où il n’a ni les clés, ni les solutions, où il ne sert à rien ? On voulait essayer de remettre ces gens dans un contexte hors norme.
Avez-vous fait beaucoup de travail de documentation pour tout ce qui a trait aux aspects pirates et maritimes ?
Non ! Et oui… J’ai été au musée de la marine et j’en ai parlé avec Pellerin, auteur de la série « l’Epervier ». En effet son travail me fascine, notamment par le soin qu’il apporte aux aspects historiques. On en parlait une fois notamment et il me disait « oui, oui… moi j’ai beaucoup étudié, c’est vrai que ça a atteint des proportions folles et qui sont merveilleuses parce qu’ils sont autant un document qu’une réalité de la vie de l’époque. » Et du coup, je me suis dit qu’il y a deux façons de raconter les histoires : soit on les rend crédibles par la reconstitution, « voilà comment ça se passait sur un navire », ce qui est un axe qui fonctionne formidablement bien et qui est, de plus, utile et pédagogique. Moi, je suis dans l’expression picturale, donc la dramaturgie alimente cette expression picturale dans un opéra permanent de mouvance et d’émotions. Ce qui implique peu de documents, car les documents me contraindraient à une forme donnée. Je veux rester libre de mes formes.
D’où vient cette façon de travailler ? C’est une formation, une sensibilisé ?
C’est une sensibilité. Je lis, j’écoute, je ressens et je fais. C’est aussi simple que ça !
Qu’est ce qui a déterminé que vous alliez réutiliser tel ou tel personnage de l’Île au Trésor ? Pourquoi Livesey et pas Jim par exemple ?
Parce que Livesey est un personnage qui a un message évident : c’est le contraire de Long John. C’est quelqu’un d’organisé, c’est quelqu’un de tranquille, il est totalement inscrit dans la vie de la société et du monde, qu’il l’aime, qu’il respecte. Il trouve que c’est bien de vivre avec un système organisé dans un groupe et de se plier aux règles de la société ; alors que Long John est l’inverse absolu. Il nous fallait un chroniqueur qui soit toujours en possibilité d’être à la fois exalté par les exploits du gars, et à la fois d’être le garant de la moralité. Il fallait un regard extérieur, qui rappelle à quel point ces pirates sont fascinants mais ce sont des fous dangereux. Il y a une raison pour laquelle ces gars-là disparaissent, c’est que hors contexte totalement extrême, ils ne peuvent pas vivre parmi les gens. Ce n’est juste pas contrôlable. Livesey est quelqu’un d’aimable, de très ouvert et de très intrigué par tout ça. Il est partagé entre le fait de vivre la vie de ces hommes qui font tout ce que lui n’a pas le courage de faire, et en même temps bien réaliser que ce n’est pas sa vie.
Pourtant il le fait…
Il est embarqué et il passe son temps à se plaindre, à critiquer les abominations dont il est spectateur… Mais c’est le théâtre des abominations. Aller sur un navire de ce genre pour une mission de piraterie : Bien sûr qu’il va se passer des choses horribles. Ces gens sont des impulsifs, ils se dérouillent dans les tavernes, ils sont le contraire du raisonnable, le contraire de la construction, c’est le principe du pirate. C’est au jour le jour, il n’y a pas de futur, il n’y a pas d’avenir. C’est l’anarchie absolue ! Long John Silver est un anarchiste convaincu et Livesey est un homme du monde. Donc cela permettait d’avoir une « action/réaction » entre deux personnes qui sont des opposés, qui se respectent, mais qui à la fois ne peuvent pas s’empêcher de se confronter tant leurs visions du monde sont différentes.
Pourquoi avoir choisi d'utiliser Long John Silver comme personnage central et pas Livesey, qui finalement raconte l’histoire à travers son prisme ?
