Auteurs et autrices / Interview de Isabelle Bauthian et Sylvain Limousi
A Angoulême, première séance de dédicaces pour Isabelle Bauthian et Sylvain Limousi, dont le premier album est un roman graphique qui a attiré beaucoup d’amateurs.
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J’ai eu très très peur. J’étais un petit peu perdu lors des premières heures ici. Il y a des gens qui sont là pour me guider, c’est très bien, mais c’est le contact avec le public. On avait terminé l’album depuis un petit moment, donc il fallait relire l’histoire, se replonger dedans…
J’essayais de prévoir les questions qu’on me poserait, savoir si je pourrais répondre. Les premières questions ont été un dur rodage, mais après ç’a été mieux. C’est comme si j’avais fait ça depuis longtemps, c’est bizarre d’ailleurs.
Comment est le contact avec le public ? L’accueil qu’il t’a réservé ?
Très chaleureux. Bon, je n’ai pas beaucoup parlé, mais certains étaient très enthousiastes, d’autres arrivaient avec le sourire. Ils avaient accroché à la couverture, et l’avaient acheté comme ça. C’était vraiment parfait, c’est impressionnant (sourires).
Comment es-tu venu sur le projet ?
C’est Isabelle qui est venue me chercher. Nous avions eu des contacts sur le forum Soleil, et plus tard sur Café salé (www.cfsl.net). C’est surtout là qu’on s’est croisés. J’avais posté des petites illustrations, des BD de 2-3 planches pour m’entraîner, m’amuser, car mes projets personnels n’aboutissaient jamais. C’est à ce moment qu’Isabelle m’a contacté. Elle me suivait depuis un moment, et me proposait une collaboration sur un de ses projets. Elle m’en a proposé trois, et l’un d’entre eux m’a plu et on a commencé là-dessus.
Combien de temps as-tu passé dessus ?
Entre dix mois et un an, je dirais. Il a fallu se mettre en route, et dès que j’ai commencé à carburer, il s’est passé peut-être huit mois. Au départ mon trait n’était pas celui qui apparaît finalement dans le bouquin ; j’avais un style plus épais, qui avait été accepté par l’éditeur. C’est en cours de route, que j’ai trouvé un trait plus fin, qui m’a plu, et à Dargaud aussi. Donc on a continué comme ça.
Parlons du style, justement. Posons la question qui va peut-être te fâcher, que tu as déjà dû entendre… Le visage des personnages est dans un style très particulier, je vais donc être le premier à te la poser officiellement : pourquoi leur faire des visages aux yeux très écartés, un peu lunaires ?
Comment je suis arrivé à ça, tu veux dire ? Je ne sais pas. Ca me rappelle la question d’une personne qui faisait la queue en dédicace tout à l’heure, qui me disait « qu’est-ce que vous allez vite, comment cela passe-t-il du cerveau à la main ? ». Ca se fait naturellement. Ca s’est fait comme ça. Il n’y a pas de référence derrière, je ne me suis inspiré de personne. C’est arrivé comme ça…
Quelles sont les références dont tu te réclames ? Les auteurs ou les œuvres que tu aimes bien ?
L'Anneau des 7 Mondes. J’ai adoré, je ne sais pas si ça se voit dans Effleurés. Hellboy aussi, pour le découpage. Pour tout ce qui est ambiance lumineuse, ce sont des tas de mangas, pas les séries TV, mais les OAV, comme Perfect Blue et tous les Miyazaki. Tokyo Godfather, c’est magnifique. Tous les films dans cette veine m’ont inspiré énormément pour la lumière.
Tu vis actuellement en Chine. Quelle est ton activité là-bas ?
J’ai passé mon année là-bas à travailler sur une autre bande dessinée, dessiner et écrire. Je fais ce qu’il faut pour y retourner un an bosser sur un autre projet BD. Mon autre activité favorite est de traverser Shanghai en vélo, et de rester vivant. Ce n’est pas facile tout les jours.
Tu t’es un peu fait connaître sur le web avec le pseudo de Saulne… Ca vient d’où ?
A l’époque où j’envoyais des projets solos, l’un des tout premiers s’intitulait « le parfum des aulnes ». Une fois sur Internet alors que j’ai voulu créer ma première boite mail, « aulne » ne passait pas mais il me proposait de rajouter la première lettre de mon prénom. Et voilà !
Tu viens de finir cet album qui est un one-shot. Quels sont tes nouveaux projets ?
J’ai un projet chez Casterman, dans le label KSTR, qui doit sortir au mois de mai. Ça s’appellera « Mes affinités sélectives », et ça raconte que ta vie peut être totalement différente en fonction d’une seule personne dans ton entourage. Un personnage pouvant revivre sa vie indéfiniment s’amusera à ça, à modifier la combinaison d’un groupe de gens pris dans une situation particulière. Ensuite elle regarde ce qui se passe quand le meneur, ou le manipulateur du groupe n’est plus là.
J’ai un autre projet qui est en discussion avec Dargaud et KSTR, voire ailleurs. Il y aura peut-être autre chose avec Isabelle après.
