« Je me vengerai ! »… Les premières planches séduisantes crachent une vindicte improbable aux échos embarrassants : j’ai rattrapé, malgré moi, le souvenir grotesque (parodique ?) des œuvres de Hunebelle. Présumant d’emblée un vice rédhibitoire, je mollarde sans vergogne dans la soupe qui a nourri mon plus jeune âge. Cette mémoire est-elle si détestable ? Une filmographie somme toute égayante, avec ses pitres et son super vilain cabotin dont la face informe contribua à chamarrer quelques fonds de slips d’un bambin exagérément sensible. Mais au présent, chaque visionnage est devenu une revisite ingrate, confinant l’enthousiasme dans un rire dénaturé aux sarcasmes ; je me braque davantage. Quel hasard invraisemblable, quelles pirouettes ridicules légitimeront trois tomes soumis à ce chimérique présage ? Conjurer le talion, la bobine à un fil d’abdiquer sous l’assaut mécanique et tranchant du docteur Guillotin : permettez-moi de pouffer ! Je le connais ce Fantômas ! Par cœur, par trop…
Et si mes caleçons n’étaient pas saufs ? Que la légende soufflait brutalement combien je me montre imprudent ; ne serait-ce qu’à évoquer son nom ? Celui-ci n’est pas l’autre. Celui-là prie un autre Dieu, taquine d’autres muses. En cet instant, en cet endroit, c’est une Némésis rouge qui s’éveille puis l’exhorte. Je la dénude ; captivé. Sillonnant les pages comme on égraine un chapelet diabolique ; effaré. Devant mes yeux, un siècle de frustrations, d’humiliations est englouti dans le sang et la rage pour reconquérir le mythe. Une silhouette ubiquiste immonde pille, broie obstinément parmi le feu et les tripes, incarnant des pulsions de barbarie foudroyantes qui fascinent les mœurs comme elles les assassinent. Génie démesuré, insaisissable, inflexible : Sa Majesté du Mal est absolue, de nouveau loyale à ses géniteurs.
Charriés par le sillage contemporain de cette hubris charcutière, des prétendants insolents de charisme, des troisièmes couteaux étranges, feuilletonesques à ravir. Jetés en pâture, les uns et les autres s’agitent et s’égosillent, s’affolent, s'aventurent ou s’enfuient, s’invectivent, s’embrochent et s'entr'égorgent, s’illuminant fatalement dans l’ombre du fléau. Sa cavalcade dramatique consent quelquefois à brider les battements des tambours. Les angoisses cèdent alors la jubilation aux fantasmes ou à l’esprit. Lady Beltham paraît en belle du saigneur vaporeuse, ambiguë. La moustache primesautière de l’impétueux Juve émancipe les traits rafraîchissants d’un humour frigo disputant les sourires au cynisme impérieux de sa gouvernante. Acrobate, l’intrigue rend les hommages au genre et à ses figures Belle Époque en interprétant la valse espiègle des rebondissements, en distillant les clins d’œil historiques ou les coups de coude astucieux. Mais pas question de plier à la duperie du romanesque. Némésis poursuit ses desseins au cœur de l’effroi. La lutte échevelée sème toujours les macchabées, absout encore les amoralités. Et s’il faut un ultime rempart à la sauvagerie, ne confions pas tous nos espoirs au filtre des tableaux.
La manière de relier les peurs d’un siècle aux névroses de notre quotidien moderne est sublime, mais éprouvante. Transbahutées dans une palette pourvoyeuse d’épouvante et son technicolor hématique aux rhésus orange mauvais, vert funèbre. Violence intuitive d’un esthétisme qui caresse le surréalisme dans les lignes incertaines et fiévreuses, dans la contorsion des corps ou les visages anguleux. Qui peint des ambiances irréelles, sourdes ou diaphanes, dissout le tangible dans les jeux de substances et de clair-obscur. Qui asservit le rythme en découpant, équarrissant le motif narratif pour faire convulser le temps à son souhait, dans un désordre expressionniste emprunté aux pinceaux luminescents de Macke ou à la sinistrose de Grosz. Poésie addictive du chaos qui vocifère : Fantômas est mort, vive Fantômas !
Maîtres adorés de la résurrection, utopistes vénérés du crime, bref, chers auteurs de talent, il y aura - c’est indispensable - un prolongement à ce triptyque. Que mes désirs impatients viennent à expirer, sacrifiés sur l’autel de votre bon vouloir, et… Je me vengerais !
(Mal ?) Heureux celui qui connaîtra les affections du vagabondage en vésanie. Psychonaute ébahi, fuguant au contrepoint désenchanté du sans issue, bringuebalé selon les six mouvements fulgurants d’une sonate graphique polymorphe. Les sens dessus dessous.
[Agnosie…] Assailli d’images aberrantes, hagard sous l’entrelacs mouvant du pandémonium rétinien d’Éva. [Claustrophobie…] Reclus de passage, empruntant l’oppression et le désespoir tandis que Soledad lui fera la visite chaotique et vertigineuse de sa prison séquentielle, infrangible. [Synesthésie…] Les yeux ivres du bruit, des onomatopées rémanentes ; hystérèse de sons matérialisés qui impriment la vue, envahissent l’esprit longtemps après leur genèse : un don ou peut-être une damnation pour Lola. [Aphasie…] Et puisque parler ne signifiera rien, lire. Lire avec Miranda. Lire encore. De toute part, dans tous les coins. Abreuvé à l’abondance des mots, de ses maux ; inondé d’écrits asphyxiant une histoire sans paroles et sans fin. [Akinétopsie…] Dans une sensation paradoxale de course figée, poursuivre. Le regard floué, comme pris au piège d’un kinétoscope capricieux corrompant la cinétique, hoquetant les trajectoires jusqu’à ne percevoir qu’un brouillard de sillages pointillés. [Prosopagnosie…] Pour se noyer, bouffé dans un anonymat universel. À l’instar d’Olivia, ne plus reconnaître personne au milieu de cette humanité kidnappée, banalisée par l’unie forme des voix, par ces visages qui délèguent les émotions à de chiches smileys basiques, ridicules. Maintenant, untel n’est qu’un jumeau perpétuel, et terrifiant…
Glossaire exotique. Barbarie eurythmique de connexions au réel pathologiquement biaisées, habilement offerte au cœur de ces quotidiens opprimés et peu réjouissants. Des landerneaux profilés, incarnés par l’acte de scénographie, déconstruits selon la dynamique interne d’un tissu narratif transfigurant les fils de son langage. Lorsque le ramdam explose en bulles, que les sages cases muent en cages agitées, quand l’idiome bâillonne le récit en usurpant tout l’espace ou que les objets violent les frontières iconiques, la sémantique du Neuvième campe son meilleur rôle. Affranchi de ses carcans, le signifiant entre en résonnance avec le signifié. Les motifs expérimentaux rapportent, donnent corps aux symptômes, restituent visuellement chaque trouble mental, extériorisent un énoncé limpide de l’invisible qui éclaire instantanément la perception.
Interprétations bien sûr ! Processus attaché à son irrésistible subjectivité, épargné d’une investigation rigoureuse, trop médicale. Au liseré de la psychanalyse, une bourlingue noologique et un exposé nosologique, évidents, (dé)figurés dans des tableaux provisoires, à vivre intensément. Cette esquisse de la démence ausculte, apostrophe, et hypnotise à travers son chromatisme changeant, d’un froid psychiatrique. Corsetant ses rares tonalités dans un gris étouffant. Des roses, bleus, jaunes aseptisés : vision dépolie. Le voile interposé, comme une ultime intention pudique, lorsque les victimes seront « foutues à poil » - littéralement si l’on s’en tient à l’introduction de chaque chronique (je vous laisse la surprise) -
L’audacieux poussera loin, tenté aux hasards du décryptage métaphorique. Trop loin ? On s’accordera le droit d’esquiver cet exercice, quoique gratifiant, souventefois gonadoclaste. Il y a tant. « Diagnostics » sillonne son univers propre, conjugue les thèmes (fantastique, science-fiction, polar, intimisme…) et les styles, sous une signature artistique labile, aux cousinages de l’Indé métissé Nouveau Continent. En éprouvant les codes, la grammaire du médium, son laboratoire de papier aiguise le plaisir par l’introspection de la mécanique bande dessinée. Au-delà d’éventuels alibis pour triturer la lexicologie des planches, dans l’exploration de ces déséquilibres, il caresse la folie, tout simplement : relatant six héroïnes et leurs difficultés à exister, dévalant des routes à sens unique, irrémédiables. Une dramaturgie retenue et intelligente, belle à faire tressaillir la moelle épinière… Et à la clôture de ces évocations percutantes et désemparées, s’étonner à sourire.
