Maxe l’Hermenier est un scénariste qui petit à petit s’installe dans le paysage de la BD franco-belge, surtout à destination du jeune public avec la collection Pépites (chez Jungle) dont il est également le directeur. L’homme est aussi charmant que ses histoires.
Bonjour Maxe, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Maxe L’HERMENIER. J’ai 37 ans. J’ai commencé à griffonner mes premières bandes dessinées quand j’étais enfant et j’ai publié mes premières histoires à seize. Vingt ans et plus de quarante albums plus tard, je suis toujours là.
Tu commences ta carrière d’auteur édité par une série collective, Pirates des 1001 Lunes, qui semble un peu inspirée par le film Disney « La Planète au trésor »… Mais avec 5 dessinateurs différents. Peux-tu revenir sur cette première ?
Pour être exact, bien avant
Pirates des 1001 Lunes j’avais déjà eu la chance de publier mes premières histoires dans le journal de Spirou. Mon premier album sur les pirates aurait dû sortir chez Dupuis, mais il y a eu un changement de programme avec le départ du directeur éditorial de l’époque et le bouleversement qui a suivi avec la restructuration de la maison d’édition.
Au moment où j’allais proposer mon projet ailleurs, j’ai rencontré Christophe Alliel qui m’a convaincu qu’il fallait faire de la SF. On l’a alors proposé à Mourad Boudjellal qui nous a donné carte blanche pour le faire. Christophe ne pouvant le dessiner entièrement, l’idée du collectif avec des copains dessinateurs s’est imposée. Même si c’était une usine à gaz pour tenir les délais avec tout ce beau monde, j’en garde un souvenir assez bon baigné de nostalgie.
A l’aube des années 2010 tu passes sous la bannière Ankama, et travaille sur la série Wakfu Heroes, avec le chinois Wuye Changjie, ainsi que sur la série de fascicules Boufbowl. Comment s’approprie-t-on un univers tellement foisonnant ?
Peu après
Pirates des 1001 Lunes, j’ai eu la proposition de bosser dans l’animation pour le groupe Lagardère. En parallèle, j’avais signé une série chez Glénat et j’essayais de jongler entre les deux. C’est ici que Tot, le patron d’Ankama, a eu connaissance de mon nom et mon boulot chez Lagardère. Visiblement il aimait ce que je faisais et avait plein de projets à développer. L’alchimie a été immédiate.
Je suis resté quelques années à travailler avec Ankama, travaillant principalement sur les licences Wakfu et Dofus. On ne peut pas dire que je me suis approprié les personnages car cela ressemblait beaucoup à ce que je faisais déjà. Si cela a rapidement fonctionné, c’est surtout que l’univers d’Ankama était très proche du mien et que j’avais carte blanche pour en faire ce que je voulais.
Sur Wakfu Heroes, le réel challenge était de travailler avec Wuye Changjie qui était chinois et ne parlait pas anglais et encore moins français. Avec le fuseau horaire, quand je dormais il bossait et vice-versa. J’ai beaucoup apprécié travailler avec lui car derrière nos cultures totalement différentes il y avait un lien générationnel. J’espère pouvoir refaire un album avec lui un jour !
Le Dauphin, Héritier des Ténèbres, mis en image par le jeune espoir d’alors Brice Cossu (confirmé depuis) te permet de publier ce que j’imagine être un projet très personnel, qui mixe Histoire de France et récit ésotérique. Une histoire hybride qui a laissé certains lecteurs un peu circonspects, notamment concernant le personnage principal, peut-être pas aussi noir qu’on aurait pu le croire… Si tu devais reprendre cette série, changerais-tu des choses ?
