Auteurs et autrices / Interview de Vassilissa Thirault et Christopher

Rendez-vous était donné, ce 6 mars, dans un restaurant près de l’Olympia, à Paris, avec Vassilissa Thirault, co-scénariste, et Christopher, dessinateur de la BD Les Beatles à Paris.

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Christopher, Philippe Thirault et Vassilissa Thirault
Christopher, Philippe Thirault et Vassilissa Thirault
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Vassilissa Thirault : Bonjour, je m’appelle Vassilissa Thirault, et je suis scénariste de bandes dessinées. Christopher : C’est surtout la fille de Philippe Thirault, lui-même scénariste. Ses scénarios sont vachement bien, elle a déjà un gros pied dans le métier. Ça va Vassi ? Pourquoi tu rougis ? Comment vous est venue l’idée de raconter cet épisode particulier de la carrière des Beatles ? et pourquoi les Beatles, d’ailleurs ? V.T. : Je suis très très très fan des Beatles, et j’ai eu une époque où je regardais beaucoup de vidéos sur internet ou lisais des livres qui racontaient leur histoire. A une époque je racontais une anecdote par jour à mon père, Philippe, et un jour je lui ai parlé des trois semaines de concerts que les Beatles avaient donnés à l’Olympia. Ils n’avaient jamais fait autant de concerts en si peu de temps dans la même ville, sauf à leurs débuts à Hambourg, à l’époque où ils n’étaient pas encore vraiment les Beatles. Cet épisode avait été peu raconté, et Philippe m’a dit qu’il y avait là un vrai potentiel pour faire un album. C’est comme ça qu’on a commencé l’écriture du scénario. Accéder à la série BD Les Beatles à ParisOn a donc commencé à faire beaucoup de recherches avec Philippe, car on tenait à ce que l’album soit le plus conforme possible à ce qu’il s’est passé dans la réalité. On a rédigé un premier synopsis, et Philippe a pensé à Christopher, qu’il connaissait depuis plusieurs années, car il savait qu’il était un grand fan des Beatles, mais aussi parce qu’il a fait pas mal de biopics musicaux. Et finalement pour son style de dessin qui je trouve est très approprié pour cette époque sixties. Christopher a dit oui, on a attaqué le scénario en se partageant l’écriture à moitié-moitié. Tu t’es chargée de quelle moitié ? V.T. : Je ne me souviens plus vraiment. L’idée a germé en 2019, il s’en est passé des choses depuis. Je pense que je me suis chargée de la seconde partie. Je pense que c’était plutôt au feeling de l’un ou de l’autre pour s’atteler à telle ou telle scène. Nous nous sommes mutuellement relus pour qu’il y ait une unité, une cohérence et pour pouvoir faire des retours communs. Une planche de la série Les Beatles à ParisChristopher, tu semblais en effet être l’artiste indiqué pour participer à cet album. Depuis combien de temps y es-tu impliqué ? C. : Philippe m’a contacté en début d’année 2019, en m’expliquant que son vœu pour cette année serait de travailler avec moi pour une BD consacrée aux Beatles. Forcément le bougre me prend par les sentiments, j’ai dit oui. Mais comme j’avais d’autres projets en cours, ça a pris un peu de temps. Il a d’abord fallu trouver l’éditeur parfait pour le projet, mais une fois que le contrat a été signé, j’avais d’autres projets à terminer avant de m’y attaquer. Mais le délai tombe bien, puisque l’album sort pour les 60 ans des Beatles à l’Olympia, avec une expo en plus. On est très bien je trouve (rires). L’album commence par une scène de concert où les Beatles font preuve d’irrévérence, pourquoi ce choix ? V. T. : On a choisi d’ouvrir l’album par cette scène parce qu’elle est culte pour les fans des Beatles. C’était un concert de charité au Royal Albert Hall, en présence de la reine-mère, la sœur de la reine, et tout le gratin de la haute société anglais, et John Lennon a montré son esprit provocateur, Christopher a d’ailleurs fidèlement reproduit les mimiques de Lennon. Ils sont très