Auteurs et autrices / Interview de Joris Chamblain et Lucile Thibaudier
Joris Chamblain a fait une entrée remarquée dans la BD jeunesse avec Les Carnets de Cerise ; 2 ans et demi après, il propose une nouvelle série enchanteresse, avec cette fois Lucile Thibaudier aux pinceaux, qui travaille aussi sur Sorcières, sorcières. Rencontre chaleureuse avec des jeunes qui n'en veulent à Angoulême.
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Lucile : Je dessine depuis toute petite, et j’ai eu envie de faire des métiers très différents, mais pas forcément illustratrice. Cosmonaute, vétérinaire pour tigres, jusqu’à la fin de mes études, puisque j’avais entamé des études scientifiques. Et l’idée d’être illustratrice était présente aussi, et l’a emporté. J’ai fait l’école Emile Cohl à Lyon, pendant quatre ans, pour m’orienter vers l’illustration jeunesse. Jusqu’à ce que je rencontre Joris, qui m’a proposé de faire de la BD.
Un petit mot sur tes livres d’illustration ?
Lucile : J’ai travaillé sur des contes classiques pour une petite maison d’édition, des petits albums jeunesse, puis j’ai créé une série, Pacotille, Ratapène et Comédon, que j’ai entièrement écrite et dessinée. Et c’est grâce à celle-ci que Joris m’a remarquée. Il cherchait quelqu’un pour sa série Sorcières, sorcières, et Pacotille étant une sorcière, ça lui a plu.
On va passer à Joris, du coup. Peux-tu te présenter ?
Joris : J’ai fait du fanzinat pendant des années, essentiellement en tant que dessinateur. Je ne connaissais pas le métier de scénariste en fait. J’ai rencontré Scotch Arleston à la première Convention de Troy quand j’avais 18 ans. Et je me suis dit, « ah mais en fait c’est ça la bande dessinée, la grosse déconne, l’éclate, j’ai vraiment envie de faire ça ! ». J’ai donc eu envie de me lancer dedans. Et dans le fanzinat, j’ai commencé à écrire pour les autres, plus seulement pour moi, et petit à petit j’ai éprouvé plus de plaisir à écrire qu’à dessiner. Je rigolais bien à faire ça, j’ai monté quelques dossiers, montré mon travail à quelques auteurs dont c’était le métier. Et un jour je me suis senti prêt, j’ai écrit des vrais scénarios, deux en particulier. En juillet 2007 j’écrivais le tome 1 des "Carnets de Cerise", et en août ou septembre le tome 1 de "Sorcières, sorcières". Les deux séries se sont donné la main depuis le début. Sur un blog je suis tombé sur le travail de Lucile, et la petite Pacotille, une petite sorcière toute mignonne. Je me suis dit que ça pourrait le faire, j’ai envoyé un petit mail à Lucile, et c’était parti. A partir de 2009 on a commencé à monter le dossier de Sorcières, sorcières, en parallèle de Cerise et on les a finis à quelques mois d’intervalle.
Tu débutes en BD il y a 5 ans, avec un album pour les éditions Bac@BD, relatif à La Recherche d'emploi. Comment cet album a-t-il été conçu ?
Joris : Entre-temps j’ai fait des appels d’offres, et un éditeur cherchait des scénaristes pour un projet relatif à la recherche d’emploi. J’ai fait des essais, ça lui a plu, et j’ai bossé un an là-dessus. J’étais content parce que c’était mon premier contrat, premier album complet, premier paiement pour un bouquin… L’album est ce qu’il est, mais j’en suis fier, je le relis de temps en temps, il me plaît. Grâce à ça j’ai pu aller en salon en tant qu’auteur, scénariste même, car il y a peu de salons qui invitent des scénaristes. J’ai rencontré d’autres auteurs, et je me suis senti les épaules pour entamer des projets plus personnels, comme Cerise et Sorcières. "Enola" est arrivée peu après, à l’époque de Sorcières, sorcières, pour un projet de livre jeunesse.
