Auteurs et autrices / Interview de Enfin Libre

Ils ne font rien comme les autres, à commencer par leur pseudo. Celui-ci dénote une liberté nouvelle, leur permettant des audaces narratives et visuelles dont le 9ème Art est toujours friand. Rencontre avec deux auteurs à part, David Barou et Philippe Renaut, alias « Enfin Libre ».

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Enfin Libre (David Barou et Philippe Renaut) Bonjour David et Philippe, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Ouaip, David, dessinateur depuis très longtemps, graphiste de profession depuis longtemps et dessinateur édité depuis peu ! Philippe scribouilleur de nouvelles depuis très longtemps, dans l’informatique depuis longtemps, scénariste édité depuis peu !

Comment vous êtes-vous rencontrés ? Qu’est-ce qui vous a amenés à faire de la bd ensemble ?
P : J’ai rencontré David qui bougonnait à l’arrière d’un car habillé tout en noir et l’air anti-social. Ca m’a tout de suite plu ! Depuis il est habillé en Télétubbies et il sourit à tout le monde, je pense que la BD est une bonne thérapie (quoique) !

D : Euh je laisse parler Philippe c’est comme ça qu’on fait d’habitude pour les interviews…

P : En fait, un qui aimait l’écriture et l’autre le dessin, même en étant lent du ciboulot on s’est vite aperçus qu’il y avait quelque chose à faire, nous étions tous les deux fans de BD… Ensuite la symbiose a été totale et immédiate : les mêmes idées tordues au même moment…

Vous signez vos albums sous le pseudonyme « Enfin Libre », d’où vient-il ? Est-ce pour souligner votre désir de sortir des balises usuelles de la bande dessinée ?
Hahaha… Mystère, nous avions dit que nous ne révèlerions cela que lors des interviews… ha zut c’est maintenant…
Alors première raison, Enfin Libre qui s’appelait à l’époque Les Pingouins faisait aussi de la musique et lorsqu’on s’est mis à faire nos propres compos, à s’affranchir de l’existant nous avons opté pour Enfin Libre. A la même époque une BD de Lewis Trondheim, auteur qui nous a éminemment influencé, se terminait sur ces mots « Hahaha… enfin libre ! » et ça nous a bien fait rire. Hohohoho on pourrait vous raconter la page mais bon hohoho c’est tout de même beaucoup plus drôle à lire. Bon on vous laisse trouver de quelle BD il s’agit…

Accéder à la fiche de Le Fluink Votre premier projet bd, Le Fluink, innove en s’affranchissant de certaines contraintes propres à la bd (le découpage en cases par exemple) et en en créant d’autres (un peu à l’image des oeuvres oubapiennes de l’Association). Comment vous est venue l’idée d’une telle histoire ?
Nous avions eu cette idée condensée lors d’une petite histoire d’amour, « Amour partagé », que l’on peut retrouver sur l’excellent site enfinlibre.free.fr - hum. Un homme en noir sur blanc tente de séduire une femme en blanc sur noir mais leurs mondes séparés rendent leur amour impossible. Le succès de ce petit Roméo et Juliette synthétique nous a donné envie d’approfondir cette contrainte que nous voulions vraiment au cœur de l’intrigue.

Quelle est votre technique de travail pour mettre en images Le Fluink ?
C’est David qui met en image et travaille sur informatique. Comme diraient certains services de presse : attention le Fluink est la première BD entièrement faite à l’informatique !! Tadada ! Bon trêve de plaisanterie, en fait avec les palettes graphiques on travaille à peu près dans les conditions du réel mais dans le Fluink nous avions deux bonnes raisons de travailler en informatique : le dessin en blanc sur noir rendu évident en informatique et la possibilité de travailler en zoom absolument nécessaire vu le travail de micro détail effectuée par David...

Extrait de Le Fluink Comment se sont passés les contacts avec les éditeurs ? J’imagine que ce projet, malgré ses qualités, devait difficilement rentrer dans une ligne éditoriale existante. Comment ont-ils perçu votre bd ?
Une belle histoire en ce qui nous concerne : le Fluink était le quatrième projet qui partait chez les éditeurs et il est revenu comme d’habitude dans une flopée de lettres de refus, effectivement assez stéréotypées.

