Auteurs et autrices / Interview de Michel Pirus
A l’occasion de sa sélection pour le Prix d’Angoulême 2014 pour le 3e album de la série « Le Roi des Mouches », rencontre avec le prolixe scénariste Michel Pirus.
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D’abord j’ai commencé la BD en tant que dessinateur, enfin dessinateur scénariste, car ensuite j’ai travaillé avec Jean-Pierre Dionnet, on avait fait « Rose profond ». J’avais une certaine frustration, pas forcément avec ce qu’on avait fait avec Jean-Pierre, mais de manière plus générale. A cette époque, il y a cette série qui est sortie, les « Watchmen » d’Alan Moore, et d’un coup on a eu l’impression qu’enfin le scénario trouvait sa place. Les années Métal Hurlant, que j’aime beaucoup, sont des années plus centrées sur le graphisme que sur le scénario. Non pas qu’il n’y ait pas eu de grands scénaristes avant, je pense à Charlier ou Goscinny qui sont de très bons scénaristes, mais c’était toujours bloqué quelque part, on ne rentrait jamais dans l’intime. Avec les « Watchmen » d’Alan Moore, on commençait à rentrer dans l’intime des personnages. Et tout d’un coup, ça a réveillé quelque chose en moi, ça m’a donné envie de faire du scénario.
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Oui, c’est même presque obsessionnel, voire envahissant.
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Et bien en fait pour cet espace limité j’écris dans Word et c’est quelque chose de calibré ; je sais que ce que j’écris doit faire 6 ou 7 lignes maximum. Donc ça conditionne même ma façon d’écrire, c’est ça qui est intéressant. C’est un peu comme un chanteur qui écrit une chanson, il sait qu’il ne peut pas aligner un texte de 2000 pages. Et bien moi c’est la même chose et j’aime cette contrainte que je trouve intéressante. C’est pour ça que ce n’est pas un roman non plus, sinon j’aurais un nombre illimité de mots et je me laisserais aller. Alors oui, il y a une contrainte, un espace, dans lequel j’ai le droit de mettre tant de mots pour exprimer tant de choses.
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Voilà ! Sur le gaufrier des Watchmen qui présente en fait l’avantage de ne pas avoir à trop réfléchir, mais dans le bon sens du terme. Je fais souvent des métaphores musicales quand je parle du « Roi des Mouches ». Vous avez des batteurs dans le rock qui en font des caisses ; avoir le gaufrier c’est un peu comme avoir Ringo Star ou Charlie Watts à la batterie, c'est-à-dire une espèce de métronome qui clarifie bien les choses tout de suite et qui évite en plus de se perdre dans un découpage qui compliquerait peut-être les choses. J’aime bien ce principe du gaufrier, ce côté un peu mécanique.
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Voilà. Il y a une structure à la page et chaque page est une petite nouvelle dans la nouvelle, qui elle-même est un petit élément du grand tout. Certaines pages pourraient presque se suffire à elles-mêmes. J’avais fait aussi quelque chose d’intéressant lors d’une exposition à Saint Ouen l’année dernière. Plutôt que de mettre un texte pour dire que telle pièce représente telle ambiance de la bande dessinée, j’avais extrait le texte de la première page de l’histoire. Il pouvait se suffire à lui-même, et je l’avais reconstitué exactement au même format qu’on peut le lire dans un roman. Tout d’un coup ça faisait une page de roman, mais en fait c’était une page du « Roi des Mouches » mais sans le dessin. Et tout de suite ça donnait une très bonne idée de l’atmosphère de la pièce dans laquelle on rentrait. Tout ça pour dire qu’il y a vraiment une interaction avec la littérature.