Singulier. Brillant.
Que sommes-nous ?
Être vivant, biologie pensante avec son caractère, ses réflexions, ses intermittences du cœur et ses vicissitudes, dont les convictions domestiquent la volonté et le libre arbitre ? Ou simplement un exceptionnel mécano biochimique, une personnalité parmi tant de possibilités, prédisposée, finalement soumise à l’agencement, aux interconnexions de milliards de petites cellules, tributaire de la plasticité d’une étonnante matière molle et grise ? Deux jeunes neuro-scientifiques britanniques ont crânement donné corps à leurs réponses dans cette ébouriffante aventure, une virée incongrue aux tréfonds du cortex humain dévoilant moult coulisses et autres cachotteries fascinantes.
Il existait sûrement mille et une façons pour anatomiser ce fameux carafon. Intrusives ou pas. Salissantes ou moins. La plus habile, et à n’en pas douter la plus appétissante, émoustille le sujet même que l’on ambitionne visiter. Par le prisme des yeux et du croquis. Un pinceau ludique, philanthrope, illustrant ex professo, des notions méta textuelles épineuses avec une évidence que la plume seule aurait bien du mal à délivrer. Du pain béni pour celui qui, à l’instar de mézigue, aurait la comprenette un chouia récalcitrante. En route donc ! Offrons-nous une balade pédagogique aux lisières du fantastique et, fermement agrippés aux basques d’un héros littéralement perdu, prisonnier de ses propres pensées, osons arpenter les chemins cognitifs et électrisants d’une forêt synaptique oppressante. Dans un aperçu extravagant des populations locales, examiner, câliner un neurone (stupéfiant à envisager dans un intellect typé homme tant les certitudes féminines logent cette gent organique plus, mais alors beaucoup plus au sud du nombril et de la banalité du mâle), dénuder les méandres mnémoniques et leurs gardiens bizarres ou fuir des monstres psychotropes spectaculaires.
Aux tours et détours des circonvolutions encéphaliques, observer, tendre oreille et curiosité à une équipée de sommités émaillant l’Histoire, toutes flanquées du même zèle irrésistible pour exposer leurs découvertes, leurs savoirs dans des leçons précieuses. S’accommoder de quelque idiome barbare inévitable qui viendra écorcher le tympan, d’un concept ardu qui mettra plus de temps à se laisser embrasser. Rien d’irrémédiable. Et marcher, encore un peu. Jusqu’au croisement des raisonnements scientifique et philosophique, pour s’égarer dans le dualisme du qui-suis-je, aspirant à dénicher la cachette de l’âme dans le brouillard des illusions. Enfin, au bout du chemin, se voir récompensé, désaltéré à la dialectique subtile d’un épilogue rudement bien senti, à la poésie fulgurante de sa case ultime.
Neurocomix se dégustera comme une bourlingue prométhéenne à travers l’esprit, capiteuse, démystifiante, transportée par la résonance d’un graphisme noir et blanc tout en courbes, amusant puis inquiétant, parfois grotesque et dont la légère disproportion dans les caboches ou le vide de certains regards souligne la perspective hallucinée de l'exposé. Un jeu de mollets pour cerveau lent, burlesque et incroyablement instructif, un « brain » trop linéaire, qui mériterait davantage de ce flegme barré « mad » in England prompt à générer les meilleures endorphines. Mais je me montre difficile...
Vous rependrez bien un peu de cervelle ?
Si l’Afrique m’était racontée…
Comme une invitation au songe. Comme un époustouflant voyage des sens. Au pouls d’un chant noir, qui, dès les premières figurations, me ferait basculer, entrevoir les traditions colorées de l’oralité, pittoresque. En hardi citoyen du monde, me laisser happer, porté par le vent revigorant de la mutinerie dans la galopade d’un gamin de Lamu, puis poussé, chahuté, échevelé par les brises irrésistibles d’un conte moderne où chaque rafale, charriant les mots, les personnages nombreux, les images, nourrirait le tourbillon d’une force narrative qui emporte tout sur son passage, parfois jusqu’à me couper le souffle…
Quelque sagesse swahilie promettrait : ce n’est pas la main, mais le cœur qui donne. Benjamin Flao ne lui ment pas. C’est bien une touche d’âme qui affleure dans chacune de ses aquarelles étourdissantes. Tant de présents pour les yeux, nés au bout de doigts exécutant le vibrato saisissant du vivant. Une humanité sans doute ramenée dans son sac à dos. Éloquente, radotante, elle hurle à pleins pinceaux des figures étrangères dont je reconnais, ici, une moue familière, là, un sourire ou une rogne fluente de sincérité. De la vie, authentique, universelle, restituée dans le mouvement et la chaleur de ses scènes, entre vadrouille et spiritualité, célébrée par les effusions opalescentes d’un chromatisme impétueux où le chaud embrasse le froid, où le fantasme embrase le réel.
Malgré mon ardeur pour les tenir en respect, quelques jurons intérieurs s’échapperont au hasard d’une case, au détour d’une peinture plus passionnée. Exclamations arrachées par les évidences de cet esthétisme intense qui joue avec mes entrailles. En tous sens. Depuis l’empathie fulgurante d’un baiser dérobé saupoudrant la tendresse ou le tableau, emprunté à l’obscurité, d’une étreinte charnelle fugace qui, en un croche-patte habile à cette volupté trop facile, bouscule l’émotion, puis me mue en voyeur involontaire, un peu gêné d’être ici. Dans le courroux pétulant d’un marinier au langage de charretier, convaincant, légitime à en serrer les poings pour m’inviter dans sa bigorne. Devant la beauté symbolique d’un arbre sacré ou l’expression de la puissance des éléments, au coeur d’échappées sous-marines envoûtantes, quand je me surprends à retenir ma respiration. Parmi des tapisseries superstitieuses, irréelles, où, vagabond ébahi, je touche la légende et ses icônes inquiétantes. Jusqu’aux quatre cents coups d’une bande de gosses malicieux et leurs appels du pied appuyés : spectateur, comparse, complice grisé, je prends mes jambes à mon cou pour rattraper la flamme de l’aventure…
Hors champ, contre champ, contre-jour. Plan reculé ou angle intimiste. Oeil aérien. Perspectives imprudentes. Horizon éthéré et regard plus paisible : au fil des cabrioles je déambule, dans la mise en scène admirable, sur les mesures inspirantes d’une narration gigogne qui distribue les rôles à pleines mains, autour d’un héros irrésistible. Naïm bien sûr. Sauvageon libre, intenable dans le zèle à esquiver l’école coranique et ses coups de bâton pédagogiques. Les hasards de ses escapades croiseront la philosophie aux zestes de qat du vieux Nacuda, esgourderont les grossièretés routinières du trivial Günter, un capitaine margoulin affreusement mal léché, attirant curieusement la sympathie, et achèveront son apprentissage dans les visions désincarnées d’un chaman animiste ou celles, plus prosaïques, esquissées dans les formes, les charmes de demoiselles adorablement vénales. Un carnet de route serpentant entre appétits néo-colonialistes et ascensions djihadistes, une traversée initiatique à hauteur d’enfant qui se perd les crayons dans les tentacules d’un imaginaire magnifiquement halluciné.
Le boudeur (scrogneugneu !) blâmera des tempéraments marqués, effleurant la caricature dans le verbiage ou le contexte, accablera une trame jugée dilettante. Ces chouias d’exubérance, dans la manière et la matière, je les suppose comme le remarquable écho à la singularité d’un continent qui abandonne dans la marge ses réalités les plus préoccupantes pour mieux réveiller, révéler toute sa magie. Au moins pour un instant.
Mais quiconque osera le reproche aura affaire à moi !
… Immense.
