Auteurs et autrices / Interview de Vincent De Raeve et Stephan Plottès
Rencontre avec deux nouveaux venus dans la BD, qui publient un album coup de poing chez Des ronds dans l’O. Vous allez enfin savoir où se trouve le Luxembourg belge…
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Stephan : Bonjour, je suis le dessinateur de Assis debout.
J’ai 41 ans et je suis content de m’être lancé « enfin » dans un projet de BD.
Vincent : Bonjour, se présenter en quelques mots est un exercice difficile ! Disons juste que je suis le scénariste de Assis debout qui est ma première BD. J’habite avec mes trois enfants et ma compagne en Gaume, qui est la région la plus au sud de Belgique, dans un petit village. J’ai 37 ans.
Vincent, tu as exercé plusieurs activités, avant de travailler à présent pour un syndicat. La recherche de nouveaux défis ?
Vincent : Non, je ne fonctionne pas au défi. Mais je suis opiniâtre et patient. Je sais ce que je veux. J’ai arrêté l’école à 18 ans et il a bien fallu gagner ma vie. J’ai exercé plusieurs boulots alimentaires jusqu’il y a peu ; serveur, barman, manœuvre, bûcheron, intérimaire, ouvrier de production…
Puis j’ai enfin eu le courage de reprendre des études d’éducateur spécialisé, en horaire décalé, ce qui m’a ouvert de nouveaux horizons professionnels. Lorsque j’étais ouvrier de production, j’avais été élu délégué syndical. Je connaissais donc un peu ce milieu et j’ai eu l’envie de postuler pour un travail au sein du syndicat.
Tu as écrit en 2006 l’Usine, un récit de vie qui a connu un certain succès. Qu’est-ce qui a guidé ta démarche ? Beaucoup de commentateurs le qualifient de « cri ». Comment l’apprécies-tu ?
Vincent : j’ai toujours écrit et beaucoup lu. Je noircissais des pages pour moi, des carnets intimes, que je ne faisais lire à personne. Ils étaient planqués dans un tiroir dans mon atelier.
Je n’ai jamais aimé le travail en usine. Au bout de 11 ans, en trois huit, j’ai commencé à péter les plombs sérieusement. Je gerbais avant de passer le poste de garde. Je ne supportais plus. Ma manière de faire devant ce genre de situation est d’écrire. De coucher sur le papier ce qui me fait mal. C’est thérapeutique je pense.
J’ai donc commencé à écrire l’usine, ce que j’y vivais. Puis, lors de mes études d’éducateur, j’ai fait lire mes pages à un professeur de français, qui est devenu un ami. Il m’a dit que j’étais doué et m’a fait publier. Le bouquin a en effet eu un certain succès, il a été très bien reçu par les média, ce qui aide beaucoup. Ca n’a pas été facile à assumer mais cela a radicalement changé ma vie. En bien.
Il y a peu de temps tu as publié un autre livre, Carnets d’un garde-chasse, consacré à la chasse aux chômeurs en Belgique. Sais-tu qu’en France les demandeurs d’emploi sont aussi très vite sanctionnés ? Comment expliques-tu ce durcissement des gouvernements ? Vois-tu une solution au problème ?
Vincent : Voici quelques mois j’avais entendu Monsieur Sarkozy dire qu’il allait s’inspirer du système belge de contrôle des chômeurs pour l’appliquer en France. Ce qu’il est en train de faire. Et je peux vous assurer que cela n’annonce rien de bon.
Ce durcissement n’a pas lieu qu’en France et en Belgique. C’est une politique européenne. La stratégie de Lisbonne. C’était annoncé depuis un certain temps, il suffit de lire les textes. Ce qu’il est important de comprendre à ce sujet est que ces contrôles et les sanctions qui en découlent ne s’adressent pas tant aux chômeurs qu’aux travailleurs. Plus les chômeurs sont ‘activés’, plus la pression sur le marché de l’emploi est forte. Ce qui a entre autres comme effet de tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas. Si deux cents personnes postulent pour le job que vous occupez, vous serrez les fesses pour le garder et êtes prêt à accepter des choses que l’on considérait comme inacceptables il y a peu. Il s’agit d’une stratégie très claire et très cynique, qui ne va pas vers un meilleur partage des richesses, mais vers une mise en concurrence exacerbée des travailleurs et des chômeurs, pour le plus grand profit de quelques-uns.
Je n’ai pas de ‘solution miracle’ à proposer. Il faut, je pense, parler, discuter, débattre, refuser, manifester, ne pas avaler le discours uniforme que presque tous les média nous servent. Inventer, trouver d’autres voies, relever le nez du guidon…
Tu as prolongé ce livre dans un blog, inactif en ce moment mais toujours accessible*. D’où t’est venue l’envie de faire un blog sur le sujet ?