Isabelle, tu es une nouvelle venue dans la BD, c’est ton premier album. Peux-tu nous retracer ton parcours avant d’arriver là ?
J’ai toujours été intéressée par l’écriture et la comédie. Cette dernière était ma première vocation après le bac, mais pour différentes raisons je l'ai mise de côté jusqu'à il y a environ 2 ans. J’ai fait des études de sciences, j’ai fait une thèse de biologie. J’ai fait ces études parce que ça m’intéressait plus que par plan de carrière, ce qui n’est pas forcément un bon conseil à donner aux gens.
Pendant ma thèse j’ai commencé à travailler sur des scenarii de BD. J’ai eu un contrat d’attachée de presse au CNRS, c’est pendant cette période que j’ai signé mes deux projets, Effleurés qui vient de sortir, et un autre qui va sortir chez Emmanuel Proust. Je n’ai pas renouvelé mon contrat, et je vais essayer de me consacrer à 100% à la bande dessinée. Au départ j’étais plus branchée roman, mais j’ai rencontré des auteurs sur des festivals, qui m’ont donné envie de m’y mettre. C’est enrichissant, la collaboration avec un autre auteur. Financièrement aussi, je dois l'avouer, la bd est plus intéressante que le roman. Je ne sais pas comment c’est pour les autres auteurs, mais mon parcours n’est pas très traditionnel (rires).
Peux-tu nous parler de la genèse d’Effleurés ? Avais-tu une envie particulière de raconter l’histoire d’une chieuse et d’un garçon à la vie bien rangée, pour être caricatural ? Est-ce venu au fil du temps, au cours de discussions avec Sylvain ?
C’est vraiment moi qui scénarise de A à Z. Après, bien sûr, il y a des anecdotes. Comme par exemple lorsque Fleur propose à Christophe un truc à trois, j’ai rajouté une réflexion qu’a faite Sylvain, parce que je la trouvais vraiment intéressante et pertinente. Par contre, pour savoir comment c’est venu, c’est un peu emmerdant comme question, parce que je ne m’en rappelle pas. La BD s’appelait « Fleur de Peau » au départ, je voulais un titre un peu fleur-bleue, pour une histoire qui ne l’était pas vraiment… D’une manière générale, je fais un long travail préparatoire avant d'écrire, pour qu'ensuite l’écriture puisse être lâchée, rapide, et pas trop intellectualisée. Après bien sûr je repasse dessus pour peaufiner.
Pour en revenir à Effleurés, la BD comporte des thèmes que je souhaitais traiter depuis longtemps, des thèmes qui, à ma connaissance, ne sont pas beaucoup traités dans la BD, ou alors sur un mode un peu moraliste, très posé... ou un peu vague, une sorte de constat social pudique... parfois aussi un peu trop nombriliste à mon goût. Je voulais donc traiter ça en utilisant des personnages éloignés de moi, mais porteurs de valeurs intéressantes pas forcément représentées dans ce que j’avais pu voir ou lire.
Pourquoi le titre a-t-il changé en cours de route ? « Fleur de peau » me semblait plus adapté, comme titre…
Il existait déjà une bd avec ce titre, et nous n'avons pas eu le droit de l'utiliser. On a dû trouver un nouveau titre rapidement. Effleurés était bien approprié à l'histoire, et conservait l'ambiguité linguistique de ma première idée.
Je trouve que le personnage de Fleur est très bien écrit, qu’il est assez réaliste. Je ne pense pas que ce soit autobiographique, mais cela correspond-il à quelqu’un que tu connais ?
Pas vraiment, non. J’aime les personnes qui ont un fort caractère comme ça, mais je connais plus de gens comme Christophe que de gens comme Fleur, pas au niveau du mode de vie, mais plutôt au niveau de la manière de s’exprimer. Si je donne une tribune à Fleur et Christophe, c’est parce que leurs idéaux m’intéressent. A côté de ça, je ne serais pas forcément amie avec eux dans la vraie vie, ce qui ne m'empêcherait pas de les respecter profondément. Fleur a des convictions très ancrées, très entières, et elle n’a vraiment pas peur de les exprimer. Je pense à la scène dans le magasin, où elle va engueuler le gars qui a des idées très stéréotypées au sujet des jouets pour filles et pour garçons. Pas mal de gens ont de grandes idées, mais n'osent pas aller jusqu'au bout lorsque ça se traduit par des petits combats quotidiens, des petits détails. Moi je trouve au contraire que ce sont ces petits détails qui contribuent à changer la société. Je suis proche de Fleur de ce point de vue, mais c'est à peu près tout.
Je trouvais intéressant de montrer un personnage réaliste, pas caricatural, qui prouve que cette attitude est possible et utile. Avec Christophe je voulais aussi montrer qu’on pouvait être rangé, être bien dans le monde sans être forcément un ringard, quelqu’un de fermé à autre chose. On peut être ouvert, mais l'ouverture a ses limites. En fait, c'est un peu cliché, mais je voulais surtout dire : "soyez vous-même, faites votre expérience et trouvez votre place, quelle qu'elle soit". On peut être extraverti, ou classique, avec toutes les nuances que ça comporte, mais l'important est que ce comportement ne résulte pas d'un carcan éducatif, ou d'une revendication à outrance.