Très chère Marion,
C’est en groupie de la première heure, tout acquis à votre cause (vous permettez que je vous vouvoie ?), que je saisis la plume et mon indignation : mais qu’est-ce que c’est que ce binz !?
Quelle est cette dernière lubie ? En ces temps allègres, dispensant les chaussettes où noyer notre moral au rythme des jours de pluie et des périodes de crise, oser titiller ce sacro-saint tabou français : l’argent ? Et plus précisément, dans un pseudo plaidoyer de l’opulence, s’autoriser une visite guidée des ghettos du gotha, humaniser les grands bourgeois ou s’amuser des enjeux et des rites de la gente épicière, légitimant le self-made-man, à coeur d’apprivoiser les loups de Wall Street. Allons, allons Marion ! Si je vous sais gré de votre talentueuse et bidonnante démystification de l’empire des sciences, si votre patronyme suppose des prédispositions aux réflexions abstraites et compliquées, l’économie, la sociologie, on laisse ça aux gens sérieux ! À moins que…
Bien sûr, vous ne faites jamais rien comme tout le monde. Théoriser, terroriser par la bulle n’est pas votre rayon ! Loin du discours, vous préférez la méthode : illustrer par l’exemple, conjecturer par l’expérimentation en dénichant la bénédiction de sommités authentiques qui octroient le recul, la légitimité pour claquer les planches en autant de tubes à essai, réalistes, impayables, pertinentes et impertinentes. Deux sociologues reconnus donc, caricaturés en hilarants faire-valoir tendance monomaniaques et pendus aux basques empiriques d’un gugusse (Philippe pour les intimes) emprunté à la vie courante (et au rayon bd de la fnouc). Un petit tour de passe-passe pour influencer les voies hasardeuses du jeu ; vous faites plonger le héros dans un océan de fortune. Frais batelier sur les cours tumultueux de l’élite monétaire et découvreur explorant les finitudes de la richesse, apprenti corsaire initié aux joies décadentes du kidnappage de l’art puis aux traumatismes de la violence symbolique, armateur novice cultivant la disposition à spéculer sur le malheur ou sous-marinier hagard brutalement immergé dans les eaux sourdes d’un décorum auto protecteur, le culte de l’entre-soi… Le rêve dénaturé en cauchemar charrie un flot d’interrogations existentielles, essentielles pour notre néo rupin qui va apprendre ce qu’il en coûte. Un farfouillage de tous les champs du possible, préoccupant, néanmoins très drôle, délicieusement illustré et habile jusqu’à ne plus faire douter que les moins nantis ignorent assurément leur bonheur (les pauvres !) ; remise en question rafraîchissante de la méritocratie ponctuée de grincements de dents et d’une conclusion politiques qui laisseront trahir un engagement, une certaine orientation idéologique. Mais chut, Marion, je crois bien que l’on nous observe…
L’exposé est séduisant. Et il n’est pas déraisonnable que l’on se questionne : alors riche, pourquoi pas moi ?
Dans un élan hypocrite, je rétorquerais : pour ne pas risquer de devenir ce sombre connard qui méprisera le monde. Si j’aspire à plus d’honnêteté, les voies s’ouvrant à moi se révèlent peu viables : se découvrir un subit et tendre penchant pour l'aristocratie helvète la plus agée restant à fiancer, faire cavalièrement joujou avec son pilou pilou, juste le temps imposé pour se voir olographié sur testament, et, ipso facto valider l’usufruit en préméditant un accident de vieillesse définitif, assurément regrettable, mais pécuniairement lénifiant. Non. Inconcevable (… de vivre en Suisse j’entends). Ou, peut-être, à l’instar de sieur Philippe, tenter de décrocher la timbale au Loto, au Keno ou à l’Eurocouillon, enfin n’importe quel vendeur d’espoir folklorique à la mode présumant le bonheur dans votre sagacité à coller le nombre adéquat de petites croix dans de trop nombreuses cases. J’ai testé : les boules !… Il ne resterait plus alors qu’à m’extraire les appendices palmaires du fondement pour turbiner plus, accessoirement palper plus, et (mais c’est hors de question !), dans cette naïveté collégiale grotesque, m’abaisser ainsi à sucer la couleuvre d’un intérimaire du 55 Faubourg-Saint-Honoré (je dérape…).
Bof… En définitive Marion, je m’en bats le découvert. Riche, je le suis tant. De fous rires, de la bonne humeur, du génie rare de clown pédagogue dont tu uses (finalement on se dit « tu » hein ?) pour me faire cogiter, me peindre en travers du visage cette drôle de grimace exhibant impudiquement mes plombages. Avant, pendant et après. Captivé par tes réflexions, régalé de mon nouveau kit « S.O.S. Socio pour les nuls » décapant, soudain contenté de ma classe sociale et prêt à tout avaler dans cette dure lutte (déjà je n’ai plus honte de prêter si sobrement l’esgourde aux tristesses de Chopin, en slip espadrilles, vautré comme un mollusque sur le canapé tout en me grattouillant mélodieusement les - tuuuuuut -, ou, lors des jours fêtards prodiguant le foie gras, à déployer cette noblesse, labélisée gros babouin, pour me bâfrer l'équivalent de trois plaques de marbre bourrées entre deux pitoyables tartines de pain rassis…). Serait-ce l’effet miraculeux de ton trait lâché, éloquent dans ses griffonnages mâtinés d’un je-m’en-foutisme si désopilant ?... Euh, sinon, tu as déjà pris des cours ?
Je châtie gentiment (mais si ! Je le kiffe ton dessin !), car j’aime. Vraiment ! Du fond du cœur, des sens (du fond de la bourse aussi), je te remercie pour ces instants de plaisirs persistants. À jouer ainsi, virtuose, le pamphlet raisonnable, l’étude vulgarisée épargnée du vulgaire, distillée par la diablerie, l’ubiquité d’un humour ravageur, tu entres définitivement dans le panthéon de mes auteurs chéris. Et, par cette déclaration d’amour mal déguisée, pourrais-je me dédouaner de cette compulsion cafouilleuse à transcrire mon enthousiasme ? Pardonneras-tu les nombreuses bêtises d’un blabla claudiquant qui, je l’espère, ne fera pas sourire que moi ? (au cas où, je te joins une demande en épousailles et les copies de mes derniers bulletins de salaire…)
Bises
P.-S. Quand tu la croiseras, embrasse aussi la prof Moustache pour moi.
Malaises ? De ce titre fédérateur, de ce leitmotiv affiché, collection d’illustrations qui voudrait encourager la mise en berne de nos enthousiasmes, des malaises que ce drôle de gusse aspire à me prêter, je n’en ai éprouvé qu’un : celui, à regret, de n’avoir rien ressenti, d’être passé à côté. En marge des dithyrambes d’un Mac Orlan, Blutch ou De Crecy, je me suis surpris transparent, froid. Ou simplement trop con. Alors, avant de faire le deuil prématuré de mon moteur intellectuel et affectif, chercher une dernière fois à comprendre : pourquoi la plupart de ces figurations a eu tant maille à partir avec le parti-pris arbitraire de ma sensibilité ? Pourquoi, bien que prenant soin de choisir le plus chagrin des jours pluvieux pour mes lectures, fut-il si compliqué d’amorcer la machine à coller le bourdon ? Il se dégage pourtant une telle évidence de tristesse, un pessimisme verveux dans l’indéniable talent graphique inondant ces crayonnés raffinés, tout en courbes hésitantes nourries à l’atrabile et au charbon. Mais rien à faire. Si le plaisir des mirettes enhardit ma ferveur, je me refuse à jouer le faux-cul accompli en singeant l’émerveillement.
