Auteurs et autrices / Interview de Régis Loisel et Jean-Louis Tripp
Deux auteurs différents, deux continents différents, deux univers différents, mais une œuvre commune : Magasin général. Jean-Louis Tripp et Régis Loisel ont roulé leur bosse dans la bande dessinée et nous racontent.
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1. Interview de L'Arrière-boutique du magasin général
2. Interview réalisée par BDTheque
1. Interview de L'Arrière-boutique
Comment s’est passée votre rencontre ?
RL : Je connais Jean-Louis depuis une vingtaine d’années. Dans les années 80, on se croisait de temps à autres dans des festivals puis on s’est perdus de vue. Jusqu’à il y a deux ans où, de passage à Montréal, il est venu me voir et, là, on s’est retrouvés comme on s’était quittés ! De fil en aiguille, il s’est installé pour un an à Montréal, une année pendant laquelle on a pu mieux se connaître. Comme il partageait mon atelier, il me voyait peiner sur Peter Pan – que j’étais en train de terminer - et, un beau matin, il s’est réveillé en se disant qu’il fallait qu’on travaille ensemble.
Rien que ça ?!
JLT : Oui. Il suait sur son encrage, de mon côté, je ramais sur des problèmes d’anatomie ou que sais-je encore en dessinant Paroles d’Anges. J’ai réalisé alors combien Régis raffolait de tout ce que je n’aimais pas faire en bande dessinée, et inversement. Il aime mettre en scène avec un crayon. Il adore dessiner un story-board un peu poussé. Dès que cette étape est achevée, ça devient pénible pour lui. Ses légendaires « rustines » sont la conséquence de son peu de goût pour la finalisation. Il encre très vite pour retrouver l’énergie de son crayonné et se plante régulièrement. Toute cette étape le tanne mais il veut préserver le niveau de fignolage auquel il a habitué son public…
RL : C’est vrai que j’aime vraiment faire tout ce qui demande de l’énergie, c’est-à-dire la mise en scène, le dessin dans le premier jus ; et lui, il aime fignoler ses planches…
JLT : Je suis surtout sensible à ce qui définit une ambiance, à la qualité du trait et de la lumière. Dans un contexte narratif, comment parvenir à traduire une émotion par le dessin ? Mais les étapes qui précèdent -à l’exception de l’écriture du scénario- sont pour moi un travail préparatoire douloureux… D’où cette fameuse intuition matinale. Je me souviens lui avoir dit : « Si on était UN, notre travail ne serait plus que du plaisir ! »
Comment cette révélation a-t-elle résonné à vos oreilles ?
RL : Sur le moment, je n’y ai pas attaché trop d’importance : c’est souvent qu’entre auteurs on se dit « Tiens, ce serait bien qu’on travaille ensemble… » et, le temps passant, chacun fait autre chose.
Pourquoi être passé à l’acte cette fois-ci ?
RL : Parce qu’on a commencé à se raconter des histoires et, qu’on s’est pris au jeu. Cette manière de faire est toujours redoutable car les images s’imposent très vite à l’esprit. C’est vrai qu’après Peter Pan, je voulais m’essayer à d’autres moyens d’expression que la bande dessinée, mais Jean-Louis était très convaincant. On a fait un essai sur quelques dessins et le résultat était suffisamment concluant pour qu’on pousse le projet plus loin.
Vous n’avez pas eu peur de confronter votre regard à celui de Régis ?
JLT : Non. Ce qui est intéressant, c’est que nos exigences respectives portent souvent sur des points différents. Je peux être en désaccord avec Régis sur sa propre manière de définir ses priorités mais ce qui est formidable il me semble, c’est qu’il y a de part et d’autre une grande compréhension de nos demandes respectives. Aucun de nous n’a jamais dit : « tu m’emmerdes, je vais faire comme ça parce que c’est ce qu’il faut faire ! ».
Vous êtes dans le compromis permanent ?
JLT : Non. Mais on sent que l’autre a raison sur un point donné, à un moment donné, et qu’il faut lui laisser la main.
C’est l’histoire de l’aveugle qui porte le boiteux sur ses épaules.
RL : Tout à fait. Mais si Jean-Louis ne m’avait pas fait cette proposition, jamais je ne me serais permis de lui demander de travailler sur mes dessins.
Est-ce que vous ne vous le seriez pas permis ou est-ce que vous n’y auriez pas pensé ?