Nous avions besoin d’un héros charismatique qui porte en lui cette fêlure, pour en faire un personnage imprévisible et impulsif. Il peut nous surprendre et cela me convient car, pour moi, la piraterie est un exercice de style lié au tempérament et pas au calcul, pas au plan. Donc Long John est parfait pour le faire. Mais on peut légitimement se poser la question de pourquoi Long John et pas un autre pirate qui aurait eu les mêmes caractéristiques ? Je peux vous dire que maintenant, je ne suis pas très sûr que ça ait été la meilleure idée du projet. Parce que je pense, et mon petit regret est que j’aurais finalement en terme de sensibilité préféré qu’on fasse le même personnage, mais qu’on en fasse un pirate français, qui ne soit pas du tout relié à l’Île au Trésor, et en faisant les mêmes fêlures, à la même époque, le même système mais en partant de Saint Malo ou de La Rochelle… En faisant exactement la même histoire, mais en recentrant l’aventure à la façon d’un vrai pirate français. C’est quelque chose qui me titille maintenant et je n’aurais aucune réponse crédible à faire si ce n’est que c’est comme ça que Xavier Dorison l’avait écrit. Par ailleurs c’est toujours merveilleux de revisiter un souvenir d’enfance et lui donner son interprétation. Mais c’est peut être encore plus merveilleux d’essayer de se recréer un fantasme et un imaginaire sur ce qu’a pu être la piraterie dans les ports français du XVIIIe qui est quelque chose que je visualise mal et sur lequel ça m’aurait intéressé de donner une vraie incarnation, quasiment pour la première fois.
On a l’impression que Long John Silver a envie de laisser une trace, de marquer l’histoire à sa façon, non ?
C’est une théorie qu’on a développée sur plusieurs éléments de la série, un des enjeux fondamentaux de Long John Silver. Il aurait pu rester dans sa cave à attendre que ça se passe, à boire des coups. Mais il est obsédé par l’idée de laisser une trace. Ce que les pirates ne font pas en général. Ils ne pensent pas à l’avenir, ils se fichent complètement d’entrer dans l’histoire ou dans la postérité. Un pirate vit au jour le jour, il ne s’intéresse pas au reste. Et lui pas ! Il n’a pas d’enfant, il n’a pas de descendance. Il ne peut pas transmettre, donc il cherche toujours une façon de marquer les esprits et de rester. Ou alors, accomplir un exploit d’une valeur historique d’une telle ampleur qu’on se souvienne de lui et on le voit à la fin quand il dit : « vous pouvez venir me chercher les mecs, le plus grand trésor de tous les temps, il est pour moi et pour moi seul ». Donc il sera là, il va crever, il fera un squelette magnifique sur son trône. Et voilà, c’est sa façon de marquer son temps. De toute façon il n’est pas fait pour vivre la vie des hommes, et il n’aurait jamais pu avoir d’enfant et s’en occuper. Il n’aurait jamais pu être ce mec-là l’aurait-il vraiment voulu. Tout ça participe à cette détresse de fauve blessé toujours sur le fil du rasoir.
Lors de l'introduction du personnage de Paris on a le sentiment qu'il va être un protagoniste important, qu’ils ont peut-être un passé commun avec Long John, mais ensuite on ne le voit presque plus, pourquoi ?
Paris, mis à part les quelques fidèles de Long John, est le seul qui a connu Long John auparavant, il le connait. Il représente un gros danger pour Long John parce qu’il ne doit pas être démasqué. On est à un moment de l’histoire où il faut que sa combine marche, il avance masqué. A la fin du tome deux, Long john déchaine les enfers, il casse tout, passe tout à la baille, balance la carte, et tue le capitaine pour s’emparer du navire. A ce moment-là, à ses yeux, Paris est le responsable de l’origine de la catastrophe et donc il faut qu’il s’en débarrasse. Ca ne se voit peut-être qu’un peu, mais il est une sorte de relais vers le personnage de Jasper, qui, quelque part devient la brute qui a un avantage et qui va oser affronter Long John. Mais c’est une sorte d’électron libre qui n’a pas la connaissance du passé de Long John. Il peut faire avaler des couleuvres à qui il veut, ce qui n’est pas le cas de Paris.
