Rencontre avec Xavier Henrion, auteur de l’ouvrage de vulgarisation scientifique « Horizons climatiques », lors du festival Groaaar 2024 à Mulhouse.
Bonjour à toi. Alors, comment te présenterais-tu Xavier ?
Je suis auteur de BD. J’ai fait beaucoup de BD différentes, aussi bien de la jeunesse, que de l’humour ou de la BD adulte. Aujourd’hui je me concentre surtout sur les problématiques environnementales et
Horizons climatiques - Rencontre avec neuf scientifiques du G.I.E.C. en est l’aboutissement, enfin le dernier aboutissement. J'aime bien la vulgarisation, d'autant plus qu'à la base j’ai fait des études scientifiques. Jusqu'en Maths Sup, mais je ne me voyais pas en faire mon métier...
Comment tu es passé des maths à la BD ?
En fait, j’aimais bien le dessin. J’aimais bien les perspectives, j'y trouvais probablement une peu de rigueur mathématique dedans. A côté, j'avais un copain qui se lançait dans une école d’art pour faire de la BD et je me suis dit « Ah, mais on peut faire ça en fait ! ». J'ai plaqué mes études et je me suis lancé. J’ai travaillé en manutention pendant quatre-cinq mois pour me payer un atelier de remise à niveau, parce que je ne dessinais pas du tout, et pendant un an j’ai fait dessin, dessin, dessin pour passer les concours des écoles d'art. J’ai été pris aux beaux-arts d'Angoulême où je suis resté une année. Puis je suis allé à Saint-Luc à Bruxelles, pendant deux ans. J’ai navigué, j’ai pris aussi pas mal de cours aux beaux-arts de Paris, pour travailler l’anatomie. Enfin, j'ai tenté le concours de l'école des Gobelins, spécialisée dans l'animation, que j'ai manqué de peu. C'était donc le moment de travailler sur mes premiers projets BD !
C’était pas ce que tu prévoyais de base alors.
C’est plus une période où mon objectif était d’apprendre à dessiner. Rattraper le retard que j’avais en dessin. Faire cette école d’animation, pour moi, ce n’était pas forcément pour partir dans l’animation, c’était vraiment pour progresser en dessin : apprendre les volumes, comment faire tourner les personnages… C’est une super école, je pense que j’aurais été content de la faire, mais je ne suis pas sûr que j’aurais fait de l’animation pour autant.
Personnellement je t’ai connu avec Toxic Boy qui est sorti chez Sandawe, mais tu avais commencé la BD avant ?
Oui, si je laisse de côté les petits projets anecdotiques, ma première « grosse » BD c’était déjà chez Glénat, dans la collection « Tchô ! ». Ça s’appelait
Root, avec Tehem au scénario. On a fait trois tomes... pour apprendre le métier, c'était parfait ! Après j’ai fait… alors je ne sais plus dans quel ordre exactement parce que ça s’est un peu chevauché, les trois
Toxic Boy et les trois
Sticky Pants (ça colle et ça moule les bollocks !). Sticky Pants, c’est parti d’un délire avec un copain, on faisait des blagues sur internet, et ça a fini en trilogie, on s’est bien marré ! J’ai fait aussi une autre bande dessinée qui n'est pas encore sortie. Je ne sais encore pas comment je vais la publier. C’est particulier, c’est avec un magicien suisse, mais le Covid a un peu chamboulé nos projets.
Et pour Horizons climatiques, c’est arrivé comment ? C’est toi qui as eu l’idée ou Iris-Amata qui est venue te chercher ?
A la fin de sa thèse, Iris a ressenti le besoin de transmettre les connaissances mises en valeur par le GIEC au grand public. Elle a alors mis en pause sa carrière de chercheuse pour écrire et réaliser cette BD. Elle a travaillé deux ans et demi pour faire les interviews, organiser toutes les connaissances, commencer à écrire un scénario et un premier story-board tout ça. Puis elle s’est aperçue que ça lui prendrait trop de temps et elle a cherché un dessinateur.
C’est un peu un concours de circonstances parce qu’elle a envoyé un mail dans un atelier BD à Toulouse, pour chercher quelqu'un qui pourrait l'aider. J’ai un copain là-bas, et quand il a vu le projet il me l'a tout de suite transmis. Il savait que ça m'intéresserait ! J’ai lu tout le scénario. Plus de cent pages écrites avec les courbes des rapports du GIEC. C'était passionnant !
C’était quand ?
Début 2022.
C’est elle qui a fait le storyboard alors ?