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Non. La première histoire était d’abord une histoire publiée dans un collectif chez Albin Michel, c’était « Le cauchemar d’Halloween » je crois. On a fait cette première histoire sans penser plus loin et Hervé Desinge, qui était à l’époque le rédacteur en chef de l’Echo des Savanes, nous a dit qu’il trouvait ça vraiment super, qu’il y avait un ton là-dedans et il nous a encouragés à développer. On a donc fait ça sans le vouloir, et j’aime bien ce genre d’accident : on fait un truc, on ne pense pas plus loin et des fois c’est le meilleur moyen de faire des choses. La seule contrainte qu’il imposait c’était de réaliser des histoires qui puissent être autonomes, qui fassent 6 ou 7 pages et qui puissent se lire sans que le lecteur sache ce qui s’était passé avant. Après, l’aventure avec l’Echo des Savanes s’est arrêtée, mais une fois que le LA était donné on a continué sur ce format le long des trois albums pour trouver une cohérence de ce point de vue. Même si les livres ont beaucoup évolué du point de vue du style littéraire et qu’il devient plus audacieux dans le 3e tome, presque à la limite de se casser la gueule, mais ça c’est une volonté délibérée de ma part. C'est-à-dire qu’à un moment j’avais vraiment envie d’expériences. Mon 3e album a un côté expérimental et j’ai vraiment été surpris d’être sélectionné à Angoulême. Là je m’étais dis « on sera tranquille », on est sûr de ne pas être sélectionné. Et en fait finalement, j’ai été étonné qu’ils me retiennent et je vois bien pour certains lecteurs la difficulté que ça représente mais je suis assez content d’avoir poussé les choses à ce point. Je crois que de mon point de vue, ce n’est pas intéressant pour un artiste de rester tout le temps dans les clous, on cherche tout le temps ses limites. Et là c’est vrai qu’il y a un côté assez extrême. J’ai d’ailleurs lu cette critique sur internet, j’ai trouvé ça marrant : « J’ai rien compris mais c’est super ». Et ça me plaisait, parce que d’un coup ça dépasse l’idée de l’histoire ; car pour moi Le Roi des Mouches c’est une BD de la sensation. Même si on est un peu perdu, c’est ce qu’on ressent ; on est presque content d’être perdu dans ce climat, dans ces mots. Alors après je comprends que certaines personnes décrochent, mais moi ce que je cherche à créer c’est une musicalité, une musique des mots qui est renforcée par le dessin de Mezzo, qui donne tout de suite le ton par la noirceur. Je veux que les gens se noient et soient bien dans cette musique ; c’est comme un trip en fait.
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Oui voilà c’est ça. Je me suis dit, soit je vais plus loin, soit je reviens en arrière, mais on va me dire « Le 3e est comme le 2e » ou « C’est bien mais c’est le même que… » et moi je voulais aller plus loin. Mais c’est aussi pour ça que ça s’arrête au 3e. J’ai maintenant aussi envie de passer à autre chose ; 10 ans sur Le Roi des Mouches c’est déjà pas mal. Je sais bien qu’on n’est pas très productifs avec Mezzo, qu’on prend notre temps. Je ne serai jamais quelqu’un qui produit quatre bouquins dans l’année, ce n’est pas mon truc. Les bouquins qui sortent régulièrement, tous les mois de septembre, comme Amélie Nothomb, ce n’est pas ma façon de voir les choses.
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En fait je me rendais compte que c’était difficile de finir. En tout cas j’aime beaucoup la fin du « Roi des Mouches » avec Eric et ses démons, avec ce bébé au bord de la piscine dont on ne sait pas s’il va tomber dedans ou non. Sinon, oui ça a été difficile, même avec Mezzo. J’ai une façon de travailler qui est assez contraignante. Comme Alan Moore, moi aussi je fais les découpages, presque les cadrages, enfin, je définis les plans… parce que ça fait partie de la narration BD, je n’arrive pas à écrire autrement malgré tout ; j’écris en bande dessinée. Le langage de la bande dessinée c’est un texte, mais c’est aussi une image qui doit être le relais du texte par rapport à ce qui va se dire dans la seconde case. Le dessin conditionne ce que j’écris. Tout est dans tout en quelque sorte.