Le scénario était-il initialement prévu en 4 tomes ou y a-t-il eu des ajustements en cours de route ?
[SPOILER] Plein, mais c’était prévu en 4 albums dés le départ. Sinon cela a été de la réécriture constante. Par exemple: sur la version originale qu’avait écrit Xavier, Guyanacapac était inhabité. Il n’y avait personne. Il y avait Byron qui est un pirate, et donc on avait deux bandes rivales de pirates qui allaient s’affronter dans les ruines de Guyanacapac. C’est moi qui ai tenu à ce qu’on ait un folklore vivant existant dans la cité. On peut contester mais c’était ma vision. Et on s’est mis à réécrire la chose pour aller vers cette hypothèse-là. Globalement ma théorie c’est que, si on amène les gens au bout du monde, ça n’est pas pour avoir une bataille rangée comme on aurait pu l’avoir au fin fond de Bristol. C’est pour avoir un contexte spécifique, avec des opposants spécifiques, des valeurs spécifiques et différentes. Ce qui fait alors que les codes de la piraterie ne marchent plus, les codes militaires ne marchent plus, tous les codes qu’on peut rencontrer ne marchent plus, c’est ça qui nous intéressait.
Si ce n’est pas habité dans la première version du scénario, il y a quand même l’indien qui les trahit ?
[SPOILER] Il les trahit, mais il était à la solde de Byron, c’est quelqu’un qui devait les amener là. Il faisait venir un navire et il faisait buter les habitants du navire.
Ce changement il s’est répercuté jusqu’à la venue de Lady Hasting puisqu’au final elle devient la motivation… Ils ont besoin de l’enfant qu’elle porte…
[SPOILER] Ah ça oui ! Le niveau de conflit a été décalé, à l’origine le fait qu’elle soit enceinte était un élément terrorisant pour elle puisqu’elle allait se retrouver confrontée à son mari et enceinte évidemment de quelqu’un d’autre que lui. Et vu le tempérament du gars, ça allait être un peu compliqué. C’est pour ça qu’il fallait que Long John le bute aussi vite que possible. Mais il y a eu plein de versions. On pourrait parler des heures de ça. Maintenant, Byron meurt si je schématise. Mais il y a eu des versions où il tenait jusqu’au bout ; mais on se retrouvait avec le problème d’avoir deux méchants qui cohabitaient entre Moxtechica et Byron et c’était un petit peu compliqué. On a eu aussi des options où Byron était mort dès le départ, c’est-à-dire qu’il était le premier à se faire blouser par l’indien et par la tribu et donc quelque part, toute la manipulation avait été intégrale. Mais dans ce cas, on perdait la confrontation avec Lady Hastings, ce qui nous embêtait. Alors on a trouvé cette solution qui permet de faire que chacun aille résoudre son problème un peu dans l’ordre d’apparition.
C’est hyper intéressant car le public n’a eu qu’une version de l’histoire et du coup vous qui avez dans vos têtes toutes ces versions, ça vous travaille encore aujourd’hui d’avoir dû faire ce choix plutôt qu’un autre ?
Bien sûr, c’est un vrai problème. Je sais qu’il y a une version qui existe mais je ne sais pas vraiment laquelle vous avez lue en fait (rires) ! J’ai travaillé longtemps sur cette version là, mais en faisant des arbitrages progressivement.
Vous ne relisez pas les autres versions ?
J’ai tout en tête, je pourrais vous raconter toutes les versions de bout en bout. Le truc c’est qu’on a fini par en choisir une mais c’est très difficile pour moi d’imaginer que vous avez lu ça en faisant abstraction de tout ce que j’ai dans la tête. Bon, ça a été bien reçu, même s’il y a eu des critiques négatives évidemment, de par le fait qu’il y a beaucoup de fantasmagorie notamment.