Pourquoi avoir changé de maison d’édition pour chaque projet ?
Joris : Pour une raison simple : on n’appartient pas à un seul éditeur, et c’est un piège de signer plein de séries chez le même. Ce serait se griller chez les autres ; et puis certains projets ne peuvent pas se faire chez tout le monde non plus.
Pourtant "Sorcières, sorcières" a d’abord été édité chez Bac@BD, avant d’être réédité chez Kennes…
Joris : En fait Bac@BD n’avait pas les épaules pour assurer une série complète. On n’aurait pas été payés beaucoup, c’était une petite boîte avec un petit budget. Malgré tout le livre a été bien défendu, s’est bien vendu, plus de 5 000 exemplaires, ce qui à l’heure actuelle, n’est pas dégoûtant comme score, même chez un éditeur plus grand. L’éditeur ne pouvait pas faire un tome 2, on s’est un peu frités à ce sujet-là et on a récupéré nos droits. On a arrêté la commercialisation pendant 6 mois et on a cherché un autre éditeur, susceptible de le rééditer et qui croyait vraiment au potentiel de la série complète. J’avais rencontré Dimitri Kennes à une autre occasion, j’ai signé une série chez lui, et il m’a demandé si j’avais trouvé un éditeur pour Sorcières, parce que ça l’intéressait. Finalement il a donc réédité le tome 1, j’ai aussi écrit la version roman, car Kennes aime bien faire du transmedia, on a sorti les 2 le 13 novembre dernier. Et ça cartonne. En 20 jours on en a vendu plus qu’en un an et demi chez Bac@BD. Ça annonce un tome 2.
Pensez-vous qu’il puisse y avoir un jour une intégrale de ces différentes séries ? Des produits dérivés ?
Joris : Etant donné qu’il n’y a pour l’heure qu’un seul tome de sorti de chaque, il est bien évidemment trop tôt pour l’envisager. Pour l’instant rien n’est fixé, en termes de tomaison, mais il est évident qu’on en fera autant qu’on aura de plaisir à en faire, et que les éditeurs le souhaiteront. En ce qui concerne des produits dérivés, pour Enola, par exemple, ce ne serait pas incongru de faire une encyclopédie des animaux fantastiques autour d’Enola… Sur "Sorcières, sorcières", on est en train de parler de grimoires ou de recettes de cuisine.
Joris, on te retrouve deux ans plus tard avec Les Carnets de Cerise, chez Soleil. Un petit mot sur la genèse du projet ? Comment as-tu rencontré Aurélie Neyret, dont le talent graphique explose dans cette série ?
Joris : De la même façon que pour Lucile ; j’avais mon histoire sous le bras, j’ai écumé les blogs. Sur le forum Café salé, elle avait mis des illustrations. J’ai été ébloui par ses lumières en fait, et je lui ai envoyé un mail, en lui parlant de l’histoire que j’avais en tête.
L’originalité de l’histoire réside notamment dans le fait que Cerise veut devenir écrivain, et du coup on a droit à quelques petits « trucs » sur l’écriture. Ça ressemble à une mise en abyme de l’enfant que tu as pu être.
Joris : Je ne pense pas que ce soit une mise en abyme ; si c’est le cas ce n’est pas conscient. L’idée c’est plutôt d’expliquer aux enfants que l’objet livre a été important dans ma vie, et lui donner l’envie de le lire : « Le livre, c’est cool, et tu verras, ça te servira dans ta vie ! » Par contre dans le tome 1 certains lecteurs ont fait le parallèle entre les auteurs et les personnages, puisqu’on a une petite fille qui veut devenir écrivain et un monsieur qui est peintre. Mais l’idée est de placer la parole de l’enfant au cœur de l’histoire, comme dans "Sorcières, sorcières" et "Enola".
J’ai remarqué que dans les trois séries, c’est une petite fille qui enquête. Pourquoi ?