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Voilà. Après on se voit pour le crayonné, Mezzo peut revenir dessus, on essaye d’améliorer le processus. Et puis après je le revois après le crayonné ; je le revois après l’encrage. Et comme j’ai rentré la typo de Mezzo sur ordinateur, je peux réécrire au dernier moment, refaire une ultime retouche des textes. Avec le recul qu’on a pris parfois sur les choses, on a une autre idée qui nous vient. Ca nous a fait faire de la post production même sur le dessin. Si on regarde l’album par rapport aux originaux, y a pas mal de choses qui changent. Ce sont des petits détails, mais si quelqu’un s’amuse à comparer avec les originaux, il y a beaucoup de choses qui ont été post produites par ordinateur. L’ordinateur c’est fabuleux ! C’est une liberté qu’on n’avait pas avant. Jusqu’au dernier moment on peut être avec son travail et ça c’est vraiment intéressant. Alors cette façon très contraignante de travailler, c’est vrai que c’est pesant pour le dessinateur. Mais c’est aussi pesant pour moi parce que je n’aime pas forcément être trop dirigiste, mais ça m’oblige à l’être ; le système a été conçu comme ça.
Entre-temps, j’ai aussi écrit un scénario de long métrage, c’est une autre expérience et là je co écrivais avec un réalisateur. L’écriture est complètement différente. J’ai un univers, mais pour l’adapter au cinéma, c’est complètement différent. Il y a des règles, des contraintes complètement différentes par rapport à la BD.
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Oui, là on aimerait le transposer en fait.
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Cinéma pour l’instant. Ce n’est pas que je n’aime pas l’animation, mais l’animation c’est souvent beaucoup de travail sans pouvoir être sûr du résultat. Et puis je pense que les gens préféreraient voir de vrais acteurs.
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Oui. En tout cas c’était assez intéressant comme expérience d’écriture, et je pense que cela va même me resservir pour la BD maintenant. Dans Le Roi des Mouches, j’ai tout fait instinctivement en quelque sorte, sans me poser cette question de l’exposition des personnages. Je me rends compte avec le recul, qu’il y a des personnages qui font doublon ou d’autres qui sont inutiles. Mais Le Roi des Mouches est de ce point de vue plus à rapprocher des séries TV que d’un film. Dans les séries TV, ça arrive aussi aux scénaristes de faire rentrer des personnages et de se rendre compte au bout de la 2e saison qu’ils n’en ont plus l’utilité, que ce personnage les encombre et ils les font disparaître sous le tapis en quelque sorte. Dans Le Roi des Mouches c’est un petit peu la même chose. Alors qu’au cinéma c’est des choses qu’on ne peut pas se permettre. Chaque minute compte et donc tous les personnages ont un rôle. Alors là j’ai essayé de dégrossir les choses par rapport au cinéma. Par exemple, les filles de la BD, Karine, Sal, Marie, dans un film ça fait une nana, pas trois. Ce n’est pas possible. Ce personnage prend une trajectoire ; cette trajectoire prend de la place dans le film et il n’y a qu’un personnage qui peut avoir ce genre de trajectoire, sinon ils se marchent dessus et ça devient l’histoire de trois filles et dans ce cas là Eric n’a plus de place. C’est complexe mais très intéressant ; c’est une discipline de fer le cinéma. Au niveau du travail, les lecteurs vous disent « Ca, ça va », « Ca, ça va pas » « Trop long », « Trop tôt », « Trop tard ». Ce n’est pas pour vous brimer c’est juste pour dire « Non, ça ne marche pas parce que… » ; et souvent c’est vrai, c’est ça qui est incroyable. Les remarques des comptes rendus des lecteurs que la production paye par rapport à un scénario de long métrage sont souvent dans le vrai. Ce n’est pas de la censure ; on ne vous dit pas « Y’a trop de drogue », « Y’a trop de sexe », ce sont des questions de structure en fait.
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De quel point de vue ? Du point de vue du sexe et de la violence ?
