Auteurs et autrices / Interview de Alex Alice
En attendant la parution du tome 3 en 2017, Alex Alice a imaginé un hors série exceptionnel de son château des étoiles. A quelques jours de la sortie de celui ci, il revient pour nous sur les débuts de la série.
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C’est voulu dès le départ, le château vient de deux envies et de choses qui m’ont marqué à l’âge des héros : à la fois les lectures de Jules Verne et la découverte de l’univers du roi Louis II de Bavière. Ces deux influences ont fait que j’ai porté un projet pendant longtemps. Plutôt qu’un projet, une envie de pouvoir traiter ces deux univers et de faire une fiction spatiale au 19e. Cette envie nait d’une frustration de la lecture du roman « Autour de la lune » où, -spoiler-, les protagonistes n’atterrissent pas, mais font réellement le tour de la lune. Et enfant, j’avais envie qu’ils atterrissent. On m’avait promis dès le début que ces personnages arrivaient sur la lune, et moi j’avais envie qu’ils atterrissent. Et qu’ils y arrivent dans l’état d’esprit dans lequel ça m’avait été raconté : avec ces connaissances et cette vision de la lune que l’on avait au XIXe siècle -- on ne sait pas s’il y a une atmosphère ou pas, on pense qu’il n’y en a pas, mais on n’en est pas sûr --. Il y avait plein de gens qui voulaient encore y croire, et c’est un petit peu ce qui se passe en ce moment avec Mars. Grosso modo, on n’a pas vu de martiens, mais les gens s’accrochent à cette idée.
A l’époque, il y avait ce même état d’esprit, mais sur la Lune. Et tout ça dans cet univers, avec ce type de personnages, un esprit d’aventure, de conquête : tout était possible. Et on faisait ça avec style, dans des intérieurs capitonnés avec son haut-de-forme !
Et donc, j’étais très déçu qu’ils n’atterrissent pas sur la lune. De cette frustration, cela a fait naitre cette envie d’en faire quelque chose. Parallèlement, à peu près au même âge, j’ai pu visiter les châteaux de Bavière dans des circonstances météorologiques un peu exceptionnelles. Avec un orage, de la pluie, de la brume, des choses qui sont un peu retranscrites dans la bande dessinée. J’ai alors développé un attrait pour ce personnage, Louis II de Bavière : tout ce qu’il représentait, et les derniers feux du romantisme allemand, qui m’ont suivi sur Siegfried. J’ai voulu faire quelque chose avec ce personnage extraordinaire. J’avais donc ces deux idées derrière la tête, et un jour où je terminais une biographie de Louis II de Bavière, je me suis rendu compte que les deux se passaient exactement à la même époque et l’éclair s’est fait à ce moment-là.
Donc le déclic se fait et à partir de cette idée, et tu imagines l’histoire du Château des étoiles ?
Le problème de l’uchronie en général, et du Steam punk en particulier c’est-à-dire une fiction dans lequel on change un état physique, où on invente une science particulière, un état particulier c’est que souvent cela fait des univers intéressants, mais pas d’histoire ! Pendant longtemps j’étais un peu coincé avec cette idée là.
Premièrement, une uchronie ne crée pas forcément une histoire. Et deuxièmement, est-ce qu’il n’y aurait pas quelque chose, une foi fondamentale dans cet univers, que l’on aurait perdu ? Quand on est Jules Verne, on sait que ce n’est plus possible. Mais, introduire Louis II de Bavière dans cette histoire m’a donné ce récit qui est la conquête de l’espace financée par Louis II de Bavière. Et c’est ça qui est développé dans le récit, même si il n’est pas le héros. C’est le personnage par qui tout arrive, le personnage catalyseur de l’aventure comme pourrait l’être le capitaine Nemo, c’est à dire un personnage très fort, très excentrique, et qui a les moyens de faire des choses extraordinaires.
D’un autre côté, quand j’ai lu Jules Verne, j’étais un jeune adolescent et donc je ne savais que ça ne pouvait pas se passer comme ça. Je savais évidemment que le canon pour aller sur la Lune n’était pas possible, que la pesanteur ne fonctionnait pas comme ça, je savais que sur la lune il n’y avait pas de sélénites… Et je me suis demandé ce qui était important là-dedans, et la réponse était pour moi que l’auteur y croit au moment où il écrit. Et moi, quand j’ai écrit le Château dans les étoiles, j’y crois !
Par exemple, la réalité de Vénus tel qu’on l’imaginait à l’époque, comme une jungle luxuriante, me paraît presque plus crédible que l’hypothèse actuelle d’une planète aux conditions infernales.
Et ça a été facile d’imaginer un univers auquel tu croyais vraiment ?
