Auteurs et autrices / Interview de Christophe Bec
Christophe Bec est un auteur entier, qui a déjà fait parler de lui en tant que scénariste et en tant que dessinateur. Répondant aux questions du forum, il ne pratique pas la langue de bois.
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Je crois que ma vocation est née à l’âge de 10 ans, avec mon jeune frère nous avions contracté la rougeole et mes parents nous avaient confié 15 jours à nos grands parents. Alités pendant 15 jours, ça n’allait pas être la joie ! Heureusement, dans un placard, on a trouvé une pile d’Astérix, qui appartenaient sans doute à mon oncle. Et alors là, c’est un souvenir extraordinaire, je ne pouvais pas bouger du lit, mais je voyageais avec Astérix, Obélix et Idéfix à travers toute l’Europe. Je garde vraiment des souvenirs émus de certains passages des albums, notamment la scène où ils sont enfermés dans un coffre fort avec un gros fromage…
Mais en fait, ma vie est liée à la BD, j’ai appris à lire très tôt dans un recueil du journal Tintin et notamment avec L’Extraordinaire Odyssée de Corentin du grand Paul Cuvelier. Mais c’est vraiment après cet épisode de la rougeole que j’ai su que je serai auteur de BD quand je serai grand. Ensuite, j’ai travaillé en autodidacte pendant des années et monté des petits fanzines imprimés avec la photocopieuse du photographe du village où nous habitions, jusqu’à ce que ça devienne plus sérieux avec Esquisse qui a été nominé à Angoulême pour le prix du meilleur fanzine.
Tu as fait l’Ecole de la bande dessinée d’Angoulême. Quelles sont les leçons apprises à cette époque ?
J’ai des souvenirs très contrastés de cette époque. Je ne peux pas dire que les cours qui y étaient prodigués m’aient laissé un souvenir impérissable, en dehors de ceux de Frédéric Boilet où j’ai beaucoup appris. Pour le reste, je crois que les professeurs voulaient nous amener vers un certain type de bande dessinée, expérimentale notamment, moi ce que je voulais c’est en faire mon métier, le plus vite possible, et l’école ne nous formait pas à cela.
Par contre, j’y ai côtoyé là-bas des dessinateurs extraordinaires comme Aristophane, Hübsch, Servain, etc. et évidemment j’ai pris un sérieux raccourci, il y avait une grosse émulation, on se tirait tous la bourre, mais dans un grand respect pour le travail des autres.
Enfin, en ce qui me concerne. La principale chose que j’y ai apprise, c’est qu’il ne faut pas limiter son champ d’influence à la BD, c’est qu’il faut être curieux des autres arts. Pour ma part, j’ai compris que j’avais une vision trop limitée des choses qui enfermait mon dessin dans des codes éculés, alors je me suis tourné vers le cinéma pour enrichir mon univers. J’ai bouffé pendant 2 ou 3 ans une quantité de films hallucinante et ce dans tous les genres. Après, il m’a fallu digérer tout ça, ça m’a pris des années, mais je pense que c’est cette période qui a construit mon style.
En 1993 sort Dragan tome 1, sur un scénario de Corbeyran, aux Editions Soleil. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de tome 2 ?
Les ventes ont été décevantes et j’étais très mal payé. Mourad Boudjellal m’a alors proposé de travailler avec Simon Rocca en étant payé plus du double. J’étais un jeune auteur et c’était difficilement refusable. Je crois qu’Eric Corbeyran m’en a voulu à l’époque, pourtant j’avais confié le tome 2 à un autre dessinateur que j’avais formé, mais ça n’a pas abouti. Avec le recul, je regrette un peu, je n’étais pas à l’aise dans le récit historique et j’aurais appris plus en dessinant le tome 2 de Dragan.
Il est certain qu’aujourd’hui, si on refaisait un album ensemble avec Eric, ce ne serait pas la même chose niveau des ventes… Qui sait, ça se fera peut-être un jour ? En tout cas, aujourd’hui, tout va bien entre nous, on communique de temps en temps par e-mail.
En 1997, Zéro Absolu est la série qui t’a fait connaître, avec Richard Marazano au scénario. Si c’était à refaire, que changerais-tu dans cette trilogie ?
Beaucoup de choses. Mon rapport avec cette série est très étrange.
