Auteurs et autrices / Interview de Gregory Panaccione
Voilà que s'annonce en septembre le 4e tome de la série Chronosquad de Gregory Panaccione et Georgio Albertini. L'occasion rêvée pour partager cette interview de Gregory Panaccione réalisée à Angoulême en ce début d'année.
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GP : Ça ne fait pas longtemps que je travaille dans la bande dessinée. Pendant vingt ans je n'ai pratiquement travaillé que dans le dessin animé ; un peu de pub au début, mais j'étais frustré. C'est comme ça que je suis passé au dessin animé et j'ai commencé à être content de ce que je faisais. J'ai fait beaucoup de storyboards, de la recherche de personnages et de la réalisation de séries animées télé. Et donc voilà, après ces vingt ans de technique dans le dessin animé j'ai appris plein de choses, même si je faisais toujours des choses pour moi à côté, juste pour le plaisir. Mais ça ne fait que cinq ans que j'ai décidé de me lancer vraiment là dedans, parce que par moment je commençais à être un peu frustré. Je me suis aperçu en 2011 que j'en pouvais plus de faire toujours la même chose, toujours avec des interdits. Vu que ce sont des grosses productions, qu'il y a beaucoup d'argent en jeu, tu as toujours des producteurs qui ne veulent pas ci ou pas ça, et moi j'avais envie de faire des trucs à moi, même simples. Le premier bouquin que j'ai fait c'était « Tobby mon ami » et c'est plutôt gentil, mais en même temps c'était quelque chose que je faisais sans avoir de limites et ça faisait du bien après vingt ans de dessin animé où tu en as toujours ; je me suis laissé aller et puis après ça a plu, j'ai continué. J'aime bien et je suis toujours content d'être passé dans ce monde là.
C'est vrai que j'ai senti que tu t'amusais avec la bande dessinée. C'est marrant que tu me parles du dessin animé ; j'ai fait une interview il y a quelques temps et la personne m'a dit la même chose, que c'était compliqué l'animation au niveau des interdits à cause des contraintes et que la BD était quelque chose de beaucoup plus ouvert, de beaucoup plus libre.
Tout à fait.
Revenons à ton dessin, tu travailles comment sur tes albums ?
Je travaille avec Photoshop et une tablette Sintiq.
Tu ne travailles plus sur papier ?
Le papier je l'utilise pour moi, pour faire des recherches de personnages parfois, quand je suis dans le métro, pour le plaisir. Avec l'ordinateur, à force de travailler dans le dessin animé j'ai trouvé une technique au fil du temps qui me convient assez bien. C'est une technique un peu particulière parce que je travaille tout en noir et blanc. Je fais tout clean, le travail définitif en noir et blanc, avec les gris, les lumières, les atmosphères, et après, la couleur c'est le dernier passage. Ça se joue à peu de choses la couleur, ça ne représente que 10 % du travail, le reste c'est tout le travail sur le dessin, les ombres et les lumières. Ça me permet de ne pas m'encombrer des couleurs ; j'essaye de trouver les atmosphères justes et la couleur arrive au dernier moment ; c'est la cerise sur le gâteau.
Et concernant l'expressivité de tes personnages, comment travailles-tu ? Est-ce que le dessin animé t'a beaucoup apporté à ce niveau là ?
Je pense que j'ai toujours eu un dessin assez expressif. Par exemple, à l'école je faisais souvent les caricatures des gens, j'essayais de trouver l'expression de la personne. C'était pas forcément très bien dessiné, mais l'expression était juste. Donc, mon dessin part de l'expression ; au lieu de partir de la structure comme beaucoup de dessinateurs le font en fait, moi je pars de l'expression et je construis autour ; c'est pratiquement la première chose que je fais. Pour chaque image, je pars de l'expression ; même quand je dessine un plan large, je vais partir de l'expression du corps. Je sais que c'est la première chose que le lecteur regarde ; quand on regarde une personne, on regarde tout de suite son expression et surtout son regard. C'est cela que j'ai envie de ne pas rater donc je le dessine en premier.
C'est vrai que c'est quelque chose qui m'a marqué dans ton travail, que ce soit avec les personnages ou les animaux.
Oui, avec les animaux c'est spécial car il y peu d'expressions par rapport aux expressions humaines. On ne peut pas le faire sourire; on peut le rendre triste avec les oreilles, mais c'est un peu plus subtil. Dans « Match » en plus le personnages a des lunettes, on ne voit pas ses yeux et son expression ; elle est un peu cachée en plus par les cheveux. Ce n'est donc pas forcément vrai ce que je te dis ; c'est peut-être plus l'expression du corps. Les épaules c'est ce qui donne pratiquement tout ; c'est là où il y a la peur ou la violence. Il suffit de remonter un peu les épaules et on sent que le personnage a peur ou qu'il est un peu agressif. Ce sont tous ces petits détails qui font la différence. Mais ce que je voulais te dire c'est que ce n'est pas construit mais plutôt instinctif, ça vient naturellement ; après je suis obligé de construire un peu pour que ça ne se casse pas la gueule [rires].
Et du coup ce projet de Chronosquad il s'est construit comment avec Georgio Albertini ? C'est quelqu'un que tu connaissais déjà avant ou avec qui tu avais travaillé sur d'autres projets ?