On peut justement parler d’ésotérisme plus que de fantastique ou de science-fiction.
Le vrai terme c’est fantasmagorie. Car tout est sous substance, c’est-à-dire que le fantastique serait avéré s’il y avait plusieurs témoins d’un phénomène surnaturel. A partir du moment où quelqu’un a pris des champignons ou des drogues seul et qu’il part dans ses délires, il est drogué. Comme on est en Amérique du sud et que MOC est shaman, clairement il drogue ses victimes pour susciter des hallucinations, qu’ils voient des nanas magnifiques, au lieu d’un abîme dans lequel ils vont aller s’effondrer. Moi ça m’a permis d’occasionner des visions dantesques que j’aime parce que ça transmet une émotion qui m’intéresse. Mais je sais que dans l’appréhension du genre, certains lecteurs ont été très surpris des libertés qu’on a pu prendre par rapport au tome 1, qui était quand même un récit d’aventures historiques, qu’on aurait pu rapprocher des passagers du vent, par exemple.
Le roman original ne s’aventure pas du tout sur ce terrain.
L’île au trésor n’est absolument pas là dedans. Mais par exemple quand on lit du Conrad ou du Bob Morane ou du Howard, on est très fréquemment dans ce genre de chose. Il y a des sorciers, il y a des rêves, il y a des cauchemars, des choses comme ça qui sont racontées et dans tous les Long John Silver, depuis le début, il y a des pouvoirs d’évocation un peu mystérieux. La façon dont il raconte le récit, avec les hommes sans tête qui errent dans les cités hantées, la couleur est annoncée clairement. Dans le tome 2, Lady Byron fait une espèce de délire où elle se noie dans de l’or avec Byron qui la toise et qui rit en la voyant mourir. Dans tous les albums, on amenait l’idée que là-bas, il se passait des choses extrêmement particulières. Néanmoins, l’ampleur qu’on a donnée au phénomène entre les alignements cosmiques, les monstres dans les mondes souterrains … il y a eu des surprises !
Il y a aussi les varans géants qui ont peut-être aussi surpris pas mal de monde ?
Oui il y a un aspect subjectif. J’ai fini par comprendre que le public est souvent d’avantage dans l’attente d’un genre existant que dans une proposition d’auteur libre. Si l’on veut lire du fantastique on achète les auteurs qui en font, si on veut de l’aventure pirate, on fait de même. Mais si l’on croise les deux, on trahit une promesse tacite et le public se sent trahi. Or je mets TOUJOURS du fantastique ou de l’étrange dans mes livres. Ce serait donc surprenant qu’il n’y en ait pas. Mais le lecteur attendait un récit pirate dans la tradition du genre et s’est retrouvé pris de court. Xavier l’avait d’ailleurs senti venir et était plutôt hostile à ces déviations. Moi je vis dans mon monde et je parle de mon monde. Alors que Xavier parvient à garder un regard extérieur et il se rend compte de l’attente du public. Moi je parle juste de mon univers. Vous avez lu Le Serment de l'Ambre, vous avez lu Prophet, il n’y a pas de surprise. Je suis moi et je raconte des trucs qui me plaisent. Mais la plupart des gens qui ont lu Long John Silver sont des gens qui ne me connaissent pas, et ne sont pas forcément intéressés par l’itinéraire que j’ai pu avoir par ailleurs. Ils sont intéressés par des histoires de pirates et d’aventures. Donc, ils ont pu être déconcertés par ce qui me parait à moi totalement linéaire et naturel mais qui, si on suit la réponse au genre a clairement légèrement dévié.