Mais un miracle, La Boîte à Bulles nous contacte et nous annonce son intérêt pour le projet. Motivés, nous avançons jusqu’à la moitié de la BD mais la Boîte à Bulles ne pourra finalement pas imprimer la BD. Désespérés nous mettons Le Fluink en ligne et là c’est le (deuxième) miracle : le Cycliste, éditeur courageux, nous contacte (et oui vous avez bien lu) en nous signalant que la BD leur plaît. Les péripéties étaient loin d’être finies pour le Fluink qui mettra deux ans à sortir des presses mais saluons le courage du Cycliste qui prit le pari d’investir dans un bel ouvrage à l’italienne pour une première BD inconnue qui avait toute chance de partir massivement au pilon !

Quel accueil a réservé le public à sa sortie ? Le succès a-t-il été au rendez-vous ?
Le Fluink a eu un grand succès en festival notamment ou les séances de dédicaces ont dépassé notre espérance. Le succès en librairie a été tout à fait raisonnable pour une première BD et le premier tirage a été bien consommé !

Extrait de Sous les pavés la plage L'album se termine avec une fin qui laisse libre cours à l’imagination de chacun... Avez-vous eu des retours de vos lecteurs ?
Excellente question ! Nous avons opté pour une fin très claire pour nous mais dans laquelle nous avons volontairement opté pour une absence « d’effets spéciaux ». Nous savions que nous prenions un risque mais nous préférions cela à une fin trop « téléphonée ». Du coup les interprétations sont assez libres mais finalement chacun y voit la vision du monde qu’il veut y projeter, les optimistes y voient une happy end et les pessimistes une tragédie. Quizz test, dans quelle catégorie êtes vous ? Pour savoir la vraie signification voulue par les auteurs merci de nous écrire par mail à enfinlibre@free.fr (pas de pin’s à gagner).

Votre manière d’aborder la bande dessinée diffère de celle de bon nombre d’auteurs. Déjà dans vos premiers travaux (« Sous les pavés, la plage » par exemple), on peut sentir votre volonté d’expérimenter, de développer de nouveaux concepts, d’ouvrir de nouveaux horizons... Est-ce une question de principe ou bien est-ce une réelle nécessité pour créer et faire de la bande dessinée ?
Mmh, en fait je crois que cela vient de nos deux personnalités une fois réunies. Nécessité peut-être pas mais en tout cas chimiquement c’est ce qui sort de la réunion bdtesque d’un David et d’un Philippe. Nous avons tenté d’analyser a posteriori ce fait et nous nous apercevons que la contrainte formelle stimule notre création. Nous essayons par contre d’éviter d’en faire un axiome, une contrainte pour la contrainte, ou une expérimentation pour l’expérimentation. Il faut que cela soit au service de la narration et que cela vienne apporter un plus à l’histoire, une espèce de mélange de fond et de forme… enfin nous sommes loin d’être précurseurs hein quand même, un Marc-Antoine Mathieu par exemple avait bien ouvert la voie…

Accéder à la fiche de La Rumeur Votre deuxième album (La Rumeur) est sorti récemment chez les éditions « La Boîte à Bulles ». Presque 3 années se sont écoulées entre la parution de ces deux albums. Est-ce que ce rythme de parution est suffisant pour « vivre » ou bien exercez-vous d’autres activités ?
Pas vraiment trois ans en fait ! Techniquement il y a un an et trois mois entre les deux publications mais comme quasiment deux ans se sont écoulés entre les annonces de parution du Fluink et sa parution effective on peut facilement s’y tromper !!!
On a tenté de tenir avec nos 6 tranches de jambon mais après 5 semaines on a commencé à avoir vraiment faim. C’est là que nous avons décidé de reprendre nos métiers respectifs. Heureusement la prochaine attribution du grand prix d’Angoulême devrait nous permettre d’arrêter de perdre notre temps au boulot…
Non sérieusement c’est la stabilité économique de nos métiers qui nous permet de créer en toute liberté sans compromis commerciaux, sans se forcer à faire des choses qui se vendent. Hum dommage pour nos éditeurs…
Sinon, mine de rien, cela permet de garder un pied dans la réalité économique et industrielle, ça évite de vivre complètement « dans la bulle » médiatico-littéraro-phylactérienne.