Pas du tout ! (rires)
Avec Brice, on s’est vite entendu car nous étions pareils, avec les mêmes références. La série a eu un bel écho chez son lectorat. Il m’arrive encore parfois de dédicacer cet album et les lecteurs me réclament parfois un spin off. Je pense que cet album parlait à une génération fan de Highlander, Buffy, X-Files, Doctor Who… il est vrai que les puristes cherchant ici des indices sur la mort ou non du dauphin de France ont dû être déroutés ! (rires)
Commence ensuite une série d’adaptations « à ta sauce » de classiques : Blanche Neige, Les Malheurs de Sophie/Les Petites Filles Modèles, et La Belle et la Bête, chez trois éditeurs différents. Pourquoi cette dispersion alors que l’ensemble est assez cohérent ?
Après Blanche-Neige, Ankama Éditions a décidé de réduire massivement sa production. J’avais pas mal de propositions d’autres éditeurs. Glénat voulait continuer avec moi en signant l’adaptation des romans de la Comtesse de Ségur. C’est à cette période que j’ai rencontré Olivier Sulpice, patron de Bamboo Editions qui voulait essayer de monter une nouvelle collection. On a alors lancé Bamboo2 qui était vachement culotté pour l’époque. À côté de cette collection, Looky voulait continuer à bosser avec moi mais Glénat mettant du temps à nous répondre, on s’est engagé avec Bamboo.
Depuis, tu sembles t’être un peu fixé en tant qu’auteur jeunesse, de Bohemian Galion à Stardust, en passant par Fils de sorcières. Qu’est-ce que ce public a de si particulier ?
Depuis que je suis papa, j’ai découvert le plaisir d’écrire pour mes enfants. Je ne m’interdis pas d’explorer d’autres univers, mais la jeunesse est un univers qui me plait beaucoup. Il est beaucoup plus subtil que ce qu’on pourrait croire. Les enfants sont sans filtres, quand ils n’aiment pas ils vont te le dire franchement sans tourner autour du pot.
"Dans les Coulisses du Champagne", sorti en 2016 chez Jungle, ressemble à une sorte de documentaire, alors en pleine vogue de la BD sur les vins…
Mon épouse est fille de vigneron. C’est en rencontrant son grand-père que j’ai eu cette envie. Jungle venait de lancer une mini collection appelée « dans les coulisses » et j’ai évidemment proposé un projet sur le champagne. Louis, le héros de cette bande dessinée avait ce petit plus qui faisait de lui le héros parfait à la Pagnol.
J’en suis doublement content car cet album a reçu le prix du CIVC(*). C’est un prix mondialement reconnu chez les onologues et c’était la première fois en 80 ans qu’ils saluaient une bande dessinée. C’était assez marrant de parler bande dessinée devant un public qui n’avait jamais dû ouvrir une BD de sa vie.
Stardust est déjà la troisième série que tu écris pour Yllya. Peut-on dire que tu crées des histoires en pensant à son dessin ?
Après
Isaline, notre première série chez Bamboo, on a lancé
Miss Pipelette qui était un spin off de la série mère. À la fin de la série, on voulait refaire quelque chose, mais différemment.
Stardust est née assez rapidement. Ce sera une série de trois albums. Je suis en pleine écriture du tome 2. Je connais Yllya depuis plus de quinze ans. On est archi fan de l’univers Harry Potter et de la magie en général. On peut en parler pendant des heures sans se fatiguer. On se comprend en quelques secondes. Pour te répondre, quand j’écris, je vois ses dessins se dérouler dans mon esprit. Je connais ses qualités et ce qu’elle déteste dessiner. Il est rare de me voir lui faire un retour négatif en regardant ses storyboards, car elle vise toujours dans le mille.
Je croyais que Fils de sorcières était un one-shot… Un tome 2 est finalement sorti…
Moi aussi ! (rires) C’est Mme Bottero qui m’a fait ce beau cadeau. Peu après le bouclage de
Fils de sorcières j’ai reçu la proposition d’écrire la suite du récit de Pierre Bottero qui est malheureusement disparu en 2009. Quand j’ai su cela, j’ai littéralement sauté au plafond, avant de prendre peur. Je ne suis pas Pierre Bottero et cela m’a bloqué pendant des mois. Après cette période de doute, je me suis lancé et cela a fonctionné. Visiblement le résultat a beaucoup plu. J’ai hâte de pouvoir vous le présenter.
