Auteurs et autrices / Interview de Jean-Christophe Pol
Jean-Christophe Pol est un passionné. Un passionné de la BD, sans aucun doute. Un passionné de la vie, aussi… A l’occasion de la sortie de sa nouvelle BD « La maison dans les blés », il nous ouvre son cœur et surtout ses tripes !
Bonjour Alix et merci de l'intérêt que tu portes à mon travail.
J'ai 41 ans et vis depuis 19 ans avec mon épouse Hélène qui est professeur des écoles. Nous avons trois garçons âgés respectivement de 15, 11 et 4 ans.
J'ai quitté l'école à 17 ans pour un poste d'animateur en centre de loisirs puis en colonie de vacances ; j'ai arrêté cette activité en 2004. En 1990, je suis entré aux éditions Jibena (presse de jeux) pour qui j'ai réalisé de nombreuses bd, des illus, des jeux, etc... et même des interviews d'artistes ! J'ai définitivement quitté les éditions Jibena en septembre 2007.
En 2004 est sorti Le Chant du Corbeau et depuis, je me consacre à la bande dessinée, que j'ai pour activité principale depuis l'âge de huit ans.
Je fais 1 mètre 88, je chausse du 44 et pèse 80 kilos.
J'aime le jardin potager, la bouffe, la cigarette, le café, le vin et faire l'amour. J'aime aussi lire, des romans ou des bd ; je ne suis pas grand cinéphile, mais j'aime Clint Eastwood et Les dents de la mer de Spielberg, ainsi que le feuilleton Urgences.
Je n'aime pas les grandes surfaces, les discours qui disent qu'on ne peut pas changer le monde, les banquiers, les flics et les hommes politiques, les colonisateurs, les frontières, et pas mal d'autre choses, mais là y'a pas la place.
J'aime travailler en musique (Metallica, System of a down, Mano solo, Brassens, les Bérus, les Toy dolls, les Cors, Lulendo et daby touré, et Lisa Gerard pour écrire mes scenarios...)
Cette interview de BD Sélection en dévoile déjà beaucoup sur tes œuvres plus anciennes, alors j’aimerais me concentrer sur ton actualité : « La maison dans les blés ». Comment est né ce projet ?
Difficile de dire pourquoi et comment naît une histoire, pourquoi et comment on ira jusqu'au bout de celle-ci, et enfin comment et pourquoi on choisira tel point de vue et tel traitement. Je crois qu'il y a des histoires que l'on porte en soi et qui nous portent, qui naissent, qui meurent, qui se tissent en dehors de tout choix conscient. Je n'ai pas réfléchi cet album comme un concept, et d'ailleurs il n'a jamais été question de projet. Je déteste ce mot depuis que je fais de la bd pour des éditeurs ; je n'ai pas de projets à vendre, j'ai juste des bouquins à écrire. « Quel est ton projet ? », « te montrer mon cul ».
La maison dans les blés résulte de ma passion pour l'amour et le sexe, de mon amour pour la nature et de mon respect pour les animaux et pour la terre ; mais aussi de rencontres et d'un patchwork d'éléments vécus.
Tu sais, ce que j'aime raconter, ce sont les regards des gens qui tombent amoureux et qui sentent en eux naître le désir. Merde ! Ce regard est incroyable, celui qui dit à l'autre, au travers d'une foule, lors d'une réunion quelconque, en silence et incognito, qui dit à l'autre et rien qu'à lui « Viens, je t'aime, barrons-nous d'ici et baise-moi, et mourons après que nous ayons joui ». Ce regard profond, il est magique, il est le silence et le tout-dit. Et les échanges de sourire, etc... En fin de compte, la trame de l'histoire n'est peut-être pas ce qui compte le plus pour moi, je veux rire, pleurer et bander quand j'écris mon bouquin, je veux entendre mon coeur battre et mon coeur saigner d'amour et de désir.
Il n'y a rien que l'amour et le sexe qui me fassent vraiment décoller, je crois ; donc je le raconte.
J'ai toujours placé des histoires d'amour dans mes bd, des histoires de relations, mais sous le couvert de l'aventure, quelle soit policière ou autre. En lisant Adachi, je me suis rendu compte, connement, que je pouvais peut-être éviter l'approche du genre, me défaire de cette tradition de la bd de genre et simplement raconter ce qui me plaisait, sans fioritures.
Tu sais, je crois que je n'osais pas me lancer dans cette entreprise, il me fallait toujours penser en terme de trame et d'intrigue. Une fois débarrassé de ça, on se dit ok, mais qu'est-ce qu'il reste ? En fin de compte, l'essentiel : la vie.