Joris : J’étais parti du constat que ça manquait cruellement d’héroïnes dans la bande dessinée. C’était souvent le faire-valoir du personnage masculin, et si le personnage féminin était le personnage principal, sa psychologie n’était pas fouillée. J’ai donc voulu contribuer à combler un peu ce manque. Mais il manque aussi des petits garçons dans la BD. De petits garçons sensibles, comme un petit Cerise. C’est ma nouvelle vague de projets. Comme Marvel, je fais une Phase 2 (rires). J’ai encore des héroïnes qui arrivent, je n’ai pas encore tout dit sur les petites gonzesses, mais j’ai des petits gars qui arrivent juste derrière.
Lorsque vous travaillez ensemble, y’a-t-il des échanges, des influences entre vous deux ?
Lucile : Joris écrit son scénario, il y a un échange, ensuite je fais le storyboard et les planches, et je lui montre, il réagit, moi je lui propose des choses, l’échange est permanent…
Joris : On se nourrit des idées de l’autre. Pour "Sorcières, sorcières", j’avais écrit le tome 1 dans mon coin, mais quand il a fallu composer l’univers on s’est fait un brainstorming de plein d’idées. Des boîtes aux lettres-citrouilles, des panneaux de signalisation-épouvantails, des arbres-sorcières… Ces petites idées de Lucile nourrissent mes histoires, on est tous les deux au service de l’histoire, et on la fait ensemble, côte à côte. J’ai aussi envie d’écrire des choses que Lucile aura plaisir à dessiner. C’est comme ça que je fonctionne avec mes dessinateurs. J’ai le schéma global en tête, des intentions, mais le dessinateur a un degré de liberté énorme. Je ne décris jamais le physique des personnages, par exemple. J’appelle Lucile, je lui dis « j’ai une idée, on va s’éclater dans une cour de récré de 30 pages, tu viens ? ».
Vous travaillez donc sur deux séries, j’imagine que le prochain album sera un Sorcières, sorcières ; pour quand est-il prévu ?
Lucile : Novembre, normalement.
Joris : Alors en fait, comme c’est un projet ancien, j’avais écrit un tome 2 il y a 5 ans maintenant, je l’ai relu il y a quelques semaines, et il était mauvais (rires). Mon style a évolué, mon écriture aussi. On est fin janvier, il doit sortir en novembre, et il n’est toujours pas écrit… Ça risque d’être un peu chaud, mais on y croit !
Lucile : En attendant j’avance sur Enola 2, j’ai aussi un album jeunesse qui doit sortir cette année, donc je ne chôme pas.
Parlons donc d’Enola ; quelle est l’idée de départ ?
Joris : L’idée est dans le titre, Enola est une vétérinaire pour animaux fantastiques. Avec toujours le même principe, un animal dans l’intrigue A, la principale, et un autre dans la B. Dans ce premier tome on a une gargouille qui arrose les gens devant l’église, et se tourne sur son socle. On se demande pourquoi elle fait ça, et Enola va être appelée pour régler le problème. Pour enrichir l’univers et introduire le personnage d’Enola, j’introduis un autre animal fantastique, le temps qu’une petite séquence, que je referme à la fin, contenant un lien avec la grande histoire. Dans le tome 2 on verra une licorne, et un troll en animal secondaire.
Lucile : C’est aussi pour montrer qu’Enola ne se contente pas de se déplacer, il y a aussi plein d’animaux qui viennent jusqu’à son cabinet de consultation.
Joris : Enola est accompagnée de Maneki Neko, le chat de la fortune japonais, un chat qui parle, et dont le lien avec la jeune vétérinaire est encore vague. Elle a pour mentor le professeur Archibald, un inventeur particulier, qui est peut-être lui aussi un animal fantastique. On n’en saura pas plus sur sa famille, sa vocation de vétérinaire… Les enfants lecteurs prennent les éléments qu’on leur donne.
Pour quelles tranches d’âge conseillerais-tu tes différentes séries ?
