Auteurs et autrices / Interview de Marion Montaigne

Rencontre à Angoulême 2024 avec Marion Montaigne, « autrice de bande-dessinée de plus de 40 ans, spécialisée en vulgarisation scientifique rigolote et qui se pose des questions sur la vie. »

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Photo de Marion MontaignePas trop fatiguée ? Non, non, ça va. C’est très tranquille cette année. Je suis arrivée mercredi, j’ai pu regarder des expos et puis là ça se passe bien. Comparé à la sortie de Dans la combi de Thomas Pesquet, c’est pépouze. Alors, j’aurais une question un peu bête : comment est-ce que tu te présenterais ? Parce que je n’aime pas faire une présentation, alors comment ferais-tu ? Autrice de bande-dessinée de plus de 40 ans, spécialisée en vulgarisation scientifique rigolote et qui se pose des questions sur la vie. Parce que je suis une grosse angoissée, donc je mélange tout ça dans des BD. Mais impossible à réussir ! Accéder à la série BD Tu mourras moins bêtePersonnellement je t’ai découvert avec le blog BD « Tu mourras moins bête » … On était jeune ! La grande époque des blogs. Ah ben oui, c’était il y a plus de dix ans. Et tu racontais que tu as commencé le blog en parlant avec des spécialistes et en ayant envie de le retranscrire. Oui, en fait en lisant des trucs je notais. A un moment, je lisais des trucs « Comment se développe une grenouille dans son œuf ». Dis comme ça, ça n’intéresse personne. Donc moi je notais, mais vraiment comme une étudiante. Je prenais des notes, je surlignais des trucs quand je trouvais ça intéressant. Et je faisais des petits dessins à côté. Après c’est parti en sucette, mais à l’origine c’était vraiment personnel. C’était à moi. Et parfois j’ai des lubies. Je peux avoir des lubies pendant trois mois pour des sous-marins. Une planche de la série Tu mourras moins bêteEt comment tu en es arrivée à mettre ça sur un blog ? Comme avant j’avais été étudiante, je racontais ma vie d’étudiante. Et j’avais un petit bonhomme, qui est en fait le professeur moustache sans moustache. J’utilisais ces petits bonhommes qui étaient un peu moi et au moment où je l’ai mis en blog – je l’avais mis en privé tellement j’avais peur que ce soit nul – je lui ai rajouté une moustache en mode « C’est moi mais pas moi. ». Et là j’ai développé les premiers posts. C’est un peu n’importe quoi, ça part dans tous les sens. Après j’ai rencontré des chercheurs et là, j’ai plus affiné. À force d’en voir, de voir comment ça se passe, etc. Et en plus, avec le succès, j’étais comme Spiderman : grosses responsabilités. Si on me disait vulgarisation scientifique, je pouvais plus trop dire n’importe quoi. Faut pas trop dire de bêtises. Après je me permets de faire des digressions un peu énormes, mais pour ce qui est des données scientifiques normalement c’est ok. C’est pour ça que je donne une énorme bibliographie scientifique, parce je dis « Voilà, je me suis renseigné ici, j’ai lu ce livre ». Et c’est intéressant parce que maintenant il y a des livres qui sont démentis et faudrait que je fasse un démenti. La science c’est jamais fini. C’était la période des blogs, ça a duré dix ans et maintenant j’ai du mal à le mettre sur Instagram. Le format est un peu dur à gérer. Moi il me faut plus de dix cases et [le format] carré pour moi c’est pas évident. Une planche de la série Tu mourras moins bêteDe toute façon de ce que disait Boulet, les blogs c’est mort maintenant. Oui, j’ai essayé de faire la même chose sur Instagram. Je regarde toujours comment fait Boulet, je regarde et je fais la même chose. Je suis un peu dégoûté parce que j’aime bien montrer à voir, montrer que ça existe, donner envie ... Mais je suis beaucoup plus à l’aise dans un truc vertical sans fond. Des fois je pense même au schéma, on s’en fiche parce que c’est infini. Instagram c’est pas du tout comme ça, très vite on peut avoir des bulles beaucoup trop petites parce que c’est pas si grand. Je suis dans une petite impasse