Auteurs et autrices / Interview de Richard Guérineau
Rencontre avec Richard Guérineau, aux cotés de son compère Eric Corbeyran (voir l'interview d'Eric).
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Richard, "le passage de l'As de Pique", une sympathique série d’aventures, au Chant des Stryges, beaucoup plus ambitieuse à tous les niveaux a dû être compliqué, non ? Tu n’as pas eu trop de difficultés ?
Non, parce que c’était une envie que j’avais, après L'As de Pique, de passer à un univers plus réaliste, plus sombre, à des ambiances plus polar, plus fantastiques… Le projet a basculé vers le fantastique petit à petit, mais au départ j’avais envie d’un polar assez noir. L’apprentissage s’est fait au fil des albums.
Richard, participes-tu à l’écriture du Chant des Stryges, ainsi que sur les séries parallèles ?
J’y participe, bien sûr. Quant aux séries parallèles, ce sont plus des idées de scénario, et d’époque qu’avait Eric, et qui ont pu se raccrocher aux Stryges. On a plus travaillé ensemble sur la mythologie, et donc sur l’historique, les origines, la toile de fond… Eric se ressert de tout ça dans les scénarios du Clan des chimères, du Maître de Jeu… Je suis donc en terrain connu. J’ai plus un regard de « chieur », de celui qui vérifie la cohérence dans les passerelles entre les séries. Au niveau graphique, je n’ai pas voulu intervenir dans le boulot des autres auteurs. Mis à part avec Michel Suro, au sujet des Stryges, qui devaient être assez proches. On a eu des échanges, y compris pour la prochaine série qu’il prépare… A chacun, toutefois, d’interpréter à sa manière les éléments.
La série en est à son quatrième coloriste différent, chacun apportant une touche et une sensibilité différente. Pourquoi y en a-t-il eu autant ?
On a décidé de battre des records (rires). Au départ, on travaillait avec Isabelle Merlet, dont j’étais très satisfait du travail, elle vivait sur Bordeaux, ce qui permettait d’avoir des échanges plus simples, plus rapides. A un moment donné, elle a craqué psychologiquement face à l’ampleur du truc. Elle a décidé de laisser tomber la couleur, de tourner la page. Ce n’était pas lié aux Stryges, mais elle en avait marre, c’est tout. C’est à ce moment-là que les problèmes ont commencé. On a contacté des gens avec lesquels on aurait bien aimé travailler, mais ces gens-là n’étaient pas disponibles…
C’est Delcourt qui nous a amené Ruby, et on était mitigés sur son travail. Elle faisait de très bonnes choses, par contre je ne la sentais pas très impliquée sur le projet, la collaboration n’était pas aussi intéressante qu’avec Isabelle. Au bout de quatre albums, on a voulu essayer une nouvelle collaboration.
Ensuite, avec Christian Favrelle, les avis étaient mitigés, il y a eu des discussions. Moi j’étais un peu perdu à ce moment-là, je ne savais plus trop ce qu’il fallait.
Et là, avec Hédon, c’est impeccable, il est impliqué, réactif, motivé, et le résultat est vraiment à la hauteur de nos espérances, car il a su s’adapter à mon dessin. Quand j’ai eu l’album entre les mains, j’ai eu l’impression d’avoir le bon dosage, les bons tons, etc.
Richard, toi qui aimes bien les ambiances victoriennes, j’ai eu l’impression que tu soignais particulièrement le personnage d’Abeau, avec son look très particulier… Y a-t-il des personnages que tu préfères « croquer » dans la série ?
J’aime bien dessiner Sandor Weltman… enfin, Crandl. Quoi ?! je peux le dire maintenant ! (rires). En fait j’aime bien dessiner les vieux, avec les rides, c’est marrant à dessiner. Je n’ai pas vraiment de personnage favori, chacun a ses caractéristiques, et du coup son intérêt graphique. Le plus ennuyant c’est peut-être Jill, avec son crâne rasé, c’est pas évident à dessiner. C’est vrai qu’Abeau a un petit côté 19ème siècle, avec ses rouflaquettes, sa coupe de cheveux… je n’y avais pas réfléchi comme ça… Et puis aussi leur intérieur, à lui et Cylinia…
Pour le tome 7 de la série, je m’étais « amusé » à faire une analyse transversale, m’attachant aux détails plutôt qu’à l’intrigue principale. On remarque par exemple des « photos » ou dessins représentant l’équipe des Stryges, ou encore vos complices de l’atelier 49bees… Curieusement, il y a moins de clins d’œil depuis, comme le remarque un de nos amis, qui anime un site référençant ces clins d’oeil. Est-ce fait exprès ou un hasard ?
