Auteurs et autrices / Interview de Turalo
Eric Dérian, alias Turalo, est un pilier de la BD d’humour. Mais sa carrière prend un fameux virage en cette année 2014, puisqu’il devient le coordinateur pédagogique d’une école entièrement dédiée à la BD…
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Il y en a quelques-unes, oui.
Mais aucune avec le cachet de deux structures qui ont fait à ce point leurs preuves.
L’école Brassart, c’est 65 ans d’expérience de l’enseignement artistique post-bac et le Groupe Delcourt, maintenant enrichi de la structure des éditions Soleil, est devenu le numéro 2 de l’édition de bandes dessinées francophones et fera profiter les élèves du savoir-faire de ses auteurs. Aucune autre école ne réunit autant d’atouts pour promettre une formation aussi exigeante que celle que nous sommes en train de programmer…
En tant que responsable pédagogique de cette nouvelle école, je sais que nous serons jugés avant les élèves, mais je ne me fais pas trop de soucis : nous n’aurons pas à souffrir de la comparaison.
Il reste maintenant à convaincre nos futurs élèves et à accueillir leurs dossiers…
Peux-tu nous parler de tes débuts dans la BD ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire de la bande dessinée. J’ai donc toujours privilégié les filières artistiques : club journal au collège, bac A3 (littérature et arts), faculté d’Arts Plastiques et Beaux-Arts d’Angoulême, quand il y avait encore une section BD.
Parallèlement, je faisais partie de plusieurs fanzines, et je fréquente le Festival d’Angoulême depuis mes 9 ans. Ça m’a donné l’occasion de rencontrer très tôt des professionnels et de profiter des meilleurs conseils. À 22 ans, je co-fondais l’atelier Brol avec des amis professionnels : Mazan, Isabelle Dethan, Turf, Thierry Robin et Pierre-Yves Gabrion. J’étais le vilain petit canard de la bande, mais j’ai fait mes premières armes à leurs côtés. J’y ai dessiné mes 2 premiers albums : Humain trop humain (sic) avec Richard Marazano et "Picasso a disparu", dont André Franquin avait eu la gentillesse de faire la préface… Quelques pages dans le Journal de Mickey, Spirou Magazine, et je signais chez Glénat ma première série, « Hermine », avec Delphine Rieu.
J’étais lancé !
Tu as fait pas mal d’albums, en tant que scénariste, dessinateur, coloriste, ou tout ça à la fois… Comment appréhendes-tu ces différentes tâches ?
Ma première expérience en tant qu’auteur complet avait été laborieuse.
Travaillant en atelier, j’ai souvent constaté qu’un récit se nourrit de la richesse de ses co-auteurs : je m’épanouis dans l’échange, la complémentarité. J’ai naturellement préféré travailler en collaborations.
Mon style de dessin étant plutôt humoristique, « tous publics », je rêvais de grands récits, de thèmes adultes. J’ai écrit pour des dessinateurs aux styles différents du mien, et dessiné pour des scénaristes passionnés. Mon travail de couleurs, c’est un peu au hasard des chemins : je me suis engagé dans des projets où je sentais que mon travail pouvait apporter un plus à la narration.
Bien sûr, avec le temps, les pistes se sont un peu brouillées : j’ai fini par écrire des choses que j’aurais pu dessiner, et dessiner des choses que j’aurais pu écrire… L’accélération de la production cette dernière décennie nous pousse souvent à collaborer sur des projets que l’on pourrait assumer seul, mais quand les délais de production sont de plus en plus réduits, l’union fait la force.
Tu t’es aussi fait connaître comme blogueur, avec notamment Le Blog de Franquin, et ta participation active aux premiers festiblogs. Ce choix de liberté t’a-t-il permis de prendre du recul par rapport à l’édition classique ?
Je travaillais essentiellement sur des commandes pour la presse et l’édition quand j’ai ouvert mon premier blog en 2005. Les retours sur mon travail courant était très espacés, voire inexistants, et je ne dessinais plus ce que je voulais. La blogosphère m’a permis un espace d’expression libre où les réactions de lecteurs étaient directes ! Il y avait à cette époque un vivier ultra dynamique, et l’émergence de nouvelles lignes, de nouvelles envies.
C’est dans la suite de mon travail personnel sur le blog que la toute jeune structure éditoriale en ligne Foolstrip m’a proposé de développer Le Blog de Franquin sur leur site…
Pourquoi avoir changé de nom d’artiste, en prenant celui de Turalo, puis, brièvement, celui d’Adrien K. Seltzer ?
Turalo, justement, c’est la faute à Foolstrip !