Je suis un fan des romans de Ed Mc Bain, je parle de sa série du 87ème district. Et pourtant je ne suis pas un assidu du polar. Mais ce qui me fait décoller dans ses romans, ce sont les personnages, ce qu'ils vivent en dehors du commissariat ou les rapports qui se développent entre eux, et aussi l'excellence des dialogues.
« La maison dans les blés » a longuement mûrie, mais aurait aussi bien pu ne jamais fleurir. Du reste, comme d'habitude, les personnages ont pris le récit en main, et il ne reste plus grand chose de l'idée originelle, et c'est parfait comme ça.
Il y a une phrase qui tourne, qui dit qu'on ne peut bien raconter que ce que l'on connaît bien. Je ne possède pas de sujet historique ou scientifique à fond, je n'ai pas de passion particulière qui pourrait ouvrir sur des récits de fiction documentés ; et on a saccagé le fantastique et la SF, le genre a été détruit par la bd et des auteurs, des éditeurs et des lecteurs qui n'ont aucune autre référence que la bd de SF elle même ; la SF en bd n'est plus qu'un champ de ruine, comme la bd de gag. On l'a trop pompée, elle n'a plus de jus. Bref, je ne serais pas capable de réaliser une bd historique ou policière ultra documentée, et une bd de SF qui prend référence sur la grande littérature n'a plus sa place aujourd'hui tout comme une série de gags dont les personnages seraient justement les personnages et non un thème donné ; la bd d'aventure classique semi-humoristique a été enterrée par des couches successives de modes étouffantes... Que me reste-t-il ? Il me reste tout, il me reste la vie, il me reste l'amour et le sexe, les relations humaines, la nature dans laquelle on marche avec la tête pleine de parfums et la ville crasseuse qui grouille de défaitisme, d'individualité, de rancoeur et de frustration ; tout ça, je connais, je le vis ou je l'ai vécu ; j'ai la nature et la terre dans mon coeur, et les nids humains comme des larmes urticantes dans mes tripes ; j'ai des milliers d'histoires d'amour sous les paupières et des corps qui roulent dans des vagues sexuelles plein le ventre. Voilà comment naît un bouquin tel que La maison ; en posant sur le papier ce que l'on sait de la vie.
Gabriel, ce personnage qui a tout ce dont on peut rêver (famille, argent, succès) et qui pourtant peine à trouver le bonheur m’a beaucoup touché. Te ressemble-t-il ? Cette histoire est-elle (au moins en partie) autobiographique ?
Je suis parti de ce personnage qui effectivement semble avoir tout pour être heureux, mais qui justement se rend compte que là n'est pas l'essentiel, je veux dire ce succès factice, cette richesse qui se comptabilise ou une vie de famille en apparence équilibrée. Mais Gabriel n'est pas malheureux. La seule chose qui le rend triste c'est d'être « abandonné » par sa fille. Il a décidé de tout quitter, mais finalement assez partiellement puisqu'il semble être prêt à poursuivre son activité. Mais différemment.
C'est en fait le manque de sa fille et l'arrivée de Lucie qui va le déséquilibrer.
Bon, disons qu'il est dans une passe sensible, et notamment d'un point de vue artistique, mais qui ne le serait pas à tout remettre en question ?
Pour répondre à ta question, il y a bien entendu de moi dans ce récit, mais il n'a rien d'autobiographique, c'est une fiction. On peut me retrouver par de nombreux éléments, mais alors tu vois, c'est un patchwork éclaté sur l'ensemble des décors, des personnages ou des événements.
Par exemple, Dany existe pour de vrai, mais qu'il me pardonne, par de nombreux points, il ne ressemble pas au personnage de la bd. Par contre, oui, il a vécu en cueillant et vendant des trèfles à 4 feuilles sur le marché ! Ca ne s'invente pas !
Bon, on pourrait trouver mille et un exemples de ce genre, des rencontres, des trucs vécus, etc, qui forcément font notre vie et viennent donc alimenter la fiction.
Quant à Gabriel, il ne me ressemble pas plus que les autres personnages, mais pas moins. Je n'ai pas un rond, pas autant de succès que le personnage et je ne suis pas aussi bien foutu que lui.
Peut être que le personnage qui me ressemble le plus... ce serait en fait l'ensemble des 4 animaux, le corbeau cynique et désabusé, le doux renard, le prétentieux cerf et la buse vorace !!!
Penses-tu avoir ciblé un public de jeunes adultes mâles ? Sans vouloir faire de sexisme, penses-tu par exemple qu’une jeune femme soit en mesure de comprendre les tourments du personnage, et d’appréhender l’histoire de la même façon ?
