Ancien journaliste, Laurent-Frédéric Bollée a peu à peu fait son trou dans la bande dessinée avec plusieurs albums et séries marquants. Les Horizons amers le fait revenir une troisième fois en Australie, un pays qui le fascine. Prêts à embarquer ?
Bonjour Laurent-Frédéric, comment avez-vous débuté dans la BD ?
C'était il y a un peu plus de trente ans, j'étais étudiant en journalisme mais je savais aussi que l'écriture de scénario dans la BD était quelque chose que je voulais absolument faire… J'ai réussi à approcher Christian Godard, le prestigieux scénariste du Vagabond des Limbes, Martin Milan, La Jungle en folie, qui venait de monter sa propre structure éditoriale (Le Vaisseau d'Argent) et qui n'a pas eu peur de me faire confiance…
En 1994 vous lancez votre première BD en tant que seul scénariste, avec Spartakus, qui a dû être arrêtée pour raisons de santé du dessinateur, Michel Valdman… Une anecdote sur cet album ?
Un souvenir douloureux, en effet, puisqu'on était dans la fabrication du T2 de Spartakus quand Michel m'a annoncé ses problèmes de santé. ll nous a hélas quittés quelques mois après et je continue de penser souvent à lui, il serait devenu un dessinateur majeur de son temps, c'est l'évidence ! Dans pas mal de mes BD, je lui ai rendu un hommage discret, en reprenant le cadrage d'une case que j'adorais dans Spartakus…
Vous avez eu plus de chance avec A.D Grand-Rivière, qui compte au final 4 tomes. Qu’avez-vous fait entre 1994 et 2000 ? Spartakus était en effet sorti en 1994 et j'ai attendu six ans pour mon 3e album, A.D Grand-Rivière T1 chez Casterman avec Al Coutelis. Tout simplement parce que j'ai alors donné la priorité à mon métier de journaliste : j'ai en effet intégré France 2 en 1992, et j'ai été embauché en 1994 comme journaliste de la rédaction. J'y suis resté jusqu'en 2000, pour intégrer une chaîne de télé consacrée aux sports mécaniques (une authentique autre passion !) et j'ai repris alors la BD…
Apocalypse Mania est votre projet le plus abouti, 8 tomes avec le même dessinateur, Philippe Aymond.
Tout à fait, une grande saga d'anticipation, publiée chez Dargaud, et qui nous a permis de bien nous "éclater" et de proposer une série assez marquante, je crois, sur le coup…
Philippe Aymond que vous avez retrouvé pour réaliser Les Nouvelles aventures de Bruno Brazil. Pourquoi ce relaunch d’un classique de Greg et Vance ?
Le Lombard était dans une période de "reprises", avec Ric Hochet et Bob Morane, j'ai demandé si je pouvais aussi me positionner sur un créneau identique… Comme Philippe Aymond et moi sommes liés pour la vie, nous nous sommes rendus compte que le personnage de Bruno Brazil nous avait fascinés étant jeunes. De plus, comme la série avait été arrêtée assez brutalement après l'album Quitte ou double pour Alak 6, il y avait là le challenge éditorial passionnant de reprendre là où Greg et Vance s'étaient arrêtés ! Nous avons fait trois tomes et je vous annonce que Philippe et moi venons d'enchaîner par un nouveau tome de Lady S. ensemble !
Au début des années 2000 vous avez signé 7 albums chez un éditeur aujourd’hui disparu, Emmanuel Proust. Une anecdote sur cette époque ?
Je ne remercierai jamais assez Emmanuel Proust d'être venu m'assurer de son envie de travailler avec moi, ça fait toujours plaisir ! Mon meilleur album de cette période, je crois, est un polar intitulé London Inferno, réalisé avec Roger Mason, qui vit maintenant en Nouvelle-Zélande. J'ai écrit tout le script en anglais du coup…😊
Lorsqu’on regarde votre bibliographie, on remarque que vous avez touché un peu à tout : policier, aventure, science-fiction, historique, western… Qu’est-ce qui provoque le déclic, chez vous ? Qu’est-ce qui vous motive à inventer tel univers, à explorer telle époque de l’Histoire ?