RL : Si j’y avais pensé, jamais je ne me serais permis de le lui demander. J’aurais eu trop peur de ramener son travail à celui d’un simple encreur. Et dans cette aventure, c’est loin d’être le cas : c’est une véritable collaboration en parfaite égalité.
Je sais que des raccourcis faciles vont conduire certains à dire que Magasin général est le nouveau Loisel. Oui, c’est bien mon nouvel album mais c’est aussi celui de Jean-Louis Tripp. Et quand vous le regardez, vous voyez que ce n’est ni tout à fait mon style, ni tout à fait le sien.
JLT : Il aurait été exclu pour moi d’être son assistant et de lui servir de faire-valoir. C’était un risque au vu du déséquilibre entre nos poids commerciaux respectifs. Personne n’irait imaginer que Régis est mon nègre ! Le chemin inverse est plus vite fait… Mais je sais que dans l’esprit de Régis, ce n’est pas ça du tout.
La parenté entre vos styles respectifs n’est pourtant pas évidente.
JLT : Les moyens graphiques dont dispose Régis sont tels qu’il est capable de dessiner n’importe quoi : il peut visualiser une scène et la faire tourner dans tous les sens presque sans documentation. Lorsqu’il dessine une maison sous un angle, il arrive à en donner le contre-champ à la case suivante sans aucune difficulté. Moi, je n’ai pas cette facilité : je peux parvenir à quelque chose de proche mais au prix d’un important travail. De fait, comme je vous le disais tout à l’heure, je suis plus attiré vers l’intime. Si vous voulez, le fruit de notre travail commun, ce serait –toute proportion gardée- un peu comme un film mis en scène conjointement par Spielberg et Rohmer ! L’aspect intéressant de notre collaboration, c’est justement la possibilité de raconter une histoire qu’aucun de nous deux n’aurait pu faire seul de cette façon-là.
RL : Lorsque j’ai parlé à Jean-Louis cette idée que je traîne dans mes tiroirs depuis une bonne dizaine d’années. Il s’y est tout de suite retrouvé.
JLT : Oui, ce jour-là, en parlant à Régis de ce que j’essayais de faire avec Paroles d’ange, j’ai fait référence à Franck Capra. Et là, il a immédiatement fait le lien avec cette histoire qu’il avait intitulé « à la Capra ». Ça m’a plu tout de suite, c’était quelque chose que j’aurais moi-même pu écrire.
Vous êtes partis la fleur au fusil ?
RL : À l’origine, ça devait se passer en France, dans un petit village perdu dans une vallée où personne ne va jamais… Mais le Québec, où nous vivons, nous a paru idéal pour situer cette histoire.
JLT : On s’est rapidement rendu compte que le personnage de l’histoire, c’était CE village-là et qu’il fallait le rendre vrai. Les Québécois sont un peu chatouilleux sur le regard que les Français portent sur eux. Il faut dire qu’ils ont des raisons de se méfier parce qu’on les a souvent traités de façon arrogante.
Est-ce pour cette raison que vos dialogues sont si hauts en couleurs ?
JLT : Oui, le Français tel qu’il est parlé au Québec est une langue formidablement inventive et colorée, mais qui reste à peu près incompréhensible pour un non-initié. Lorsqu’il y a un Québécois dans une bande dessinée française, tout au plus le voit-on débiter des « calices » ou des « tabernacles » pour ponctuer des phrases écrites en bon Français classique. C’est ce que nous voulions éviter absolument.
RL : Si nous avions écrit comme ils parlaient à cette époque, cela aurait été illisible. La première version de l’histoire a été rédigée en Français. Puis Jean-Louis, très imprégné par la culture locale, en a écrit une version québécoise, mais c’était vraiment difficile à lire et nous ne devions pas perdre de vue qu’il fallait rester accessibles au plus large public.
JLT : Nous avons donc cherché un niveau de langage accessible à des Français tout en restant fidèle à la langue québécoise et Jimmy Beaulieu, un auteur Québécois, nous y a aidés.
Pourquoi n’avez-vous pas réalisé vous-mêmes la mise en couleurs ?
RL : Parce que nous n’avions pas le temps. Notre coloriste François Lapierre est Québécois. Il a vraiment fait un bon boulot dans des tonalités aquarellées, lumineuses et nostalgiques.
Parlons maintenant du dessin : vous êtes-vous beaucoup documentés ?
JLT : J’ai toujours dessiné des choses qui se passaient dans des univers contemporains et je suis très soucieux de la documentation que Régis lui, utilise très peu… Il a un peu renâclé au départ mais on a fait une grosse recherche documentaire.