Tu vois, « cibler un public » est avec le mot « projet » un terme qui me fait un peu dégueuler.
Bon, je n'ai rien ciblé du tout, j'écris le bordel et après chacun se débrouille avec ça.
Enfin, il me semble que Gabriel n'est pas le seul personnage principal de l'histoire, Lucie aussi vit des chamboulements. Les lectrices peuvent se projeter sur elle, non ?
Et puis enfin, je n'en sais rien; une femme l'a déjà lu et qui visiblement a été très touchée aussi. Et puis Gabriel est bien foutu, non ? bien membré, tout ça, ça peut les faire mouiller, donc elles y trouveront aussi un intérêt érotique. Il n'y a aucune raison pour que l'érotisme et la pornographie soient domaine réservé aux mâles.
Je le reconnais, je ne réfléchis pas à ça, mais je crois qu'une histoire d'amour est universelle.
Par exemple, Le Chant du Corbeau raconte le même type d'histoire, et j'ai un public plutôt féminin pour cet ouvrage. Une Ame à l'amer se lit souvent en couple ! Du Rififi chez les clébards est souvent acheté par des femmes en dédicaces. Non, je crois que la maison pourra plaire à tous, apporter de l'eau au moulin de chacun. Ça reste du rêve, de toute façon, prince et princesse...
Penses-tu que ce genre d’histoire de rencontre un peu trop parfaite (le mec riche, beau, fort, la fille parfaite, bien foutue, intelligente, leur rencontre parfaite, la nature, etc…) soit d’une certaine façon « dangereuse » à lire ou à écrire, et crée une fausse illusion dommageable de ce que la vie a à offrir ?
Mais la vie n'a RIEN à offrir ! C'est pourquoi notre seul espoir est l'amour ! Si l'on ne croit pas à ça, alors à quoi ? Et puis c'est une rencontre, que je raconte, les premiers moments sont toujours parfaits ! Les gens qui s'aiment sont toujours beaux !
Je vais te dire, on m'a reproché d'être très noir dans Une Ame à l'amer; me reprochera-t-on d'être trop idéaliste ici ?
Oui, j'ai choisi le parti romantique, waho, deux personnes qui s'aiment et vont finir par le comprendre et passerons peut-être leur vie à baiser, c'est du rêve, c'est vrai, mais c'est un beau rêve. Alors Gabriel est riche, c'est vrai, mais ça n'est pas comme ça dans les contes de fée ? C'est un conte de fée que je raconte, et c'est la seule chose qui me fait vibrer.
Et puis justement, cette richesse et ce succès le font chier. Tu sais, je voulais peut-être dire par là « Laissez le fric et le pouvoir de coté, mais pour de bon, jetez vos portables et mangez bio, préférez le petit producteur au grande surface, retirez vous de la société, refusez la et puis aimez, baisez, vivez »; je voulais peut-être me le dire à moi même.
L'utopie n'est pas une impasse, elle peut être la réalité, elle peut être notre vie, nous devons arrêter de penser que le rêve n'est pas pour nous. Nous devons vivre le rêve et refuser le cauchemar, mais dans le respect de chacun et de chaque chose, cesser de la jouer individuelle. C'est dans l'amour, l'amour de soi, de l'autre, l'amour des peuples de la terre, humains et animaux, arbres et cailloux, l'amour de l'univers, que se trouve la clef. Je voudrais tant que l'on se débarrasse de ses oripeaux, que l'on tende la main vers cette clef. Je veux raconter ça à travers chacun de mes albums. Et tant pis si c'est trop noir ou trop idéaliste, utopiste en diable. Tant pis si mon vocabulaire gêne l'oreille ou si la pornographie constipe les puritains. J'écris ma tripe ou je me retire.
Bon Dieu, cela va faire vingt ans que j'aime Hélène, plus que tout au monde, et chaque jour un peu plus, je pourrais passer ma vie à la regarder et à la baiser, au lieu de quoi, je passe mon temps à faire des « projet » que je dois « cibler » pour un « lectorat » qui préfère passer une journée à Eurodisney plutôt que de croire que tout est possible.
Bon, je reviens un peu là dessus, c'est vrai que le type est physiquement bien balancé; mais enfin c'est toujours pareil, les héros sont toujours incroyables, de Tarzan au Richard Geare de « Pretty woman »!!!
Voilà ce qu'on pourrait me reprocher, en fait, de faire comme tout le monde, de me jeter tête perdue dans les poncifs.
D'un autre coté, il est clair que je veux donner une dimension érotique à mes personnages; le fait est que ça passe mieux quand ils sont beaux ! Mais je vais réfléchir à ça...