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La violence est paradoxalement assez admise au cinéma ; même le sexe d’ailleurs. Dans le cinéma américain mainstream, dans les blockbusters, on voit plus de sexe qu’on en voyait avant. J’ai vu récemment ce film, « Flight », avec Denzel Washington ; au début on voit une hôtesse de l’air qui est quasiment complètement à poil et le mec regarde son cul ; enfin c’est des choses qu’on n'aurait jamais vues avant. Alors, est-ce qu’on pourrait aller aussi loin que dans Le Roi des Mouches si on fait un film ? Quasiment, oui. Parce que dans la BD il n’y a rien de … Enfin si dans le tome 3 il y a peut-être 2/3 trucs [rires]… OK, non, je suis d’accord, on ne pourra peut-être pas aller aussi loin. Mais ce n’est pas trop dérangeant. Ce qui comptera si on l’adapte, ce sera de trouver une manière originale qui rappelle à la fois le livre mais qui ait aussi son propre langage cinématographique. Après qu’il y ait plus ou moins de sexe ou plus ou moins de drogue, ce n’est pas fondamental. Mais ce qui est sûr c’est que des personnages comme Ringo seront là, cette espèce de quille qu’on aperçoit dans le tome 3 on le garde aussi ; ce sont des éléments comme ça qu’on garde et après faut faire tourner le monde autour de ça.
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Je pense que cela crée une intimité immédiate avec le lecteur. Le Roi des Mouches pour moi, c’est une sorte de confessionnal noir. Nous on est dans le rôle du prêtre, ou du psychanalyste, c’est selon les croyances de chacun. Quand vous parlez à un psychanalyste, vous dites « Je », vous n’allez pas dire « Il », ou alors le problème est encore plus grave [rires]. Et puis je me rends compte que j’aime beaucoup les livres, les romans, qui sont écrits à la première personne. Cela m’est plus facile d’imaginer les choses ; le « Il » met une distance tout de suite, c’est autre chose. En bande dessinée, je ne me vois pas écrire à la 3e personne. La 1ère personne m’aide à plus fantasmer les choses, à me prendre pour le personnage. C’est plus intime et c’est plus ludique aussi de mon point de vue.
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Voilà. Chaque lecteur se sent comme un confident exclusif en quelque sorte : « C’est à toi que je parle, lecteur. Ecoute moi bien, je… » ; il y a cette idée.
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Oui des fois il se fait interpeller. Alors là d’un coup c’est encore plus personnel [rires].
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Oui c’est ça, « Oh lecteur », tout d’un coup on n’est plus que deux.
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Ah non, je ne l’ai pas lu.
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C’est surtout développé dans le tome 3. En fait, je ne l’ai pas trop poussé au début, peut-être que ça manquait ; c’est typiquement le genre de choses qu’on perfectionne à la longue. J’aime beaucoup le texte de cette fille, Lisa, qui parfois est incompréhensible, mais ce n’est pas grave. Si une jeune fille comme ça avait son vrai journal, il serait aussi incompréhensible que je l’ai écrit. Parce que le dessin permet malgré tout de suivre le fil de sa pensée qui est assez éclaté et je trouvais ça intéressant. Là par exemple, j’ai été influencé par un livre qu’un ami m’avait passé, qui s’appelle « Tueur de masse ». C’est un livre sur les tueurs en série américains, mais aussi en France. Ce sont les journaux de ces gens. Et ces journaux ont un côté comme ça, écrits à l’arrache, que j’ai trouvé très intéressant parce qu’il y a une certaine brutalité de l’écriture qui n’est pas du tout apprêtée, parce que tous ces gens avant d’en tuer d’autres ont laissé un journal. Les deux types de Columbine, ou du moins un des deux est dedans. Et on découvre cette espèce de souffrance dans l’écriture qui est fascinante. Il y a une certaine beauté littéraire dans ce côté brut ; le mec ne se prend pas une seconde pour un écrivain et je trouve ça fabuleux. Et ça, ça m’a influencé pour l’écriture de Lisa par exemple. Je me disais même qu’on pourrait faire un bouquin entier avec ce style d’écriture. J’aime beaucoup ce personnage d’ailleurs même si sur la fin, l’écriture que j’aime le plus de manière générale, c’est le langage d’Eric, qui est le personnage qui me correspond le plus.