Il y a un petit clin d’œil à ta formation de biologiste avec le programme des interventions du colloque, en fin d’album. En as-tu glissé d’autres ?
Non. Je n'aime pas quand il y a trop de clins d'oeil ou de private jokes dans les bd. Ca a tendance a faire sortir de l'histoire. J'espère que ce n'est pas le cas ici. A part mon nom parmi les conférenciers, je pense que ceux qui n'ont pas fait leur thèse en même temps que moi ne verront pas les références (notamment les noms des chercheurs, inspirés de personnes réelles).
Tout comme Sylvain, c’est ta première séance de dédicaces, à Angoulême. Ça doit faire quelque chose, non ?
J’étais déjà venue deux ou trois fois en tant que public. Là ça fait plaisir d’y revenir en tant qu’auteur. Ce n’est pas si dur, en fait. Je pensais avoir un petit stress, je n’avais rien préparé, et finalement ça se passe super bien et je suis très contente.
Ton contact avec le public ?
Il est facile. Je ne sais pas trop quoi dire de plus. Ça se passe super bien, on a des bonnes réactions. Plusieurs personnes m’ont dit « ce n’est pas mon style de BD mais j’ai beaucoup aimé ». C'est flatteur. Je réponds que ce n’est pas forcément non plus mon style à la base, mais que ce genre se prêtait bien aux thèmes que je voulais aborder.
Tu disais tout à l’heure avoir été attirée d’abord par l’écriture de romans, puis t’être orientée vers la BD. Y a-t-il des auteurs dont tu te réclames l’héritière, des gens qui t’ont fortement influencée dans la BD ou ailleurs ?
Je ne crois pas, en tous les cas je n’en ai pas conscience. Ce sont les choses de la vie qui ont pu m’influencer, y compris mes lectures sans doute, mais je n'ai pas d'influence marquée. Après il y a des auteurs dont j’aimerais être l’héritière, mais je les ai découverts sur le tard. Ce sont des références : William Shakespeare, David Mamet... ou Guy Gavriel Kay, un superbe auteur de fantasy historique canadien... Des auteurs peu narratifs, avec une approche très intérieure et des personnages vrais, qui soient des gens avant d’être des rôles. Chez Shakespeare, notamment, ses femmes sont des individus avant d’être "le rôle de la femme" ; chose rarissime chez les auteurs de cette époque (et pas si fréquent dans la littérature moderne). Et ça reste très actuel. J’ai découvert ces auteurs un peu a posteriori, et quand je vois ce dont ils sont capables, ça me conforte dans mon approche.
Du côté de la BD, je citerai Goscinny, pour moi un dieu du scénario, Alain Ayroles (De Cape et de Crocs, Garulfo)… Je n’ai pas beaucoup de références BD, parce que je n’en lis pas tant que ça. Mais il y a des tas d’auteurs que j’adore, comme Larcenet, sur une série comme Le Combat ordinaire. Je vais répéter ce que j’ai dit au cours d’une autre interview, mais je trouve rare que des auteurs, sur un sujet cathartique, arrivent à se détacher de leur nombril et confèrent une telle universalité à leur propos. Le Combat ordinaire est une immense réussite de ce point de vue. On aime ou on n’aime pas, mais je trouve admirable d’arriver à faire une telle oeuvre à partir de quelque chose de névrotique.
Tu peux nous dire quelques mots à propos de ton prochain album chez Emmanuel Proust, et de tes autres projets ?
C’est une trilogie fantastique, la dessinatrice s’appelle X-aël, ce sera son premier album, même si elle a déjà fait des travaux de coloriste. Je ne vais pas rentrer trop dans les détails vu qu’il n’est pas sorti, mais nous sommes parties d'histoires fantastiques proches de séries américaines comme Buffy, avec des exorcismes et des créatures démoniaques très humaines dans leur comportement, pour élargir le propos à des questions sociales. Je trouvais que ce contexte fantastique pouvait permettre de dégager des thèmes intéressants, notamment sur l'intégration à un monde moderne où tout les possibles semblent ouverts, mais où, paradoxalement, de nombreuses personnes éprouvent de grandes difficultés à trouver la plénitude. Pour l’instant ça s’appelle Héritage, mais ça va sans doute changer de nom.
Pas de date de sortie à annoncer, d’autant plus que l’éditeur souhaiterait rapprocher les sorties des deux premiers. Donc on avance sur le tome 2 actuellement, le premier étant fini. J’ai écrit cette histoire avant d’écrire Effleurés. J'ai également un roman chez les éditeurs, j'attends une réponse définitive. Concernant mes autres projets, je n'en parlerai pas trop car rien n’est encore signé, même si certains ont retenu l’attention des éditeurs. De la fantasy, des romans graphiques… Je ne suis pas du tout attachée à un genre, mais plutôt à des thèmes à aborder. Une fois que j'ai le sujet, le genre s’impose de lui-même.
Merci à tous les deux.
Blog d’Isabelle Bauthian : http://hesperide.canalblog.com/
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