Le coup des photos, de la 3D, c’était vraiment l’occasion de le faire. Cette rupture graphique n’était pas du goût de tous les lecteurs, on n’en refera pas, mais là, ça se justifiait. Concernant les clins d’œil, au départ c’était assez cinématographique ; c’étaient des acteurs, par exemple. A un moment ça m’a fatigué de chercher des ressemblances… J’avais beaucoup travaillé sur Nolan, j’essayais de le faire ressembler à James Woods, en plus ce n’était pas très ressemblant (rires), donc c’était fatigant. Du coup j’ai arrêté, d’abord parce que ça m’amusait moins. J’en glisse toujours un peu, c’est caché dans l’image. Ce sont des affiches de groupes de musique, par exemple… Tu veux que j’en remette pour ton ami ? (rires)
En réponses aux grincheux : pourquoi avoir changé le format des albums à plusieurs reprises ? Je n’ai aucun album de la même taille entre le 1 et le 3, puis à partir du tome 8…
Ah ben il faut en parler à Guy Delcourt (rires). Ce sont des raisons éditoriales. Ils ont testé cette collection, dans un format standard à l’époque. Et puis le lectorat a changé, et n’avait plus cette culture du petit format. C’est passé dans les mœurs, et le prix des albums a grimpé aussi, de 10 à 13 euros.
Après plusieurs co-scénarisassions sur d'autres séries avec Corbeyran, tu vas faire ta première véritable infidélité aux stryges en t'attaquant à un western. Peux-tu nous en dire davantage ?
Oui (rires). Allez, c’est Le Train sifflera trois fois, avec un peu d’Impitoyable. C’est un one shot de 62 pages, qui s’appellera Un Duel. Ca raconte la nuit qui précède le jour où deux personnages vont s’affronter. C’est un duel entre une gloire locale de la gâchette et un petit jeune qui débarque en ville et qui, sous le nom d’emprunt d’un mort, provoque le shérif. Il va y avoir un duel, et personne ne sait si le petit jeune est un vrai cador ou un pauvre tocard. Je suis un grand fan de western, c’est un projet que j’avais depuis très longtemps. Ca me permet de respirer par rapport aux Stryges, et puis faire un one shot ça fait un changement de rythme. Graphiquement ce sera différent, car le western c’est des ambiances de saloon, il y a du détail, alors que dans les Stryges on est souvent dans des couloirs métalliques, il y a un côté high-tech. On est un peu aux antipodes graphiquement parlant. Pour les couleurs, je ne sais pas encore si je vais les faire.
Je dois le terminer d’ici la fin de l’année et il devrait sortir chez Delcourt courant 2008. J’en ai déjà réalisé la moitié et si je réattaque les Stryges en février, le tome 12 devrait sortir en fin d’année. Le tome 11 je l’ai fait en six mois, de janvier à juin. Pas d’inquiétude les amis, pas d’inquiétude (rires). Et puis il se passe presque entièrement en huis clos, ça ira vite.
(intervention de Corbeyran) Oui, enfin il y a des flashbacks au Moyen-Age, hein !
(retour à Guérineau) Michel Suro a déjà tout fait sur le Moyen-Age, ça ira quand même vite (rires).
Tu avais également un projet autour de l’œuvre de Miguel de Cervantes : Don Quichotte, qu’en est-il ? Si le projet aboutit, cela pourrait rentrer dans le cadre de la collection créée par Morvan chez Delcourt, Ex-Libris…
C’est un projet qui est dans les tiroirs. S’il se fait, il n’entrera pas dans cette collection. Déjà, c’est un projet impossible. Il va y avoir des problèmes de droits, je comptais récupérer des images de vieilles BD, de rotos pulp, et je me dis que ce sera super compliqué à gérer. J’ai fait des planches, je me suis fait plaisir, un truc complètement libre. Et ça sera pas du tout une BD pour les bibliothèques, parce qu’il y a un curé qui se fait sodomiser, il y a des éléments comme ça.
La collection Ex-Libris a pour créneau des adaptations fidèles ou le plus proche possible des oeuvres originales. Là c’est vraiment libre, déjanté, donc hors de propos. En plus là l’image qu’on a de Don Quichotte est complètement fausse. L’adaptation faite par Will Eisner (le dernier Chevalier) est une pure daube, ça sent l’œuvre de commande pour les écoles, etc. Déjà le roman est un peu chiant à lire, mais en même temps très riche. Mais l’image qu’on a du personnage est celle d’un révolutionnaire romantique, alors qu’au départ c’est une farce. Une farce qui devait faire beaucoup rire à l’époque.
Depuis tes débuts et ton premier album (1994) tu travailles avec Corbeyran (L'As de Pique, Le Chant des Stryges) et, chose rare en bd seulement avec lui. N'as-tu jamais eu envie de travailler avec un autre scénariste ? Vue la qualité de ton travail, il est difficile de croire qu'aucun autre scénariste ne t’ait proposé des choses intéressantes... Qu'est-ce qui explique cette relation "exclusive" assez rare dans le métier. L'amitié ? Le succès du Chant des Stryges ?
Des projets, on m’en a proposé, oui. C’étaient ce que j’appelle des projets de scénaristes, c'est-à-dire avec plusieurs dessinateurs, avec des rythmes de parution assez resserrés. C’étaient des projets venant de chez Glénat, par exemple. Ces projets ne m’intéressaient pas, car ce qui m’intéresse avec Eric, c’est de participer à l’élaboration du projet, de l’univers. Et là ce n’était pas le cas.