Etant foncièrement curieux de nature, dès que je peux apprendre quelque chose tout en étant "surpris", j'ai l'instinct de penser que ça ferait évidemment une bonne histoire et généralement, les images me viennent tout de suite à l'esprit ! Dans ces cas-là, quand je ressens cette sorte de "fourmillement", je sais que je suis parti et que je ne lâcherai pas. D'un point de vue plus général encore, il est certain que s'immiscer dans les méandres de la grande Histoire pour proposer sa propre vision est jouissif… Je crois qu'on a bien ressenti ça dans La Bombe par exemple…
L’Histoire, parlons-en. En 2013 paraît chez Glénat Terra Australis, ce qui restera peut-être comme votre Magnum Opus. Comment diable avez-vous pu imaginer cette saga de plus de 500 pages, et réussi à la « vendre » à un éditeur ?
Je me suis rendu souvent en Australie, pour raisons professionnelles, entre 2004 et 2007 et suis bien évidemment encore plus tombé raide dingue de ce pays (que je connaissais avant tout de même). Et un jour que je demande à un de mes amis là-bas si c'est vrai qu'un bateau de bagnards était donc venu à Sydney pour fonder le pays, et qu'il me répond qu'il y avait en fait onze navires qui sont arrivés d'un coup, là j'ai connu mon fameux "fourmillement" dont je parlais plus haut. Onze navires ? Mais alors, ce sont des milliers de gens qui ont été concernés ! Et cela a duré des mois pour faire le voyage, il doit y avoir un tas d'histoires incroyables ! J'ai acheté des dizaines de livres en Australie sur le sujet et j'ai tout dévoré… puis j'ai écrit un synopsis complet, pour un livre de 500 pages en effet ! Je craignais le côté trop "anglais", même si on arrivait à raccorder avec la France grâce à Lapérouse, qui est arrivé à Sydney en même temps que la flotte anglaise, autre histoire incroyable… Mais je crois que je suis arrivé au bon moment, avec Glénat qui recherchait un grand projet de roman graphique pour se positionner sur ce secteur et qui m'a dit oui tout de suite pour ce gros volume !
Combien de temps ce projet pharaonique vous a-t-il pris ?
Une année complète (en 2007) de documentation et de travail sur le synopsis, puis cinq ans d'écriture proprement dite (2008-2012), pour une sortie en 2013. Evidemment, dans ces cas-là, ce n'est pas cinq ans quinze heures par jour, et j'ai même écrit d'autres albums en même temps, mais c'est un investissement de cette durée, oui… J'ai aussi eu la chance d'être associé à Philippe Nicloux pour ce projet, dont le dessin est absolument marquant !
C’est le début d’une sorte de cycle consacré à l’histoire de l’Australie. En 2018 Terra Doloris fait suite à Terra Australis, avec « seulement » 352 pages. L’Australie n’est là qu’une sorte d’alibi, puisque nous suivons essentiellement la fuite de deux personnes. Pourquoi ce changement de paradigme ? Pourquoi ne pas être resté sur cette île-continent ?