Les interviews, le scénario, c’est elle principalement. Elle avait aussi fait un premier storyboard que j’ai remanié en partie. Il y a des choses que j’ai gardées, des choses que j’ai changées. Cette phase-là, c’était une discussion à deux. Pour le dessin, de la même manière, dès qu’il y avait de la vulgarisation, elle restait attentive à ce que je faisais. Elle, elle est climatologue, elle avait son regard. Et en plus de ça, tous les scientifiques interviewés ont pu relire l'avancée des travaux à plusieurs reprises.
Aucun propos n’est sorti du contexte, quoi. Tout est validé.
Oui, il était important pour nous de ne pas trahir leur parole. Tout l’enjeu c’était de simplifier sans trahir !
Et ce n'est pas un sujet facile à synthétiser.
Non. En fonction des concepts qu’il fallait expliquer, on a utilisé différentes méthodes. Par exemple, sur la fameuse courbe des whites stripes (qui montre la moyenne annuelle des températures sur les dernières 150 années) qui va du bleu jusqu’au rouge, Iris avait imaginé un cauchemar avec une couverture dans les mêmes couleurs qui étranglait Xavier. Comme à la fin de cette courbe il y a les cinq scénarios qui sont mis en valeur par le GIEC, j'ai décidé de transformer cette couverture : elle devient une main effrayante dont les cinq doigts représentent les cinq scénarios.
Vous avez fait un travail de la couleur réfléchi par rapport à ça ?
Il fallait que ça soit simple, que ce ne soit pas un graphisme trop dense, trop complexe. Il y a déjà beaucoup d’informations dans l'histoire. Si en plus l'image est chargée, avec des jolis dessins et plein de couleurs, on aurait risqué d'embrouiller le lecteur, voire de le perdre. Alors on a opté pour une monochromie dont la teinte change en fonction des chapitres. Au début on utilise des tons bleus, verts, jusqu’à des couleurs jaunes, orangés.
Ça me permet d'aborder un point important que Iris a voulu mettre en avant. La structure du livre suit à la fois le rapport du GIEC (d'abord le groupe de travail numéro 1 puis les groupes 2 et 3), et la courbe du deuil, inspirée d'une écopsychologue, Joanna Macy. Dans les premiers chapitres, les couleurs sont plutôt dans les bleus / verts, et plus on approche de la dépression, plus elles sont désaturées, ça devient presque gris quand arrive la dépression. Puis, on en sort et on repasse sur des couleurs plus chaudes : le jaune, l’orange, le rouge.
Et bien entendu, le fait que l'on passe du bleu au rouge rappelle le passage du chaud/froid des Warming Stripes
Pour toi, quand tu fais de la vulgarisation, tu as une question qui est faite autour de la compréhension par planche, par page, ou sur le sujet au global ? On peut prendre une page pour expliquer à quelqu’un ou c’est plutôt la BD qui est construite comme une histoire ?
Alors c’est une BD qui se lit comme une histoire, c’était une volonté dès le départ. Après, on peut prendre une page en disant « je voudrais expliquer le concept du forçage radiatif à mon pote ». Bon, pour le forçage radiatif, ça ne se fait pas en une page... C’est un des concepts qui a été le plus compliqué à expliquer. D’ailleurs, dans ce cas particulier, on a été aidés par un autre scientifique spécialisé dans la didactique. On avait déjà fait tout le dessin quand on lui a montré notre travail et il nous a dit : « On ne peut pas expliquer ça comme ça parce que c’est faux ».
En fait, il y a beaucoup de choses transmises partout qui sont fausses ou très approximatives. Même dans les cours, c’est mal expliqué. Ce scientifique lutte contre ça, donc il nous a dit « Désolé, je vais vous embêter ». On a tout refait pour éviter de dire que la chaleur rebondit sur les gaz à effet de serre par exemple. Ce sont des images qui sont fausses.
Après il y a certaines pages qui suffisent à expliquer un concept ou une courbe. Heureusement !
Y a-t-il des choses que vous avez dû laisser de côté, par nécessité, par choix, parce que c’est trop lourd…
Iris a fait des choix au départ, dans son scénario, forcément. Mais après, on n'a plus enlevé quoi que ce soit.
Pour la petite histoire, au départ le livre devait faire -sur le premier storyboard qu’elle avait fait- une centaine de pages. Puis, j’ai tout revu pour aérer et je suis arrivé à environ 225 pages. J’avais tout crayonné et j’ai mis le texte dans les bulles. On s'est posé avec notre éditeur pour faire une première relecture... On a ouvert la BD et on s’est dit « C’est beaucoup trop lourd. Les gens vont ouvrir, ils vont fuir ! ». Alors on a eu le choix : soit on enlevait des informations, soit on rallongeait l’album. On a préféré rallonger l’album.
