Auteurs et autrices / Interview de David Chauvel
David Chauvel est l’un des scénaristes les plus appréciés de la bande dessinée actuelle. Il nous a fait le plaisir d’un entretien fort intéressant.
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Absolument. De V pour Vendetta, avant tout. Comme beaucoup de jeunes de 18 ans, je ne savais pas quoi faire de ma vie. Je ne voulais pas faire d’étude, et je ne voulais pas mettre le costume cravate que ma maman rêvait de me voir porter… Monsieur Moore a changé ma vie, qu’il en soit béni.
En 1992 tu fais une entrée remarquée dans la BD avec Rails, une série d’aventure publiée –déjà- chez Delcourt. S’il fallait la refaire, que changerais-tu dans cette série ?
Tout, ah ah. Je n’ai pas de tendresse particulière pour Rails, ni pour aucun de mes anciens travaux. Je suis incapable d’y voir autre chose que les défauts… Et pourtant, les gens m’en parlent souvent. Il semblerait même que mon travail de cette époque ait intéressé voire influencé certains scénaristes et auteurs un peu plus jeunes… C’est que, sans doute, toute modestie bue, tout n’était pas complètement raté là-dedans. Mais je suis le dernier à pouvoir le dire.
Concernant Black Mary, pourquoi ces longues années d'arrêt entre les tomes 2 et 3 ? Qu'est-ce qui a permis de remettre la série en marche ?
Erwan Fagès, le dessinateur, a peu à peu changé d’optique, pour son travail artistique, et est passé de la bande dessinée à l’illustration et la peinture (il réalise entre autres de superbes couvertures de romans pour un certain nombre d’éditeurs). Il était devenu difficile pour lui de revenir à un travail et un style qui n’étaient plus les siens. Malgré les difficultés, il a tout de même réussi à finir l’album, et je l’en remercie.
Que s'est-il passé pour le tome 4 de Ring Circus ?
?!
Pourquoi ce tome se démarque-t-il tant des précédents ?
Ah mais je ne sais pas. Je ne vois pas les choses comme ça. En tout cas, je ne les voyais pas comme ça à l’époque.
Premièrement, il y a la colorisation qui devient informatique et nettement plus froide et moins plaisante que les tomes précédents.
Le dessinateur n’était pas heureux lorsqu’il faisait ses couleurs. Nous avons donc demandé à Christophe de les prendre en main. Elles sont certes un peu différentes de celles de Cyril, mais pas tant que ça. Et nous ne les trouvons pas moins plaisantes du tout.
Et puis il y a la fin du récit qui met un terme abrupt à tellement d'intrigues des tomes précédents et donne presque un sentiment de trahison à de nombreux lecteurs, d'abandon de la série. Est-ce une fin précipitée ou était-ce voulu ?
C’était voulu. Et en effet, ça a été mal accepté par les lecteurs.
Le fait que l’histoire se termine mal, qu’il y ait un sentiment de « tout ça pour ça » et qu’on se sente trahi par le personnage principal, était inscrit dans l’histoire dès le départ. D’ailleurs, il trahit également celle qu’il aime, et ses amis.
C’est certes désagréable, mais bon, c’est la vie. En tout cas, parfois.
Cette partie-là, je la revendique totalement.
Pour ce qui est de la partie « ohlàlà, mais on n’a pas eu toutes les explications sur Lunaire et qui est cet homme mort dans les catacombes qui ressemble à Raspoutine et pourquoi ceci et pourquoi pas cela… Blah blah blah !! ». Là, par contre, je suis obligé de reconnaître que je me suis planté. Je ne pensais pas que des explications lourdes et démonstratives étaient nécessaires.
J’avais tort. Et depuis, j’essaye de toujours m’en souvenir.
Tu t’es lancé dans un récit plus intimiste avec Trois allumettes, avec Hervé Boivin, qui dessine Lili & Winker d’habitude, mais aussi Le Sabre et l'épée. Comment ce choix a priori peu évident s’est-il imposé à toi ?
