Auteurs et autrices / Interview de Jean-Michel Ponzio
Jean-Michel Ponzio a explosé avec Le Complexe du Chimpanzé, un techno-thriller futuriste de haute volée. Mais il a un long passé d’illustrateur dans les cultures de l’imaginaire…
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Je suis un passionné de l’image, fixe ou animée.
Vous avez une longue carrière de designer et de technicien d’effets spéciaux pour le cinéma. Que pensez-vous avoir appris de fondamental lors de cette période ?
La création d’un univers hyperréaliste ou la gestion de l’intégration d’éléments étrangers à une scène nécessite beaucoup de travail pour atteindre une certaine perfection. Un effet spécial réussi est souvent frustrant pour son auteur car le public ne le discerne pas. J’ai donc appris à rotoscoper, à étalonner, et plein d’autres trucs encore qu’il serait « complexe » d’expliquer brièvement. Tous ces bagages me servent continuellement sur mes productions.
Le basculement vers la bande dessinée allait-il de soi après avoir été designer et illustrateur ?
Ce basculement s’est fait professionnellement, car j’ai toujours eu envie de faire de la BD, certainement depuis que je sais lire. Aujourd’hui j’occupe 80 pour 100 de mon temps à la BD, mais je continue de recevoir des projets pour la pub ou le cinéma.
En 2004 vous adaptez une nouvelle de Laurent Genefort, T’ien keou, aux Editions Soleil. Pourquoi avoir choisi ce récit ?
Parmi les nouvelles que Laurent m’avait proposé, c’était celle qui me paraissait la plus évidente pour commencer notre collaboration. Et puis j’ai toujours adoré les univers asiatiques.
L’année suivante, vous adaptez une autre œuvre de Genefort, sous le titre de "Kybrilon. L’album est entièrement réalisé en images de synthèse. Etait-ce une bonne idée, vu le peu de succès que rencontrent la plupart de ces albums ?
"T’ien-keou" et "Kybrilon" sont mes deux « premières » bandes dessinées, avec tout ce que cela peut comporter comme sous-entendus. Il faut du temps avant de se trouver graphiquement, et je remercie les éditions Soleil de m’avoir suivi dans ces entreprises. Quand vous choisissez une technique pour réaliser un album, vous n’avez pas toujours le recul nécessaire pour juger si le mode que vous avez choisi est bien ou pas. Ce n’est qu’après quelques années et avec l’expérience d’avoir travaillé sur des albums qui fonctionnent bien, et qui sont largement appréciés du public, que vous pouvez porter un regard plus critique sur vos premiers pas.
Puis vient la rencontre avec Richard Marazano, avec lequel vous avez réalisé à ce jour deux séries : Genetiks™ et Le Complexe du chimpanzé. Ces deux séries sont en cours, mais vous réussissez à les sortir de façon très rapprochée. Quel est votre rythme de travail ?
Ha, voici une question qui m’est très souvent posée ! Comme je le dis très souvent, je ne suis pas une référence en matière de timing pour la création d’un album. Je ne voudrais pas être jugé sur ma rapidité d’exécution, mais plus sur mes capacités à réaliser des images qui soient convaincantes, avec leurs lots d’émotions, leur travail de mise en scène, de couleurs et de lumières. Je pense que, quelque part, et c’est très bien, le public se fout de savoir en combien de temps est réalisé un album. Sa principale préoccupation étant que les sorties ne soit pas trop distantes l’une de l’autre. Un album me prend en moyenne entre trois et quatre mois. Un mois pour la documentation et la mise en place (dessins des cases, des bulles, gestion du texte, insertion des personnages dans les décors) et 2 à 3 mois pour l’encrage et la couleur que je mène de front. Ce qui donne une page par jour, parfois deux sur certaines séries comme Genetiks. Mais pas mal de dessinateurs ont ce rythme aujourd’hui, indépendamment de la complexité de l’image (et même en traditionnel, sur papier et sans l’aide de l’ordinateur, pour l’encrage).
J’ai effectivement enchaîné les deux séries, non stop, mais cela ne me dérange pas outre mesure. Garder le rythme est très important pour moi, de plus le fait d’aller vite me permet d’éviter de tout recommencer à la fin d’un album qui m’aurait pris trop de temps, car mon évolution pendant sa réalisation aurait été évidente. Je préfère apporter ce que j’apprends au fur et à mesure, d’un album à l’autre, plutôt que sur le même, évitant ainsi (je l’espère) des écarts de styles trop marqués.
Combien de tomes va compter Genetiks™ ?
Il en comptera trois, tout comme Le Complexe du chimpanzé.
Que nous réserve le troisième et dernier tome du Complexe du chimpanzé ?
Ha haaAAAaa ! Tout ce que je peux dire c’est que l’histoire a été conçue pour que toutes les questions trouvent une réponse dans ce troisième tome, et ce de manière très maligne, car n’étant explicitement énoncées, c’est votre sens de la déduction qui vous permet de tout comprendre.
C’est ce qui fait la force de ce type d’album, la possibilité qu’il offre aux lecteurs d’imaginer ce qu’il y a entre les cases. Une grande partie des réponses, vous allez les apporter vous-même, et si vous discutez avec d’autres lecteurs de la série, vous verrez qu’elles sont strictement identiques !
Quand sortira-t-il ?