Justement, sur BDTheque, une des dernières critiques négatives disait : je ne comprends pas où ils ont voulu aller…
J’ai parfois l’impression que les Français sont des cartésiens et reconnaissent comme intelligentes les choses pour lesquelles ils peuvent reconstruire le schéma de manière objective. Ils sont très déstabilisés quand on part dans le fantastique ou le merveilleux qui est immédiatement relié à l’enfantin. Je crois que c’est moins le cas dans les pays anglo-saxons et même en Asie. Le rapport au conte, au légendaire et au surnaturel, qui n’est pas là avéré, et je le répète, est totalement évident, fluide et fonctionne comme inhérent au genre. Ce n’est pas du tout le cas chez nous. Chez nous, la plupart des séries à succès ou des feuilletons populaires, c’est totalement documenté, historique, sérieusement fait. Là il y a eu une sorte de risque qui a un peu déstabilisé. J’ai souvent entendu ce procès d’intentions: quand on ne sait pas quoi raconter, on part dans des délires fantasmagoriques, et en gros on fait un peu n’importe quoi. J’ai aussi entendu que nous avions torché ce dernier album. Il nous a demandé 3 ans de boulot non-stop, avec au moins 15 versions de scénarios différentes, on a craché nos tripes de bout en bout. Il est peut être foiré, mais il est vraiment pas torché ! Le dessin est peu soigné ? La couleur est peu soignée ? Tout est peu soigné… Les albums sont en progression graphique constante depuis le tome 1 c’est vrai. Mais ce n’est pas un récit de gangsters. Nous ne sommes pas pas dans des codes cartésiens d’intrigue.
Les critiques comme on peut en trouver sur BDTheque, c’est quelque chose que tu regardes, qui te touche ?
Oui, bien sûr. C’est dur quand c’est négatif. Pour moi la bd est un travail absolument viscéral. S’il y a un truc qui a plu, je crois dans Long John Silver, c’est l’évidente générosité du projet. Il y a des envies, des ambitions. C’est un travail d’exposition personnel très fort. La fragilité que l’on a quand on envoie un message aussi sincère, quand il est mal perçu, est qu’il peut être jugé comme un travail strictement commercial ou torché ou ….Si nous avions voulu faire un projet strictement commercial, nous aurions cadré d’avantage et limités les écarts de genres. Il aurait fallu conserver la ligne historique-action-aventure. Tout est risqué dans Long John Silver.
Le problème est qu’il n’y a pas tant de sous-catégories que ça. Le projet a été défini comme un produit main stream grand public, ce que ce n’est peut être pas tant que ça. Pour moi, faire une œuvre bizarre et déviante et arriver à toucher une centaine de millier de lecteur, c’est assez miraculeux. Et c’est déstabilisant à la fois de voir que les gens attendaient autre chose, alors qu’il me semblait que l’on envoyait un signal assez clair dès le départ. Mais je comprends la nature des réserves.
Est-ce que ça ne peut pas être lié au positionnement de l’éditeur de la bd. Est-ce qu’un éditeur ne biaise pas le lectorat ?
Très bonne question ! Je pense que l’éditeur est aussi une promesse liée à ses publications précédentes. Etre chez un éditeur n’est pas neutre et vous lie à son catalogue. Je pense qu’il faut accepter que l’édition, la production cinématographique soit en fait une sorte de pipeline, de canal par lequel passe des promesses parallèles. Certaines nous emmènent vers la comédie familiale, vers la comédie sentimentale, vers le drame, vers l’action ou l’avant garde. Il faut savoir très précisément dans quelle cours on se situe si l’on veut être bien compris. Long John est quelque part dans un système déviant, entre le récit historique et fantastique. De plus mon dessin me paraît plus chaotique que d’autre dessinateurs de séries à succès. Je pense simplement que long John n’a pas de précédents et en devient déstabilisant pour certains. En revanche il y a des fans, des lecteurs qui ont adoré ça, cette énergie, cette folie parfois qui en fait une série particulière. J’ai aussi entendu une critique qui avait particulièrement apprécié le travail d’écriture sur les personnages. Cela m’a fait plaisir.