célèbres chez eux, débarquent à Paris avant de devenir très connus aux Etats-Unis, mais ils restent des jeunes qui ont entre 20 et 23 ans. Une planche de la série Les Beatles à ParisC. : Les Beatles viennent de Liverpool, une ville où les gens considèrent qu’ils ne font pas partie de l’Angleterre, mais de la République de Liverpool. Donc ils détestent la reine d’Angleterre, et dès qu’ils peuvent se moquer de la royauté, ils le font. Des semaines avant ce concert, on a demandé aux Beatles ce qu’ils allaient faire face à la famille royale, et ils ont assuré qu’ils ne faisaient rien. Mais forcément Lennon va faire une petite entorse à la réglementation, en disant pendant le concert « les gens pauvres, au dernier rang, applaudissez, et les gens riches, au premier, secouez vos bijoux ! ». Il s’est d’ailleurs mis Liverpool dans la poche à ce moment-là, on sent l’esprit irrévérencieux de leur ville d’origine. Toute leur vie les Beatles ne vont pas se plier aux règles fixées par les autres, mais vivre selon les leurs, tout en étant respectueux des gens auxquels ils ont affaire. On va le voir pendant les trois semaines qu’ils vont passer à Paris : ils sont là pour des concerts, mais ils vont en profiter pour s’amuser et découvrir la capitale. Quelles ont été vos sources documentaires pour construire votre récit ? Alors justement ils ne découvrent pas Paris, pour deux d’entre eux ; John et Paul, en octobre 1961, avant que leur popularité n’explose, étaient venus dans un cadre bien plus modeste. Une planche de la série Les Beatles à ParisCe parallèle était-il prévu au départ du projet, ou est-il arrivé par la suite ? V.T. : Oui c’était prévu dès le départ, car cela montrait qu’il y avait déjà, du moins chez Mc Cartney et Lennon, un amour pour Paris. Je trouvais intéressant d’exploiter les contrastes entre le séjour dans une chambre d’hôtel avec des cafards en 1961 et le sublime George V en 1964. Ça permettait aussi de voir l’évolution de leur mentalité, et le basculement rapide de leurs vies. En 1961 ils ne pensaient pas pouvoir atteindre la popularité de Johnny Hallyday, et pourtant ça s’est fait. C’est en effet au cours de ce séjour que leur statut a changé. Ils étaient des méga-stars en Angleterre, mais ils étaient encore relativement méconnus en France. C’est à ce moment qu’ils deviennent n°1 aux États-Unis, et que la beatlemania commence… V. T. : C’est un aspect qu’on voulait vraiment montrer dans l’album. On se dit « Oh, les Beatles, où qu’ils débarquent, ça devait être la folie »… Et en fait, pas du tout. Ils vont sur les Champs-Elysées, et personne ne les remarque. Leur succès aux Etats-Unis était inattendu. Ils avaient auparavant sorti trois titres qui avaient très bien marché en Angleterre, mais ont été des flops outre-Atlantique. Ce succès va leur permettre d’être couverts par la presse américaine, puis par la française. Leur séjour est aussi réalisé en partenariat avec Europe n°1 ; comme on appelle à l’époque cette radio, et cela va jouer en leur faveur. La presse était très mauvaise jusque-là. Philippe Bouvard leur avait notamment prédit un avenir catastrophique, des papiers titraient « Trini Lopez éclipse les Beatles, ils sont aussi démodés que leur coiffure, etc. » Ce séjour va leur permettre d’être véritablement aimés par le public français. Quand ils repartent, les gens sont tristes. Une planche de la série Les Beatles à ParisC. : On évoque dans l’album leur passage en direct dans l’émission Salut les Copains ! sur Europe n°1, mais celle-ci n’a pas été enregistrée. Mis à part le témoignage de l’un des Beatles à ce sujet, on n’a aucune trace de cette émission. C’est dire le peu de crédit qu’on leur accordait à l’époque. Ils avaient été interviewés parce que c’était prévu dans le partenariat, mais on pensait que c’était un feu de paille. Une jeune actrice, Sophie Hardy, fait même un shooting avec eux sans même