Au final, oui, ça a été assez facile de me remettre dans cet état d’esprit de l’époque, et d’écrire le Château dans les étoiles. En tant qu’auteur, on est dans son univers, et on y croit tant qu’on écrit. Et c’est ça qui est magique, c’est de faire en sorte que les gens y adhèrent. Et à mon avis, c’est la différence qui m’intéresse vraiment dans ce genre de récit là, c’est-à-dire Miyazaki, Peters, et le tout venant du Steam Punk, c’est la conviction profonde de la crédibilité de l’existence de l’univers. Et aussi un certain esprit de sérieux, même si le Château dans les étoiles essaye de faire rire, l’idée c’est de ne jamais rire de l’univers. Contrairement à beaucoup de récit dans le Steam punk qui passent leur temps à se moquer du fait que ce qu’ils racontent est impossible, cette approche ne m’intéresse pas du tout. Ça peut me faire rire sur le moment, mais ce n’est pas ce que je voulais faire pour Le Château des étoiles.
Le personnage de Hans a un petit coté décalé, moins sérieux que les autres personnages qui sont des scientifiques qui veulent aller sur la lune. Cela me rappelle un peu le personnage de Mime qui avait lui aussi ce ton plus léger. Est ce que c’est un besoin dans ton écriture d’avoir ce genre de personnage ?
C’est certainement un vecteur. J’ai eu plusieurs déblocages sur ce récit. Le principal c’est l’éclair qui est à la base de ce projet et de cet univers Vernien et romantique. Qui sont curieusement concomitant au point de vue chronologique, mais qui sont antinomiques en fait, car ils ne se rencontrent quasiment jamais dans la fiction. De la même manière il y a tout cet aspect romantique et scientifique qui amènent un certains nombre de thèmes assez graves. Forcément avec des personnages comme Louis II de Bavière on est dans le drame, à grande portée. Ce n’est pas quelqu’un qui pensait petit. C’était une créature tragique qui voyait la vie comme quelque chose de grand, d’important, de terrible et de merveilleux. Le personnage de Hans est totalement à l’opposé de ça, et c’est vrai que quand je l’ai créé, ça a été pour moi le déblocage complet. Mais cette fois moins en terme d’intrigue que de personnage.
Il y a longtemps eu Séraphin tout seul dans l’histoire, et c’était très difficile pour moi parce qu’il se retrouvait confronté à un monde d’adulte et à une fille. Du coup, ce n’était pas très évident d’avoir son point de vue parce qu’il ne pouvait pas vraiment s’ouvrir aux adultes et les filles, à cet âge là, c’est compliqué. Pour exprimer qui il était, je pouvais avoir de la voix-off, mais globalement ça manquait d’interactions. L’arrivée de Hans dans cette histoire m’a permis de faire s’exprimer Séraphin.
En fait cela te donne un relais qui permet des interactions supplémentaires et des options différentes dans la narration ?
J’en parle comme si j’avais inventé la poudre, mais c’est quelque chose d’extrêmement classique en fait cette triade deux garçons/une fille. On se retrouve avec deux personnages, un peu comme le confident du théâtre, et cela va permettre d’externaliser la vie intérieure de mon personnage sans avoir à aller dans des monologues, ce qui aurait tendance à enquiquiner tout le monde. Enfin…ça dépend du genre qu’on traite, mais dans ce genre là je n’avais pas envie de m’éterniser sur du monologue.
J’ai aussi hésité longtemps à faire de Séraphin une fille. La triade deux garçons/une fille n’est pas immuable, j’aurais pu faire autrement. Mais il y a déjà suffisamment de choses étrangères dans ce récit, et si j’avais du me projeter comme personnage relais du lecteur dans une fillette de cette âge là -- c’est quelque chose que j’ai pas vécu évidemment -- ça me faisait un peu trop d’étrangeté. Alors je suis revenu sur un garçon. Du coup on arrive sur une triade relativement classique. Par contre ce que j’essaye d’éviter le plus possible, dans ce genre de récit qui accueille aussi des enfants, c’est que l’on peut vraiment avoir la tentation de mettre de l’humour pour dédramatiser la situation, alors que ce n’est pas du tout le propos.
Au contraire le propos c’est de faire du contrepoint pour que l’humour vienne crédibiliser et accentuer la situation qui va suivre et vice versa. C’est très délicat, j’espère que l’équilibre est bon. Il faut faire 6PO, il ne faut pas faire Jar Jar Binks pour faire une référence dans l’ère du temps.
Du coup tu nous dis qu’au début Séraphin était tout seul, que Hans est arrivé plus tard. C’est une histoire que tu as murie pendant longtemps avant d’arriver à la version définitive ?
J’aime bien faire ça, passer du temps sur un sujet avant de l’aborder vraiment sérieusement. J’étais tellement bien dans Siegfried, au moment où on s’est vu d’ailleurs (à la sortie du tome 2, voir interview de 2009 - ndlr), c’était tellement génial. Je m’éclatais dans la vie des personnages et dans le dessin, je me disais, si je veux éviter la dépression quand ça va s’arrêter, qu’il fallait que j’aie un nouveau projet (rires).
Donc avant d’avoir terminé Siegfried tu avais déjà planché sur Le Château des étoiles ?