RL : Quand on travaille de trop près avec sa documentation, on perd de la magie… au moindre faux-pas, tout se casse la gueule. Le moindre décalage devient un anachronisme ou une erreur. Pour Magasin général, j’ai beaucoup regardé de documentation avant de commencer à comprendre comment tout ça fonctionnait. On a l’impression d’une époque, mais tout est faux. Je suis un dessinateur de l’à peu près. Seule la poésie qui se dégage des lieux, des coutumes, de l’architecture d’une époque m ‘intéresse. Après digestion, je réinvente tout. J’avais procédé pareil pour le Londres de Peter Pan.
J’imagine que dessiner une histoire se passant dans un contexte aussi exotique pour des Français a du être très plaisant ?
RL : Ça a remis en question tout mon univers graphique puisque l’histoire se situe dans les années 20/30 dans un cadre architectural nord-américain. J’ai fait des choses que je n’avais jamais faites avant. C’était la première fois de ma vie que je dessinais un vieux tacot ! Je le dessine de tête et, si vous le regardez bien, il change tout le temps ! Mais on s’en fout. En fait, pour tout le monde, c’est un tacot…
D’où cette impression qu’il sautille ?
RL : Oui, c’est ça. En le dessinant, c’est le tacot de Donald que je voyais ! C’est toute la nourriture de ce que j’ai lu enfant qui ressort dans cette histoire. C’est pour ce genre-là que je suis fait : il faut que ça vive ! J’aime quand les choses se font vite. Je mets en place l’histoire dans une certaine forme d’énergie créatrice où je ne me pose aucune question : si je suis dans une impasse, j’arrive toujours à me débrouiller en ajoutant dans mon dessin un tonneau, une poule ou je ne sais quoi d’autre. Ce n’est jamais un problème.
Cette forme de collaboration vous a réellement permis de gagner en efficacité ?
JLT : Bien sûr. Chacun faisant uniquement ce qu’il fait le mieux, on va plus vite, mais surtout, on prend infiniment plus de plaisir qu’en travaillant seul.
RL : C’est un des aspects intéressants de notre association. J’ai dessiné ces 76 pages en 4 mois de travail intensif alors que sur Peter Pan ou La Quête de l'Oiseau du Temps, je restais 2-3 jours sur une même page. C’est vous dire !
Vous avez également métissé l’écriture du scénario ?
JLT : Oui et la bonne surprise a été de se rendre compte que nous étions également complémentaires dans ce domaine. Chacun de nous sentait lorsque l’autre tenait le bon bout et savait le laisser aller.
RL : Il n’y a guère que la partie mise en scène que j’ai prise à mon compte, de même que Jean-Louis a le final-cut. C’étais l’idée de départ : chacun fait ce qu’il aime le plus !
Et pour créer les personnages, comment vous y êtes-vous pris ?
JLT : Régis s’est lancé dans des recherches que j’ai reprises dans mon style.
Vous n’avez pas eu envie de participer à ce casting ?
JLT : J’y ai participé indirectement puisqu’en reprenant son dessin, j’ai modifié sa recherche initiale.
On dit souvent que ce sont les défauts qui créent le style. Ne craignez-vous pas qu’à trop vouloir tendre à la perfection, le résultat ne s’en trouve affadi ?
JLT : Je pense que nos qualités s’additionnent. En fait, avec Magasin général, nous avons créé un auteur virtuel qui n’est ni Loisel, ni moi. Entre nous, nous disons souvent qu’il faut que 100% de Loisel et 100% de Tripp fassent un dessinateur qui vaille 250%. Il y a, je crois, une valeur ajoutée qui dépasse la simple somme de nos qualités respectives.
Cela a-t-il été difficile de confronter vos points de vue ?
RL : Nous sommes deux dessinateurs avec chacun sa vision personnelle du dessin. Mon rôle est de poser l’histoire par la mise en scène et le jeu des acteurs. Jean-Louis par son propre style graphique se réapproprie mon dessin. Le but est - à deux - de rebondir deux fois plus loin. Si ce n’est pas le cas, on en parle. Nous n’avons pas toujours les mêmes exigences sur certains aspects du dessin… Mais lui comme moi avons mis notre ego au vestiaire. Seul le résultat compte.
