Auteurs et autrices / Interview de Cati Baur
Cati Baur était présente à Angoulême alors que venait de sortir le dernier tome de son adaptation de Quatre Sœurs. Une bonne occasion de rencontrer cette discrète et sensible artiste.
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Là je suis complètement dépressive, vraiment. Quand j’ai terminé je me suis dit « ça va, il n’y a pas de problème ». J’ai enchainé d’autres petites choses et puis ça fait maintenant deux ou trois mois que j’ai fini et vlan, gros coup de déprime. Je ne sais plus quoi faire de ma vie.
Est-ce qu’il y a un personnage que vous avez eu plus de mal à abandonner ?
Tous ! Mais si je ne devais en citer qu’un, je dirais Charlie. Parce que Charlie c’est une histoire manquée étant donné qu’elle n’a pas son propre tome. À un moment j’avais vraiment envie que Malika (ndj : Ferdjoukh, l’autrice des romans dont sont adaptées les bandes dessinées) écrive une histoire de Charlie pour l’adapter en BD mais ça ne s’est pas fait et ça ne se fera pas parce que, en réalité, la série est bien comme ça. Quand j’y repense, c’est vrai que ce n’était peut-être pas nécessaire mais, du coup, j’ai un petit de frustration à l’idée de louper Charlie.
Vous avez une explication au fait que la série s’appelle Quatre soeurs alors qu’il y en a cinq ?
Oui, alors la réponse de Malika, que je répète toujours, c’est une histoire sur le fait d’avoir quatre sœurs. C’est vraiment sur le rapport de sororité qui se crée et donc chacune a quatre sœurs. C’est un point de vue totalement subjectif.
Revenons à la genèse du projet. Qui a eu l’idée d’adapter Quatre soeurs ? Est-ce que c’était vous ou une demande d’un éditeur ?
C’est moi. Dans une ancienne vie de libraire, quand les romans sont sortis je les ai lus et je les ai adorés, je les ai relus longuement et souvent après. C’était un peu mes livres doudous. Quand je suis devenue auteur de BD, après mon premier roman graphique j’ai eu une espèce de phase comme aujourd’hui où je ne savais plus où aller et c’est là que j’ai pensé à « Quatre sœurs » et que j’ai demandé à l’auteur si elle était d’accord.
Et comment s’est déroulé cette rencontre avec Malika ?
J’étais dans mes petits souliers parce que pour moi c’était un monument, cette Malika Ferdjoukh. J’adorais tous ses romans de l’École des loisirs, maison d’édition que je mettais aussi sur un piédestal. C’était le top du top pour moi. Donc c’est vrai que quasiment débutante (je n’avais publié qu’un roman graphique et une petite BD à ce moment-là) je me demandais si j’allais avoir la prétention de le faire et de le demander. Et puis en même temps j’étais tellement passionnée, j’avais tellement envie de le faire, que j’aurais pu survivre à un refus mais j’aurais eu du mal à supporter le regret de ne pas l’avoir fait si un jour ça se faisait.
Elle a collaboré à la réalisation, à l’adaptation ?
Oui. J’avais vraiment envie que ce soit très fidèle aux romans. J’avais vraiment besoin de travailler avec elle, en tout cas pour le premier tome. Pour me rassurer mais aussi pour que mes images correspondent à sa vision des choses. Donc, pour le premier volume on a travaillé ensemble pour qu’elle valide déjà tout ce que je voyais, ce que moi je traduisais avec mon dessin : les personnages, la maison,… Je n’avais pas envie qu’elle découvre plus tard mes image et qu’elle se dise que ce n’était pas du tout ce qu’elle imaginait. Il fallait absolument que chaque objet soit validé, ou presque, donc on a vraiment travaillé en tandem sur le premier volume. Ensuite j’ai décidé que je pouvais prendre mon envol, on en a discuté et elle m’a fait confiance.
Et pour dessiner la mer, le bord de plage, alors qu’on n’est pas vraiment originaire du coin, on procède comment ?
C’est marrant parce que moi je ne suis pas du tout une fille de la Bretagne et de la côte Atlantique. Ce ne sont pas des paysages qui me sont familiers. J’ai donc créé de toutes pièces des paysages grandement fantasmés. Pour trouver l’inspiration, je me ballade pas mal sur Google Street View par exemple. Avant de me lancer dans l’aventure, je suis allée à Cherbourg, une fois à Saint Malo mais depuis que j’ai commencé la série je ne suis jamais allée en Bretagne. Ces paysages sont totalement imaginaires. Procéder de la sorte me laissait finalement plus de liberté et puis ça permet de laisser planer le doute. Il y a des gens qui pensent que ça se passe en Bretagne. Quand je vais à Saint Malo, ils me disent tous « Ça se passe par ici, hein ? ». Et quand je suis allée à Cherbourg ils m’ont dit « Donc ça ne se passerait pas par ici ? » C’est amusant, en fait.