En fin d’année 2021 la collection Pépites, chez Jungle, te voit prendre sa tête après en avoir été le principal contributeur en tant que scénariste/adaptateur. Que nous promet la collection pour les mois et années à venir ?
En fait, j’étais à l’origine de la collection. Il fallait que je termine mes engagements ailleurs avant d’officialiser les choses. Je suis heureux de voir que la collection fonctionne, car elle part d’une envie commune d’aider les jeunes lecteurs à découvrir la littérature jeunesse.
Pour résumer la collection, il faut l’imaginer comme une passerelle entre un lecteur de roman et un lecteur de bande dessinée qui vont se rencontrer et lire la même histoire sur deux supports différents. Tout le challenge de la collection est d’être fidèle autant que possible à l’esprit du roman d’origine tout en le rendant accessible à un large public.
La collection a pris de l’importance dans les écoles et je reçois beaucoup de messages d’enseignants me remerciant ou me demandant d’intervenir dans leurs classes, il y a de véritables connexions qui se créent. Le but est atteint !
Dans les mois à venir, il y a de belles pépites qui vont arriver, comme « un grand-père tombé du ciel » de Yaël Hassan avec Marc Lizano au dessin. Il y aura aussi « Un chant de Noël » de Charles Dickens avec Thomas Labourot et en exclusivité je peux t’annoncer l’adaptation du roman « Groosham Grange » (l’île du Crâne) d’Anthony Horowitz, dont s’est largement inspirée J.K Rowling pour créer son célèbre sorcier. Il sera dessiné par Clément Lefevre qui rejoint la collection Pépites pour l’occasion.
Michel Bussi, Victor Hugo, George Orwell, Bottero, Mourlevat, Noguès, Surget… Tu fais feu de tout bois en termes d’adaptations ! Il est vrai qu’il y a de la qualité et de la quantité pour ce public… Selon toi, quels sont leurs atouts respectifs ? Surtout concernant les Français contemporains ?
Chaque projet signé est un coup de cœur. Apportant moi-même les projets Pépites, je prends la responsabilité du contenu. Nous avons de beaux succès comme
La Rivière à l'envers,
Fils de sorcières,
La ferme des animaux… Mais avant toute chose ce sont des récits que j’ai lus et que j’ai aimés. Quand je ne suis pas séduit, je ne m’engage pas, même si c’est un best seller.
Ensuite, le but de la collection Pépites est de proposer un vaste choix d’adaptations intemporelles, qui puisse traverser tous les genres littéraires, toutes les époques, et s’offrir à des lecteurs de tous âges. Quand je travaille sur l’adaptation d’un roman, je souhaite rester fidèle au récit initial, tant dans son style que dans son rythme, tout en rendant le contenu attrayant visuellement et compréhensible par des enfants qui n’ont pas forcément les codes du vocabulaire d’autrefois. Beaucoup de gens pensent que c’est un exercice facile, mais je mets bien plus de temps à faire de l’adaptation que de la création !
Et dans cette déferlante d’adaptations, y’a-t-il encore de la place pour des scénarios originaux signés L’Hermenier ?
Bien entendu ! L’un n’empêche pas l’autre ! Il y a Étincelle, un récit initiatique baigné d’écologie qui sortira l’année prochaine. Je travaille aussi actuellement sur
Stardust tome 2.
Pour un public plus adulte, Il y a
Les Incroyables Histoires de Miguel dont le second tome sort en septembre ou encore "Wahkan" avec Brice Cossu et Alexis Sentenac qui sortira chez Dupuis et bien d’autres scénarios en cours d’écriture.
Maxe, merci.
C’était un plaisir ! Merci à toi !