savoir de qui il s’agit, c’est en effet assez révélateur de leur statut en France au début de leur séjour. Je retiens l’un des moments les plus drôles de l’album est lorsque les journalistes se détournent totalement des Beatles pour entourer Burt Lancaster… C. : Quand les Beatles arrivent à Paris, ils pensent vraiment être accueillis comme des méga stars, et en fait pas du tout. D’ailleurs Lennon dit à un moment « La France ne nous mérite pas. » Cette évolution dans leur statut était jouissive à raconter pour moi en tant que dessinateur, parce qu’au début de leur séjour ce sont des garçons, un public sage, qui vient les voir en concert, parce qu’ils s’y connaissaient un petit peu. Au fur et à mesure des trois semaines, le vent tourne complètement et à la fin c’est un véritable raz-de-marée. Une planche de la série Les Beatles à ParisMarrant cette obsession pour Brigitte Bardot, on a oublié à quel point elle était un sex-symbol, même au-delà des frontières… V. T . : A l’époque Brigitte Bardot était vraiment l’icône sensuelle en Angleterre, où les femmes étaient plus réservées, plus prudes. Les Françaises étaient plus libérées, dévoilaient un peu plus de leur corps. John et Paul, très jeunes, avaient ce fantasme de Bardot, forçant même leurs petites amies à avoir la même coiffure, le même look, ça pouvait aller très loin. En 1964 ils avaient toujours très envie de la voir, mais ils avaient un peu grandi quand même. Ils avaient grandi, mais ils avaient quand même l’intention de s’amuser avec les jeunes filles françaises, eu égard à cette réputation de femmes plus dévergondées. L’une d’entre elles leur dit même que l’adultère est un sport national en France. A l’aune des années 2020 après la vague #metoo, cela interpelle. V. T. : C’est une remarque intéressante. Les Beatles ont en effet profité de leur popularité pour enchaîner les conquêtes. Il y avait en effet une certaine vision de la femme, ils ont été élevés avec des valeurs assez misogynes. Même pendant les relations sérieuses, il y avait des aventures à côté. A l’époque on disait que comme ils étaient musiciens, c’était normal d’avoir ces comportements. Paul Mc Cartney est plus tard revenu sur ses jeunes années, en évoquant cette exigence de ressembler à Brigitte Bardot ou lorsqu’il parlait mal à ses petites amies, en disant qu’il n’aurait pas dû se comporter ainsi. En effet les valeurs ont changé à présent, et je trouvais intéressant de montrer le personnage de Jane Asher, compagne de Paul, qui essayait de sortir de ce carcan en lui sortant « Je t’aime, mais tu n’es pas le centre du monde, j’ai ma carrière d’actrice. » Au début de leur relation, Mc Cartney lui avait dit « Si on se marie, tu arrêtes de travailler », et elle lui a rétorqué, « Ben non. ». Une planche de la série Les Beatles à ParisQuelles ont été les contraintes de réalisation de l’album ? En termes de planning, de « véracité » de l’histoire, par exemple ? V. T. : La première difficulté c’était au niveau des sources, qui pouvaient être contradictoires. Par exemple sur l’ordre de passage à l’Olympia. Mais selon les spécialistes, les Beatles étaient bien en dernière partie, ils jouaient après Sylvie Vartan et Trini Lopez, par exemple. L’un des enjeux était de faire parler les Beatles, mais d’une manière convaincante. Comme des jeunes de leur âge, mais pas avec de l’argot anglais, mais de l’argot français qui puisse leur correspondre. C’était le tout premier scénario que j’ai eu à découper : si les dialogues venaient assez naturellement, au niveau des images c’était nettement plus compliqué. C’est là que la transmission de Philippe Thirault a vraiment été utile, j’ai beaucoup appris à ses côtés. Comment êtes-vous arrivés tous les deux à des compromis lorsque les sources étaient fragmentaires ou contradictoires ? V. T. : On a essayé de s’appuyer sur des livres écrits par des spécialistes des Beatles, comme