En fait, je m’étais juste autorisé à y réfléchir, laisser venir les idées et lire un petit peu, mais je n’avais pas d’idée. Et tout est venu vite, ce qui fait qu’à partir du milieu du tome 2 de Siegfried, je commençais à travailler sur Le Château des étoiles. C’était super, j’avais un truc qui m’excitait vachement, sur lequel j’étais en train de bosser, et un deuxième sur lequel je développais les idées. Du coup, oui c’est vieux, cela remonte à 2008 je crois.
2008… c’est un projet de longue haleine alors ?
J’ai mis très longtemps à développer le projet, à le murir plus que le développer même. Noter les idées, lire la documentation, et je crois beaucoup à ça : une espèce de fermentation qui se fait de manière à moitié inconsciente. On lance les idées et l’histoire se met un peu en place toute seule à partir d’une idée de départ. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. A partir de l’idée de départ c’est allé très vite ! C’est vraiment l’éclair et à partir de là, tout de suite, j’ai eu beaucoup de choses. Après, ce qui est long et ce sur quoi c’est bien de réfléchir, c’est la documentation d’une part, et la manière d’amener les choses d’autre part. Pour moi, et ça a été le cas sur tous mes projets, même si il n’y en a pas eu tant que ça : une vision assez fulgurante de ce que ça va être, qu’est ce que ça va m’inspirer, quelles seront les scènes clés.
J’ai une structure de base qui concerne mes personnages principaux, je sais où je vais les emmener. Je peux y aller un peu plus vite ou un peu plus doucement, mais ça ne va pas beaucoup bouger. Par contre ce qui est intéressant ce sont tous les personnages autour et l’univers lui même, dans lequel il y a des quantités de choses à explorer.
Est ce que les prochains tomes paraitront aussi sous la forme de journaux ?
L’idée de ce que je vais essayer de faire, c’est de fonctionner en diptyque, pour l’instant, et après on verra ce qu’il se passe. Faire en sorte de clore des histoires et de passer à la suivante pour me donner, d’abord pour moi, mais aussi pour le lecteur, des minis rendez-vous qui font qu’on a une histoire, et si on a envie de continuer dans l’univers, on a une autre histoire qui arrive après. Alors oui, normalement, les prochains paraitront aussi sous la forme de journaux.
Qui a eu l’idée de ces journaux : toi ou ton éditeur ?
Ce qui est amusant c’est que c’est quelque chose qui avait déjà été fait, sur des albums de Tardi (L’Etrangleur). Je les avais repérés à l’époque et je m’étais dit que c’était génial quand on a une histoire qui s’y prête, j’ai trouvé ça fabuleux. C’était l’époque où j’étais aux Etats-Unis pendant que je faisais Siegfried 2, c’était l’arrivée de l’IPad, du numérique, et justement c’était le moment où il fallait faire du papier. Tout le monde allait vers le numérique, et je me suis rappelé de cette histoire. J’adore ça, j’adore voir des grandes planches et j’avais super envie de proposer des expériences qui soient uniques au papier, des trucs qu’on déplie et qui sont immenses.
Et en fait, quand j’ai proposé ça à Nadia, mon éditrice chez Rue de Sèvres, elle m’a dit « Mais oui bien sur, c’est moi qui avait ça pour Tardi ». C’était son idée et on s’est retrouvé là dessus, et c’est un plaisir à faire.
Qu’est-ce que ce format impose dans l’écriture comme contraintes ? Des chapitres d’un certains nombres de pages ?
Ca me permet de développer l’univers. Le contenu a été assez difficile à faire au départ, parce que tout ce qui se passe dans l’histoire est secret au début du récit, et ne devient public qu’à la fin du deuxième album. En fait le journal va devenir intéressant… maintenant :-) Enfin j’espère qu’il était intéressant dès le début (rires).
Maintenant le terrain de jeu s’ouvre complètement et je suis très content que le journal ait bien fonctionné, ça va nous permettre de continuer à le faire. Et on va faire d’autres surprises aussi. L’univers a vocation à s’enrichir de pleins de manières différentes.
Dernière question sur L’Ethernef, qui est un vaisseau pensé dans ses moindres détails, avec sa vraie logique mécanique qui font que l’on y croit tellement c’est poussé dans le réalisme. Tu as puisé tout ça où ?
Justement dans le besoin d’y croire le plus possible. Comme j’y crois j’ai envie que ça existe. Les maquettes, c’est un plaisir très basique de voir des choses qu’on a eu dans sa tête tout d’un coup exister dans le réel. Au delà du fait que ça me serve littéralement pour la BD, pour le dessin c’est très pratique d’avoir les choses sous le nez, ça aide à trouver des angles qu’on n’aurait pas imaginés, ou des comportements dans l’espace qu’on n’avait pas anticipés. En tout cas, c’est vrai pour le deuxième volume qui se passe largement dans l’Ethernef.
Voilà, pour moi ça fait que cet endroit existe. Ce n’est pas moi qui ai fabriqué la maquette, mais j’ai conçu les plans, et d’avoir du les concevoir pour quelqu’un qui revenait me voir en me disant « non mais ça, c’est pas possible, ça ne tient pas », ça fait qu’au final, j’ai l’impression que j’ai quelque chose qui soit crédible et qui se tienne.
Alex Alice, merci !
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