Auteurs et autrices / Interview de Yves Swolfs
Rencontre avec Yves Swolfs alors que son nouveau western, Lonesome, nous démontre que l’auteur n’a rien perdu de son talent.
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J’avais surtout une furieuse envie de refaire du western depuis 3, 4 ans, mais sans en avoir pleinement conscience. Ça a donc mis un peu de temps à se mettre en place. Au départ ce que je voulais, c’était me faire plaisir. C’est-à-dire faire les scènes que j’aime bien, retrouver des cadrages cinématographiques, toute cette esthétique propre au western italien dont je suis fan depuis toujours et au nouveau western américain. Et mettre en scène mon archétype de personnage de western qui, du coup, a effectivement quelques points communs avec Durango au niveau physique. Il n’y a rien à faire, mon héros-type est comme ça, avec un chapeau à bord plat, un long manteau, cette image quasi subliminale née du cinéma. Par contre, je tenais absolument à placer cet archétype dans une tout autre situation que Durango, ce qui me permet de développer un scénario plus riche, plus fourni, plus important et dans un contexte différent.
C’est pour ça que vous n’avez pas repris Durango, ce qui aurait été plus simple ?
Ca n’aurait pas été spécialement plus simple. D’abord à cause de l’éditeur mais aussi parce que ça m’aurait donné l’impression de régresser plutôt que d’avancer. Dans l’état d’esprit où j’étais, pour moi c’était vraiment aussi m’offrir un challenge, celui de faire une nouvelle série et de retrouver l’adrénaline, le plaisir et en même temps le stress qu’on a quand on fait une nouvelle série. Et généralement c’est dans ce contexte là qu’on fait le meilleur boulot, quand il y a un nouvel enjeu, comme si on repartait à zéro… ou presque puisqu’il y a des gens qui me suivent, un potentiel de lecteurs qui rassure. Mais pour moi c’était ça, on remet les cartes sur la table et en avant.
Dans Lonesome la partie historique est très importante. Comment êtes-vous arrivé sur cette idée ? Etes-vous parti d’une documentation, d’un film,… ?
De bouquins. Le net aussi pour certains personnages, retrouver leur histoire, leur rôle,… C’est une toile de fond importante parce que j’estime qu’on ne construit plus actuellement un scénario comme on pouvait le construire il y a vingt ans. Moi-même, j’ai muri en tant que scénariste mais il y a aussi l’influence de ces nouvelles séries américaines qui sont très fournies au niveau du scénario. Ces séries sont aujourd’hui à mes yeux beaucoup plus intéressantes que le cinéma car les scénaristes y développent plus de choses en même temps. Y compris en western. Mes références se situent du côté de séries comme « Deadwood » ou « Hell on wheels » qui pour moi est fabuleuse. Elle est inscrite dans un contexte historique qui fait mieux comprendre l’évolution des Etats-Unis à cette époque-là. Et donc je me disais, si je refais un western il faut inscrire ça dans plusieurs choses. Donc il y a le contexte historique pour lequel je me suis beaucoup documenté et puis aussi un côté limite fantastique, une part d’ésotérisme, de chamanisme, de sorcellerie qui était très courante aux États-Unis à cette époque-là. Les médiums avaient un succès fou à cette époque-là, d’autant plus à partir du moment où la guerre a commencé ! Tout le monde voulait essayer de parler avec ses morts. Ҫa a été vraiment une épidémie aux États-Unis. Et donc j’en parlerai aussi et le personnage s’inscrit là dedans.
Dans le premier tome, cet aspect fantastique n’est pas encore très développé. Il est présent mais il ne sert pas encore à grand-chose. Il va s’accentuer au fil des tomes ?
Oui, à partir du troisième.
Vous savez déjà combien de tomes il y aura ?
Oui et non. C’est toujours difficile à dire parce qu’au départ j’ai ma structure, je sais comment l’histoire évolue et se termine en gros. Mais c’est comme "Le prince de la nuit", j’avais prévu 3 tomes au départ et finalement il y en a eu 6. Il n’y a rien à faire, au fur et à mesure que je travaille il y a des éléments, des idées qui se rajoutent et j’ai alors besoin de plus d’espace pour développer. Donc je dirais entre 4 et 6.