On ne peut pas penser à Thorgal ?
Ah il y a une filiation par l’aventure c’est certain ! Et là aussi il y a de l’irruption de fantastique mais qui est liée au genre héroïque fantaisie probablement. Mais Thorgal me paraît moins tourmenté, plus solaire. Il y a certes des choses graves qui peuvent se passer, mais c’est plus limpide, moins torve. Long John Silver est un peu plus particulier dans son mélange des genres. D’un point de vue éditorial, il me semble que le travail a été aussi bien fait que possible. Il y a simplement une étrangeté intrinsèque au projet qui empêche d’aller au-delà d’un certain niveau public. C’est très intriguant. C’est à la fois main stream et à la fois bizarre, ce sont nous les auteurs, qui ont un positionnement particulier. C’est donc miraculeux d’avoir pu fédérer comme ça, je le prends comme une vraie originalité et une vraie chance. On aurait peut-être été plus à notre place dans Metal Hurlant que dans Pilote !
Quels sont les chiffres de ventes de Long John ?
On vient de passer les 130 000. C’est une bonne vente.
Un mot sur votre collaboration précédente Prophet qui s'est arrêtée au 3e tome. La suite verra-t-elle le jour chez un autre éditeur ?
Je le termine. (NB : interview réalisée le 31 janvier 2014) Le tome 4 est terminé depuis mi-janvier. Donc il sortira en avril, la couverture est faite. Je suis en train d’en faire la couleur. Ca sortira chez Delcourt/Soleil. Et l’éditeur ressort et réimprime tous les albums. La série va reprendre une petite jeunesse, on refait aussi toutes les couvertures. Le tome 4 sera le dernier. Je vais donc être libre.
Prophet était une série qui vous tenait à cœur ?
Ah oui ! Vous verrez le tome 4 est tout sauf une sortie technique. J’ai tout donné sur le tome 4 et en terme de bizarrerie, vous serez servi.
Ca suit la lignée de Long John Silver ?
Il y a eu un débat sur bdgest qui était intense sur le sujet Long John Silver. Un lecteur de la série considérait que 3 ans d’attente pour un album torché était scandaleux et que nous autres, auteurs, devions avoir hâte de passer à autre chose. Cet avis suggérait que le fantastique serait une porte de sortie paresseuse. J’ai fait une réponse laconique précisant que les amateurs de Long John Silver 4, devraient se ruer sur Prophet, car ils vont probablement adorer mais que les autres feraient aussi bien de passer leur chemin. C’etait une façon de dire que ma ligne de travail est ce qu’elle est, qu’on peut l’approuver ou la rejeter mais qu’elle est toujours impliquée et sincère. Prophet ne va sûrement pas fédérer comme Long John Silver, mais le message sera limpide, clair et compris dès le départ pour ceux que ça va intéresser.
Quelles sont tes références en matière de BD ?
Vaste question !! Pour moi, le conteur absolu, celui qui arrive à me faire ressentir exactement ce qu’il a envie de me faire ressentir par la bd et par le dessin, c’est Loisel. Il est pour moi capable de me faire rire, de me foutre les boules, de me mettre dans une violence insoutenable, de me montrer des choses aussi tendres qu’implacables. Je trouve le spectre émotionnel de ce gars-là miraculeux. Outre sa capacité à raconter par la bande dessinée, il peut montrer l’émotion. Dans le contrôle, pour moi Hergé est relativement insurpassable. J’aime les bds qui me travaillent après les avoir refermées. J’aime ce qui m’est fertile. Long John est un monde qui m’habite. Je ne sais pas ce qu’on en perçoit quand on lit le livre, mais des pistes qui s’ouvrent et j’aime ça. Je ne suis pas flatté ou rassuré intellectuellement lorsque tout est bouclé, clos. J’écoute beaucoup plus de blues déglingué que de tubes standardisés de 3 minutes !! J’aime bien quand Hendrix ou Popol Vuh développent leurs morceaux sur 12 minutes, j’aime que les choses poussent et évoluent. Les faits m’emmerdent !