Extrait de La Rumeur La Rumeur est un album différent du Fluink bien qu’on puisse y déceler certaines similitudes dans son élaboration. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa réalisation ?
Nous voulions offrir aux lecteurs du Fluink une BD dans le même état d’esprit. Le noir et blanc nous avait plu et le format italienne aussi. C’est donc de ces contraintes que nous sommes partis. Ensuite l’idée de scénario est apparue au détour d’une soirée mais nous n’étions toujours pas sûr que graphiquement cela pouvait tenir la route sur 48 pages. Les premiers essais de David m’ont convaincu et on a donc avancé comme ça !

Le Fluink et La Rumeur sont réalisés en noir et blanc. Pourtant, on peut aisément imaginer que la couleur pourrait aussi être un terrain de jeu idéal pour vos expérimentations. Votre mini-récit « Sous les pavés, la plage » en est la preuve. Envisagez-vous prochainement un album où la couleur serait déviée de son rôle premier pour devenir le moteur du récit ?
Touché mais pas coulé ! Effectivement la prochaine BD va être vraiment superbe à base de traitement aquarelle sublime (vous l’aurez deviné c’est le scénariste qui parle... héhé). La couleur ne sera pas le moteur du récit, même si elle jouera un rôle bien précis, mais le livre et le papier lui-même oui...

BD à la carte Parlez-nous de vos projets connexes à la bd. Je pense en particulier au concept de « bd à la carte » ou plus récemment de « bd réalité » ?
Forcément quand on aime expérimenter, tous les challenges graphiques sont bons ! BD à la carte nous est venu des séances de dédicaces et de nos expériences musicales où le contact avec le public s’est avéré une vraie richesse. Par ailleurs le théâtre des Roches à Montreuil nous a offert sa salle. Nous avons donc eu l’idée d’un spectacle qui offrirait au public le rôle de scénariste. David traduit en direct les idées sur un écran projeté ce qui permet donc au public de voir sa création prendre forme sous ses yeux ! Les différents personnages de notre BD se prêtaient bien à une sorte de jeu de rôle où chacun pouvaient incarner une personnalité.

Quant à BD réalité, il s’agit tout simplement de notre création dans le cadre des 24h de la BD d’Angoulême. Nous avons mis en scène une sorte de télé-réalité où chaque case était un personnage et où les personnages avaient 24h pour se faire élire comme personnage favori des lecteurs. La fin de la création est un peu sommaire car après une nuit blanche nous étions un peu short pour finaliser les dessins mais comme à la télé les problèmes techniques n’empêchent pas la diffusion !!

Vous innovez encore avec la « bd accordéon » et la « bd en transparence ». Votre imagination a-t-elle des limites ?
Asymptotique !

Extrait de la BD sur mai 68 Quels sont vos projets ?
Nous avons une BD en ligne en cours sur mai 68 (http://www.barricades.fr). 68 personnages vivent la nuit des barricades, une vue en coupe de la place Maubert avec bâtiments, métro, catacombes, chaque page représente la même vue 30min après la page précédente. Nous mettons une nouvelle page en ligne toutes les semaines.

Et puis notre gros projet papier du moment est prévu pour 2009, il s’agit d’un double hommage à deux Lewis à l’imagination débordante eux aussi : Carroll et Trondheim. Un projet très onirique qui revisitera des œuvres classiques de BD et littérature…

Quelle question aimeriez-vous qu’on vous pose ?
David, Philippe, souhaitez-vous remercier des gens ?
Oui Pierig merci de cette tribune offerte et en plus de nos deux éditeurs nous aimerions vraiment remercier Lewis Trondheim qui a eu l’immense humilité de lire nos petits projets et de nous pousser à continuer à une époque où nous en avions bien besoin. C’est clairement portés par ses gentils mots que nous avons osé faire... des trucs bizarres mais bien à nous ! Un grand homme quoi !

David, Philippe, Merci !
Merci Pierig !



Retrouvez tous les travaux (publiés ou non) d’Enfin Libre sur http://enfinlibre.free.fr/
Interview réalisée le 10/04/2008, par Pierig, avec la participation de Spooky.