Non, on est dans le même atelier depuis 2005/2006 en fait. A Milan on a cet atelier où on est neuf et demi pour le moment. Au départ on voulait faire une série de dessin animé ; c'était pratiquement Chronosquad. On savait qu'il y aurait des espèces de flics qui allaient résoudre des problèmes et que c'était des voyages touristiques dans le temps. Et on l'a pas fait en fait, on a laissé tomber. Et puis il y a deux ans et demi à peu près on a eu l'idée de le faire en bande dessinée. En lisant une interview de Lewis Trondheim avec qui j'avais déjà travaillé, où il disait qu'il aimait bien la série « Last Man ». On s'est dit « Mais putain on est con, pourquoi on ferait pas aussi une série en BD, on aurait du y penser avant ? ». On l'a donc envoyé comme ça et ça a démarré assez rapidement.
Par rapport à tes trois premiers albums en solo, qu'est-ce qui change le plus dans ta façon de travailler avec un scénariste ?
Oui bien sûr ça change plein de choses. Alors la première chose que ça change pour moi c'est que je n'ai pas le poids du rythme général, ce n'est pas moi qui le porte, donc ça me fait des vacances un petit peu. Je me sens plus libre, je m'intéresse plus à l'aspect graphique, à l'aspect narratif, je me concentre donc sur d'autres choses et ça c'est agréable je trouve. Pour moi l'idéal serait de faire une BD tout seul, puis une BD avec quelqu'un, etc, pour me régénérer. Après au niveau de mon travail de tous les jours, le fait qu'il y ait déjà des textes j'essaye de m'effacer. Quand il y a des dialogues qui ont de l'importance, j'essaye que la mise en scène ne soit pas trop en avant. Par exemple, quand dans Chronosquad il y a des scènes de réunion, je ne varie pas trop les angles, j'essaye que les personnages soient naturels ; j'efface un peu mon expressivité pour laisser vivre les dialogues, pour que le lecteur s'intéresse à ce qu'ils sont en train de dire, qu'il ne soit pas trop perturbé par tout ce qui se passe. Voilà ce qui change.
Avec cette série on revient à un format plus traditionnel pour tes albums ; les albums précédents proposaient tous des formats différents.
Oui c'est vrai.
Et là repartir avec ce format et quatre tomes de prévus, est-ce que ça change la donne, est-ce que ça te laisse plus de liberté ?
Non, ça ne change rien. Les quatre tomes ça permet d'approfondir les personnages, de mieux les connaître, donc de les faire vivre de façon plus durable. Ça je le sens vraiment car c'est la première fois que je fais une série ; et c'est vrai que je les sens exister, j'ai moins de difficulté à les dessiner, ils viennent plus naturellement, je les sens mieux, ce qu'ils pensent, leur ton, leur état d'esprit : je les comprends mieux et c'est quelque chose de plus naturel au bout d'un moment. Là on est en train de terminer le quatre et je sens que c'est beaucoup plus facile ; c'est surtout ça qui change.
Ce que j'ai apprécié aussi ce sont les pleines pages et les doubles pages que tu fais dans cette série car je trouve qu'on n'en voit plus beaucoup. On vous a laissé libre au niveau de la pagination ?
Oui complètement. On savait que la pagination ça serait entre 200 et 250 pages ; moi je fais comme je le sens. Si je sens qu'une double page a son intérêt, si ça fait du bien, je le fais. Je ne me pose pas de questions et j'essaye de ne pas être radin sur les pages. Alors il y a des gens qui s'en plaignent, j'ai lu ça sur des blogs ; ils trouvent qu'il y a beaucoup de pages mais que ça se lit très vite.
Moi j'ai trouvé ça plutôt aéré et fluide.
Oui c'est ça, c'est pour donner de la fluidité que je fais ça, pour donner du contraste, pour qu'il y ait un petit choc à chaque fois que tu tournes la page. Autant jusqu'ici je suis resté sur une base en trois bandes, tu verras que sur le quatre ça part dans tous les sens ; y'a des fois du quatre bandes, des fois des trucs verticaux... Parce qu'en fait j'ai changé de technique sur le quatrième et ça fait du bien.
Et concernant tes projets, est-ce qu'il y a quelque chose qui te ferait délirer de réaliser ?
… non. En fait j'ai l'impression de faire exactement ce que j'ai envie. Alors avec les difficultés que cela suppose, là c'était un gros boulot par exemple, mais j'avais envie de le faire. Depuis que je fais de la BD c'est comme ça donc je n'ai pas de frustrations où tu te dis « J'aimerais bien faire ceci ou cela », c'est génial ! Là j'ai déjà un autre projet avec quelqu'un avec qui j'ai envie de travailler depuis longtemps, après je vais certainement faire un truc tout seul pour Shampooing... voilà, j'attends de voir et je reste dans le présent assez facilement.
C'est ce qu'on disait tout à l'heure, on sent que depuis que tu es passé à la BD tu t'amuses et que ça se sent énormément dans tes albums.
Exactement !
Et bien merci Gregory pour cette rencontre et continue à t'amuser !
Merci
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