Tu travailles sur d’autres supports ?
Oui, le cinéma, l’animation et la peinture. L’animation un petit peu à l’époque où Alex (Alice) travaillait sur son Siegfried en animation. Mais maintenant, j’ai envie de creuser mon sillon. C’était sympa de faire un peu de cinéma, de jeux vidéo, mais maintenant, je veux raconter mieux ce que j’aime ! Trouver le sujet et le poser. Je pourrais repartir dans de l’aventure et du pirate, parce que je m’y sens bien, mon style s’y trouve bien. Sur Long John j’ai trouvé un type de récit d’aventure qui sonne et dans lequel je pressens un potentiel, une voie à creuser. Beaucoup de lecteur m’ont confié ne jamais avoir vu les pirates comme ça, et ils en redemandent. Donc ça veut dire quelque chose, que moi sur du baroque ça fonctionne, me mettre sur du récit de scandale financier, je ne suis pas sûr que je serais totalement à ma place. Mais le pirate, stylistiquement ça le fait. Quand je fais un tricorne ou un bateau, on est dans l’aventure, on est dans le grand souffle du large et c’est ça qui a marché dans Long John Silver. C’est la force d’évocation émotionnelle, ce genre qui prend le truc à pleines dents et qui y va. Peut être serait il dommage de laisser cela en friche.
On pourra imaginer une collaboration avec Alex Alice dans l’avenir ?
Nous travaillons en atelier avec Alex Alice. Je crois qu’Alex et moi avons besoin de nous prouver des choses. Nous sommes constamment un peu l’œil sur l’épaule de l’autre, et c’est positif car nous sommes clairement de la même famille. Mais moi maintenant, j’ai d’avantage envie d’être en recherche, en expression. J’ai envie de dire des bonnes choses. Long John Silver est fertile et généreux. Maintenant j’ai envie de faire un album mature et en place.
C’est une forme d’expression qui est soumise à une critique constante….
C’est le piège, car les gens qui m’aiment, le font souvent car ils trouvent quelque chose dans mon travail qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Parce qu’il est spécifique. Il est à la fois main stream et déstabilisant, intense et on peut dire foireux sur certaines choses, mais il y a un quelque chose. Et maintenant c’est mon boulot de le mettre là où il sera le plus en résonance. Votre question de tout à l’heure était pertinente, à savoir est ce que l’éditeur a bien su comprendre quel était ce travail et a bien su le mettre en avant. C’est avant tout à moi de faire ce travail, pas seulement à l’éditeur. C’est à moi de choisir un sujet qui fera que tout le monde sera en accord avec le signal que je vais envoyer. Et si j’essaie de leur faire croire que je vais faire le prochain Thorgal, ou le prochain XIII, je mets tout le monde dans l’erreur. Et si je leur explique que je vais faire du Chabouté ou que je vais faire Blast, je vais aussi les mettre dans l’erreur. Mon boulot c’est de dire : « c’est ça que je vais vous faire ! », et c’est précisément ce que je suis incapable de faire aujourd’hui.
Une BD comme long John ça va te coller, non ?
C’est à la fois un phénomène et un non phénomène. C’est à dire, je viens à Angoulême pour 4 jours, et je dois avoir deux interviews. C’est quasiment zéro presse ! Zéro prix, zéro nomination. Et à la fois quand j’ai des interviews, j’ai des questions qui n’ont pas l’air en accord avec ça. On revient à un problème de signal, le signal n’est pas clair. C’est mon boulot de le clarifier. On ne fait pas un album à 130 000 sans susciter le moindre intérêt… Cela dit soyons cohérent, la presse relaie l’actualité. Or des albums de divertissement comme les nôtres tournent le dos à la vie du monde et prônent l’évasion. Il est normal qu’à refuser le monde contemporain, il se désintéresse de nous. Je vous garantis que si mon prochain livre parle des journalistes, je serai bien mieux relayé, quel qu’en soit la qualité par ailleurs.