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Exactement. Sinon ça ferait trop commun : le beau petit journal d’une petite fille qui écrit bien. Ca ne m’intéressait pas, ça serait trop poli, pas assez grinçant. J’aime ce qui fait de la vibration en fait. C’est ça que je recherche. Ca, plus l’écriture, il faut que ça crée une espèce de chimie. Tu vois tout à l’heure tu me parlais de toutes ces choses qui sortent et qui ne sont pas abouties, j’ai le même sentiment. Ce n’est pas que dans la BD en général ; il y a une profusion de films ou de livres ; maintenant on nous dit qu’il y a deux rentrées littéraires, une en septembre, une en janvier… A un moment, je comprends la contrainte économique dans la bande dessinée, je comprends que les gens pour pouvoir vivre doivent faire quatre bouquins dans l’année. Mais j’ai aussi envie de dire aux gens, être un artiste, c’est aussi faire des sacrifices. C’est peut-être des sacrifices financiers, mais il faut admettre que si on veut faire un bon livre, on ne peut pas en faire quatre dans l’année. Ou alors on fera quatre livres superficiels. Alors ça peut marcher pour des personnes très douées, pourquoi pas, mais moi la plupart du temps je les ouvre et je n’ai pas assez à manger en quelque sorte. Chez l’artiste il doit y avoir quelque chose de l’ordre du don. Si on ne donne pas à un moment, je pense qu’il y a un problème. La musique pop des années 60’ a été une grande influence pour moi, parce que j’ai l’impression qu’il y avait des disques à cette période, les Who, les Stones, qui justement étaient de l’ordre du don. Ces espèces de disques complets, mystérieux, noirs des fois, qui nous plongeaient dans des univers qu’on ne pouvait parfois pas comprendre dès la première écoute. Il fallait vraiment les pénétrer et se donner du mal ; ce n’était pas du pré mâché.
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Oui, c’est ça. J’aime bien ce mot « hypnotique ». Et puis il y a ce côté voyeur aussi. Cette idée de « Je vous confie un truc », « Vous êtes les seuls témoins », qui donne l’impression qu’on regarde par le trou de la serrure. Oui, y a un petit côté malsain. Voyeuriste, ce n’est pas très honorable.
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Le truc par rapport à « Sa Majesté des Mouches » vient juste du fait qu’Eric y fait référence parce que sa mère avait lu ce livre et du coup il va avoir cette tête de mouche et que j’aimais bien cette idée. La référence s’arrête là. Après l’univers entier n’est pas spécialement une référence à ce roman. Mais je comprends que les gens y voient des parallèles, même si ce n’est pas comme dans le roman une tentative de recréer une société, puisque là je pars de la société qui existe et même si là dedans il n’y a pas grand monde qui ait les pieds sur terre, à part Ringo peut-être. Ca serait presque la personne la plus saine de la série, l’homme primitif à l’ancienne, qui n’est pas perverti. Les choses sont simples, basiques, il ne se pose pas de questions, celui qui n’est pas content prend un coup de massue : au moins c’est clair ! En tout cas il ne se débat pas avec ses fantômes. Sinon, c’est vrai que personne n’est très frais là dedans.
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Oui, parce qu’au tout début l’éditeur nous avait dit que ça serait bien que ce soit situé en France, et puis après il nous a dit « J’m’en fous », ça aurait pu être situé en Amérique... Bon bref… Donc, c’est un peu No Land ; il n’y a pas d’endroit précis. Si on le fait en film on imaginait qu’on pourrait le faire au Canada, car la nature est assez présente. J’aime bien ce côté petite ville avec son microcosme où les gens se connaissent ; ce n’est pas urbain. On est un peu nulle part, la voiture est nécessaire. J’aime bien cette idée d’avoir toujours besoin d’une bagnole, qui joue un peu le rôle du cheval pour Eric d’ailleurs ; sa BMW c’est son beau cheval. En tout cas, on ne voulait pas situer l’action dans un lieu trop précis, parce que les gens seraient allé comparer sur Google Earth pour voir si on s’était pas trompé et respecté tel ou tel lieu, alors qu’avec Mezzo ce n’est pas du tout notre truc. On n’est pas dans la documentation, le didactisme ou ce genre de choses.