Il y a une histoire qui est racontée dedans, en partie en fiction. Qu’est-ce qui a inspirée Iris sur cette fiction ? C’est quelque chose qui lui est arrivé ?
Il y a deux personnages principaux : le personnage d’Iris et le personnage qui me représente. Le personnage d’Iris est très proche de ce qu'elle elle est dans la vie. Ce qu’elle raconte au début, quand elle fait du covoiturage et qu’elle croise des gens qui ne savent pas ce qu’est le GIEC, tout ça c’est vrai. Par contre, le personnage de Xavier est quasi-complètement fictif. C’est elle qui l’avait créé, il ne s’appelait pas Xavier au départ. Elle l’avait même appelée Le naïf, c’est vraiment le personnage qui découvre en même temps que le lecteur. C'est un ressort narratif assez classique. Après, on s’est amusé à lui mettre ma tête et lui donner mon nom parce qu’on trouvait ça rigolo qu’on soit tous les deux dans l'histoire. C’est assez marrant de voir que lui, il débarque complètement, il a même des propos limite climato-sceptiques parfois. Alors que je ne suis pas du tout comme ça !
Le changement climatique commence à clairement apparaître en BD. Outre Le Monde sans fin dont tout le monde a parlé, on a aussi Étienne Lecroart avec Urgence climatique, et plusieurs autres publications (voir notre thème Changement climatique). Est-ce que tu as l’impression que ça devient un vrai sujet ? Pas que dans la BD, mais que les scientifiques prennent la BD pour en parler ?
Je ne suis pas hyper bien placé pour en parler. J’ai lu
Le Monde sans fin, mais je n’ai pas lu les autres. Il me semble que pour
Le Monde sans fin, c’était vraiment une démarche de Christophe Blain à la base. Et Jean-Marc Jancovici reste un ingénieur qui n’est pas scientifique du GIEC ou du climat. Ça ne l'empêche pas de faire un super boulot de vulgarisation ! Mais il reste concentré sur l’énergie. Pour les autres livres, il me semble qu’il y a un appui scientifique, mais c’est à chaque fois la démarche d’un auteur. Je pense qu’il y a beaucoup d’auteurs, enfin beaucoup de personnes, qui se posent des questions sur le changement climatique, et quand ces personnes sont auteurs de BD, elles ont envie de faire quelque chose là-dessus.
Donc quelque part, c’est une démarche d’auteur avec un côté scientifique qui vient appuyer, solidifier les connaissances. Là, sur cette BD (montrant la BD), c’est différent. Parce que Iris est climatologue et qu’elle est allée voir d’autres scientifiques qui travaillent sur le climat pour écrire son histoire. Donc on peut dire que ce sont les scientifiques qui sont allés vers la BD. Ça, je pense que c’est assez unique pour l’instant. Mais une fois de plus, je n’ai pas lu les autres... donc si ça se trouve, je raconte n'importe quoi !
Les scientifiques se sont rendus compte que la BD est un excellent outil de diffusion ?
Je pense que oui, mais d’une certaine façon ils n’ont pas fait la démarche. Je sais que quand Iris a commencé à contacter les différents scientifiques, ils étaient hyper partants. Par exemple, quand Iris a contacté Valérie Masson-Delmotte, elle ne savait pas si elle aurait une réponse... Pourtant Valérie a répondu dans la minute ! Ils étaient tous très motivés.
Je pense que les scientifiques sont contents de voir que ça se fait en BD, mais ils ont trop de boulot pour en faire une. La BD, c'est quelque chose qui prend du temps. Les scientifiques préfèrent se tourner vers d'autres moyens de diffusions, comme les essais, la radio ou les vidéos sur internet ou à la télévision.
Et quand Macron sort son « Qui aurait pu prévoir le changement climatique ? » ça donne l’impression d’un retour en arrière de quelques années.
Pour les scientifiques, c'est dur d'entendre ça. Ça fait des années et des années qu’ils répètent le même message et qu'ils sont à peine écoutés…
Du fait d’avoir fait la BD, as-tu eu des changements dans ta vie personnelle ?
Oui, mais, étonnamment, pas forcément dans le sens auquel on pourrait penser. Souvent les gens me demandent si ça va, si ça n’a pas été trop lourd, si je ne suis pas tombé en dépression. Mais j’étais déjà au courant avant de travailler sur cet album. Ça faisait dix ans que je travaillais sur les soucis environnementaux, et d’une certaine manière, c'est avant que je n'étais pas bien. En dessinant
Horizons climatiques, j’ai aussi découvert d’autres pans des rapports du GIEC.