L’aspect politique de l’album est très fort. Pourquoi avoir fait ce choix ? Est-ce que vous diriez que c’est votre série la plus politique jusqu’à présent ?
Sûrement, oui. Et ça vient du fait qu’effectivement je vois le monde autour de nous et c’est quelque peu inquiétant. Je n’ai jamais été très politisé mais ici on n’a pas trop le choix, aussi bien dans la position qu’on peut avoir par rapport au phénomène du terrorisme (bon là on parle du prêcheur bien sûr, qui est le personnage symbolique de ce genre de choses) et puis aussi le fait que la plupart des conflits suivent généralement une série de krachs financiers et d’erreurs que refont les banques à chaque fois pour leurs propres intérêts. Visiblement elles n’ont toujours pas compris, elles recommencent et ça mène chaque fois à des catastrophes. Il y a aussi ce côté-là qui m’énerve un peu. Après le krach de 2008, finalement les états ont dû pomper dans leurs finances pour les remonter et 3 ans ou 4 ans après elles recommencent, en prenant plus de sécurité, en rendant la vie plus dure aux gens pour sauver leurs fesses et continuer à faire des profits en spéculant. Je trouve ça profondément révoltant même si, comme je le disais, je ne suis pas vraiment politisé, plutôt individualiste. Mais dans ce cas-ci on ne peut pas faire autrement que de voir les choses. Je me suis servi de Lonesome aussi pour l’exprimer. C’est une des bases du choix du contexte de Lonesome, c’était de dire « dans quel contexte est-ce que je vais pouvoir exprimer mon mécontentement à propos de ce genre de choses ? ».
Revenons-en un peu au dessin. Vous avez, vous l’avez dit vous-même, un archétype du héros. Comment définiriez-vous un bon héros de bande dessinée, aussi bien physiquement que mentalement ?
Ҫa doit être un personnage fort qui porte quelque part les émotions de celui qui le crée. Pour qu’il soit riche, pour qu’il parle aux gens, il faut qu’il y ait des émotions qui passent à travers le personnage. En dehors de ça, ce profil répond très probablement à mon image du héros qui s’est créée durant mon adolescence. J’ai découvert les westerns italiens vers 13-14 ans et c’est devenu une sorte de référence pour moi. Chaque personnage doit vraiment avoir un caractère et avoir quelque chose qui se transmet graphiquement mais aussi dans les dialogues, dans sa façon d’être, dans toute une série d’expressions. Ҫa doit être un transfert d’émotions, négatives ou positives.
J’ai entendu dire que Lonesome allait être votre dernière série.
Je crois bien parce qu’honnêtement, disons-le, j’ai 63 ans. Je me sens encore bien, je me sens en forme, d’autant plus que de commencer quelque chose de neuf ça redonne vraiment la pêche mais je me dis qu’au rythme où je travaille j’aurai 70 ans ou plus quand j’aurai fini ceci. Après « Lonesome » je continuerai peut-être à faire des scénarios -si j’ai encore quelque chose à dire- ou je me lancerai dans l’un ou l’autre one-shot, seul ou accompagné. Peut-être que je ne ferai plus que des illustrations, je n’en sais encore rien mais je crois que c’en sera fini des longues séries. Une série comme ça, c’est un vrai marathon, c’est un investissement à long terme où on est toujours sous pression. Comme c’est une suite, il faut travailler, travailler pour que le suivant ne sorte pas 3 ans après. Cela induit une pression plus forte. Là je me sens encore bien et tout à fait apte à le faire mais après je pense que je travaillerai différemment.
Un petit mot sur les couleurs, réalisées par votre fille, je pense.
Oui, c’est son premier album et elle a fourni un excellent travail.
Pas trop dur de travailler en famille ?
Bien au contraire ! Bon, c’est clair que j’ai mes exigences mais à partir du moment où on explique pourquoi on veut tel ou tel éclairage à tel endroit, à partir du moment où on communique, il n’y a pas de souci. Sa mère et moi l’avons bien encadrée et le résultat répond pleinement à mes attentes.
Yves Swolfs, merci beaucoup.
De rien, c’était avec plaisir !
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