Vincent : J’avais envie de créer un espace de débat, d’échange, de mise en commun d’informations. Le blog a été beaucoup lu, mais très peu de personnes ont désiré s’approprier cet espace.
Et je suis à présent trop pris pour pouvoir y consacrer le temps nécessaire. Je l’ai donc arrêté, bien qu’il soit toujours accessible, mais je compte le recommencer ou en créer un autre dans quelques mois. J’aime cette manière de communiquer, mais cela prend vraiment beaucoup de temps.
Ce livre était illustré par Stephan Plottès. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Stéphan : Pour ma part, c’est lors d’une séance d’information donnée par le syndicat pour lequel travaille Vincent, afin d’informer les chômeurs des démarches à suivre concernant les fameux contrôles cités plus haut. Contrôles que vous allez connaître !!!!
Il a vite remarqué que le dessin était une passion pour moi et puis tout s’est enchaîné très vite.
Et vous avez eu l’idée de faire une BD. Le sujet s’est-il dégagé rapidement ?
Vincent : oui. Nous avions très envie de faire un album. J’ai écrit les grandes lignes du scénario et une quinzaine de planches en quelques jours, lors d’un séjour à Paris. C’était une expérience assez magique, les pages se noircissaient avec une grande facilité.
Pourquoi ne pas vous être adressés à un éditeur belge ?
Vincent : Une fois les quinze premières planches mises au net, nous les avons envoyées à une quinzaine d’éditeurs, belges et français. Deux ont manifesté clairement leur intérêt, dont ‘Des ronds dans l’O’. Cette dernière maison nous a semblé la plus proche de nous, la plus engagée. En quelques jours, le contrat était signé.
Stephan, en regardant ta bio sur le site de ton éditeur, je lis que tu vis dans le Luxembourg belge. Pour les Français, c’est une appellation un peu abstraite. Peux-tu nous expliquer ?
Stéphan : Et bien, le Luxembourg belge est une province de Belgique qui partage ses frontières avec le Grand Duché du Luxembourg.
Pour compliquer les choses, comme il se doit en Belgique… (rires) cette province comprend deux «régions » : la Gaume (chez Vincent) et les Ardennes (pour moi).
Amis Français, je vous laisse apprécier ce petit cours de géographie à la belge !
En plus d’être un illustrateur et dessinateur de talent, tu es aussi guitariste dans un groupe de rock, Sarah tue-moi. Tu as un parcours professionnel aussi tortueux que ton camarade Vincent puisqu’après avoir été coloriste, tu fus livreur de médicaments, puis designer de revêtements de sol. On dit que tout mène à la communication, mais c’est aussi vrai pour la bande dessinée, semble-t-il…
Stéphan : Je n’ai pas le talent d’écriture de Vincent, je n’arrive à m’exprimer qu’à travers le dessin et plus modestement encore par la musique. Ces moyens d’expression sont particuliers. Je les trouve directs, clairs, sans détours, ça me convient mieux !
Vincent, la question la plus « bateau » au milieu de l’interview : quelle est la part de vécu dans Assis debout ?
Vincent : Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question bateau. Assis debout est effectivement partiellement autobiographique. Parler en ‘je’ donne je pense une grande force au récit. Mais c’est également un risque pour l’auteur. Se déshabiller ainsi dans un ouvrage publié n’est pas une chose facile à assumer. J’en ai eu l’expérience, parfois douloureuse, suite à la sortie de mon premier livre ‘l’usine’, dans lequel je disais des choses qui me touchaient personnellement.
J’ai donc veillé pour Assis debout à me préserver et à préserver les miens. Je n’ai pas tout dit, j’ai inventé certains passages, j’ai changé l’ordre chronologique, bref j’ai ‘brouillé les pistes’.
Une fois encore, la dimension sociale est au cœur de ton récit. Penses-tu que le social soit l’un des vrais enjeux de ce début de siècle ?
Vincent : Il est évident qu’il s’agit là d’une question très importante. La manière dont notre société se développe nous mène vers le repli, vers l’absence du ‘nous’. Les personnes en difficulté sont de plus en plus stigmatisées et ce qui faisait ‘société’, la solidarité, tend à disparaître. Il me semble donc évident, en tant que militant, et puisque j’ai la chance d’être édité, que la dimension sociale ne peut pas être absente du récit.
Stephan, le choix du noir et blanc s’est-il imposé rapidement ?
Stéphan : Quand nous discutions de ce projet, Vincent et moi, il m’est apparu très vite que le noir et blanc s’imposait, le cheminement de cette histoire va du noir au blanc ! Je ne sais pas pourquoi, il me semble qu’il faut composer avec peu de moyens et ça… c’est difficile, ce genre de défi me plaît.