La beauté ne fait pas tout. La majorité de ces scènes, des morceaux de vie figés, captés en autant de moments suspendus, libèrent une authenticité dont la vérité émotionnelle souffre malgré tout d’un irrémédiable décalage temporel. Des respirations appartenant à une autre époque, semblant surgir d’un autre monde qui ne cadre plus avec les préoccupations, avec les réalités du nôtre. L'éloquence du regard, la force, la finesse sont intimement liées à une forme de vécu et chaque peinture se dénuderait certainement sans pudeur pour des yeux initiés aux mœurs, aux temps de sa genèse. Je n’y ai vu qu’un (terrible) charme d’avant-guerre, désuet, une mélancolie de vernis, intrinsèquement, essentiellement liée au trait, où le sentiment affleure dans de rares représentations ; les plus intemporelles. Ici, sur le bureau immense d’un milliardaire dont le vide effroyable semble faire écho à celui de sa vie. Peut-être là, dans la visite d’un appartement annonçant les déchirures d’un départ, d’un recommencement. Ou encore là, au petit matin quand la vision de ce couple au réveil trahit une séparation proche. Cependant le cafard n’est jamais immédiat, mais supposé, pire : réfléchi. Là où chacun de ces arrêts sur le temps, sur ces images du quotidien, communes, voire dérisoires, devrait frapper d’évidence, impulser une hésitation où explose la conscience soudaine de la fragilité de notre existence, de sa futilité, il m’aura fallu chercher, arracher une issue émotionnelle, souvent forcée et artificielle dont je ne suis pas certain que monsieur Bofa la désirât si hermétique. Dans ces conditions, difficile de revêtir la panoplie de victime, de s’approprier la constante de l’oeuvre, ce vague à l’âme tant convoité, mais péniblement taquiné, éphémère, et, en fin de compte totalement illusoire.
Peur du noir ? Frigorifié par les préceptes moraux du comique et son éthos sévère du comment et de qui se moque-t-on ? Non ? Tant mieux ! Car l’humour de potence n’a pas de tabou. Et il m’est pénible de concevoir une culture BD équilibrée et sage spoliée de sa poésie ébène. Amputée des plaisirs masochistes, incontournables, d’un libre arbitre tiraillé entre la spontanéité du rire et le flegme de la décence. Haro donc ! Décrassons nos inhibitions ! Fustiger la stupidité, conjurer les angoisses en nous gloussant de la réalité (pour ne pas en pleurer ?) ! Si le panorama de cette politesse du désespoir (joliment baptisé par Achille Chavée) ne nous autorisait qu’une œillade orpheline, adoptons les sentiers imagés de Macadam Valley.
Alors bienvenue !
Dès les premiers pas, d’aucuns relèveront une filiation singulière. Du format italien aux tonalités gémellaires de la couverture, depuis la construction narrative jusqu’en toile de fond, voire un clin d’œil ironique dans le titre, l’album transpire l’aura du sensationnel « Ice Haven ». Hommage décalé ou hasard croustillant ? Passons. Les chemins divergent là où Clowes acère son pamphlet social en exhibant la banalité du quotidien alors que Dessy emprunte les voies de la loufoquerie acide.
En effet – revenons à notre bourgade avenante –, la bande à Ben, avec ses bouilles à croquer et ses éraflures à la tirelire, trimballe son déphasage existentiel aux quatre coins de la vie de tous les jours. Et c’est Monsieur le Maire qui régale ! Castagnant les conventions du savoir-vivre à coups de strips ravageurs, boxant les convenances avec un cynisme hilarant, rimant irrévérence avec intelligence dans l’acuité de la figuration. Crédulité, effronterie, surprise, fatalité, inquiétude (même les ustensiles jouent du sentiment) ; l’attirail de la bonhommie est prodigue et chaque nouvelle expression, chacune des mues émotionnelles confond par son éloquence unique. Affinant les perceptions, épurant les images, la ligne sobre, minutieuse, émancipe les ultimes idées encore dissimulées. Les saynètes achèveront de se dénuder aux outils de la dérision : mots valises librement réinterprétés, symbole ou propos empoigné au pied de la lettre, croche-pieds graphiques et parodie salée… Soumis par le talent, aiguisés de subtilité, ils façonnent le détachement glacé de chutes à plusieurs temps. Absurdes ou choquantes. Jubilatoires, mais sans mépris.
Je voue une reconnaissance affectueuse à l’auteur pour tous ces courts tableaux salutaires qui continuent d’habiter ma mémoire, longtemps après les avoir lus. Je ne résiste pas à l’envie de vous livrer l’un de mes favoris (Strip 51 du blog ; il n’est pas dans le bouquin, mais on s’en fout).
Un petit garçon en chemise de nuit se tient immobile sur le pas de la porte. Une moustache « brosse à dents » tristement célèbre orne sa lèvre supérieure et une longue mèche balaye son front. Visiblement, le gamin sort d’un sommeil agité et il observe son père lisant le journal dans son fauteuil.
Le papa : « - retourne te coucher Adolf… Ça n’existe pas les monstres »
*Terrassé par le triple effet kill cool : se figurer un des pires criminels de l’humanité en mouflet inoffensif / s’interroger sur ce qui pouvait bien lui coller les miquettes (qui hantait ses cauchemars ?) / LA réplique laconique assenant le coup de grâce
Prêt à succomber ?
Que Belzébuth vous patafiole si vous n’y trouvez pas le bonheur !
Apostille : c’est avec une mauvaise foi occasionnelle que je conseille l’achat. Il serait déloyal de soutenir l’urgence impérative à acquérir l’objet. Il y a beaucoup moins de matière dans le bouquin que sur le blog (y’a un blog, je ne vous l’avais pas dit ?), et l’on peut, avec la même injustice, reprocher la brièveté d’une lecture réclamant moins de temps qu’il n’en faudra pour parcourir cette assommante exceptionnelle chronique. Pour ma part, je privilégie le support papier et, par dessus tout, il faut encourager l’auteur…
Decorum : fin de civilisation. Un poste avancé, village grossièrement fortifié, cerné de tours de surveillance. Clairsemés, boiteux, des poteaux télégraphiques survivants disputent l’horizon aux bâtiments abandonnés, aux ponts et routes désaffectés crachant leurs rares carcasses de véhicules dévorées par la végétation. En mode grand spectacle, le trait livre des pastorales ciselées, aguichantes, esquissant le portrait d’un territoire fantôme reconquis par la nature. La couleur déploie sa vague chlorophyllienne, noie une mosaïque de vestiges évocateurs, festivités eschatologiques consommées d’un nouveau mojo postapocalyptique, obsédant, irrésistiblement invitatif : ça y est, vous y êtes ! Soudain le chant d’une sirène hurlant le danger exhorte à roder votre art de la fugue ; sans hésitation, courez ! Car ici, depuis longtemps, Sapiens a troqué son leadership contre une place de met de choix au buffet garni de la chaîne alimentaire. Et, quand le maillon du dessus est de sortie, il ne fait pas bon traîner ses guêtres en pleine zone de menace…
Déjà une décennie que le péril a surgi du froid. Que la « peste blanche » échappée de Sibérie a frappé, décimé. Homme après homme, ville après ville. Quand l’ouverture nous livre ses premières cases : les frangins Goodwoody, orphelins aux pédigrées encombrés, déboulent à « Fort Apache », une des colonies reliques de l’humanité déclinante. La dernière chance pour ces deux brebis galeuses…
Parlons franc ! D’emblée, le scénario libère une impression familière, la mémoire de chemins déjà empruntés où l’appréhension guette un ennui mortifère. Sauf ! En étirant avec talent la cordelette du temps, dénudant son univers par brides, installant pas à pas ses personnages dans un climat souvent insoucieux, Benjamin Von Eckartsberg instille la curiosité puis une appropriation bientôt évidente. La mise en bouche accrocheuse, suffisamment pour se laisser chatouiller par ses relatives imperfections, séduit tout à fait dans un récit qui resserre ses desseins autour des spécimens de l’espèce adolescence. Augurant des karmas marqués du filigrane William Golding, arborant les promesses d’une anticipation intimiste, plus proche de l’humain, l’histoire ébauche les contours d’un changement de statut espéré dont l’œuvre dissémine les premières pousses dans son incroyable esthétisme.
