Auteurs et autrices / Interview de Maximilien Le Roy et Vincent Henry

La Boîte à Bulles publie ce mois-ci Gaza, décembre 2008 - janvier 2009, véritable pavé dans la marre médiatiques et coup de gueule à chaud contre l’opération israélienne « Plomb Durci ». Entretien avec son concepteur Maximilien Le Roy et son éditeur Vincent Henry.

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Maximilien Le Roy Bonjour Maximilien, pourrais-tu te présenter s’il te plait ?
J'ai 23 ans, je suis dessinateur de bd et je vis à Lyon. Je m'y consacre à plein temps, entre deux voyages en rapport avec mes projets.

Comment est-né le projet collectif « Gaza » ? Quel a été ton rôle exact ?
Le projet est né d'un intérêt particulier que j'ai pour la question palestinienne, travaillant sur le sujet et m'y étant rendu. Lorsqu'a commencé l'opération Plomb Durci, un ami palestinien participait à des manifestations contre la guerre, en Cisjordanie. Partant du principe simple que savoir et ne rien faire, c'est être complice (ayant à portée de main l'occasion, par mon boulot, de communiquer par le médium livre), j'ai pensé qu'un livre collectif, en réaction à ces évènements pourrait être pertinent. J'ai donc contacté les spécialistes dont j'aimais le travail et la pensée, les dessinateurs que je connaissais et j'ai lancé un appel sur le net pour mettre sur pieds tout ça. En plus de contacts directs avec des gazaouis, pour les faire témoigner en direct dans les pages.

Tu expliques sur ton blog que Gaza est le livre « que tu aurais aimé trouver dans une librairie, sur le sujet. » Qu’entends-tu par là ?
Sortie du contexte, la phrase fait un peu présomptueuse ! Mais ce que je voulais dire, c'est que ce qu'à titre individuel, j'attends d'une démarche artistique qu'elle se base sur un socle réel. Que ça soit pas du dessin pour du dessin, désincarné et juste esthétique. Et mélanger des individus de tous pays et profils (photographes, écrivains, dessinateurs, palestiniens, israéliens, européens, etc.), fédérés autour d'une posture commune, c'est le genre de démarche qui me touche et que j'apprécie voir ailleurs. J'ai donc simplement fait ce que j'aurais aimé lire.

Accéder à la BD Gaza, décembre 2008 - janvier 2009 Comment es-tu rentré en contact avec les différents intervenants, et de façon aussi rapide ?
J'ai énormément lu sur le sujet donc je savais quels auteurs je souhaitais avoir : Brauman, Warschawski, Gresh, et bien d'autres. Je les ai contactés en leur demandant s'ils seraient partants pour l'aventure. A l'unanimité, oui. Je n'ai fait que ça pendant un mois, en expliquant à tout le monde qu'il fallait faire vite. Les participants ont tous joué le jeu, d'où la très courte durée.

Que répondrais-tu aux gens qui remettraient en question la neutralité et partialité de ton livre ?
Que c'est le principe même de l'ouvrage : être partisan du droit international. Se revendiquer d'un parti pris : celui de la justice. Je ne crois foncièrement pas à la neutralité, pour ce genre de conflits. Il y a des angles, des principes, je crois qu'il est plus honnête de les assumer et de raisonner à partir de ceux-ci.

Ça ne veut pas dire occulter et nier l'autre, pas du tout. Je me suis rendu en Israël aussi et je comprends fondamentalement tous les enjeux et les angoisses des Israéliens. Mais le point de vue majoritaire, répété et martelé par nombre de commentateurs occidentaux est pro-israélien. Il y a très rarement de double-regard sur ce conflit et de remise en perspective historique et politique. Tout semble décrit comme des incidents récents, jamais replacés à l'aune de plus de 60 ans d'histoire. C'est exactement ce qui s'est passé avec Gaza là. Présenter l'autre focale nous paraissait donc, par rapport à la distorsion générale, de mise. L'enjeu était de déconstruire les réductions habituelles et pour ça, on ne peut pas afficher un 50/50 faussement neutre. Ceci étant, il y a une bonne partie du bouquin qui est l'œuvre d'Israéliens : des pacifistes, résistants à la doxa généralisée. On ne les entend presque jamais, c'était l'occasion de parler d'eux pour, là encore, exposer une autre voix.

Cliquez pour voir un extrait de Gaza Pourquoi ce choix de parution quelques semaines seulement après l’opération Plomb Durci ? Une réaction à chaud ? A-t-elle le recul nécessaire pour avoir« digéré » l’énormité et la violence de cette attaque ?
C'était le point délicat à gérer ça. La rapidité est due au fait que ce pavé est à l'image des manifs contestataires qui ont éclaté dans l'instant, aux quatre coins du monde. Mais comme la foule n'est pas trop mon truc et que je dessine, je pensais que je serais plus juste derrière une feuille que dans un cortège. A la différence que je voulais vraiment avoir du fond et de l'analyse, pour ne pas s'engouffrer dans le pathos et la violence de l'émotif. Du coup, faire participer des journalistes dont c'est le travail depuis des années était à mon sens un bon moyen pour prendre de l'altitude.

Dans un autre genre, Mazen Kerbaj avait fait BEYROUTH en temps réel, pendant les bombardements du Liban en 2006. J'avais adoré le principe.