Evidemment, pour Assis debout, d’autres dessinateurs auraient peut-être utilisé la couleur, mais bon… Je trouve pour l’instant que je me sens plus crédible en ayant fait ce choix. J’avoue que dans mon labo secret, je m’essaye à la couleur, l’avenir nous dira si j’y trouve mon compte !
Comment passe-t-on de l’illustration à l’art séquentiel ? Ce sont deux métiers bien différents, non ?
Stéphan : Houlà, je ne peux pas rentrer dans ce genre de débat, d’autres le feraient mieux que moi !
Comme je l’ai dit plus haut, dessiner ou faire de la musique, c’est simplement, à mon sens, s’exprimer, créer ; que ce soit bon ou pas, c’est « faire » l’important !
Je précise tout de même que si c’est bon, c’est mieux ! (rires).
Une illustration ou une BD, en réalité, quelle différence ? La technique ? (sourire).
Je suis graphiste publicitaire de formation, là, par contre, c’était un problème ! Je ne partageais pas le but recherché par ce métier, je me suis cherché et heureusement…. Je ne m’y suis jamais trouvé !!!
Pour moi, la bonne question est… qu’est-ce que je peux apporter aux gens avec mes « compétences » ?
Le récit comporte des moments vraiment durs pour le personnage, mais ils ne sont finalement pas très visibles. Comment cette orientation narrative s’est-elle décidée ?
Vincent : L’histoire se présente sous la forme de plusieurs chapitres bien distincts, qui sont des épisodes de la vie du ‘héros’, qui est plutôt un non héros. J’ai choisi de les présenter dans un ordre bien précis, qui est une gradation. Au début du récit, le ‘héros’ est méchamment paumé. On devine qu’il a traversé des choses difficiles. Il a un rapport compliqué avec l’alcool. Il fait des choses pas très nettes, au risque de perdre la sympathie du lecteur.
Puis il rebondit, se restructure, au travers de sa relation avec son amoureuse. Je pense qu’il fallait qu’il touche le fond, avant d’aller vers des choses plus claires, plus riantes.
J’espère que le lecteur terminera la BD plus léger, dans l’espoir.
Avez-vous des références en bande dessinée ?
Stéphan : Oh oui, Mike Mignola pour son graphisme et son coloriste, Dave Mc Kean, Muñoz, Louis Joos, Ben Templesmith, Comès (que j’aimerais rencontrer), Charles Burns, Corben… Raaah, il y a encore tellement et la vie est si courte !!!!
Bien sûr, toute cette nouvelle vague française, Blain, Sfar, etc… sacrés « univers » ces gars-là !!!
Vincent : au niveau de mes références, il y a certainement Muñoz et Sampayo. Le personnage d’Alack Sinner m’a profondément marqué. J’aime tant d’auteurs que c’est difficile d’être exhaustif ; entre Tardi, Fred, Pratt, Giraud Moebius, Spiegelman, Bilal, Cosey, Gotlib, Comès, Sokal, Jodorowsky, Boucq, F’murrr…
Comme vous pouvez le voir, mes influences datent ! J’avoue avoir un peu décroché de l’actualité BD de ces dernières années… mais des gens comme Larcenet, Satrapi, Rabaté ou encore Schréder me touchent beaucoup.
Vincent, que réponds-tu quand on compare Assis debout à Rural !, Garduno, en temps de paix ou Putain d'usine ?
Vincent : Je ne connais ni "Rural" ni "Garduno". Mais je vais me renseigner ! Quant au travail de Jean-Pierre Levaray, j’en ai beaucoup entendu parler. Je l’avais entendu se faire interviewer sur France Inter voici à peu près deux ans et je trouvais qu’il parlait vrai.
Je viens de terminer Putain d’usine. (Le bouquin, pas la BD). Je trouve que c’est un bon bouquin.
Quant au fait d’être comparé, cela ne me touche guère, même si c’est parfois flatteur.
Votre première BD sortie, allez-vous en faire d’autres ? Avez-vous des projets (BD ou autres…)
Stéphan : J'espère bien. Je sais que Vincent travaille sur un synopsis concernant une histoire qui se passera à Lisbonne.
Moi de mon côté, je travaille sur le découpage d'une petite histoire de 4 planches toujours sur une idée de Vincent en vue de participer à un concours. On va voir ce que ça donnera ! (sourire....).
Vincent : Je travaille également avec mon Amoureuse sur un livre pour enfants, qui s’intitulera ‘La boule noire’. Je voudrais également continuer (et terminer !) un recueil de nouvelles commencé depuis un bon bout de temps. Je voudrais également faire un petit bouquin de listes, un peu à la manière de Pérec. Les projets ne manquent donc pas. Mais il faut trouver le temps… et gagner de quoi vivre !
Vincent et Stephan, merci.
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