Les mains du dessinateur – en l’occurrence de l’illustrateur - façonnent des planches à la beauté asphyxiante. Parenthèse : sans m’exhiber Ayatolah du dessin dans ton gros nez labellisé « bd à papa », je confesse un goût certain du classicisme crayons-feuille blanche et quelques réactions épidermiques voire d'imbéciles préjugés quand l'infographie courtise le neuvième art. Alors heureux que moi ! Car j’ai rencontré un gourou… et je mourrai moins idiot (euphémisme). Prince du mulot, thaumaturge de la tablette graphique, alchimiste du stylet, ou qu'ajouterais-je encore : les compositions de Thomas Von Kummant sont simplement éblouissantes. Chaque case suggère une profondeur démentielle, libérant son lecteur abasourdi dans des cadrages virtuoses, dans la sophistication, la générosité du détail et une lumière exceptionnelle de maîtrise. Où la scénographie définitivement périlleuse devrait se parer d’ombre ou de désespoir, elle puise régulièrement ses couleurs à l'insouciance inhérente aux caractères des jeunes personnages, dans leur inspiration à vivre intensément. Esquivant un rendu graphique au style parfaitement réaliste, chacun des visages parvient néanmoins à insuffler un degré d’émotion, d’existence prêtant la respiration au papier. Les tempéraments archétypes, les remarques, les comportements banals ou les situations moins attendues en résonnent plus vrais.
L’immersion est totale, le pouvoir d’attraction irrémédiable.
Chronique d’un carton annoncé ?
Gung Ho ! Osons le pari !
Yannick Marchat serait-il un apprenti cupidon fou ? Décochant ses traits fulgurants et totalement hallucinés au hasard des planches, au hasard des gens, au danger d’atteindre et de rapprocher les opposés les plus improbables :
Touché Albin !
Ce garçon imposant, trentenaire rondouillard, timide et solitaire, emplit son existence entre les diverses occupations routinières et son copain de bocal, Jacques Yves. Un étrange poisson rouge, complice de toujours, lui accordant, bon gré mal gré, une ouïe attentionnée quotidienne. Il n’est pas tout à fait malheureux Albin. Pas vraiment heureux non plus. Et derrière la lassitude des habitudes, nait le désir de transcender sa vie…
Touchée Zélie !
Jolie jeune fille pleine d’énergie, caractérielle rieuse et primesautière, elle croque le présent à pleines dents et n’a pas la langue dans sa poche. Célibataire déçue des hommes, elle ne veut plus prendre le risque d’aimer. Bien que peu encline à en recevoir les égards, elle se découvrira un faible pour le « gros nounours »…
Deux personnalités attendrissantes. Deux destins qui vont se heurter, se mêler, et basculer dans une autre dimension stupéfiante, invraisemblable. Si les premières pages dessinent les esquisses d’un coup de foudre archétype, découvrent les prémisses d’une histoire d’amour à la limite du cliché, mais tellement évidente qu’elle donne pourtant l’envie d’y croire, la magie resserre son étreinte lorsque Cupidon déploie les grands moyens. Une scénographie singulière, fantaisiste, camée à un irréel galactique convoquant extra-terrestres et vastes espaces inconnus.
Intriguant merveilleux où le réflexe premier force à dénicher de supposées métaphores malicieuses, avant de succomber à la romance et son invitation au lâcher-prise. Goûter simplement la poésie immanente. Poésie d’aujourd'hui. Tendre. Tamisée ou pétillante. Habile et détachée. Elle laisse évoluer les personnages dans un noir et blanc changeant, délicat, parfois violent ou flou, aussi ambigu que les sentiments de ses acteurs. L’imagination visuelle babillarde d’une sphère irrationnelle dont le retour sur Terre achèvera d’exposer les non-dits, effleurera des émotions indicibles, révélant l’essence des choses et des êtres.
À la fermeture de l’album persiste cette agréable sensation, comme un sourire épinglé au coin du cœur.
Tout comme je n’aime pas la mayonnaise allégée, le fromage sans matière grasse, tout comme je déteste la bière sans alcool, le beurre qui t’épargne du cholestérol ou les bombecs qui filent pas de carie, j’ai tendance à avaler de travers un humour gris clair certifié sans agent corrosif quand on m’appâte à la gourmandise glauque option burlesque.
Avec son idée de départ originale et son titre à grincer des dents, « Le magasin des suicides » éveillait les promesses d’impertinence cynique entre tragique et grotesque. Pensez donc ! Une famille faisant bizness de la mort, dans une société dystopique où pullulent les dépressifs chroniques. Des candidats à l’autodézingage, impatients de se libérer de leurs noeuds gordiens existentiels, les passant au fil du rasoir, à la lame du seppuku ou se glissant de plus coulants autour du kiki. La garantie d’un potentiel client inépuisable pour qui vend les accessoires adéquats. Mais quel malheur quand déboule le dernier né, un bambin joyeux qui risque de foutre la pagaille, et accessoirement propager le bonheur, dans un magasin réputé où le respect et la fidélité du client imposent grisaille, mal-être et morosité permanents.
Alléchant menu ! Mais au moment de l’addition, un constat : choisis ta recette camarade ! Il y avait matière à beaucoup mieux et moultes approches imaginables : verser franchement dans l’absurdus delirium estampillé Monty Python, le funeste gothico-drôlatique d’un Adams family, adopter l’esthétisme et la poésie morbides façon Burton ou encore emprunter le chemin d’idées noires sulfurées à la mode Frankin. Un saupoudré édulcoré de tout ça ne pouvait que composer les arpèges boiteux d’un requiem cocasse manqué.
Des personnages désespérément lisses (mais caractérisez moi ces gus, bordel !) dans un fond laissant la part belle à un blabla creux pour justifier que machin est anorexique, que truc est mal dans sa peau ou bidule a la joie de vivre (regardez, z’ai fait de zolis dessins colorés !), mais également dans la forme où le trait radin dépouille les expressions, abandonnant les personnalités à trois coups de pinceau aux codes chromatiques sacrément "originaux" (gris, brun = – couleurs flamboyantes = ). Un sel absent dans le contraste négligé et facile de protagonistes décidément fadasses auquel s’ajoute l’impression d’être pris pour une quiche tant on est constamment abreuvé d’explicatifs, alors qu’une modeste allusion par-ci, un regard réussi, un silence par là seraient plus convaincants
Le raté serait sans appel si quelques parlottes béhavioristes, gadgets et autres méthodes sur l’autozigouillage extorquant un ou deux déridages des commissures de lèvres, une mise en cases bougrement inspirée (point fort incontestable), ce dessin sobre, agréable, nonobstant son cruel manque d’expressivité, et la fin bien sentie ne sauvegardaient le reste des meubles dans cette bande dessinée qui faillit ressembler à un simple catalogue, un empilement d’idées (faussement ?) pittoresques, énumérant, à trop grand renfort de conjectures, les cent et une façons de passer l’arme à gauche.
Désabusé et même pas mort… de rire.
Ce sera deux Prozac pour moi !
