Editeurs et éditrices / Interview de Sébastien Agogué - Tonkam
Vendredi 7 juillet. Je me rends au Japan Expo, un salon présentant une bonne part de la culture asiatique. Au milieu de la foule, le stand bigarré de Tonkam attire mon attention. Vue l’affluence, Sébastien Agogué et moi décidons de nous isoler pour faire l’interview.
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Sébastien Agogué, attaché de presse aux Editions Tonkam. Je suis donc l’interface principale entre Tonkam et les organes de presse. Cela fait 4 ans environ que je suis là.
Tu t’intéresses depuis longtemps aux mangas ?
Oui (rires). Je baigne dans l’animation japonaise depuis tout petit, avec Albator, Cobra, Goldorak, Clémentine… Il y a eu le Club Dorothée, les séries sur la 5, etc. Puis petit à petit, j’ai acheté les bandes dessinées qui correspondaient à ces séries, j’ai découvert Akira parce qu’ils en parlaient dans Les jeudis de l’angoisse sur la 5… Cela fait 10 ou 12 ans que je m’intéresse au manga en tant que tel, en tant que support artistique, mais aussi en tant que vecteur culturel.
Les Editions Tonkam jouent un rôle important dans la promotion des mangas en France, et ce, depuis longtemps…
Tonkam est, au départ, une librairie de bande dessinée. Depuis 1990, elle s’est spécialisée dans le manga d’abord en japonais puis en français. Au contact du public, nous avons compris qu’il y avait une place pour le manga dans la production BD de l’époque, et même qu’il y avait une place pour d’autres œuvres que les adaptations de séries telles DragonBall, Fly ou Nicky Larson.
En 1994, les Editions Tonkam sont fondées. Les premiers titres recherchés puis édités sont le reflet d’un souci de diversité culturelle, voire intellectuelle qui a fait le renom de la maison. C’est ainsi qu’on a découvert des auteurs comme Taiyou Matsumoto, ou des séries comme Video Girl Aï, qui était le premier titre de Katsura en France, mais aussi la première Love comedy dans l’Hexagone. C’était l’occasion de prouver que le manga, ce n’était pas que Dragonball pour les garçons et Candy pour les filles… Tonkam a su très tôt se positionner comme un éditeur en recherche d’originalité, en publiant les premiers shôjo(1), des seinen(2), du yaoi(3), du manga d’horreur… Il y eut ensuite le projet Magnolia, et dernièrement, le lancement, pour le manga Ichigo 100%, d’un manga parfumé à la fraise, ichigo signifiant fraise en japonais.
Quels sont les titres phares de votre catalogue ?
Nous avons beaucoup de titres. S’agit-il de titres qui ont forgé l’image de Tonkam ? De ceux qui se vendent très bien ? Il y en a qui cumulent les deux qualités, comme la série Hikaru no Go. Pour moi c’est un titre emblématique, puisque c’est un titre Shueisha(4) qui a été publié dans Weekly Shonen Jump. C’est le shonen par excellence, mais malgré ce côté formaté, c’est une série qui arrive à dégager une originalité et une véritable puissance dans le récit. Un manga sur le Jeu de Go, je ne suis pas sûr que beaucoup d’éditeurs auraient misé sur ce titre. Imaginez une bande dessinée sur le Puissance 4 ou les Dames… Video Girl Aï est le premier titre édité par Tonkam, et jouit d’un gros succès, tout comme les autres œuvres de Katsura qu’on a pu publier. Je pourrais parler aussi de Rg Veda, sorti en 1995, qui est l’un des meilleurs mangas du studio Clamp, sinon le meilleur.
Tonkam a mis sur pied plusieurs manifestations ces derniers temps, pas seulement pour promouvoir ses séries. Etes-vous bien suivis par les autres éditeurs ?
On avait envie de faire quelque chose. Dans le milieu du manga, tout le monde se connaît, mais il n’y a pas forcément beaucoup d’endroits où on se retrouve. C’est pour ça qu’on a organisé les rencontres du manga, qui sont l’occasion pour les professionnels et les medias de se rencontrer.
Mais on n’a pas labellisé « 100% Tonkam » ces rendez-vous, parce qu’on n’était pas là pour faire de la réclame. Le but, c’était de faire découvrir le manga dans son originalité et sa pluralité, sa richesse. Si la concurrence publie des bons titres, il n’y a aucun intérêt à le nier, donc autant vivre en bonne intelligence. Au cours de ces rendez-vous, il y avait des représentants d’autres éditeurs. Tous n’ont pas répondu à l’appel mais globalement, le message a l’air de bien passer. Bien évidemment, on profite de ces occasions pour promouvoir un peu nos propres titres. Mais l’essentiel est qu’on ait pu créer un vrai espace de débat, un outil de travail pour les organes de presse.
Combien y a-t-il d’éditeurs de mangas en France ?
Plusieurs dizaines, je dirais. Mais cette foule n’est pas trop gênante, c’est le public qui tranche. Si un titre est mauvais, il ne marchera pas, et à l’inverse, une série de qualité a des chances de trouver son public. Bien sûr, il y a des exceptions, et dans les deux sens. De toute façon, les grands éditeurs ne sont pas là par hasard, c’est parce qu’ils font du bon travail. A l’époque où Tonkam s’est monté, il y avait Glénat, Casterman, avec L’Habitant de l’Infini et Gon… Je crois que Kana est arrivé aussi à cette époque. Avec tous les guides qui sont sortis sur le manga ces derniers temps, ça doit être facile à vérifier.