Il y a plus de douze ans, il y avait en bande dessinée, beaucoup de super productions à effets spéciaux et très peu de récits intimistes. Bon, depuis, les choses ont pas mal changé, de ce côté-là…
J’avais envie d’écrire ça, aussi. J’avais envie d’écrire de tout, en fait…
Félicitations pour la série Arthur, c’est une vraie réussite. Quelles ont été tes sources ? Pas Chrétien de Troyes j’imagine…
Les quatre branches du Mabinogi ou « Mabinogions » principalement, qui ont été la matière brute de certaines des histoires. Pour le reste, il a fallu jongler entre documentation et imagination, tout en essayant de coller le plus souvent possible à un esprit « celte », si tant est que ça veuille encore dire quelque chose, ce dont je ne suis pas persuadé….
Les 2 premiers tomes de la collection 7 sont très similaires dans leur construction (1ère partie : recrutement de l'équipe et seconde partie : réalisation de la « mission »). Doit on s'attendre à sept histoires calquées sur ce format ou la suite nous réserve t-elle plus de surprise ?
Pas du tout. Certains ont suivi ce schéma, qui était celui des films, comme Fabien, Pascal ou moi. D’autres, comme Alain, Michaël ou Mathieu, ont brûlé l’étape, et c’est tant mieux, ça donne des livres différents, dans leur structure comme dans leur contenu.
As-tu prévu de te remettre prochainement au polar, comme pour Le poisson-clown ou Ocean City ?
J’ai un polar fantastique en cours de réalisation, avec Vincent au dessin, prévu aux éditions Dupuis. Mais pour le reste, non, rien en vue de ce côté-là, et ce n’est pas dans les prévisions immédiates ou lointaines…
Pourquoi avoir fait Mafia Story, la suite de Ce qui est à nous, alors que cette série semblait se suffire à elle-même ? Une envie de ta part, une demande conséquente des fans, de l’éditeur ?
Ni l’un ni l’autre. Depuis le tome 1 de Ce qui est à nous, il est écrit en quatrième de couverture des livres « Un siècle de crime organisé à New York », hors, le tome 10 de Ce qui est à nous s’arrête dans les années trente. On est donc loin du siècle…
Pour marquer le nouveau cycle, nous avons changé de nom, car il y avait également changement de structure. Ce qui est à nous, ce sont deux cycles de 5 albums racontant un grand tout (la fondation du crime organisé à New York au début du siècle dernier).
Mafia Story, ce sont des histoires individuelles qui viennent ensuite s’inscrire dans cette grande chronologie, celle de Dutch Schultz, celle de Murder Inc., celle de Lepke Buchalter, celle de Lucky Luciano, etc...
La plupart des amateurs accollent ton nom au genre policier/thriller...
Tant qu’ils ne l’accolent pas à « grosse daube », tout va bien.
... mais tu as aussi fait des incursions dans d’autres genres : le médiéval fantastique avec Arthur, la jeunesse avec Octave et Popotka le petit Sioux, le fantastique avec Lili & Winker… D'où te vient cette prodigalité d'idées différentes ?
Je dirais plutôt d’univers différents, car des idées, je n’en ai pas des masses.
Tout simplement d’un éclectisme naturel. Et qui va continuer : je suis en ce moment en train d’écrire une histoire qui se déroule dans le japon du 16ème siècle…
N'est-ce pas difficile de sauter d'univers en univers si éloignés à chaque fois ?
Ca le serait si je devais le faire tous les 15 jours. Mais je travaille longuement sur chaque « univers », et ce sont des immersions de un à quatre ou cinq mois, donc non, c’est même plutôt agréable.
Pour compléter cette question, quel genre d'histoire préfères-tu écrire ? Dit autrement, dans quel domaine te sens-tu le plus à l'aise ?
Tous. Aucun. Le prochain, j’espère.
En fait, je ne suis à l’aise dans rien, l’écriture est toujours difficile et douloureuse pour moi. Maintenant, quand j’y repense, de toute ce que j’ai écrit, ce qui m’a procuré le plus grand plaisir d’écriture, c’était indubitablement Shaolin Moussaka, cet impérissable chef d’œuvre de l’humour et de la pensée contemporaine.
Ce qui n’est guère rassurant quant à la puissance de mon quotient intellectuel, ma culture ou la profondeur de ma pensée.
Après la belle série Arthur, Nuit Noire et Sept voleurs, as-tu d’autres projets avec Jérôme Lereculey ?
Bien sûr. Nous avons récemment publié "Séraphin et les animaux de la forêt", une bande dessinée didactique pour les enfants. Jérôme adapte en ce moment une nouvelle de Gogol, suite à quoi nous allons retrouver l’univers de fantasy de Sept voleurs pour un premier diptyque.