Les Beatles et la France sont des mots qui vont très bien ensemble, de Thierry Lisenfeld. Christopher avait des amis historiens, cela nous a bien aidés aussi. Il fallait qu’on soit le plus précis, le plus fidèle possible à la réalité, on ne voulait pas s’aliéner les fans. Il fallait aussi laisser de la place à la créativité, à l’imagination, c’était un équilibre délicat à trouver. Une planche de la série Les Beatles à ParisC. : Le scénario était bien bouclé du début à la fin. J’ai suivi les dialogues à la lettre ; les descriptions ont toujours été mon dada. Ils me donnaient une séquence et après j’en faisais ce que je voulais. Le défi pour moi c’était d’être le plus exact possible. Quand on a à faire à des fans des Beatles, on ne doit se tromper sur rien. Les avis contradictoires, ça pullule, tout le monde a un avis sur tout, il suffit de lire les forums spécialisés pour s’en rendre compte. Le souci c’est qu’en France on n’est pas un pays super fort en termes de documentation et d’histoire. Pour avoir fait plusieurs bouquins, par exemple sur Janis Joplin, je me suis rendu compte que les Anglais et les Américains sont beaucoup plus pointus que nous. Les détails sur ce séjour de trois semaines à Paris sont parfois très flous. Le shooting photo, par exemple, du côté de Montmartre, on n’a pas de date précise. On a un delta de plusieurs jours, pas possible de faire mieux. Pour les enregistrements dans les studios Pathé-Marconi à la fin de leur séjour, on a très peu de choses. Je me suis basé sur les quelques images et infos que j’ai pu trouver, mais j’étais frustré, car je n’avais pas tous les éléments dont j’avais besoin. Il faut savoir également que dans les années 60, la plupart des photos étaient en noir et blanc, il a donc fallu imaginer la véritable couleur des costumes, par exemple. La partie documentation a été plus complexe que ce que j’imaginais. Je remercie d’ailleurs plusieurs personnes, comme Philippe Ensi, qui nous a aidés sur deux trois images ou vidéos, pour aller plus loin dans la véracité visuelle. Une planche de la série Les Beatles à ParisEst-ce que tu es intervenu sur le scénario ? C. : J’ai émis des suppositions sur certains dialogues, des expressions pour les rendre un peu plus « années 60 ». J’ai ajouté des éléments narratifs, comme lorsqu’ils sortent du concert de charité dont on parlait au début, ils repartent dans leur vieux van blanc couvert de graffitis de fans. Ce sont des petits détails, que je suis fier d’avoir pu ajouter. Pour le reste, je n’ai rien ajouté, étant moi-même fan des Beatles, tout comme Vassi et Philippe, nous étions à peu près sur la même longueur d’ondes. Avez-vous envie de faire d’autres albums sur les Beatles ? C. : Je connais bien Liverpool, j’ai visité les maisons des Beatles et tout ça. J’ai un projet au long cours, avec un contrat assez compliqué, qu’il faut que j’arrive à dépatouiller. L’idée étant de raconter toute leur vie de leurs origines jusqu’à leur fin. La fin étant pour moi la mort de John Lennon, à partir de ce moment on a compris qu’ils ne se reformeraient jamais. C’est compliqué de raconter ça en France, avec les éditeurs, mais aussi en termes d’archives, comme je l’indiquais précédemment, et en plus les traductions d’archives anglaises sont assez approximatives. Ça va prendre du temps, mais ça me tient à cœur, c’est une de mes madeleines de Proust, mes origines anglaises m’ont fait grandir avec ça, c’était en intraveineuse chez moi. V. T. : De mon côté pas de projet concret, mais une figure qui continue de me fasciner, celle de leur manager, Brian Epstein. C’est quelqu’un qui est resté assez mystérieux. Une BD anglophone avait été faite sur lui en 2019, mais j’aimerais l’explorer à mon tour. On lui laisse une certaine place dans l’album. Merci à tous les deux pour ce moment, et pour l’album, très sympa.
Interview réalisée le 06/03/2024, par Spooky.