A la fin de l’année 2005, les Editions Delcourt sont entrées dans le capital de Tonkam. Du coup vous vous retrouvez en concurrence directe avec Akata, le département manga de chez eux, non ?
Au contraire. Auparavant, effectivement, on pouvait considérer Akata comme un concurrent, au même titre que Glénat ou Kana. A présent, ce sont plutôt des collaborateurs. Il y a une saine émulation, comme entre les salariés d’une même entreprise. Les politiques éditoriales sont bien définies, bien différentes. On a chacun suffisamment de travail pour ne pas se préoccuper de querelles intestines. On communique énormément, cette synergie interne est bénéfique, puisqu’on s’apporte mutuellement beaucoup, en termes de connaissance du marché et de process internes.
En termes de diffusion, de négociations avec les éditeurs japonais, on travaille de concert. La somme des deux entités est bien plus forte que les deux entités prises séparément. Mais Tonkam garde complètement son indépendance éditoriale. On le prouve avec ces rendez-vous du manga, mais aussi avec nos sorties à venir, on reste dans l’esprit Tonkam.
Quel est ton sentiment sur la vague annoncée de « manga français » ?
En tant qu’éditeur, Tonkam est très favorable à l’ouverture de ce marché. En 2000, on avait lancé les concours Tsuki, qui étaient ouverts aux jeunes dessinateurs. Les meilleurs avaient été publiés au format manga, en noir et blanc, en sens français, pour environ 5 euros. Pour l’heure, il n’y a pas ce typ d’œuvre dans notre catalogue mais c’est davantage un manque d’opportunité qu’une véritable volonté éditoriale.
Des sorties intéressantes à venir ?
Elles sont toutes intéressantes ! (rires) On va se concentrer sur 3 ou 4 titres. L’une des sorties qui devraient cartonner, c’est Georgie, œuvre mythique de la génération Club Dorothée ; c’est, avec Candy, l’une des œuvres marquantes en shôjo dans l’histoire de la télévision française. Mais aussi la première œuvre de Yumiko Igarashi publiée en France. On ne néglige aucune de nos séries, mais on est particulièrement excités de travailler dessus.
On a aussi 2 shonen du Monthly Jump(5), qui arrivent pour renouveler le genre chez Tonkam, puisque la fin de Hikaru no Go approche. On a d’une part Kurohime, l’histoire d’une sorcière surpuissante mais aussi totalement imbue de sa personne ; elle est punie par les dieux et se retrouve emprisonnée dans le corps d’une enfant. A la recherche de celui qui a lancé ce sort, elle croise la route d’une espèce de justicier, de défenseur de la veuve et de l’orphelin, qui se fait une version faussement héroïque de ladite sorcière. Ensemble, ils vont vivre des aventures dantesques, très spectaculaires. C’est un titre qui prend plus ou moins la succession d’un titre comme Bastard.
D’autre part, Rosario + Vampire est un shonen au pitch plus léger, mais très bon en termes d’action. Un adolescent croit entrer dans un lycée normal, mais c’est en fait une école pour créatures surnaturelles ; on y trouve des vampires, des loups-garous, des momies. Mais ces créatures doivent garder une apparence humaine, sinon elles se battraient à tout bout de champ. Seule une de ses camarades, qui flashe sur lui, connaît sa vraie nature. Elle, qui est vampire, garde son apparence humaine grâce à un espèce de rosaire, qui s’appelle Rosario. C’est un bon cocktail d’action et d’humour. C’est une série qui a une belle notoriété au Japon, dont on parle beaucoup sur le net.
Et pour terminer, je vais parler d’un shôjo, question de parité. C’est la suite de Please save my earth, l’un de nos shôjo mythiques. Saki Hiwatari, dont d’autres titres sont édités chez Delcourt, reprend son histoire 15 ans après, un peu pour faire plaisir à ses fans. C’est avec un grand plaisir qu’on va éditer cette série, titrée Réincarnations 2, car Please save my Earth a vraiment marqué notre catalogue. De plus, Hiwatari a beaucoup de fans, c’est un auteur qui a gagné en notoriété en même temps qu’en maturité. Son trait s’est affiné, et revenir sur cette histoire mythique devrait procurer beaucoup de bonheur aux lecteurs.
Comment vois-tu l’avenir du manga en France ?
Je dirais que je le vois florissant. Il y a de plus en plus de lecteurs, c’est un marché en constante évolution, ça rentre de plus en plus dans la culture collective. Ici, au Japan Expo, ils vont tourner une scène d’un film avec Sandrine Kiberlain, parce qu’il y a un passage dans un salon manga… Daft Punk(6) a aussi aidé à cette évolution. Bien sûr, ce ne sera pas forcément des collaborations aussi prestigieuses que l’auteur d’Albator, mais c’est une tendance qui devrait s’affirmer. Il y a beaucoup d’éditeurs qui arrivent, mais pour peu que les gens travaillent correctement, il y a de la place pour tout le monde. Le milieu de l’édition franco-belge est beaucoup plus saturé que le nôtre. On représente de 30 à 35% de la production BD suivant les sources, donc il y a encore des places à prendre. Quand je vois la marge de progression du marché du manga chaque année, je pense qu’on a encore de belles années devant nous.
Sébastien, merci.
(1) Genre de mangas destiné à un public de jeunes filles.
(2) Genre de mangas destiné à un public d'adultes ou de jeunes adultes.
(3) Genre de mangas destiné à un public féminin, mettant en scène des relations homosexuelles masculines.
(4) Editeur japonais
(5) Magazine japonais, qui prépublie nombre de mangas.
(6) Groupe musical français.
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