On conclut avec une question désagréable ?
Oui… (sourire)
La jambe de bois, de quelle côté est-elle ?
Selon l’humeur !!! Tu touches là un aspect troublant de mon travail ! Cela m’a fait réfléchir: il y a cette erreur là mais ce sont des erreurs qui me tiennent depuis mes débuts. Il y avait une scène hilarante dans Le Serment de l'Ambre, où le héros plongeait dans la flotte habillé et il sortait la tête de l’eau à poil, puis ressortait ensuite du lac… habillé. Je suis tellement dans l’instant …Mais voilà, c’est injustifiable ! Une jambe qui change de côté dans un récit de cette nature avec 15/20 ans de métier dans les pattes, c’est injustifiable. C’est une faute qui suggère, pour quiconque lit une bd comme je les lis, que je ne suis pas du tout à ce que je fais. Et ça m’agace de passer tellement de temps à régler les dessins, mes images, mes atmosphères, l’expression des personnages, leurs trognes … Et de me faire ferrer pour un détail, tellement élémentaire. Évidemment cela décrédibilise le récit et c’est de ma faute ! Je suis totalement responsable et il y a légitimité au mécontentement. Je vais vraiment tacher d’être plus attentif…
Et tu les vois après ?
Non !! Ni moi, ni Xavier qui a le même défaut que moi, ni même Dargaud qui n’a pas détecté les étourderies ! Si je les voyais, je ne les ferais pas !! Mon travail c’est d’arriver à mettre en scène une vision éruptive, spontanée, personnelle, c’est mon boulot d’auteur. Et pas de reconstituer un spectacle convenu où j’évite les risques. Il y a des gens qui sont prêts à nous suivre là-dessus. Et des fois, je me gamelle sur la couleur du collier, sur la chemise qui a 3 boutons au lieu d’en avoir 2, sur la jambe qui change de côté. Mais ce n’est pas possible !! Et ça c’est chiant parce que moi-même en tant que lecteur, ça m’aurait gonflé prodigieusement. Je pense ce genre de détails capitaux, car ils crédibilisent : « c’est vrai ! ». Ce qui fait que ça marche, c’est qu’on est rigoureux sur certaines choses et que l’on sait aussi que l’on peut lâcher sur d’autres. C’est presque un manifeste de mensonge, de tromperies. Et on est censé raconter la vérité, même si on est fantasmagorique, on est censé raconter la vérité et dans la vérité, ça n’arrive pas. Et je vais vous dire le fond de la raison : elle est très bête, c’est que quand je fais mes pages, je sais où est la jambe (C’est sa jambe gauche ! Mais la question n’est pas là…), mais quand je suis sur mes pages, j’optimise parfois la narration sur Photoshop. Et il m’arrive d’inverser les cases quand elles fonctionnent mieux dans ce sens-là. Et je ne fais pas gaffe. J’inverse un dessin et ça suffit. Sur 9 dessins sur 10, ça ne pose pas de problème mais il y a des moments où ça fout la merde. Parce qu’il a une jambe de bois !! Voilà l’explication. C’est parce que jusqu’au dernier moment, je veux peaufiner les choses. D’ailleurs, des personnes à qui on a vendu des originaux nous disent que ce n’est pas comme ça dans la bd. Et non, parce qu’effectivement, je fais des retouches parce que j’ai envie de lâcher le truc parfait. Alors quand après on me dit que je torche, ça me fout hors de moi parce que je veux bien accepter tout, mais pas ça. Ce qu’il faut savoir sur Long John, c’est que c’est un travail honnête, sincère. Pas de calcul, pas d’objectif commercial, c’est totalement pur. On peut dire que c’est foireux, mais c’est totalement pur.
Mathieu, merci beaucoup !!
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