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La Colère de Fantômas
« Je me vengerai ! »… Les premières planches séduisantes crachent une vindicte improbable aux échos embarrassants : j’ai rattrapé, malgré moi, le souvenir grotesque (parodique ?) des œuvres de Hunebelle. Présumant d’emblée un vice rédhibitoire, je mollarde sans vergogne dans la soupe qui a nourri mon plus jeune âge. Cette mémoire est-elle si détestable ? Une filmographie somme toute égayante, avec ses pitres et son super vilain cabotin dont la face informe contribua à chamarrer quelques fonds de slips d’un bambin exagérément sensible. Mais au présent, chaque visionnage est devenu une revisite ingrate, confinant l’enthousiasme dans un rire dénaturé aux sarcasmes ; je me braque davantage. Quel hasard invraisemblable, quelles pirouettes ridicules légitimeront trois tomes soumis à ce chimérique présage ? Conjurer le talion, la bobine à un fil d’abdiquer sous l’assaut mécanique et tranchant du docteur Guillotin : permettez-moi de pouffer ! Je le connais ce Fantômas ! Par cœur, par trop… Et si mes caleçons n’étaient pas saufs ? Que la légende soufflait brutalement combien je me montre imprudent ; ne serait-ce qu’à évoquer son nom ? Celui-ci n’est pas l’autre. Celui-là prie un autre Dieu, taquine d’autres muses. En cet instant, en cet endroit, c’est une Némésis rouge qui s’éveille puis l’exhorte. Je la dénude ; captivé. Sillonnant les pages comme on égraine un chapelet diabolique ; effaré. Devant mes yeux, un siècle de frustrations, d’humiliations est englouti dans le sang et la rage pour reconquérir le mythe. Une silhouette ubiquiste immonde pille, broie obstinément parmi le feu et les tripes, incarnant des pulsions de barbarie foudroyantes qui fascinent les mœurs comme elles les assassinent. Génie démesuré, insaisissable, inflexible : Sa Majesté du Mal est absolue, de nouveau loyale à ses géniteurs. Charriés par le sillage contemporain de cette hubris charcutière, des prétendants insolents de charisme, des troisièmes couteaux étranges, feuilletonesques à ravir. Jetés en pâture, les uns et les autres s’agitent et s’égosillent, s’affolent, s'aventurent ou s’enfuient, s’invectivent, s’embrochent et s'entr'égorgent, s’illuminant fatalement dans l’ombre du fléau. Sa cavalcade dramatique consent quelquefois à brider les battements des tambours. Les angoisses cèdent alors la jubilation aux fantasmes ou à l’esprit. Lady Beltham paraît en belle du saigneur vaporeuse, ambiguë. La moustache primesautière de l’impétueux Juve émancipe les traits rafraîchissants d’un humour frigo disputant les sourires au cynisme impérieux de sa gouvernante. Acrobate, l’intrigue rend les hommages au genre et à ses figures Belle Époque en interprétant la valse espiègle des rebondissements, en distillant les clins d’œil historiques ou les coups de coude astucieux. Mais pas question de plier à la duperie du romanesque. Némésis poursuit ses desseins au cœur de l’effroi. La lutte échevelée sème toujours les macchabées, absout encore les amoralités. Et s’il faut un ultime rempart à la sauvagerie, ne confions pas tous nos espoirs au filtre des tableaux. La manière de relier les peurs d’un siècle aux névroses de notre quotidien moderne est sublime, mais éprouvante. Transbahutées dans une palette pourvoyeuse d’épouvante et son technicolor hématique aux rhésus orange mauvais, vert funèbre. Violence intuitive d’un esthétisme qui caresse le surréalisme dans les lignes incertaines et fiévreuses, dans la contorsion des corps ou les visages anguleux. Qui peint des ambiances irréelles, sourdes ou diaphanes, dissout le tangible dans les jeux de substances et de clair-obscur. Qui asservit le rythme en découpant, équarrissant le motif narratif pour faire convulser le temps à son souhait, dans un désordre expressionniste emprunté aux pinceaux luminescents de Macke ou à la sinistrose de Grosz. Poésie addictive du chaos qui vocifère : Fantômas est mort, vive Fantômas ! Maîtres adorés de la résurrection, utopistes vénérés du crime, bref, chers auteurs de talent, il y aura - c’est indispensable - un prolongement à ce triptyque. Que mes désirs impatients viennent à expirer, sacrifiés sur l’autel de votre bon vouloir, et… Je me vengerais !
Diagnostics
(Mal ?) Heureux celui qui connaîtra les affections du vagabondage en vésanie. Psychonaute ébahi, fuguant au contrepoint désenchanté du sans issue, bringuebalé selon les six mouvements fulgurants d’une sonate graphique polymorphe. Les sens dessus dessous. [Agnosie…] Assailli d’images aberrantes, hagard sous l’entrelacs mouvant du pandémonium rétinien d’Éva. [Claustrophobie…] Reclus de passage, empruntant l’oppression et le désespoir tandis que Soledad lui fera la visite chaotique et vertigineuse de sa prison séquentielle, infrangible. [Synesthésie…] Les yeux ivres du bruit, des onomatopées rémanentes ; hystérèse de sons matérialisés qui impriment la vue, envahissent l’esprit longtemps après leur genèse : un don ou peut-être une damnation pour Lola. [Aphasie…] Et puisque parler ne signifiera rien, lire. Lire avec Miranda. Lire encore. De toute part, dans tous les coins. Abreuvé à l’abondance des mots, de ses maux ; inondé d’écrits asphyxiant une histoire sans paroles et sans fin. [Akinétopsie…] Dans une sensation paradoxale de course figée, poursuivre. Le regard floué, comme pris au piège d’un kinétoscope capricieux corrompant la cinétique, hoquetant les trajectoires jusqu’à ne percevoir qu’un brouillard de sillages pointillés. [Prosopagnosie…] Pour se noyer, bouffé dans un anonymat universel. À l’instar d’Olivia, ne plus reconnaître personne au milieu de cette humanité kidnappée, banalisée par l’unie forme des voix, par ces visages qui délèguent les émotions à de chiches smileys basiques, ridicules. Maintenant, untel n’est qu’un jumeau perpétuel, et terrifiant… Glossaire exotique. Barbarie eurythmique de connexions au réel pathologiquement biaisées, habilement offerte au cœur de ces quotidiens opprimés et peu réjouissants. Des landerneaux profilés, incarnés par l’acte de scénographie, déconstruits selon la dynamique interne d’un tissu narratif transfigurant les fils de son langage. Lorsque le ramdam explose en bulles, que les sages cases muent en cages agitées, quand l’idiome bâillonne le récit en usurpant tout l’espace ou que les objets violent les frontières iconiques, la sémantique du Neuvième campe son meilleur rôle. Affranchi de ses carcans, le signifiant entre en résonnance avec le signifié. Les motifs expérimentaux rapportent, donnent corps aux symptômes, restituent visuellement chaque trouble mental, extériorisent un énoncé limpide de l’invisible qui éclaire instantanément la perception. Interprétations bien sûr ! Processus attaché à son irrésistible subjectivité, épargné d’une investigation rigoureuse, trop médicale. Au liseré de la psychanalyse, une bourlingue noologique et un exposé nosologique, évidents, (dé)figurés dans des tableaux provisoires, à vivre intensément. Cette esquisse de la démence ausculte, apostrophe, et hypnotise à travers son chromatisme changeant, d’un froid psychiatrique. Corsetant ses rares tonalités dans un gris étouffant. Des roses, bleus, jaunes aseptisés : vision dépolie. Le voile interposé, comme une ultime intention pudique, lorsque les victimes seront « foutues à poil » - littéralement si l’on s’en tient à l’introduction de chaque chronique (je vous laisse la surprise) - L’audacieux poussera loin, tenté aux hasards du décryptage métaphorique. Trop loin ? On s’accordera le droit d’esquiver cet exercice, quoique gratifiant, souventefois gonadoclaste. Il y a tant. « Diagnostics » sillonne son univers propre, conjugue les thèmes (fantastique, science-fiction, polar, intimisme…) et les styles, sous une signature artistique labile, aux cousinages de l’Indé métissé Nouveau Continent. En éprouvant les codes, la grammaire du médium, son laboratoire de papier aiguise le plaisir par l’introspection de la mécanique bande dessinée. Au-delà d’éventuels alibis pour triturer la lexicologie des planches, dans l’exploration de ces déséquilibres, il caresse la folie, tout simplement : relatant six héroïnes et leurs difficultés à exister, dévalant des routes à sens unique, irrémédiables. Une dramaturgie retenue et intelligente, belle à faire tressaillir la moelle épinière… Et à la clôture de ces évocations percutantes et désemparées, s’étonner à sourire. Singulier. Brillant.