Tu as également participé à l’adaptation de L'Île au trésor, le chef-d’œuvre de Stevenson, pour la collection Ex-Libris. Comment as-tu choisi l’œuvre que tu allais adapter ? Vas-tu renouveler l’expérience ?
L'Île au trésor est une lecture qui a marqué notre jeunesse, à Fred et à moi. Il nous a donc semblé naturel de l’adapter, d’autant que nous avions commencé avant la création d’Ex-Libris, pour la collection jeunesse.
Après Le Magicien d'Oz, et bientôt Pinocchio, il reste un livre que j’aimerais adapter dans la série des classiques, c’est Alice au pays des merveilles. J’y travaille avec un jeune dessinateur.
Et hors classique, j’aimerais un jour pouvoir adapter Le chanteur de gospel de Harry Crews… Mais ça me semble assez improbable…
Récemment est aussi sorti Paroles sans papiers, où tu es éditeur avec Alfred, une longue suite de récits courts dont la formule avait été initiée par Eric Corbeyran. Cette incursion dans la BD polémique résulte-t-elle d’une envie profonde ?
Pas du tout. On voulait juste se faire du fric sur une cause médiatisée. Bon, en fait, ça n’a pas été le cas. On aurait dû faire « Tous dehors !! » ça aurait peut-être été plus porteur… Chaque acheteur aurait gagné des « miles » lui permettant de faire des voyages en avion gratuits, en classe affaire, sur la ligne Paris-Bamako…
Je plaisante, bien sûr. En effet, Alfred et moi ne supportions plus ce dont nous étions les témoins et les otages, puisque c’est en notre nom qu’on pratique cette politique d’un autre âge, économiquement débile, diplomatiquement contre-productive et humainement criminelle. Nous sommes auteurs de bande dessinée, il nous a donc semblé logique d’utiliser ce mode d’expression artistique pour en parler.
Et te voilà directeur de collection pour le projet « Sept », dont trois albums sont déjà sortis. Comment est née l’idée de cette collection ?
J’ai eu un jour l’idée de faire un remake des « 7 Samouraïs », dans un autre univers. J’ai trouvé cette idée tellement plaisante que je me suis dit qu’elle plairait sans doute aux copains ; Et des copains dans la profession, je n’en avais pas plus que 6, j’ai donc fait le septième !!
Et bientôt "Premières fois", scénarisé par Sibylline et dessiné par un collectif d’auteurs… Nous avons déjà interviewé Sibylline, elle fait partie des auteurs qu’on aime bien d’entrée sur BDTheque… C’est toi qui lui as proposé le projet, ou cela venait-il d’elle ?
C’est moi. Pour diverses raisons, j’ai pensé qu’elle pourrait écrire de belles choses dans ce registre. Je suis fier de dire que la suite m’a donné raison, comme on peut aujourd’hui le voir en librairie.
Bien sûr, les dix dessinateures et trices qui ont mis ses histoires en image y sont aussi un peu pour quelque chose… :)
Quels sont tes autres projets ?
Prendre des vacances, principalement.
A part ça, eh bien comme je l’ai dit, nous préparons un récit de fantasy avec Jérôme Lereculey. Je viens de terminer le quatrième et dernier tome de la série Le Sabre et l'épée. La série Mafia Story continue, ainsi que L'Île au trésor, dont le deuxième tome sera prochainement en librairie. Et quelques autres projets.
Pour ce qui est de mon travail d’éditeur, eh bien comme nous l’avons évoqué, je suis très content de la sortie de "Premières Fois" et de son accueil. Bientôt arrivera Sept guerrières, puis « 7 Yakuzas » à la rentrée, et enfin « 7 Prisonniers » en début d’année prochaine. Les suites et fins de nombreuses séries « Impact », comme Watch, "Flaming", "Gaijin" ou "Akademy". Et bien d’autres livres dont nous aurons, j’espère l’occasion de parler.
Pour finir, que penses-tu d’un site d’avis de lecteurs comme BDTheque ? Les parcours-tu ou pas ?
J’en pense que la France irait un peu mieux si tous ces gens utilisaient plutôt leur temps et leur énergie à travailler plus, pour redresser notre pays qui en a bien besoin. Travailler plus pour critiquer moins, en quelque sorte.
David, merci.
Merci à Alfred pour son aide.
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