numérique. Tu travailles toujours toute seule ? Non, je suis à Montreuil dans un atelier. Mais j’aime bien l’atelier. Ça bouge beaucoup, c’est ça qu’est bien aussi. Il y a en a qui ont des enfants, qui s’en vont, des jeunes qui arrivent. Là en ce moment, je ne suis même pas avec beaucoup d’auteurs de BD. Il y a un anthropologue, des architectes. C’est bien aussi de pas parler que de BD. Être avec des gens qui vous racontent qu’ils sont allés en Sibérie manger du cerf avec un peuple, c’est intéressant. Mais… c’était quoi la question ? J’ai oublié. Ah oui ! J’aime bien être en atelier, mais il y a des périodes quand je me documente où j’ai besoin d’être dans ma bulle. De toute façon je vais à la bibliothèque. J’adore aller à la bibliothèque. Je suis une personne très fun ! Et là je me documente, j’aime bien. Donc j’ai des périodes où j’aime bien être seule, des périodes où j’aime bien être avec d’autres gens. Une planche de la série Tu mourras moins bêteTon dessin, c’est un choix artistique et délibéré ou c’est une contrainte de la vulgarisation de ne pas faire trop compliqué pour que ce soit lisible ? En fait je ne vais pas faire le professeur moustache aussi réaliste que Gibrat, ça serait terrible. Parce qu’il y a des gens qui explosent, il y a des gens qui ont des boutons… Il y a des trucs horribles. Et ça serait figé. En fait c’est le propos qui dicte un peu et moi je dessine comme j’écris. C’est un peu comme si j’avais mon écriture. Quand vous avez votre écriture et que vous écrivez des courriers à quelqu’un et l’écriture où vous faites attention, l’écriture académique. Et moi j’ai les deux : j’ai l’écriture rapide en dessin, pour le blog, rigolo et marrant. Mais comme j’ai fait des études des Gobelins, avec de l’anatomie et des trucs comme ça, quand je suis au téléphone je fais des dessins chiadés. Avec des dégradés de maboule et des perspectives et tout. Mais ce serait moins drôle si c’était comme ça. Et c’est un choix aussi, faut pas se mentir, pour être assez… pas productive mais efficace. Maintenant on fait des grosses BD, déjà que je passe deux ans sur une BD dessinée relativement vite, si en plus j’avais un dessin hyper-chiadé, je passerais quatre ans. Mais ce n’est pas pareil. Ça t’intéresserait d’en faire une quand même ? Ce serait pas jojo. Je pense que je serais très lente, parce que je suis six fois moins rapide lorsque je dessine bien. Je pourrais essayer de faire une planche prof moustache hyper réaliste pour montrer que ça ne marche pas. Ce serait terrible ! Une planche de la série Tu mourras moins bêteEst-ce que tu te considères comme vulgarisatrice ? Ben c’est le titre que l’on me donne, après je pense que j’ai le bon rôle du vulgarisateur. Quand je parle avec des journalistes scientifiques, eux ils ne choisissent par leurs sujets, ils parlent de l’actualité. Alors que moi je peux prendre ce que j’aime et virer ce que je n’aime pas. Moi je me sens comme une échelle, peut-être le premier échelon d’une échelle pour comprendre un truc. C’est un truc désintimidant pour cet univers. C’est assez intimidant quand vous ne le connaissez pas. Alors que c’est fascinant. Je trouve ça frustrant quand je vois dans des labos ce qu’ils font, je me dis « Faut le raconter ! Pourquoi les gens ne le savent pas ? ». Et ça m’agace de savoir qu’il y en a qui s’émerveillent et il faut avoir bac plus 6 pour s’émerveiller des ondes gravitationnelles. Moi j’aimerais que tout le monde puisse s’émerveiller, c’est juste que je pense que c’est une question de degrés d’explications. Et les chercheurs ils n’ont pas le temps de le faire, où le côté imagé pour le faire. Évidement quand je le fais, ce n’est pas exactement ça, on va trahir un peu la vérité mais sinon les gens ne comprennent rien du tout. C’est juste donner des cartes et des documentations. Après on peut dire : si ça t’a plu, tout en sachant que c’est un peu what the fuck le professeur moustache, il y a plein de bibliographie. Va lire le livre de