Philippe et moi, et toujours chez Glénat, avons en effet proposé un deuxième volume de nos "chroniques australiennes", avec là encore des faits étonnants, notamment dans l'après-Bounty… Scénaristiquement parlant, je me suis trouvé confronté au "problème" suivant : une fois arrivés à Sydney, les Anglais (prisonniers et "civils") mettent en place la colonie et la vie tente de s'organiser. Ce sont évidemment des conditions très dures, une famine même survient, mais peu à peu la situation trouve un certain équilibre et on comprend bien que la ville ne fait que se développer. (tout cela au détriment bien sûr des Aborigènes, dont nous abordons bien sûr le sort). Les seuls évènements vraiment marquants de cette période qui va globalement de 1791 à 1796 sont les (rares) rébellions à l'ordre établi. Et parmi celles-ci, les deux plus importantes concernent deux évasions, spectaculaires et sans doute suicidaires dans l'esprit – qui pourtant vont être couronnées de succès. Je me suis donc retrouvé avec le paradoxe que pour parler au mieux de cette Australie naissante, il fallait que l'on sorte d'Australie, en effet ! Mais le parcours de Mary Bryant et Thomas Muir est si fascinant qu'il était impossible de ne pas les suivre jusqu'au bout et, quoi qu'on dise, ils font à tout jamais partie de l'histoire de ce pays…
Avec Les Horizons amers, vous revenez 'Down Under', avec l’histoire de ce cartographe anglais, Matthew Flinders, qui réussit à se faire envoyer aux antipodes pour prouver qu’il s’agit bien d’une île, à l’aube du 19ème siècle. Mais cette fois-ci, plus de Philippe Nicloux, ni d’Editions Glénat. Place à Laura Guglielmo et aux Editions Robinson. Pourquoi ces changements ?
Après plus de 800 pages dessinées dans Terra Australis et Terra Doloris, Philippe en avait un peu marre des bateaux, des uniformes anglais, du XVIIIe siècle ! (rires). Il a souhaité partir vers un autre projet (Babylone, au Lombard) et ce n'est pas moi qui allais l'empêcher (surtout qu'on a fait un autre volume ensemble, entre les deux Terra : Matsumoto, sur la secte AUM et ses attentats au gaz sarin au Japon…) ! Bref, j'avais encore "en réserve" cette histoire fabuleuse de Matthew Flinders, le premier à avoir fait le tour de l'Australie pour prouver qu'elle était bien une île (eh oui, il y a seulement 220 ans, on ne le savait pas encore…) et son parcours pour le moins mouvementé qui l'a vu rester de nombreuses années en résidence surveillée à Maurice… Mais comme Philippe n'était plus là, l'idée pour moi était alors de repartir sur une nouvelle déclinaison, un nouvel éditeur, un nouveau coauteur…
Laura Guglielmo, qui avait un style un brin « pop-art », avec des couleurs acidulées… Sur Les Horizons amers, elle se révèle une maîtresse des ambiances diverses, et très appliquée en termes de décors, de costumes… Comment avez-vous déniché cette perle ?
Elle a été exceptionnelle de professionnalisme en tout cas, et quel talent en effet ! Je ne peux pas me plaindre ! (rires). Elle appartient à une agence artistique italienne avec laquelle je travaille déjà sur d'autres projets et j'avais remarqué son travail… Les planètes se sont alignées très vite !
A la lecture de l’album, on ressent une certaine tendresse teintée d’admiration pour ce pauvre rêveur peu concerné par la guerre franco-anglaise, qui a fait des mauvais choix mais qui se cramponne à son rêve, à ses convictions, et à ce trophée symbolique qu’est la première circumnavigation de ce qu’il appelle lui-même l’Australie…
Comme James Cook, Flinders fait partie de ces grands personnages qui ont été marin, officier, aventurier, explorateur, cartographe ! Un panel digne de cette époque des "Lumières" où l'on a repoussé les frontières du monde… C'est clair qu'il a ressenti "l'appel de l'Australie" et qu'il a contribué, plus que quiconque, à la connaître, l'apprivoiser, la dessiner, la nommer même… Le Français Nicolas Baudin était parti quelques mois avant lui pour un projet identique (là encore, la réalité n'est-elle pas plus forte que la fiction ?), il y a donc eu aussi une notion de "course" et certainement d'orgueil… Autant l'Australie moderne est née forcément en 1788 avec l'arrivée des onze navires de la First Fleet, autant elle a commencé à exister grâce à Flinders…
Ce qui m’a frappé pendant quasiment tout l’album, c’est que malgré sa femme, l’amiral qui accepte d’organiser son expédition, l’équipage de l’Investigator, Flinders est toujours ou presque irrémédiablement seul. Encore plus pendant sa captivité sur l’île de la Réunion pendant plusieurs années… Avez-vous pu avoir des éléments sur cette condition au cours de vos recherches ?