Neurocomix
Que sommes-nous ? Être vivant, biologie pensante avec son caractère, ses réflexions, ses intermittences du cœur et ses vicissitudes, dont les convictions domestiquent la volonté et le libre arbitre ? Ou simplement un exceptionnel mécano biochimique, une personnalité parmi tant de possibilités, prédisposée, finalement soumise à l’agencement, aux interconnexions de milliards de petites cellules, tributaire de la plasticité d’une étonnante matière molle et grise ? Deux jeunes neuro-scientifiques britanniques ont crânement donné corps à leurs réponses dans cette ébouriffante aventure, une virée incongrue aux tréfonds du cortex humain dévoilant moult coulisses et autres cachotteries fascinantes. Il existait sûrement mille et une façons pour anatomiser ce fameux carafon. Intrusives ou pas. Salissantes ou moins. La plus habile, et à n’en pas douter la plus appétissante, émoustille le sujet même que l’on ambitionne visiter. Par le prisme des yeux et du croquis. Un pinceau ludique, philanthrope, illustrant ex professo, des notions méta textuelles épineuses avec une évidence que la plume seule aurait bien du mal à délivrer. Du pain béni pour celui qui, à l’instar de mézigue, aurait la comprenette un chouia récalcitrante. En route donc ! Offrons-nous une balade pédagogique aux lisières du fantastique et, fermement agrippés aux basques d’un héros littéralement perdu, prisonnier de ses propres pensées, osons arpenter les chemins cognitifs et électrisants d’une forêt synaptique oppressante. Dans un aperçu extravagant des populations locales, examiner, câliner un neurone (stupéfiant à envisager dans un intellect typé homme tant les certitudes féminines logent cette gent organique plus, mais alors beaucoup plus au sud du nombril et de la banalité du mâle), dénuder les méandres mnémoniques et leurs gardiens bizarres ou fuir des monstres psychotropes spectaculaires. Aux tours et détours des circonvolutions encéphaliques, observer, tendre oreille et curiosité à une équipée de sommités émaillant l’Histoire, toutes flanquées du même zèle irrésistible pour exposer leurs découvertes, leurs savoirs dans des leçons précieuses. S’accommoder de quelque idiome barbare inévitable qui viendra écorcher le tympan, d’un concept ardu qui mettra plus de temps à se laisser embrasser. Rien d’irrémédiable. Et marcher, encore un peu. Jusqu’au croisement des raisonnements scientifique et philosophique, pour s’égarer dans le dualisme du qui-suis-je, aspirant à dénicher la cachette de l’âme dans le brouillard des illusions. Enfin, au bout du chemin, se voir récompensé, désaltéré à la dialectique subtile d’un épilogue rudement bien senti, à la poésie fulgurante de sa case ultime. Neurocomix se dégustera comme une bourlingue prométhéenne à travers l’esprit, capiteuse, démystifiante, transportée par la résonance d’un graphisme noir et blanc tout en courbes, amusant puis inquiétant, parfois grotesque et dont la légère disproportion dans les caboches ou le vide de certains regards souligne la perspective hallucinée de l'exposé. Un jeu de mollets pour cerveau lent, burlesque et incroyablement instructif, un « brain » trop linéaire, qui mériterait davantage de ce flegme barré « mad » in England prompt à générer les meilleures endorphines. Mais je me montre difficile... Vous rependrez bien un peu de cervelle ?
Kililana Song
Si l’Afrique m’était racontée… Comme une invitation au songe. Comme un époustouflant voyage des sens. Au pouls d’un chant noir, qui, dès les premières figurations, me ferait basculer, entrevoir les traditions colorées de l’oralité, pittoresque. En hardi citoyen du monde, me laisser happer, porté par le vent revigorant de la mutinerie dans la galopade d’un gamin de Lamu, puis poussé, chahuté, échevelé par les brises irrésistibles d’un conte moderne où chaque rafale, charriant les mots, les personnages nombreux, les images, nourrirait le tourbillon d’une force narrative qui emporte tout sur son passage, parfois jusqu’à me couper le souffle… Quelque sagesse swahilie promettrait : ce n’est pas la main, mais le cœur qui donne. Benjamin Flao ne lui ment pas. C’est bien une touche d’âme qui affleure dans chacune de ses aquarelles étourdissantes. Tant de présents pour les yeux, nés au bout de doigts exécutant le vibrato saisissant du vivant. Une humanité sans doute ramenée dans son sac à dos. Éloquente, radotante, elle hurle à pleins pinceaux des figures étrangères dont je reconnais, ici, une moue familière, là, un sourire ou une rogne fluente de sincérité. De la vie, authentique, universelle, restituée dans le mouvement et la chaleur de ses scènes, entre vadrouille et spiritualité, célébrée par les effusions opalescentes d’un chromatisme impétueux où le chaud embrasse le froid, où le fantasme embrase le réel. Malgré mon ardeur pour les tenir en respect, quelques jurons intérieurs s’échapperont au hasard d’une case, au détour d’une peinture plus passionnée. Exclamations arrachées par les évidences de cet esthétisme intense qui joue avec mes entrailles. En tous sens. Depuis l’empathie fulgurante d’un baiser dérobé saupoudrant la tendresse ou le tableau, emprunté à l’obscurité, d’une étreinte charnelle fugace qui, en un croche-patte habile à cette volupté trop facile, bouscule l’émotion, puis me mue en voyeur involontaire, un peu gêné d’être ici. Dans le courroux pétulant d’un marinier au langage de charretier, convaincant, légitime à en serrer les poings pour m’inviter dans sa bigorne. Devant la beauté symbolique d’un arbre sacré ou l’expression de la puissance des éléments, au coeur d’échappées sous-marines envoûtantes, quand je me surprends à retenir ma respiration. Parmi des tapisseries superstitieuses, irréelles, où, vagabond ébahi, je touche la légende et ses icônes inquiétantes. Jusqu’aux quatre cents coups d’une bande de gosses malicieux et leurs appels du pied appuyés : spectateur, comparse, complice grisé, je prends mes jambes à mon cou pour rattraper la flamme de l’aventure… Hors champ, contre champ, contre-jour. Plan reculé ou angle intimiste. Oeil aérien. Perspectives imprudentes. Horizon éthéré et regard plus paisible : au fil des cabrioles je déambule, dans la mise en scène admirable, sur les mesures inspirantes d’une narration gigogne qui distribue les rôles à pleines mains, autour d’un héros irrésistible. Naïm bien sûr. Sauvageon libre, intenable dans le zèle à esquiver l’école coranique et ses coups de bâton pédagogiques. Les hasards de ses escapades croiseront la philosophie aux zestes de qat du vieux Nacuda, esgourderont les grossièretés routinières du trivial Günter, un capitaine margoulin affreusement mal léché, attirant curieusement la sympathie, et achèveront son apprentissage dans les visions désincarnées d’un chaman animiste ou celles, plus prosaïques, esquissées dans les formes, les charmes de demoiselles adorablement vénales. Un carnet de route serpentant entre appétits néo-colonialistes et ascensions djihadistes, une traversée initiatique à hauteur d’enfant qui se perd les crayons dans les tentacules d’un imaginaire magnifiquement halluciné. Le boudeur (scrogneugneu !) blâmera des tempéraments marqués, effleurant la caricature dans le verbiage ou le contexte, accablera une trame jugée dilettante. Ces chouias d’exubérance, dans la manière et la matière, je les suppose comme le remarquable écho à la singularité d’un continent qui abandonne dans la marge ses réalités les plus préoccupantes pour mieux réveiller, révéler toute sa magie. Au moins pour un instant. Mais quiconque osera le reproche aura affaire à moi ! … Immense.
Riche, pourquoi pas toi ?