machin, de bidule. C’est une porte d’entrée, parce que je sais que le blog les gens le lisaient en arrivant en boulot et en rentrant du travail. Quand vous abordez des trucs genre la physique quantique, vous vous dites « Il faut que j’intéresse quelqu’un qui part au boulot dans le métro, un matin, qui a d’autres choses à penser. » C’est sûr que vous ne pouvez pas lui balancer une thèse de trente pages avec des calculs. Vous allez lui dire « Vous en avez entendu parler et vous n’avez sûrement rien compris, comme tout le monde parce que c’est incompréhensible. ». C’est comme discuter avec un pote, quoi. Une planche de la série Tu mourras moins bêteÇa me fait penser à l’expression de Jamy Gourmand : le passeur de savoir. Oui, lui c’est ça force aussi : il passe beaucoup par les images, les schémas, les dessins et ça, ça permet de visualiser, de se représenter les choses. C’est ce qu’on nous demande aussi. Parfois, ils [les scientifiques] se sont rendu compte que c’était utile. Depuis le succès du Monde sans fin, il y a des chercheurs qui se sont rendu compte que c’était pas mal pour toucher le grand public. Même si on n’a pas la formule mathématique, énergétique, on comprend. Est-ce qu’on t’a déjà dit que tu as déclenché des vocations ? Ah oui ! J’ai eu des étudiants – ah ça me fout un coup de vieux – qui m’ont dit qu’ils m’ont lus quand ils étaient au collège et qu’ils ont fait de la science. Après ils en auraient peut-être fait sans lire le blog. Ça me rappelle que je suis dans le circuit depuis plus de dix ans… Et que ça les a intéressés, qu’ils ont découvert un truc. Moi ce qui me fait aussi plaisir c’est d’apprendre qu’il y a des profs qui utilisent comme entrée en matière le dessin animé. Je crois que j’aurais bien aimé. Moi je comprenais mieux quand je voyais un documentaire de Jamy plutôt qu’un prof qui passait par un texte. Quand on me donne des images, c’est mieux. L’Histoire j’y comprenais rien sans documentaire. Tu es pionnière de la vulgarisation BD en France ou pas ? J’ai vu que ça existait avant, mais j’ai l’impression qu’avec « Tu mourras moins bête » ça a vraiment explosé. Ouah ! Écoute, je peux me la péter en disant que oui, je suis la papesse. Mais j’ai l’impression qu’il y en avait un peu. Dans ce que je fais, j’ai l’impression qu’il y a un peu du Gotlib, un peu du professeur Flump et du Léonard le génie. Je vois des affinités, après je ne pense pas que j’ai inventé la vulgarisation mais peut-être que ça a montré aux éditeurs que ça marche. Parce qu’au début, quand je voulais l’éditer ils me faisaient « C’est un truc de niche, ça n’intéresse que les thésards ». Une fois que ça a été édité, on s’est peut-être rendu compte que non, les gens étaient curieux et voulaient comprendre les trucs de manière systémiques. Accéder à la série BD Dans la combi de Thomas PesquetEt le succès est venu quand même. Ben ça va ! On ne va pas se plaindre, on est content. Je touche du bois, en plus ça a été un cercle vertueux puisque je me suis fait connaître, après c’est encore plus facile de voir des chercheurs. Quand vous dites je fais ça et ça ... j’ai même pu approcher un astronome qui avait lu le blog, c’est cool. Parce que des fois je vois un chercheur et j’ai un peu peur qu’il croie que je vais dessiner comme une gravure du XIXè, que ça va être exposé partout. Alors que là, que Pesquet soit déjà un lecteur ça l’a aidé à savoir à quelle sauce il allait être bouffé. Il était déjà lecteur ? En fait il m’avait laissé un message que je n’ai pas lu pendant 9 mois sur mon blog, et justement c’était début 2015. Ça parlait des astronautes et il s’en prenait plein la tête, aucun respect. Je représentais des astronautes insupportables, qui se prenaient pour la première merveille du monde, trop fort et tout mais qui se gerbaient partout, qui se pissaient dessus. C’était inspiré d’un vrai livre d’une nana qui est allée poser des questions à la NASA, Marie Roche. Et donc j’avais posté ça et lui il a mis un