Notamment le groupe de travail numéro 2, qui se penche sur les risques et les moyens d’adaptation, et le groupe 3 qui aborde plutôt les solutions et l’atténuation des dégâts. Au final, j’ai plus découvert les perspectives que nous avons et ça m’a aidé à me sortir de ce mal-être.
C’est ce qui m’a fait plaisir, c’est que la BD parle de ces deux pans et montre que les scientifiques ne restent pas sur le « c’est foutu ».
Ce sont deux groupes de travail du GIEC qui sont aussi importants que le groupe 1 (celui qui évalue l’ampleur et les causes du changement climatique), mais c’est vrai que dans la communication qu’on peut entendre un peu partout sur le GIEC, c’est toujours le groupe 1 qui est mis en avant. Les groupes 2 et 3, on en parle beaucoup moins. C'est dommage.
Après, dans ma vie de tous les jours, j’avais déjà fait pas mal de pas. Peut-être que ça m’a durci sur certaines certitudes. Par exemple je ne suis pas végétarien, mais je mange très peu de viande aujourd’hui, environ une fois par semaine. L’avion, je ne veux plus le prendre. En réalisant cet album, en comprenant encore mieux certaines choses que j’avais étudiées et en en découvrant l’ampleur, je me suis peut-être un peu radicalisé sur certaines décisions.
Tu as découvert des impacts qu’on sous-estime ou sur-estime et que tu ne soupçonnais pas ?
Je ne sais pas s’il y en a qu’on sur-estime, mais en tout cas on en sous-estime clairement. L’alimentation, la viande de bœuf principalement ! Quand on voit les différences d’émissions de carbone entre manger une côte de bœuf et manger du poulet… C’est manger de la viande dans les deux cas, mais même là il y a une différence énorme. Et c’est vrai qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne réalise pas. Je pense qu’aujourd’hui, à part quelques irréductibles, les gens savent qu’il y a un réchauffement climatique. Mais ils ne savent pas ce que ça signifie, ils n’ont pas bien conscience de ce qu'impliquent ces deux degrés de plus, ces trois degrés de plus. Et de la même façon, ils ne réalisent pas l’impact non négligeable de se passer de l’avion, par exemple.
Est-ce que tu as envie de continuer dans la vulgarisation ?
Ouais ! A fond !
Toujours dans le même sujet ?
À côté de ça, j’ai une petite collection de livres pour enfants que j’avais commencée avant
Horizons climatiques, elle s'appelle « C'est pas des salades ». J’avais fait trois livres, dans l’idée des « monsieur-madame », mais au lieu d’avoir Monsieur Curieux, on a Monsieur Déchet. C’est pas « Monsieur Déchet », mais il y a un livre sur les déchets, un livre sur la biodiversité et un livre sur les gaz à effet de serre. Et en ce moment, j'ai lancé une collecte sur
Ulule pour en sortir trois nouveaux : un sur les métaux, un sur l’eau et un sur l’histoire des climats de la Terre. Je trouve ça hyper intéressant de toucher les plus jeunes (c’est du 6-8 ans, 10 ans maximum). Et avec Iris on a un autre projet dont on ne parle pas trop pour l’instant, un gros projet de l’ampleur de ce livre en tout cas.
En tout cas je suis content de voir que des passerelles se font entre les thèses, la recherche et le grand public.
C’est vrai… Ma femme a fait une thèse et souvent les thésards sont vu un peu comme des Freaks. Ils sont là, sur des sujets hyper pointus, ça fait hyper bizarre, mais quand tu vois tout ce que ça peut apporter c’est incroyable !
J’aurais une dernière question : as-tu des BD que tu recommandes ?
Je lis beaucoup moins de BD aujourd’hui donc c’est difficile à dire comme ça. Mais je sais qu’il y a une BD qui m’avait beaucoup marqué il y a quelques années maintenant, c’était de Matthieu Bablet,
Shangri-La. Je peux aussi conseiller un roman que je suis en train de terminer. C’est « Le ministère du futur » de Kim Stanley Robinson, c'est de la science-fiction qui traite des sujets environnementaux. Je trouve que l’écriture n’est pas parfaite, il y a des longueurs, par contre au niveau de la réflexion sur le changement climatique et ce qu’on peut faire, c’est brillant. C’est une fiction qui commence en 2026 et qui narre les 40 années suivantes. Le récit n'est ni négatif, ni ultra-positif « cui-cui les petits oiseaux tout va bien », il y a des moments durs, mais il y a beaucoup d’espoirs, comment les choses pourraient aller correctement. J’ai trouvé ça brillant !
Merci beaucoup !