Ce qui m'amuse dans ce que tu dis, c'est « la nature »... Finalement il y a un coté Adam et Eve dans mon truc, tu ne trouves pas ?
Dans la note en fin de BD, tu écris « la réalisation graphique de ces pages m'a, elle aussi, beaucoup fait transpirer ; je me suis rarement senti aussi démuni face à mes lacunes. » Le résultat final m’a pourtant beaucoup plu. Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
Des difficultés de dessin pur, si tu veux; des lacunes en ce qui concerne l'anatomie ou la perspective, etc... Et puis bon, c'est un dessin assez libre, et ça c'est difficile, la liberté, on ne sait jamais quand c'est réussi ou pas...
Le truc, c'est que je bosse beaucoup sur des sentiments ou des émotions assez subtiles, qu'il n'est pas toujours aisé de rendre. Tu te dis « Ce regard qu'elle lui lance, je l'ai déjà vécu » alors tu fouilles ta mémoire visuelle pour retrouver ça, et ton trait doit vibrer d'émotion, tu dois faire passer intact cette émotion là, c'est difficile.
Bon, de toutes façon on n’est jamais content de soi, mais je reconnais qu'une fois les 200 planches terminées, je suis incapable de les regarder. Je les connais trop, j'ai l'impression que c'est un ratage complet, etc... Ça me donne presque la nausée.
Une fois l'album sorti, ça va mieux. Un artiste, c'est vraiment très con par rapport à son travail, quasi insupportable. On met nos tripes, notre coeur, notre cerveau et nos couilles, et ce mélange est trop difficilement gérable.
Les artistes sont les rois des cons.
Au final, es-tu content de « La maison dans les blés » ? Le résultat final reflète-t-il ce que tu avais prévu de faire ? Aucun regret ?
Ah là là, je suis plus que content ! Je n'ai jamais eu autant d'émotion pour la sortie d'un bouquin ! Et mon éditeur en a autant que moi ! Là, c'est un vrai rêve !
J'ai vraiment réussi à TROUVER, ça c'est fort ! Et j'assume enfin cet érotisme et cette pornographie qui me fascine. Il y a tout de moi, ici, l'amour, le sexe, l'idéalisme, la passion, la nature et les animaux, des corps nus, des coeurs ouverts, et beaucoup d'humour aussi, et en finalité une touche de fantastique par la faille ou les animaux qui parlent.
Maintenant, des regrets sur le plan artistique, si tu veux, sur le plan technique... enfin je ne sais pas, on voudrait toujours pouvoir faire mieux, mais il y a les bouquins suivants pour ça...
Et maintenant ? Quels sont tes projets en cours ou futurs ?
D'ici quelques jours, je vais partir en vacances avec Hélène et nos enfants. Nous ferons le tour des vignobles bordelais avec papy. Il y a le jardin potager à travailler. Je voudrais continuer de fumer et de boire et lire aussi. Et puis j'ai le projet de faire l'amour, ce soir ou demain, je ne sais pas encore.
Mais tu voulais parler de mes bouquins, peut-être ?
Je poursuis ma collaboration ponctuelle à Pif et ma collaboration régulière à Halbran, notamment avec les aventures insolites de Laetitia Dowan (encore une femme parfaite) ainsi qu'un scenar pour Vallale « Akz ».
Michel-Yves Schmitt m'a écrit une très belle histoire que j'ai commencé à dessiner; et d'autres part, je démarre une collaboration avec Patrick Lacan, on verra ce que ça donne. Je lui ai proposé une série policière, il assume le dessin.
Après le succès, relatif mais concret, de « demain j'arrête », les éditions Clair de Lune m'ont confié d'autres albums de gag à thème, ce qui me permet de gagner ma croûte.
Sinon, je compte poursuivre sur des récits d'amour. Je prépare une histoire assez courte, intitulée « Rien ne sert de t'aimer » avant d'entamer un nouveau gros roman qui aurait pour titre « La pute vierge », l'histoire d'une rencontre entre une ex star du porno et un jeune journaliste... J'espère ça à la boite à bulles.
Merci Jean-Christophe, et encore bravo pour « La maison dans les blés » !
Merci à toi pour cette interview. J'ajoute que je prépare, sous le label LA CHAISE A BASCULE, que nous avons créé Vallale et moi, une revue de bd à petit tirage que l'on pourra trouver auprès de moi, lors de dédicace, par exemple. On devrait y trouver les signatures de Vallale, Roosevelt, Lacan, Clod et ceka, Johan Troïanovski, mais aussi, si tout se passe bien, celles de Wasterlain et peut-être Corteggiani. J'aimerais aussi en profiter pour rééditer des « rintintin » dessiné par Marcello... On verra bien.
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