A la sortie des albums on s’est fait laminer sur les forums, ça n’a pas été simple à gérer, d’autant que je m’étais un peu brouillé à l’époque avec mon éditeur. Mais finalement, ces attaques plus ou moins gratuites m’ont surmotivées sur Sanctuaire, je voulais prouver des choses.
Avec du recul, je l’ai relue, et tous les défauts m’ont sauté à la gueule, j’ai alors mieux compris les critiques assassines, et là a commencé une période de rejet absolu pour cette série. Les années ont passé et Jean Wacquet m’a proposé une réédition de la série, le succès de Sanctuaire n’était pas étranger à cette proposition, j’ai longtemps hésité avant de l’accepter, d’autant que Richard Marazano ne voulait pas que je fasse les corrections que je souhaitais. Puis finalement, ce sont des proches qui m’ont convaincu, il y avait quand même des gens qui avaient beaucoup apprécié la trilogie et les ventes étaient correctes, avant la réédition, on en avait vendu 25 000 sur l’ensemble de la série, ce qui est honnête.
Puis, la réédition m’a réconcilié avec cette série, j’ai appris à tolérer même ses gros défauts. Aujourd’hui, je suis assez fier d’avoir fait ce truc, qui reste un OVNI dans la BD. Et j’ai remarqué que la nouvelle génération de lecteurs l’a mieux apprécié que la précédente, c’est une série qui était peut-être arrivée trop tôt, elle manquait de maturité, dans l’écriture et le dessin.
Mais quand on voit nos carrières avec Richard, il est quand même difficile de penser que cette série était totalement nulle, sinon on en serait pas là aujourd’hui.
2004 est l’année de la diversité en ce qui te concerne, avec le succès unanime de Sanctuaire (qui a déjà connu 10 réimpressions), mais aussi Anna, un récit intimiste chez la Boîte à Bulles.
Je crois même que l’on en est à 11 maintenant. Anna est un album spécial, en fait il s’agissait de la suite d’un album inachevé, cet album n’a jamais été publié dans de bonnes conditions, même cette dernière édition est catastrophique au niveau de l’impression et ne rend pas justice à mon dessin. Bon, c’est comme ça, un jour peut-être, quand je serai un vieux monsieur avec une barbe blanche, il sera réalisé une anthologie Bec (on peut rêver, non ?) et cet album sera republié avec un soin particulier.
Ce qui est marrant, c’est que cet album est sorti pile poil avec le tome 3 de Sanctuaire, et que ce que l’on a vendu sur Anna au final correspondait à ce qui se vendait par jour sur Sanctuaire. Autant vous dire que ça, ça fait relativiser les choses. Si j’avais pu prendre la grosse tête à ce moment-là, ça m’aurait vite calmé. J’étais donc encore loin de vendre sur mon nom. Et je le suis toujours d’ailleurs…
Cette même année, tu sors le tome 1 de la série Carême, chez les Humanos. Cette fois-ci tu laisses le dessin à l’italien Paolo Mottura, qui a un style semi-réaliste. La série rencontre un franc succès alors qu’elle semble, au départ, moins « noire » que tes autres productions. Comment expliques-tu ce fait ?
Je ne pense pas qu’elle soit moins noire, l’idée était d’aller de choses légères à des choses plus dramatiques, je pense que ça reste ma série la plus personnelle à ce jour, et pour moi, on va beaucoup plus loin dans les sentiments, dans le drame, que dans Sanctuaire par exemple.
Par contre dire que Carême a rencontré un franc succès est totalement faux. Certes on a eu de bonnes critiques et le Prix Uderzo, mais les ventes sont restées tout le temps très faibles. On n’a pas bénéficié de l’engouement d’un certain type de public qui lit ce genre de bandes dessinées, il faut croire que le fait que j’étais l’auteur de Sanctuaire (un gros blockbuster commercial) les en ont détourné, préférant jeter leur dévolu sur d’autres albums qui le méritaient sans doute moins. C’est comme ça, la BD est un milieu très snobinard, comme tous les autres arts, il y a des chapelles qui se détestent cordialement entre elles, même si l’hypocrisie règne en maître et donne une apparence d’entente cordiale.
Est-il vrai que tu arrêtes totalement tes activités de dessinateur pour te consacrer uniquement au scénario ? Si oui, pourquoi ? Et qui reprendra le dessin de Bunker ou du Temps des loups ?