Et pour les personnages ? Est-ce que votre manière de les représenter a correspondu aux attentes des lecteurs ?
Oui, et là je suis hyper fière de dire ça mais j’ai vraiment peu de retours négatifs. C’est arrivé qu’on me dise « Hortense je ne l’imaginais pas du tout comme ça » ou « Geneviève je la voyais plus jolie » mais on me dit vraiment beaucoup plus souvent « C’est exactement comme j’avais imaginé ».
Dans votre dessin, il y a un aspect très spontané, très vif et un peu espiègle. Est-ce que le dessin correspond à la personnalité du dessinateur ?
Non, mon dieu. Je suis très spontanée mais pas du tout espiègle. Je suis très rabat-joie en fait dans la vie, je suis assez chiante. Je doute souvent de moi. Tant mieux si vous trouvez que mon dessin est espiègle mais je ne le suis pas du tout, malheureusement. C’est sans doute pour ça, d’ailleurs, que j’avais tant besoin que Malika me conforte dans mes choix au début de l’aventure.
Le contact avec les lecteurs a été globalement très bon, non ?
Oh si ! J’ai la chance d’avoir de super lecteurs et lectrices -plus de lectrices que de lecteurs quand même, mais qu’importe- et de tout âge. Il y a des petites filles qui commencent à 9/10 ans. Et ça c’était génial parce que ma propre fille a 9 ans et cette année il y a 3 nouvelles qui sont arrivées dans sa classe et elle s’est rendu compte que ses copines étaient fans de mes BD. Il y a aussi des adolescentes et finalement quand même beaucoup d’adultes. C’est amusant de voir qu’en fait, les lecteurs sont principalement adultes alors que les lectrices sont de tout âge. Je n’ai pour ainsi dire pas de lecteur enfant ou adolescent…
Quand on adapte, à votre avis, quel est le piège à éviter ?
Je pense que le piège serait de faire une adaptation totalement linéaire et littérale. Et pourtant c’est exactement ce que j’ai fait. Parce que je trouvais que c’était tellement parfait que je n’avais pas envie de rajouter du mien, de transformer. Donc j’ai l’impression que je suis allée dans le plus gros piège possible et que finalement je m’en sors quand même.
Maintenant est-ce que vous avez d’autres projets ? J’ai vu que vous aviez illustré d’autres romans de Malika.
J’ai fait des couvertures pour ses romans, oui.
Une adaptation BD ?
Non ce n’est pas prévu. J’ai beaucoup de choses dans la tête. Il y a sept ans, j’ai eu une bourse du CNL pour un roman graphique qui me tient à cœur mais quand j’ai eu cette bourse, j’en étais au premier volume des « Quatre sœurs ». Au début, je pensais que j’allais arriver à jongler entre les deux mais, en fait, « Quatre sœurs » a pris tellement de place dans ma vie que je n’ai jamais pu mener à bien ce projet. Donc je pense que je vais me consacrer à fond sur ce projet-là qui va s’appeler « Vents mauvais ».
Un petit mot sur les couleurs, auxquelles vous avez prêté une attention particulière, je pense. Notamment pour toutes les teintes de vert.
Le vert ça me faisait très, très peur. Je dois préciser qu’à partir du deuxième volume, ce n’est plus moi qui ai fait les couleurs, c’est Élodie Balandras. En fait je suis énormément le travail des couleurs. Ce n’est pas que je corrige beaucoup mais j’oriente vraiment parce que j’ai une idée très précise de ce que je veux. Élodie pourrait témoigner que je suis assez casse-pieds parfois. Comme la série de romans est construite sur quatre saisons, je voulais vraiment qu’il y ait quatre ambiances colorées qui correspondent aux saisons dans les quatre volumes. Le vert du printemps et de l’été est assez inhabituel pour moi. Je m’habille énormément en vert, j’adore le vert mais j’ai énormément de mal à l’utiliser dans les couleurs, sur papier. C’est un gros problème. Donc là c’est uniquement Élodie qui s’en est occupée. Elle a été très forte pour gérer les verts et je suis vraiment contente du résultat.
Cati, merci beaucoup pour le temps que vous venez de nous consacrer.
C’était avec plaisir. Merci à vous et à bientôt.
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