C'est vrai, j'en fais un personnage "dans son monde", qui ne se rend pas toujours compte de ce qu'il a sous les yeux ou autour de lui. Son obsession était vraiment d'avancer dans l'exploration et d'établir de nouvelles cartes, rien n'était plus important. Mais parcourir des milles marins ou des territoires, est-ce la meilleure manière de s'intéresser aux populations, aux coutumes, à la vie ancestrale de certains ? Et nommer une île, n'est-ce pas la conquérir après tout ? De quel droit ? Voilà pourquoi j'aborde la notion "d'aveuglement" de Flinders qui a certes fait progresser notre connaissance d'un continent, scientifiquement parlant, mais n'a peut-être pas ouvert tout à fait les yeux… C'est le Français Baudin qui sert de "révélateur" à cette situation et qui lui assène des vérités sur la politique impérialiste qu'il mène fatalement. Ce que je mets dans la bouche de Baudin est à vrai dire une lettre que ce dernier a écrite au gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud de l'époque, Philip Gidley King. Mais Baudin et Flinders se sont bien rencontrés à trois reprises, et il est vraisemblable qu'ils ont parlé de choses graves ensemble. Baudin avait en tout cas deux siècles d'avance sur son temps dans ses mots…
Pourquoi avoir choisi cette histoire-là, précisément ? L’Histoire de l’Australie doit en recéler des dizaines… Ou alors observez-vous une progression temporelle et doit-on s’attendre à une prochaine histoire se déroulant vers 1820 ?
Je vous l'ai dit : il y a 220 ans seulement, on ne connaissait pas la forme complète d'un pays aussi important que l'Australie ! Incroyable, non ? Et puis, il y a un petit côté "chronologie" que j'avais envie de continuer après Terra Australis et Terra Doloris… J'ai encore en réserve une autre histoire qui se déroule à Sydney, quelques années plus tard… On verra. J'écris de toute façon actuellement un autre roman graphique qui paraîtra chez La Boîte à Bulles et qui raconte une autre histoire australienne se déroulant dans les années 1860…
Un mot sur cet album qui détonne dans votre bibliographie, consacré à Patrick Dewaere ?
C'est un album qui fait partie d'une collection, 9 ½, chez Glénat, consacrée à des grands acteurs et actrices ou réalisateurs disparus… L'idée est évidemment de faire ce qui ressemble à un biopic mais qui se transforme en une vision personnelle d'un personnage. Avec la formidable dessinatrice Maran Hrachyan, nous avons réussi, je crois, à aborder de manière originale, poétique, émouvante, un personnage insaisissable, écorché vif, qui a marqué toute une génération d'acteurs et qui reste encore, même quarante ans après sa disparition, comme une étoile filante dans le cinéma français. (Je peux vous révéler que je travaille actuellement sur un nouveau volume, consacré à une autre légende du 7e art… L'album sortira à la rentrée 2024).
Quels sont vos projets ?
Outre Les Horizons amers, j'ai quatre autres BD qui sortent en 2023. Par ordre d'apparition : le T16 de Lady S. (Missions-suicides, avec Philippe Aymond, Dupuis), dont j'ai déjà parlé; mais aussi Lapérouse 64 (avec Marie-Agnès Le Roux et Vincenzo Bizzarri, Glénat), tirée de l'histoire vraie d'une expédition organisée en 1964 à Vanikoro pour retrouver les restes de l'expédition maudite Lapérouse ; "Il m'a volé ma vie" (avec Morgane Seliman et Francesco Dibattista, Glénat), le témoignage choc et bouleversant d'une femme battue par son compagnon); et enfin Les Illuminés (avec Jean Dytar, Dupuis), où nous suivons le parcours des trois poètes maudits qu'ont été Rimbaud, Verlaine et le dénommé Germain Nouveau, tour à tour dépositaires du manuscrit des Illuminations…
Laurent-Frédéric, merci.
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