Joris : Enola à partir de 6-7 ans, Sorcières les 8-9 et Cerise pour les 9-12 ans. Enola c’est hyper léger, il y a 5 cases par planche, 30 pages, peu de texte, c’est très aéré pour rentrer dans l’univers. Ensuite ils peuvent enchaîner sur les Sorcières pour une aventure un peu plus dense, ensuite Cerise, où c’est plus complexe. Et ensuite sur Nanny Mandy, ma nouvelle série qui sort en novembre.
Alors justement, on souhaitait savoir si vous aviez des projets pour ados ou adultes, l’un ou l’autre ?
Lucile : Des projets pour adultes, l’un comme l’autre, on rêve d’en faire. Mais ce n’est pas évident, parce que là on est estampillé auteurs jeunesse.
Joris : Quand je vais voir des éditeurs avec des polars, ils me disent « Tu veux pas plutôt nous faire de la jeunesse ? Tu es fort sur ça, les polars on connaît… ». Je ne me plains pas, j’ai plein de boulot, je signe des projets à tour de bras. Mais j’ai une stratégie : au fil de mes projets, l’âge de mes héros augmente. Dans deux ou trois ans, ils auront la vingtaine.
Alors, les sorties à venir ?
Joris : Sorcières 2 et le roman 2 en novembre, tous deux chez Kennes. "Quand papa n’est pas là" aux Editions la Palissade en fin d’année ou en début d’année prochaine. Enola 2 en janvier ou février 2016. Il y a Cerise 4 et Nanny Mandy tome 1 en fin d’année, avec le roman correspondant.
Tu peux nous parler de Nanny Mandy ?
Joris : Mandy est une nounou de 17 ans, anglaise, qui sur chaque tome de la série va aider un enfant à surmonter les épreuves de la vie. Cette fois-ci c’est une jeune adulte qui s’intéresse aux enfants, c’est une série lumineuse, avec une jeune fille au look un peu différent, avec une vision du monde un peu décalée. Elle est toujours tournée vers l’enfant et du coup est très pétillante. Je réalise ce projet avec une illustratrice qui a un style un peu particulier, qui fait des albums considérés comme superficiels chez Jungle, Pacotine. Je pense qu’on va en surprendre plus d’un avec ce projet, ça va sortir chez Kennes Editions. Il y aura deux tomes par an, un tous les six mois. Ça me fait 4 séries en cours, je vais signer un autre projet, une adaptation de roman. J’ai aussi deux autres séries en projet, mais je ne peux rien en dire.
Lucile, des projets de ton côté ?
Lucile : Plein ! Mais pour l’instant, pas le temps, j’ai beaucoup de travail. Ce sont surtout des projets d’écriture, comme un roman. J’ai aussi un projet qui se situerait entre le livre illustré et la BD, à mûrir.
Un mot pour vous décrire l’un l’autre ?
Lucile : Joris est optimiste et enthousiaste.
Joris : C’est vrai, j’ai un enthousiasme canin. Pour décrire Lulu, c’est dur, c’est une amie, une vraie. On en reparlera.
Lucile, quelle est la question que tu aimerais qu’on te pose ?
Lucile : J’aimerais qu’on me demande quelle est ma planche préférée.
Quelle est ta planche préférée ?
Lucile : Eh bien sur Enola, c’est la première que j’ai faite, celle des squelettes. Quand je me suis lancée dans l’encrage du storyboard, c’est la première que j’ai faite, car c’est celle qui me motivait le plus, je l’ai aussi mise en couleurs dans la foulée, ça m’a pris une semaine, mais j’ai adoré faire cette planche.
Joris, la question que tu aimerais qu’on te pose ?
Joris : J’ai une copine qui m’avait une fois posé une question qui m’avait beaucoup plu, c’est « Avec tous les projets pour enfants que tu as, y’a-t-il une place pour un vrai enfant ? ». Et je m’aperçois que oui.
Lucile, Joris, merci beaucoup !
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