commentaire. Heureusement que je ne l’avais pas lu, parce que j’aurais pas cru que c’était un astronaute, je le connaissais pas à l’époque. Donc oui, il a essayé de me contacter. Après quand on s’est vu, il savait parfaitement ce que je faisais. Il voyait parfaitement comment nourrir la bête. C’est-à-dire, sur un sujet hyper sérieux : « Alors dans l’espace, quand tu sors pour une sortie extra-véhiculaire, est-ce que t’as une connexion avec Dieu et l’entité ? », s’il bifurquait sur les toilettes ou de problèmes gastriques, limite il y a mon œil qui fume. Il savait comment je fonctionnais, d’où Dans la combi de Thomas Pesquet. Je pense qu’il voulait montrer un autre aspect. Le but c’est aussi que quand tout le monde te dit tous les jours que tu es un héros, que tu peux faire ça les doigts dans le nez, il ne faut pas laisser les gens croire que la vie est compatible avec le vide spatial. C’est dur, faut qu’on entretienne la Terre, qu’on prenne soin de la Terre. On est des animaux terrestres, dès qu’on nous met dans l’espace tout est compliqué. Tout ce qui est biologique est compliqué. À la fois c’est une prouesse, faut le montrer, c’est balèze. À la fois faut aussi dire que c’est dangereux et pas évident. Il fallait montrer des aspects « Oui, il est très fort », mais il y a beaucoup de monde derrière et il prend cher par moment. Et on y est allé franco. Une planche de la série Dans la combi de Thomas PesquetSi maintenant tu avais crédit illimité et aucun droit de regard dessus, tu ferais quoi comme BD ? Je ne me pose pas de limites, ma limite c’est mon imagination. Ça serait plutôt pour pouvoir suivre, je ne sais pas… Avoir 100 % de finances pour aller dans l’espace. J’aurais la trouille et je serais malade, mais à ce moment-là je fais un stage commando. Je dis ça sur le papier, mais en vrai ça serait une catastrophe, ça serait assez drôle. Ça je me dis vraiment faudrait que j’aille faire un stage GIGN. Ça serait une catastrophe mais ce serait marrant. Ou pas. Mais après le pire c’est que je vais dire ça et un mec du GIGN va me le proposer donc faut pas que je dise ça. À la limite ça serait plus tester mon courage. Par exemple je sais que je me suis toujours dit que j’allais assister à une autopsie. Je peux le faire, je sais à qui je dois demander. Mais évidemment je n’ai pas encore fait la démarche parce que c’est des trucs qui me font évidemment peur. Ce n’est pas une question de limite de moyen, plutôt de limite de courage, d’avoir la foi. Faudrait vraiment s’enfermer 6 mois en Antarctique, ou en Amazonie. Je suis hyper-survivaliste. Ou rencontrer Elon Musk et s’enfermer dans son bureau pour l’observer pendant 6 ans ! Ah non, ça serait pénible, pour les deux. Une planche de la série Dans la combi de Thomas PesquetC’est quoi ta plus belle découverte scientifique récente ? Il y en a beaucoup, c’est compliqué. Il y a la petite découverte où je suis contente parce que j’ai enfin compris comment ça marche. Et il y a vraiment celle qui nique la tête. Là j’ai un ami astrophysicien qui m’a envoyé une vidéo où un gars explique comment il va démontrer que l’univers est limité mais en lieu clos. Et je ne savais pas, mais il y a une période où on a dit qu’on a la preuve que l’univers est en forme de ballon de foot, avec des coins hexagonaux. Et quand j’ai vu ça, j’ai fait « Woah ! ». Mais c’est le plaisir d’avoir compris la démarche mentale pour expliquer ça à notre échelle, comment les mecs ils font. Je ne saurais pas le réexpliquer, une histoire de lumière qui se répète. Mais depuis ça a changé, ils ont prouvé que ce n’était pas possible. Donc on ne sait toujours pas, probablement qu’on ne saura jamais. J’aime bien quand ça me fait un petit mindfuck pendant un petit moment. À ce moment-là, qu’est-ce qu’il y a en dehors du ballon ? Et en plus il y a un astrophysicien qui vous le dit. C’est marrant parce que c’est un truc, des gens travaillent dessus. C’est un métier, de mathématicien qui modélisent ça. C’est