Pour l’historique, j’avais dessiné un petit album de strips, « Turalo le lapin » en 1998. À cette époque, l’internet n’était pas encore ce qu’il était et lors d’un changement de FAI, il m’a fallu créer une adresse mail en urgence pour un boulot quelconque. Va savoir pourquoi il m’a été impossible d’en créer une à mon nom ? J’ai tranché en la nommant du nom de mon personnage le plus récent : « turalo@… ». De fil en aiguille, lorsqu’on m’écrivait, on écrivait à « Turalo ». À l’ouverture de mon blog, Turalo était devenu mon avatar sur le net et on m’y connaissait sous ce pseudo.
C’est là que Foolstrip me contacte pour un projet, ils me laissent libres de tout, mais mettent une seule condition : que je signe « Turalo », parce que « Dérian », à l’époque, c’était « Les Blagues Belges » et des scénarios pour « Mon Petit Poney » et « Action Man ».
Le personnage avait dévoré son créateur. Et, franchement, c’était pas grave.
A. K. Seltzer, par contre, c’est une autre histoire. Je n’avais alors publié que des albums dont j’étais le dessinateur, et mon camarade Ullcer, pour qui j’écrivais le scénario des Une enquête des détectives Harley et Davidson, n’avait encore jamais publié. Mon nom aurait été lu en couverture comme celui du dessinateur et ça aurait brouillé les cartes… Alors, tant qu’à prendre un pseudo, autant que ce soit un peu marrant : « Ullcer et A.K. Seltzer », c’est drôle, non ?
Si on regarde ta production, on voit que tu as œuvré presque exclusivement dans la sphère de l’humour… Ça ne t’a pas posé de problème de te faire « cataloguer » ?
Comme je te disais plus tôt, moi, je rêvais de grandes histoires. Et ma première série, ça a été des albums de gags (mine dubitative). Le catalogage, c’est pas grave. On finit toujours par être catalogué par le public ou les libraires, quoiqu’il arrive. Le plus dur, c’est du côté des éditeurs, quand tu proposes de nouvelles choses et qu’on te fait comprendre que tu es bien où tu es. Tu as vite fait de te sentir sur une voie de garage.
J’en ai bouffé, du gag ! C’est une des techniques de BD des plus exigeantes qui soient quand on veut le faire vraiment bien. Que l’on dessine ou que l’on écrive. Un gag, ça triche pas : 1 page, c’est tout, c’est drôle ou c’est raté. C’est une narration qu’il faut sans cesse inventer sinon on n’utilise que des ficelles trop visibles, c’est une excellente formation.
Et te voilà, toi, le gars qui fait des blagues potaches et des dessins à gros nez, coordinateur pédagogique de l’Académie Brassart Delcourt… J’imagine que tu vas mettre de côté ton activité d’auteur pour un moment… Quelles vont être tes attributions ?
Oh, j’ai encore un peu de temps avant de décider de raccrocher les crayons ou pas. Une chose après l’autre !
Nous ne tournons cette année qu’avec une seule section, je ne travaillerai qu’à temps partiel : ça va me laisser le temps de terminer les différents travaux que j’ai en cours. Si mes qualités de coordinateur et d’enseignant se confirment, ça va se corser à la rentrée 2015, où je vais devoir commencer à faire des choix…
J’assumerai donc l’organisation générale de l’école, la définition du programme, la constitution de l’équipe enseignante, le recrutement des élèves… Et je donnerai aussi 8 à 10 heures de cours par semaine. Je ne vais pas m’ennuyer.
Selon toi, comment cette ABD (Académie Brassart Delcourt) va-t-elle se démarquer ?
On propose exactement l’inverse des structures auxquelles on voudrait nous associer.
Dans la plupart des établissements comparables, la BD est – au mieux – une section dans une école de graphisme, arts appliqués ou comm’.
Nous, c’est l’inverse. Il s’agit au premier plan d’une école de bande dessinée, donc le socle principal permettra d’aborder d’autres métiers et d’acquérir des compétences en graphisme, maquette, typographie, fabrication, histoire des arts…
Marion Montaigne, Thomas Cadène, Xavier Dorison, Arthur de Pins, Merwan Chabane… Il y a du beau monde parmi les intervenants. Vont-ils couvrir tous les champs de l’enseignement BD ?
Tu oublies le parrainage exceptionnel de Zep !
Et nous avons encore bien d’autres noms prestigieux en réserve dans notre manche.
Évidemment, le métier de ces grands noms, c’est auteur de bande dessinée, souvent prolifique… Pas prof, ça demande beaucoup de temps. Nous allons architecturer le programme du premier cycle entre des plages de cours de découverte et d’initiation aux différentes techniques assurés par des professeurs (croquis, narration, histoire des arts…), étayées ou ponctuées par des interventions d’auteurs confirmés : cours magistraux, conférences, journées d’intervention, workshops et pourquoi pas des résidences, en proposant à certains auteurs d’installer leur atelier une semaine dans nos locaux.