En octobre, si tout va bien, au plus tard novembre.
Parallèlement vous avez réalisé –là encore en un temps record- les deux tomes de Dernier exil, adaptation d’un roman de Jacques Spitz. Parlez-nous de votre rencontre avec cet ouvrage…
Ces deux ouvrages ont été réalisés avant la série Genetiks et Le Complexe du chimpanzé. Il s’agissait d’un roman que j’avais lu adolescent et dont je m’étais promis alors d’en tirer quelque chose un jour. La réalisation d’un long métrage m’aurait enchanté, mais la complexité d’une telle opération, indépendamment de la difficulté de la création de cet univers macabre, m’a plutôt orienté vers une adaptation BD en deux tomes.
Vous avez utilisé une technique particulière pour cette série, puisque vous avez utilisé des centaines de clichés et les avez traduits en dessins… Outre votre épouse, quels sont vos modèles préférés ?
C’est effectivement sur la mini-série Dernier exil que j’ai élaboré cette technique de travail, qui consiste à m’inspirer du jeux d’un véritable comédien. Mon épouse, qui interprète « Anne Mason » dans Genetiks est effectivement quelqu’un que j’aime traduire, mais à la réflexion je n’ai pas réellement de préférence. Tous les personnages sont intéressants à créer, même ceux qui nécessitent un travail tout particulier car très éloigné de la réalité. En gros, venant du décor, j’adore dessiner les personnages.
Il y a un point commun entre Le Complexe du chimpanzé et Dernier exil : la place du temps. Il joue bien des tours aux protagonistes des deux histoires. Vous avez un rapport très différent avec le temps, puisque vous semblez vouloir le tromper avec votre production soutenue…
Oui oui, j’ai effectivement mis au point une petite machine qui me fait voyager dans le temps, me permettant de revenir en arrière aussi souvent que je le désire pour mener de front plusieurs séries en même temps. Mais je ne suis pas le seul à posséder ce genre de machine, tout le monde possède un ordinateur chez soi, aujourd’hui…
Jacques Spitz est un auteur oublié, mais qui a beaucoup compté dans la littérature fantastique francophone…
Oui, à ce propos Laurent Génefort va rééditer certains auteurs dont Jacques Spitz fait partie, notamment avec quelques nouvelles inédites (à surveiller donc…)
Quelle part la documentation tient-elle dans votre travail ? Je pense au Complexe du Chimpanzé bien sûr, mais aussi à vos séries qui se situent dans un futur encore plus éloigné…
La documentation tient naturellement une part prépondérante dans un genre qui se veut très réaliste. Aujourd’hui nous arrivons à trouver plus facilement qu’avant les éléments visuels qui nous font défaut. Pour résumer, tout ce que je ne parviens pas à trouver autour de moi, je le crée en trois dimensions virtuellement : décors, véhicules, éléments de costumes (les casques du Complexe par exemple).
Si l’on regarde votre production jusqu’à présent, on remarque que vous vous cantonnez au fantastique et à la science-fiction. Etes-vous un amateur du genre ? si oui, quels sont vos auteurs et vos œuvres préférés ?
La sf est effectivement l’un de mes genres préférés, avec le fantastique, l’épouvante, ou encore les drames psychologiques. Au cinéma, les films qui traduisent ces univers sont très souvent parmi les plus créatifs, à mon sens. Comme beaucoup de personnes de ma génération, Star Wars, Alien, Blade runner, Brazil et j’en oublie certainement sont des œuvres marquantes. Ridley Scott, James Cameron, Terry Guilliam, et bien d’autres sont mes réalisateurs préférés.
Vous revendiquez Moebius comme l’un de ceux qui vous ont éveillé à l’illustration, au design, notamment au travers d’Alien. Quelles sont vos autres influences ?
Effectivement l’œuvre de Jean Giraud est exceptionnelle visuellement, découvrir Le garage hermétique à l’adolescence a déclenché en moi une envie très marquée de créer mes propres univers, mais passer après le maître est très ardu. Je ne pourrais citer toutes les personnes qui m’ont influencé, mais Ralph Mc Quarrie (Star Wars), Syd Mead (Blade runner), Ron Cobb (Alien), Chris Foss (2001 et Alien), étaient et restent mes références, en matières de grands designers pour le cinéma.
On a rapproché votre style graphique de celui de Christophe Bec, dessinateur entre autres de Sanctuaire. Avez-vous des affinités particulières avec des auteurs actuels ?
J’aime beaucoup le travail d’encrage de Christophe Bec, que je considère comme l’un des meilleurs dessinateurs réalistes aujourd’hui. Mais je n’oublierai pas de citer François Boucq, dessinateur talentueux, Gillon, Manara, Serpieri, Marini, Poïvet, Follet, Gimenez, ha ! Je dois en oublier plein ! Ha si, Daniel Goossens que j’apprécie énormément.
Quels sont vos prochains projets ?
Ils sont nombreux, et pour la plupart pas encore signés, donc superstition oblige... Je peux juste dire que je suis en ce moment sur Le Complexe T3, avec une sortie prévue en octobre (au plus tard novembre) et en parallèle, je suis également sur l'adaptation BD du prochain film de Barbet Schroeder INJU, sortie du film et de l'album, début septembre prochain.
Jean-Michel, merci.
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