fou ! Une planche de la série Dans la combi de Thomas PesquetC’est vrai d’ailleurs que tu vulgarises assez peu de maths. Non, là j’ai fait un peu trop de bio, j’essaye de revenir à des sciences dures. De la physique. C’est dur mais c’est un peu marrant, parce que vu je suis carrément à l’ouest j’y vais avec un côté « je n’ai rien compris, je me suis éclaté la tête ». C’est justement parce que c’est plus dur que ça peut être marrant. Vous allez à un congrès, vous ne comprenez rien, ça peut être marrant. Mais il faudrait que je revienne à des trucs plus techniques. Ou des films, je trouve que je vais plus assez voir de films. Me poser des questions existentielles sur les films. Là j’aimerais savoir quelles sont les blessures qu’on se fait vraiment en touchant la lave, parce que je pense que Dark Vador il aurait dû pas vraiment brûler. Il aurait dû se consumer en entier. Il se bat trop près, je pense qu’ils auraient dû brûler tous les deux. Donc là je suis en train de me documenter pour savoir s’il y a eu des expériences sur la lave, et j’ai vu des trucs. Des gens ont tenté de bloquer de la lave avec des explosifs. On s’éclate, c’est fou, hein ? On cherche un truc et ensuite ça part en cacahuète. Ensuite j’ai trouvé des mecs qui ont essayé de construire une centrale nucléaire avec de la lave. C’est ça qui est génial. Une fois je suis parti sur une histoire de poil d’insecte (parce qu’il y en a qui sont spécialisés dans les poils d’insectes) parce qu’ils ont une technique pour se nettoyer, ils sont hypers efficaces. Et là je suis parti en vrille, je me suis retrouvé sur un article qui faisait des maquettes d’œil humain avec plus ou moins de mascaras pour savoir comment ça dévie. Je pensais que les cils, ils filtraient la poussière. Mais c’est pas du tout comme ça que ça marche, en fait ça dévie l’air et l’air passe au-dessus de nos cils. Un peu comme un pare-brise. Il y a des simulations et tout. Et donc les gars se sont dit « Et si on met du mascara ? » Et c’est génial. Et là vous me tenez plus, je suis comme une folle. Désolé de cet aparté, mais c’est ça que je trouve génial. On peut partir d’une question où je me dis « je ne vais rien comprendre » et finalement je trouve une piste assez surprenante. D’ailleurs finalement je n’en ai rien fait de ce mascara. La science, c’est incroyable, c’est sans fin, c’est super. Et tu t’intéresses à d’autres vulgarisations ? Pas forcément qu’en BD, d’ailleurs. Ah oui, parfois je regarde si quelqu’un a déjà fait ce que je voudrais faire. Je me documente. Mais ça me déprime un peu parce que je me rends compte que je ne suis pas très originale. Je sais plus pour lequel, mais je me suis dit que tout avait déjà été fait. Après j’essaye de faire différemment. Mais je regarde des vidéos, des podcasts… Accéder à la série BD Les Guerres de LucasEst-ce que tu lis des BD, et si oui aurais-tu un conseil de BD à nous donner ? Je n’en lis pas assez, sinon ça me fait penser au travail. Quand j’ai du temps pour lire, je lis plutôt des romans ou des livres chelous sur les cils. J’ai lu récemment en manga « Bonne nuit punpun », c’est hyper triste. C’est un petit enfant qui est représenté comme un oiseau, mais je n’ai pas fini. Et c’est vraiment bizarre, c’est hyper tristounet. Mais sinon il y en a plein. Évidemment je cale alors que je suis entouré de BD, mais ça va me revenir. J’adore Florence Dupré Latour, qui a fait Pucelle et Jumelle. Après il y a plein de bouquins sortis cette année, je suis en retard. J’ai bien aimé Environnement toxique sorti cette année. Sur les projets au Canada d’extraction du gaz de schiste. Sinon je vais lui faire de la pub, c’est un copain, Renaud Roche qui a fait Les Guerres de Lucas. Je trouve qu’il s’en est vraiment bien sorti. En plus il a fait les bons choix, qui n’ont pas dû être facile pour lui. Mais ça me frustre, parce que je sais que je vais trouver à trois heures du matin sous ma douche et que je me dirais « Ah mais fallait parler de ça ! ». Une planche de la série Tu mourras moins bête, tome 2J’ai une dernière question, mais elle n’est pas de moi celle-là (coucou Canarde !) : « Ce qui me plaît et m’interroge dans les albums de Marion Montaigne, c’est sa vision du genre. J’aurais aimé savoir si elle avait un autre mot que « déconstruit » pour le définir. » Ah… C’est marrant, on m’a posé des questions à ce propos. J’ai fait une conférence à l’ENS de Lyon et j’étais face à des sociologues du genre. Ils m’ont posé beaucoup de questions sur le professeur moustache. Ils me disaient « Est-ce qu’elle a une moustache parce qu’en tant que femme il faut se grimer pour rentrer dans le monde scientifique ? » et je n’y avais pas pensé. « Est-ce que vous faites des femmes laides parce que dès qu’on est en science et intelligence, on est laide ? » et j’ai répondu que mon prof moustache est très joli. Enfin, moi je ne la vois pas comme moche. C’est drôle, j’étais un peu surprise des interprétations qu’ils avaient faites. Pour moi c’est juste la liberté d’être poilu. Il y a plusieurs choses, peut-être un truc féministe dans le côté « Vous m’avez fait culpabiliser sur ma pilosité depuis que j’ai l’âge de dix ans, donc vous n’allez pas être choqué qu’une femme ait des poils ? ». Donc il y a peut-être un côté décoffré dans ce genre-là, en disant « Allez-vous faire foutre, oui je suis poilu. Je suis un monstre poilu ! ». Après il y a d’autres aspects, c’est aussi la liberté en BD. En BD, on peut ! Le Prof de fois il est en bactérie, en insecte, en n’importe quoi : il est protéiforme. Mais ce qui m’a étonné, c’est de devoir donner une raison. C’est comme ça ! Pour moi il n’y a plus rien à expliquer, pourquoi ça vous surprend ? Je suis peut-être trop vieille. Une planche de la série Tu mourras moins bête, tome 2Peut-être que ce qui joue, c’est aussi la question de la représentation des femmes dans le monde de la BD. Mais moi-même je me pose plein de questions : pourquoi je m’enlaidis ? Pourquoi c’est violent ? J’ai revu une des sociologues qui était à cette conférence, plus tard, et elle s’est excusée. Elle m’a fait « Je suis désolé, lors de cette rencontre on a trop projeté sur toi nos intentions ». À un moment, je leur ai dit : « Donald, il parle, il marche, il mange du poulet et il se cache le kiki en sortant de la douche. Et c’est un canard, on s’en fout. » Ce n’est pas une bonne comparaison, mais je veux dire pourquoi vous voulez absolument expliquer une femme avec une moustache alors que vous acceptez que Pluto soit à quatre pattes alors que Dingo est debout ? Et là elle s’est rendu compte que pour moi c’est une non-question, en fait. Ils ont projeté sur moi une sorte de stratégie parce que j’aurais été bloqué à d’autres points en tant que femme. Mais après je me suis psychanalysé à mort. Je me suis dit « Ohlala, je suis un monstre ! ». Enfin, pas un monstre, mais tu fais ça pour te convaincre. Tu ne sais même pas l’expliquer, quand t’es pas au clair avec toi-même. Mais pour moi, je ne me sens pas hyper féminine. Est-ce que j’ai fait une femme pas vraiment femme parce qu’elle n’avait pas sa place en science ? Je ne suis pas trop comme ça dans la vie. Je peux faire du sport masculin sans trop me prendre la tête. Faudrait me psychanalyser, mais ça ne me dérange pas. C’est ça le truc, d’en avoir rien à foutre. Peut-être qu’un jour on s’en foutra que le professeur à une moustache et que l’homme a une jupe. Et qu’on ne me posera plus de questions là-dessus. Je suis ouverte à la question. Mais le terme déconstruit, oui, peut-être un peu. Plutôt fluide. Enfin, je ne veux pas utiliser des termes que je ne maîtrise pas bien, parce que je suis une vieille femme. Mais oui, une sorte de liberté d’être moi. Mais moi, je ne la trouve pas moche. Je sais que mes personnages sont moches, mais elle est dans la moyenne de mes personnages. Je ne sais pas si j’ai répondu à la question… Merci beaucoup pour l’interview !
Interview réalisée le 27/01/2024, par gruizzli.