Oui, c’était vrai jusqu’il y a peu. En fait, j’ai totalement arrêté le dessin il y a plus d’un an maintenant, pour des raisons que je n’expliquerai pas, la plupart sont très personnelles, mais on peut dire que je n’arrivais plus à cohabiter avec mon dessin, c’était une vraie souffrance.
Alors, je me suis battu pour que mes séries continuent. Pour Bunker, je suis allé chercher en Italie un dessinateur hyper doué et inconnu en France, Nicola Genzianella, et il fait un travail de toute beauté sur le tome 2. Marie-Paule Alluard sera toujours à la couleur et maintiendra l’unité de la série. Je reste toujours co-scénariste, je fais le découpage, je suis ça de très près, et j’ai dessiné la couverture il y a quelques jours.
Luca Raimondo reprend Le Temps des Loups, l’album sortira en fin d’année si d’ici là les Humanos ont trouvé une issue favorable à la crise qu’ils traversent actuellement.
Qu'as-tu pensé de la version manga de Sanctuaire ? Et de la version en comics, Sanctum ? Aimes-tu le manga en général ? Quelles sont tes influences en comics ?
Je trouve que Betbeder et Crosa font du très bon boulot. Malheureusement, Sanctuaire Reminded n’a pas encore trouvé son public, je pense qu’il y a eu de grosses erreurs de communication et je n’arrête pas de râler à ce propos. Je crois que les lecteurs n’ont pas compris qu’il s’agissait plus que d’un simple remake, c’est une vraie relecture de la série-mère. Tous les fans de Sanctuaire doivent le lire !
La version comics de Sanctuaire est un bel album, mais je ne crois pas qu’elle se soit fait remarquer outre-Atlantique.
Concernant le manga, j’en lis un peu, moins qu’avant. Il y a de très bonnes choses, mais assez rares quand même. Le seul manga où je suis allé au bout est Old Boy. Une grande série ! Je n’ai jamais été influencé par les comics, je n’en lisais pas ado, mes influences viennent essentiellement du cinéma et de la bande dessinée franco-belge.
Les similitudes entre les scénarios de Sanctuaire et de Bunker sont-elles seulement le fait du premier tome de Bunker où existe-t-il un parallèle volontaire entre les deux séries ?
Alors ça c’est quelque chose que j’ai lu ça et là dans quelques forums, et ça m’agace tout particulièrement. Ce qui m’irrite, c’est le sous-entendu qu’il y a derrière, le côté « il exploite un filon en nous resservant la même soupe ». Mais Bunker, c’est tout sauf ça ! Ma carrière prouve que j’aime prendre des risques : Anna, Carême, Pandémonium… et c’est donc me faire un procès injuste.
Ensuite, il n’y a pas le moindre rapport entre Sanctuaire et Bunker (en dehors du fait qu’il s’agit – ou s’agissait – du même dessinateur). Sanctuaire était un récit multi points de vue, avec plusieurs personnages centraux, Bunker est un récit mythologique avec un seul personnage central. Sanctuaire est un récit de pur Fantastique hyper influencé par le cinéma américain, Bunker est un univers à part, crée de toutes pièces, avec des références fortes au monde actuel, un récit beaucoup plus décalé, métaphorique et ambitieux, tant sur la forme que sur le fond. La construction du récit n’a absolument rien à voir, Bunker est beaucoup moins stéréotypé, c’est un récit plus original, plus complexe avec plusieurs strates de lecture. Vous verrez le tome 2, il est surprenant et prouvera tout ce que je dis.
Ce genre de remarques relève juste d’une lecture superficielle des deux séries, d’une mauvaise foi et d’une vision simpliste des choses, et tout ceux qui pensent cela, sans méchanceté aucune, passeront pour des idiots après le tome 2.
Qu'en est-il de la possible adaptation de Sanctuaire au cinéma ? Est-ce toujours d'actualité ? Si tu avais le pouvoir de choisir le réalisateur, qui prendrais-tu ?
C’est complètement tombé à l’eau. Raw Progressive Films avait lancé le développement, c’était bien avancé, mais ils ont tout laissé tomber à cause du film The Cave, car il y avait trop de points communs. Et en effet, ce n’est pas loin d’être un plagiat, j’ai retrouvé une cinquantaine de plans issus de la BD dans le film.