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Oui. C’est un personnage assez froid, hermétique, insensible. Rien ne le touche.
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Oui c’est ça, complètement. Plus rien ne le touche, même pas le sexe. Il reste en observateur, il a une espèce de neutralité qu’ont parfois les photographes face à un charnier, à des scènes de guerre. C’est une sorte de pensée photographique. Mais ce qui est paradoxal en même temps, c’est qu’il se plaint un peu tout le temps, il fait un peu chien battu, martyr. Il ne sait pas ce qu’il veut. Eric c’est un peu l’inverse de ce que l’on nous demande au cinéma où les personnages ont toujours une trajectoire. Et j’ai envie de dire que tous ces films qu’on voit sont faux même si je comprends bien cette idée de trajectoire nécessaire pour nous spectateur, pour nous accrocher au film. Mais, si on regarde dans la vie, en fait, on ne change pas beaucoup. Je crois que ce qui nous est donné au départ, on meurt avec ces taches. Guy Desbordes disait ça « Je mourrais avec mes taches ». Il semble qu’on ne se guérit pas de ses taches. Et Eric, en ça est assez juste, il est assez proche du réel. Moi je ne connais personne qui ait réellement évolué dans la vie, qui soit devenu un autre que ce qu’il était à 20 ou 30 ans. Au contraire, ils auraient tendance à devenir pire, parce qu’ils deviennent des caricatures d’eux même en vieillissant. Mais les gens qui ont une espèce d’arc comme ça : un bon mec qui devient un salaud, ou le contraire, c’est plutôt rare. Et c’est ce que je trouve intéressant en littérature. La littérature n’exige pas ce changement de trajectoire. C’est quelque chose qu’il y a beaucoup dans les romans américains et que je leur reprocherais, c'est-à-dire de faire des romans comme des films. Pour moi la littérature doit échapper à ces canons. Le simple style doit pouvoir suffire à nous faire aimer un livre. Finalement, peu importe l’histoire et les délires d’un personnage, s’il le dit d’une manière intéressante on restera avec lui. Cette idée de trajectoire m’énerve finalement. Le seul moment où Eric réagit c’est quand il ose taper sur son beau-père. Mais on voit bien qu’à la fin, il reste lui-même. Car entre la jeune fille et ce bébé prêts à tomber dans l’eau, il choisit la jeune fille. On voit bien que ses démons sont toujours là et que c’est reparti pour un tour. Et je trouve ça intéressant, parce que c’est ce qu’il est en fin de compte. Pourquoi deviendrait-il un autre ? C’est ce que je dis du « Roi des Mouches » des fois, c’est un road movie qui tourne en rond, qui fait du sur place. On n’arrête pas d’avancer, de se déplacer, mais dans un périmètre très réduit, c’est sans fin.
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Et bien déjà, un film. Après, le cinéma, ce n’est pas comme avec la BD, on n’a jamais trop de certitudes… Là, le scénario on en est à 6 ou 7 grosses versions, mais il faudrait un distributeur. Une fois un distributeur trouvé, c’est bon normalement ; ça ouvre vers les chaînes de télé, et après le film peut se tourner. Mais voilà, tant que ce n’est pas tourné, tant que ce n’est pas en salle, ce n’est pas fait ! Le film s’appellerait « Dragon vert », c’est aussi une histoire avec des jeunes, mais qui serait un peu moins barrée que le « Roi des Mouches », même si c’est assez ludique. Ca se passe dans le milieu du rock hardcore.
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Non, pas pour l’instant
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Non. Mais je vais faire un bouquin là sur Robert Johnson, une sorte de biographie qui doit sortir en septembre octobre. Mais là je suis plutôt attiré par le cinéma. Ce ne sont pas les projets qui manquent ; plutôt le temps.
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Merci à toi, ce fût un plaisir.
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