Cependant je m’attendais à voir les anciens de l’Ecole d’Angoulême, fidèles de Delcourt de la première heure, occuper ces postes…
Pour des raisons logistiques, les premières personnes pressenties pour intervenir dans cette école seront principalement parisiennes. Mais dès l’année prochaine, avec le projet de classe préparatoire, il faudra remplir une grille pédagogique trois fois plus importante. Il sera temps de faire appel à de nouvelles compétences.
L’une des craintes qui ont été formulées lorsque Delcourt a annoncé la création de l’ABD, c’est que celle-ci soit simplement une pouponnière de talents pour le groupe Delcourt, et lui seul…
Si nous devenons effectivement une pouponnière de talents, le pari sera déjà réussi !
Il est bien naïf de croire que Delcourt veuille se garder le gâteau pour lui : les jeunes talents d’aujourd’hui passent de toute façon par ses bureaux et, si nous faisons bien notre travail, même une structure comme Delcourt ne pourra pas absorber une promotion complète de nouveaux auteurs par an… Et quand bien même si Delcourt imaginait se réserver les plus grosses parts, ces futurs professionnels auront encore le choix de signer avec le Groupe Delcourt ou non.
L’ambition de l’Académie BD n’est absolument pas de créer une petite armée de zombies, mais bien de jeunes auteurs équipés pour aborder ce métier avec 10 ans d’avance sur leurs pairs qui ne bénéficieraient pas de la même formation.
Quelles sont les conditions pour intégrer l’Académie ?
Un dossier PDF et un CV. Pas de limite d’âge : nous avons, par exemple, recueilli le dossier d’un postulant de 4 ans mon aîné. Étant donné qu’il faudra 6 ans d’exercice avant de pouvoir être conventionné par le rectorat, le diplôme ne sera hélas pas reconnu par l’État. Ça a un bon côté : nous pourrons d’ici-là accueillir aussi des élèves non-diplômés et leur dispenser une formation professionnalisante solide.
Ensuite, il s’agit d’un établissement privé au coût annuel de 6500€. Mais l’école a décidé de subventionner, à hauteur de 50%, les frais de scolarité de 2 étudiants pour lesquels les conditions de ressources ne permettraient pas d’assumer ces dépenses.
Les premiers dossiers que nous avons reçus sont encourageants, il reste encore des places et quelques jours pour postuler et espérer faire partie de la Promotion Zep : j’étudierai tous les dossiers. Ceux qui estiment avoir un certain niveau en matière de narration et de bande dessinée et qui sont à la recherche d’une formation ne doivent pas hésiter : faire partie de la promotion pilote de l’Académie promet une expérience professionnelle et humaine passionnante.
Un élève souhaitant seulement suivre les cours de scénario de Dorison, par exemple, devra-t-il suivre l’ensemble du cursus ?
Si nous restons attentifs aux dossiers qui mettent en avant une véritable motivation pour raconter, cette première année s’adressera à des élèves dessinateurs. Tous les aspects de la bande dessinée seront abordés sur ce cycle de 3 ans : dessin, scénario, couleurs… La BD garde cette image d’activité légère ou naïve, mais lorsque l’on soulève le capot et que l’on observe le moteur, on se rend vite compte qu’il s’agit de l’addition de plusieurs métiers exigeants et difficiles.
Cependant, nous partageons actuellement avec nos intervenants l’envie de prolonger l’année scolaire avec des stages courts pendant les vacances scolaires, ouverts au public ou à des élèves qui peuvent avoir des envies plus spécifiques. On peut tout à fait envisager, par exemple, un workshop d’une semaine avec Xavier… Qu’est-ce qui t’arrange : les vacances de Février ou de Pâques ?
La prochaine rentrée est-elle déjà programmée ?
Nous réunirons une première section de 25 élèves à la rentrée d’octobre, le 1er.
Les étudiants seront tout de suite plongés dans le bain avec 35 à 40 heures par semaines dont 20 à 25 heures de cours, et le reste en temps d’atelier à partager entre l’étude et le travail personnel.
Y aura-t-il des projets communs réalisés par ces étudiants ?
Le Groupe Delcourt s’est engagé à publier chaque année un recueil des productions du second cycle, ainsi qu’à proposer au major de promotion du cycle 3 son premier contrat.
Et nous encouragerons, tout au long de leur formation, les collaborations entre eux pour bien les préparer à un avenir professionnel qui fait souvent appel à l’addition de talents.
Eric, merci ! :)
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