Mais hors de question d’aller devant les tribunaux, même si on aurait pu, Sanctuaire doit trop au cinéma et est déjà en lui même un « multi plagiat ». Et ça ne correspond de toutes façons pas à mon éthique. Ceux qui font des procès de ce genre sont des frustrés, des mal baisés et ont un ego mal placé… ou n’ont pour seul but dans la vie que l’argent. Quant à savoir qui pourrait le réaliser, Sanctuaire n’est pas une œuvre d’auteur, n’importe quel réalisateur avec les moyens, un bon savoir faire et la patate, pourrait en faire quelque chose de valable.
Tu as entamé récemment 4 séries qui en sont toutes à leur premier tome, Bunker, Carthago, Le Temps des loups et Pandemonium. Cela va représenter un joli nombre de tomes (8 pour Carthago et 5 pour Bunker annoncés). Tu sembles savoir où tu vas dans tes scénarios, quelle fréquence t’es-tu imposé quant au rythme des publications, y aura-t-il des priorités ?
Non, pas de priorités, je m’adapte au rythme du dessinateur. Pour Carthago, annoncer huit tomes était un effet d’annonce. Il y a possibilité d’aller en huit tomes, tant l’univers implanté m’amuse, et je pense que je ne m’en lasserai pas de sitôt. Maintenant, tout dépendra de ce qui se passera dans l’avenir : les ventes, la situation des Humanos, la lassitude éventuelle du dessinateur… Mais c’est une série qui peut aller en effet loin et haut. Ce premier tome a été accueilli de manière extraordinaire, je crois que globalement, c’est le meilleur départ pour une de mes séries, même sur Sanctuaire je n’avais pas ressenti un tel engouement, du public, de la presse et des professionnels. Il a déjà été réimprimé.
Quels sont tes modèles, en bande dessinée ?
Je crois que je n’en ai plus. Je me refuse maintenant à avoir des modèles. Pour être auteur de BD, il faut tuer le lecteur et le fan de BD. Après, j’ai un profond respect pour un tas de gens, surtout ceux qui m’ont donné envie de faire ce métier, comme Vance, Cuvelier, Giraud, Gillon, etc.
Quels sont les écrivains de SF ou de fantastique qui t’ont influencé en tant que scénariste ?
Essentiellement Lovecraft. Le seul que j’ai relu après l’adolescence et complètement redécouvert. Je ne suis pas un gros lecteur de romans, je n’ai pas le temps et le regrette. Je n’ai globalement plus assez de loisirs à consacre au cinéma, à la peinture, et même à la BD, même si j’essaie de ne pas trop décrocher afin d’éviter de devenir un vieux ringard.
Peux-tu nous dire quelques mots sur Trois christs, le projet que tu réalises avec Denis Bajram et Valérie Mangin, entre autres, pour Quadrant solaire ? As-tu d’autres projets ?
Concernant Trois Christs, le projet a pris un retard monstre, et je ne sais pas si j’aurai un rôle à y jouer, il faudra que j’en discute avec Valérie et Denis.
J’ai plusieurs nouvelles choses en cours niveau scénario, un projet assez étonnant aussi avec Valérie Mangin justement, on va reprendre le scénario d’un personnage connu, et ça va vraiment surprendre, je crois que personne ne nous attend là, et pourtant pour nous, c’est évident de travailler là-dessus.
Sinon, le plus gros projet à venir est évidemment Prométhée, une série que je viens de signer chez Soleil, et qui marquera mon retour au dessin. Ce sera une série très ambitieuse, mais pas de panique, je me suis laissé trois ans pour réaliser le tome 1.
Cette décision de reprendre le dessin pourrait paraître étrange pour certains après mon annonce d’arrêter, mais pas mal d’évènements se sont produits depuis. J’avais dit à l’époque que deux choses pourraient m’y faire revenir : si on me proposait quelque chose qui ne se refuse pas ou si je n’avais pas le choix. La première possibilité s’est présentée plusieurs fois, et notamment très récemment où on m’a proposé la reprise d’un personnage très célèbre. Je me suis finalement désengagé en cours de route, donc vous vous doutez bien que c’est la seconde possibilité qui m’a fait revenir au dessin, et il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que la situation délicate des Humanos n’y est pas étranger. C’était également un moyen d’être tranquille financièrement et de mieux pouvoir soutenir les Humanos dans ce passage difficile.
Christophe, merci.
A voir :
Une planche du tome 2 du "Temps des loups"
Une planche du tome 2 de Bunker
Des comparaisons entre Sanctuaire et le film The Cave : 1 - 2 - 3 - 4 - 5
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