JLT : c’est ce qui est intéressant : que nos exigences respectives portent souvent sur des points différents. Pendant cette période, j’enseignais à l’Université du Québec en Outaouais et ça m’a conduit à beaucoup réfléchir sur mes méthodes de travail. On peut être en désaccord sur certains points mais il y a de part et d’autre une vraie compréhension de nos sensibilités respectives. Je dois rendre ici un hommage à Régis car à priori, il était plus difficile pour lui de gérer tout cet aspect-là.
Pourquoi dites-vous cela ?
JLT : Nous avons à peu près la même ancienneté dans le métier mais la différence de notoriété est telle qu’il lui aurait été facile de me dire : « Tu es bien gentil mais moi, je sais comment on fait une bonne bande dessinée ! », or, dès le début, il a été très clair que nous devions être en synergie et laisser nos egos au vestiaire. L’idée était d’aller chercher chez l’autre des qualités que nous n’avons pas nous-mêmes.
Ca signifie qu’il n’y a pas eu de tensions ?
JLT : Quasiment pas. Lorsqu’il dessine des pages où il ne se passe presque rien et sur lesquelles, moi, je me régale, je l’entends bougonner depuis mon bureau… mais il le fait quand même et… elles sont impeccables.
Ces situations sont-elles faciles à gérer ?
RL : Oui, car avant tout c’est une histoire d’amitié. Moi, cette aventure m’intéressait. Je ne suis pas certain qu’une telle collaboration se soit déjà faite en bande dessinée. On n’est pas dans le même registre que ces tandems où il y en a un qui crayonne et l’autre qui encre dans le même style. Là, c’est tout le traité final qui change.
La différence est ténue, non ?
RL : Oui mais elle est importante.
JLT : En fait, Régis dessine et je redessine totalement sur son travail sans essayer de l’imiter. D’abord, je repique son travail à la table lumineuse, pour m’approprier totalement la page. Puis, lorsque je commence vraiment à dessiner, je ne m’occupe absolument plus de lui et je m’efforce d’être moi-même.
C’est pour cela que Régis est allé aussi loin dans le crayonné ?
RL : Je ne me suis pas posé la question, je l’ai fait comme je le sentais. En fait, souvent, en travaillant, j’efface une partie de mon crayonné avec mon bras, et je suis alors obligé de prendre un feutre pour fixer mon dessin afin qu’il reste lisible pour Jean-Louis. Au début, parfois il me disait de ne pas m’embêter à aller si loin, et à d’autres moments, il me demandait de mieux préciser… Pffff ! Parfois ce garçon est compliqué. En fait, son grand plaisir est de ne pas être interrompu dans son élan, ne pas se poser de questions sur un élément que je n’aurais pas suffisamment détaillé.
JLT : Il y a parfois des hics lorsque je ne comprends pas son dessin. Dans ce cas-là, je lui demande parfois de préciser ou de redessiner afin que je puisse piger l’intention.
RL : Moi je pars du principe qu’il est lui-même dessinateur et que dans ces cas-là, il peut redessiner lui-même ce qui lui pose problème. Sinon, autant que je fasse l’album moi-même…
JLT : Sauf que son style est très différent du mien. Je ne peux ni ne veux faire du Loisel… Sinon autant faire un album tout seul… Non, blague à part, la question s’est posée de savoir où s’arrêter. On en a beaucoup parlé. Comment faire pour percevoir la limite. Qu’il puisse s’exprimer et que je puisse le faire après lui sans être prisonnier de son style dont la puissance pourrait être un piège. Je ne sais pas comment on a fait, mais on a fini par trouver notre tambouille personnelle.
Ça vous a plu, Régis, de ne pas avoir eu le final-cut ?
RL : C’est vrai que, parfois, je préfère ma version de la gueule d’un personnage à sa version à lui. Si je pense qu’il est en-deçà de ce que je propose, qu’il n’a pas chopé la truculence d’un personnage, on en parle. On ne peut pas se permettre de se dire qu’on fera mieux la prochaine fois. C’est vrai que quand je collabore avec quelqu’un j’essaie toujours de le pousser à aller plus loin. Ça doit être chiant. Mais je suis comme ça dans tout, j’aime le travail bien fait !
JLT : Sa position me paraît beaucoup plus inconfortable puisque c’est mon trait qui reste, et non le sien. Incontestablement, il y a plus d’abandon ou de renoncement pour lui que pour moi. D’un autre côté, il travaille avec son propre dessin, alors que moi, je dessine d’après ses formes à lui, et comme ses personnages évoluent beaucoup (autant que sa voiture), il faut que je rattrape ça et c’est à son tour de m’entendre bougonner.