J’ai eu aussi des propositions plus tentantes, mais je n’avais pas le temps à l’époque. J’en ai raté des projets à 100 000 dollars, hein. Entre I.R.$. et Voyageur, la série de Stalner et Boisserie, on m’en a proposé des trucs.
Nombre de lecteurs ont constaté que tu avais changé nettement de style entre les deux cycles. Cela a dérouté de nombreux lecteurs, qui le trouvent moins lisible. Qu’en penses-tu ?
Un style moins lisible ? je ne sais pas quoi répondre, j’aimerais comprendre pourquoi. On est dans le même registre narratif. Mon évolution graphique est naturelle, elle intervient au cours du tome 6, à la fin de la première saison. J’ai changé de technique, je suis allé plus vite. A chaque changement de technique, ça m’a amené plus d’aisance. Mis à part sur quelques pages, comme sur le dernier tome où j’ai éclaté deux pages, je ne vois pas trop où se situe l’illisibilité.
Ah, peut-être les couleurs ? C’est vrai que les couleurs changent forcément le dessin. Selon les coloristes, ça peut écraser le trait… Avec Isabelle Merlet, on était vraiment en accord, et ses couleurs arrivaient à être aussi lisibles que le dessin. Plus tard, avec Ruby et Favrelle, il y avait parfois une perte, la collaboration était différente…
Je disais que l’évolution était intervenue au tome 6, mais c’est à partir du tome 4 que ça a changé. J’avais l’impression de faire trop d’étapes au niveau de l’encrage, ce qui ne me satisfaisait pas. Du coup j’essayais de supprimer une étape à chaque fois, mais ça prenait du temps, et je rechignais à le faire parce que je ne voulais pas qu’il y ait une rupture graphique trop violente. Et puis ça s’est fait naturellement et progressivement.
Il y a eu une autre évolution au tome 10 ; j’ai trouvé une autre technique. Mais ce sont des choses qui se préparent, qui sont en germe à un moment donné et qui se mettent en place à l’album suivant. Je trouve ma méthode actuelle parfaite, car elle me permet de faire le dernier tome en 6 mois, sans bâcler. Je me sens plus à l’aise… le meilleur, c’est toujours le dernier.
Parmi tes projets, il y a donc Un Duel pour 2008, puis le tome 12 des Stryges… tu fais toujours des illustrations ?
J’ai Lu ne me propose plus grand-chose, en ce moment… J’ai fait tout Lovecraft, on m’avait fait faire des couvertures de séries pulps prévues en 12 volumes ; et puis ça n’a pas dû marcher donc c’est au point mort. Après 6 couvertures. On m’avait proposé des choses sur un truc nouveau, mais j’avais planté mon ordinateur à ce moment-là, donc je n’ai pas pu le faire. Et il y a la série d’Omale, par Laurent Genefort, que j’aime bien, mais je n’ai pas l’impression qu’il ait pondu un nouveau roman… Il y a un projet pour une série d’Eric chez Glénat, c’est un triple triptyque (rires), trois séries de trois albums, pour donner une cohérence à l’ensemble.
Cela fait maintenant un peu plus de 11 ans que vous vous êtes lancés dans l’aventure des Stryges. Après tout ce temps, l’envie et la passion sont elles toujours aussi présentes ?
Oui, je m’amuse toujours beaucoup, je ne m’ennuie pas une seconde, au contraire je trouve que c’est de mieux en mieux, et c’était un challenge dès le départ. Plus la série est longue, plus les personnages deviennent intéressants, attachants, complexes… Bon, j’aurais voulu tuer tout le monde à la fin, mais bon… (rires). C’est un vrai cheminement artistique qui est visible dans la série, donc je ne regrette pas du tout…
Le 10 octobre sort chez Delcourt le tome 1 de votre nouvelle collaboration en tant que co-scénaristes, Le Syndrome de Hyde, dessiné par Djillali Defali. Au départ, tu ne devais pas le dessiner, Richard ? Peux-tu nous en dire quelques mots ?
Il s'agit d'un thriller fantastique se déroulant en Europe et qui joue sur les thèmes du loup-garou et Dr Jekyll et Mr Hyde. Une série prévue en 3 tomes que nous avons écrite il y a pas mal de temps et qui est passée entre plusieurs mains.
Au départ je devais faire les roughs, mais plusieurs dessinateurs se sont cassé les dents dessus et ont déclaré forfait. Par dépit, je me suis dit que j'allais la dessiner moi-même, j'ai fait une dizaine de planches mais j'ai vite manqué de motivation. Je n'avais pas très envie de replonger dans une série fantastique contemporaine qui au fond ne m'apportait rien de plus que les Stryges. C'est finalement Djillali qui s'est montré intéressé par le projet.
Richard, merci.
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Le site des Stryges
L'interview de Eric Corbeyran
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