Maximilien et Vincent : Comment s’est passé votre rencontre ? Maximilien, est-il difficile en France de trouver un éditeur pour un livre au sujet aussi délicat ?
Vincent : Maximilien m’avait contacté voici quelques temps pour un projet à 4 mains (avec Soulman) traitant déjà d’Israël et de la Palestine. Le projet a pris quelque retard mais devrait bientôt voir le jour…

Maximilien : J'ai contacté directement Vincent car je le savais intéressé par cette thématique. De plus, c'est un éditeur plutôt indé, qui a donc une marge de manœuvre plus grande - je crois- que les grosses structures, pour sortir des projets audacieux ou périlleux. C'est tellement casse-gueule de traiter du conflit israélo-palestinien que je reconnais un certain courage à La Boite a bulles de s'embarquer là-dedans. L'éditeur de Joe Sacco a reçu des menaces de censure d'un groupe pro-israélien français pour sa belle bd sur la Palestine. C'est une corde sensible !

Cliquez pour voir un extrait de Gaza Vincent, en tant qu’éditeur, quels challenges (techniques ou autres) posent une publication aussi rapide (seulement quelques semaines après les faits) ?
De nombreux challenges. Pour que ce livre se retrouve en librairie aussi rapidement, il a fallu que tout le monde accepte de jouer le jeu, à commencer bien entendu par les auteurs impliqués, qu’ils soient de BD ou de textes et bien entendu que Max se consacre à plein temps à ce projet pour coordonner tous les intervenants. Habituellement, un ouvrage se construit environ sur 12 mois. Et le bouclage d’un ouvrage de 320 pages sur au moins 2 mois…

Côté réalisation physique, il a donc fallu que les 2 maquettistes, Vincent et Karim prennent sur leurs nuits pour construire l’identité visuelle de l’ouvrage et pour y couler les différents textes, les différents visuels et pour effectuer les corrections indiquées par Max, notre correctrice Isabelle et moi. C’était du temps réel.

Le diffuseur a accepté de mettre en vente le livre instantanément, en effectuant un vrai « office », c'est-à-dire en estimant les besoins des libraires, chose que ceux-ci n’aiment pas beaucoup (recevoir des livres sans les avoir commandés) mais qui, cette fois, était la seule solution possible.

Il a fallu enfin que l’imprimeur réalise le livre en moins de 8 jours, puisque nous n’avions pas plus pour tenir le délai. Un projet très complexe mais qui en valait la peine, vu le résultat !

Accéder à la BD La Route de la soie... en lambeaux Vincent, tu sors ce mois-ci deux excellents bouquins politiques au format assez éloigné de la BD traditionnelle (Gaza, décembre 2008 - janvier 2009 et La Route de la soie... en lambeaux). Quel public vises-tu ? N’as tu pas peur de brouiller les cartes et perdre ton lectorat BD ?
Euh… Je ne réfléchis pas en ces termes. Ces deux ouvrages méritent d’exister, donc je les édite. Par contre, je me suis assuré qu’ils comportaient suffisamment de pages de bande dessinée pour que les libraires BD ne se sentent pas incapables de le proposer à leurs clients.

Il est certain que ce genre d’ouvrage a un public hors fans de BD. Mais comme nombre d’ouvrages publiés à la Boîte à Bulles, en fait, et particulièrement ceux de la collection Contre-Cœur. Mais la publication de Passage Afghan, voici 4 ans avait montré que l’on pouvait trouver un public pour ces ouvrages hybrides si le propos était d’intérêt général !

Très franchement, j’aimerais bien sortir ce type d’ouvrage en coédition avec un éditeur plus orienté sur les questions d’actualité / de société mais n’ai pas trouvé à ce jour de partenaire… Des volontaires ?

Maximilien, quels sont tes projets en cours ou futurs ?
Pas mal de trucs (je suis plutôt boulimique) : le projet chez Vincent et Soulman, sur le même sujet. Un album avec Michel Onfray sur Nietzsche chez Le Lombard et un autre sur la guerre d'Algérie chez Futuropolis. Et puis plein de trucs en tête mais faut déjà que j'avance ça !

Couverture Le Carnet de rêves Vincent, quelles sont tes prochaines parutions ?
Par un hasard de calendrier, les sorties des prochains mois seront encore majoritairement des ouvrages de la collection Contre-cœur : en mars, "Le Carnet de rêves" de Théa Rojzman - un superbe ouvrage couleurs mettant en scène les réflexions un poil torturées de cette auteure singulière – ainsi que "Les Belles années" de Bernard Grandjean, récit autobiographique hyper attachant d’un auteur de livres pour enfants, enfant des années baba cool…

Ensuite, nous proposerons d’ici la fin de l’année, toujours en Contre-cœur, "3 minutes" de Domas, une bien belle histoire d’amour qui fait suite à l’émouvant Litost, ainsi qu’un ouvrage de Sandrine Revel qui a suivi, un an durant, les démarches de femmes pour retrouver un emploi, encadrées par une association d’entraide.

Plus près de nous, en avril, soit en même temps que la réédition de l’étonnant Missy, paraîtra la version couleur d’un classique signé JL. Coudray et Alain Garrigue, "Séjour en Afrique" (porté par les aquarelles de Joël Alessandra).

Merci Maximilien et Vincent, et bravo pour ce superbe collectif !



A voir aussi :
Le site de La Boîte à Bulles
Le blog de Maximilien Le Roy
Interview réalisée le 17/02/2009, par Alix.