Vos qualités graphiques étant très différentes, n’avez-vous pas été en difficulté lorsqu’il s’est agi de dessiner ce que l’autre aurait pu mieux réussir ?
JLT : Lorsqu’on était sur les scènes d’intérieur du début qui servent davantage à poser une ambiance qu’à dynamiser le récit, j’étais vraiment sur mon terrain. En revanche, toutes les scènes de campagnes avec des gamins qui se baladent sont plutôt du domaine de Régis. Il a une façon de dessiner la nature très différente de la mienne et c’est un de ses points forts. Alors, au début, ça a parfois été difficile lorsqu’il s’est agi de reprendre ses arbres ou les 250 variétés d’herbe qu’il dessine. Je dois réussir à être aussi bon que lui, mais sans me perdre moi-même. J’ai beaucoup transpiré sur certaines cases mais j’ai peu à peu réussi à me les réapproprier. J’ai beaucoup appris en m’aventurant sur des terrains qui m’étaient étrangers.
Vos manières de suggérer l’émotion sont également très dissemblables. Comment trouver le point de rencontre ?
JLT : Dans l’écriture, lorsqu’il veut de l’émotion, Régis n’hésite pas une seconde à rajouter du beurre sur la tartine ! Moi, j’essaye plutôt de garder une certaine retenue. C’est de cette différence qu’est venu l’usage intensif entre nous du mot « pathos », car à chaque fois qu’il partait dans une scène comme ça, je lui disais «trop pathos, trop pathos » et il raclait le toast… Pour ce qui est du dessin, Régis est un grand metteur en scène de théâtre qui fait jouer ses personnages de façon très physique, très gestuelle. Moi, je peux très bien, à l’inverse, faire parler un personnage en plan serré sans bouger sur trois ou quatre cases. On a des directions d’acteurs très différentes. C’est amusant d’ailleurs de voir ces interprétations souvent différentes sur les crayonnés de Régis et sur ma version de la même planche. En fait, poser nos pages côte à côte permet de mesurer quels sont nos rôles.
Vous parlez de cette expérience comme d’une collaboration enchanteresse.
JLT : Oui. Mon intuition de départ s’est vérifiée. Ça fonctionne même plutôt mieux que je ne l’avais imaginé.
Quand on regarde vos planches, on se dit que celles de Régis ne sont pas loin d’être publiables.
RL : C’est vrai ; avec un peu de couleur, elles le seraient tout à fait. Ce serait du Loisel, un peu trop lâché, certes, mais ce serait du Loisel. C’est ce que je fais toujours avant ce fameux peaufinage qui me pèse tant.
Et cela n’est pas bien ?
RL : La question n’est pas de savoir si c’est bien ou pas. J’ai 30 ans de bande dessinée derrière moi et j’ai toujours donné ce que j’avais à donner avec une certaine qualité dans les finitions. Publié tel quel, je ne sais pas si mon public apprécierait… Par contre ceux qui aiment le côté envoyé aimeraient probablement.
Vous sentez-vous prisonnier de votre image ?
RL : Non, pas du tout. Ce travail avec Jean-Louis le prouve puisque la finalité de l’album lui appartient. Quand nos lecteurs regarderont ce livre, ils se poseront sûrement cette question : « tiens, où est Loisel dans tout ça ? ». Et bien, je suis dans la mise en scène, dans les formes, les cadrages, les personnages… Jean-Louis a repris tout mon travail et y a mis son style. Et c’est le fini qui fait le style d’un auteur.
Au final, c’est une expérience qui vous aura changés ?
JLT : Moi, oui. Je travaille sur un vocabulaire de formes totalement différent de mon registre habituel et je suis enrichi de tout cet alphabet. Par exemple, Régis utilise une telle profondeur de champ qu’au 250ème plan, il y a encore un sapin ou un oiseau qu’il faut faire exister, ce qui m’a contraint à élargir notablement ma palette de niveaux de gris. De nouvelles solutions s’offriront à moi lorsque je reviendrai à un travail en solo.
RL : Pour ma part, cette expérience m’a permis de voir qu’aujourd’hui, je peux envisager de travailler autrement en restant aussi efficace. Mes lecteurs ne vont peut-être pas me suivre mais l’important pour moi et de ne plus peiner sur une planche. Une chose est certaine, il y a longtemps que je n’avais pris autant de plaisir à faire de la bande dessinée.
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