Très chère Marion, C’est en groupie de la première heure, tout acquis à votre cause (vous permettez que je vous vouvoie ?), que je saisis la plume et mon indignation : mais qu’est-ce que c’est que ce binz !? Quelle est cette dernière lubie ? En ces temps allègres, dispensant les chaussettes où noyer notre moral au rythme des jours de pluie et des périodes de crise, oser titiller ce sacro-saint tabou français : l’argent ? Et plus précisément, dans un pseudo plaidoyer de l’opulence, s’autoriser une visite guidée des ghettos du gotha, humaniser les grands bourgeois ou s’amuser des enjeux et des rites de la gente épicière, légitimant le self-made-man, à coeur d’apprivoiser les loups de Wall Street. Allons, allons Marion ! Si je vous sais gré de votre talentueuse et bidonnante démystification de l’empire des sciences, si votre patronyme suppose des prédispositions aux réflexions abstraites et compliquées, l’économie, la sociologie, on laisse ça aux gens sérieux ! À moins que… Bien sûr, vous ne faites jamais rien comme tout le monde. Théoriser, terroriser par la bulle n’est pas votre rayon ! Loin du discours, vous préférez la méthode : illustrer par l’exemple, conjecturer par l’expérimentation en dénichant la bénédiction de sommités authentiques qui octroient le recul, la légitimité pour claquer les planches en autant de tubes à essai, réalistes, impayables, pertinentes et impertinentes. Deux sociologues reconnus donc, caricaturés en hilarants faire-valoir tendance monomaniaques et pendus aux basques empiriques d’un gugusse (Philippe pour les intimes) emprunté à la vie courante (et au rayon bd de la fnouc). Un petit tour de passe-passe pour influencer les voies hasardeuses du jeu ; vous faites plonger le héros dans un océan de fortune. Frais batelier sur les cours tumultueux de l’élite monétaire et découvreur explorant les finitudes de la richesse, apprenti corsaire initié aux joies décadentes du kidnappage de l’art puis aux traumatismes de la violence symbolique, armateur novice cultivant la disposition à spéculer sur le malheur ou sous-marinier hagard brutalement immergé dans les eaux sourdes d’un décorum auto protecteur, le culte de l’entre-soi… Le rêve dénaturé en cauchemar charrie un flot d’interrogations existentielles, essentielles pour notre néo rupin qui va apprendre ce qu’il en coûte. Un farfouillage de tous les champs du possible, préoccupant, néanmoins très drôle, délicieusement illustré et habile jusqu’à ne plus faire douter que les moins nantis ignorent assurément leur bonheur (les pauvres !) ; remise en question rafraîchissante de la méritocratie ponctuée de grincements de dents et d’une conclusion politiques qui laisseront trahir un engagement, une certaine orientation idéologique. Mais chut, Marion, je crois bien que l’on nous observe… L’exposé est séduisant. Et il n’est pas déraisonnable que l’on se questionne : alors riche, pourquoi pas moi ? Dans un élan hypocrite, je rétorquerais : pour ne pas risquer de devenir ce sombre connard qui méprisera le monde. Si j’aspire à plus d’honnêteté, les voies s’ouvrant à moi se révèlent peu viables : se découvrir un subit et tendre penchant pour l'aristocratie helvète la plus agée restant à fiancer, faire cavalièrement joujou avec son pilou pilou, juste le temps imposé pour se voir olographié sur testament, et, ipso facto valider l’usufruit en préméditant un accident de vieillesse définitif, assurément regrettable, mais pécuniairement lénifiant. Non. Inconcevable (… de vivre en Suisse j’entends). Ou, peut-être, à l’instar de sieur Philippe, tenter de décrocher la timbale au Loto, au Keno ou à l’Eurocouillon, enfin n’importe quel vendeur d’espoir folklorique à la mode présumant le bonheur dans votre sagacité à coller le nombre adéquat de petites croix dans de trop nombreuses cases. J’ai testé : les boules !… Il ne resterait plus alors qu’à m’extraire les appendices palmaires du fondement pour turbiner plus, accessoirement palper plus, et (mais c’est hors de question !), dans cette naïveté collégiale grotesque, m’abaisser ainsi à sucer la couleuvre d’un intérimaire du 55 Faubourg-Saint-Honoré (je dérape…). Bof… En définitive Marion, je m’en bats le découvert. Riche, je le suis tant. De fous rires, de la bonne humeur, du génie rare de clown pédagogue dont tu uses (finalement on se dit « tu » hein ?) pour me faire cogiter, me peindre en travers du visage cette drôle de grimace exhibant impudiquement mes plombages. Avant, pendant et après. Captivé par tes réflexions, régalé de mon nouveau kit « S.O.S. Socio pour les nuls » décapant, soudain contenté de ma classe sociale et prêt à tout avaler dans cette dure lutte (déjà je n’ai plus honte de prêter si sobrement l’esgourde aux tristesses de Chopin, en slip espadrilles, vautré comme un mollusque sur le canapé tout en me grattouillant mélodieusement les - tuuuuuut -, ou, lors des jours fêtards prodiguant le foie gras, à déployer cette noblesse, labélisée gros babouin, pour me bâfrer l'équivalent de trois plaques de marbre bourrées entre deux pitoyables tartines de pain rassis…). Serait-ce l’effet miraculeux de ton trait lâché, éloquent dans ses griffonnages mâtinés d’un je-m’en-foutisme si désopilant ?... Euh, sinon, tu as déjà pris des cours ? Je châtie gentiment (mais si ! Je le kiffe ton dessin !), car j’aime. Vraiment ! Du fond du cœur, des sens (du fond de la bourse aussi), je te remercie pour ces instants de plaisirs persistants. À jouer ainsi, virtuose, le pamphlet raisonnable, l’étude vulgarisée épargnée du vulgaire, distillée par la diablerie, l’ubiquité d’un humour ravageur, tu entres définitivement dans le panthéon de mes auteurs chéris. Et, par cette déclaration d’amour mal déguisée, pourrais-je me dédouaner de cette compulsion cafouilleuse à transcrire mon enthousiasme ? Pardonneras-tu les nombreuses bêtises d’un blabla claudiquant qui, je l’espère, ne fera pas sourire que moi ? (au cas où, je te joins une demande en épousailles et les copies de mes derniers bulletins de salaire…) Bises P.-S. Quand tu la croiseras, embrasse aussi la prof Moustache pour moi.
Malaises
Malaises ? De ce titre fédérateur, de ce leitmotiv affiché, collection d’illustrations qui voudrait encourager la mise en berne de nos enthousiasmes, des malaises que ce drôle de gusse aspire à me prêter, je n’en ai éprouvé qu’un : celui, à regret, de n’avoir rien ressenti, d’être passé à côté. En marge des dithyrambes d’un Mac Orlan, Blutch ou De Crecy, je me suis surpris transparent, froid. Ou simplement trop con. Alors, avant de faire le deuil prématuré de mon moteur intellectuel et affectif, chercher une dernière fois à comprendre : pourquoi la plupart de ces figurations a eu tant maille à partir avec le parti-pris arbitraire de ma sensibilité ? Pourquoi, bien que prenant soin de choisir le plus chagrin des jours pluvieux pour mes lectures, fut-il si compliqué d’amorcer la machine à coller le bourdon ? Il se dégage pourtant une telle évidence de tristesse, un pessimisme verveux dans l’indéniable talent graphique inondant ces crayonnés raffinés, tout en courbes hésitantes nourries à l’atrabile et au charbon. Mais rien à faire. Si le plaisir des mirettes enhardit ma ferveur, je me refuse à jouer le faux-cul accompli en singeant l’émerveillement. La beauté ne fait pas tout. La majorité de ces scènes, des morceaux de vie figés, captés en autant de moments suspendus, libèrent une authenticité dont la vérité émotionnelle souffre malgré tout d’un irrémédiable décalage temporel. Des respirations appartenant à une autre époque, semblant surgir d’un autre monde qui ne cadre plus avec les préoccupations, avec les réalités du nôtre. L'éloquence du regard, la force, la finesse sont intimement liées à une forme de vécu et chaque peinture se dénuderait certainement sans pudeur pour des yeux initiés aux mœurs, aux temps de sa genèse. Je n’y ai vu qu’un (terrible) charme d’avant-guerre, désuet, une mélancolie de vernis, intrinsèquement, essentiellement liée au trait, où le sentiment affleure dans de rares représentations ; les plus intemporelles. Ici, sur le bureau immense d’un milliardaire dont le vide effroyable semble faire écho à celui de sa vie. Peut-être là, dans la visite d’un appartement annonçant les déchirures d’un départ, d’un recommencement. Ou encore là, au petit matin quand la vision de ce couple au réveil trahit une séparation proche. Cependant le cafard n’est jamais immédiat, mais supposé, pire : réfléchi. Là où chacun de ces arrêts sur le temps, sur ces images du quotidien, communes, voire dérisoires, devrait frapper d’évidence, impulser une hésitation où explose la conscience soudaine de la fragilité de notre existence, de sa futilité, il m’aura fallu chercher, arracher une issue émotionnelle, souvent forcée et artificielle dont je ne suis pas certain que monsieur Bofa la désirât si hermétique. Dans ces conditions, difficile de revêtir la panoplie de victime, de s’approprier la constante de l’oeuvre, ce vague à l’âme tant convoité, mais péniblement taquiné, éphémère, et, en fin de compte totalement illusoire.
Macadam Valley
Peur du noir ? Frigorifié par les préceptes moraux du comique et son éthos sévère du comment et de qui se moque-t-on ? Non ? Tant mieux ! Car l’humour de potence n’a pas de tabou. Et il m’est pénible de concevoir une culture BD équilibrée et sage spoliée de sa poésie ébène. Amputée des plaisirs masochistes, incontournables, d’un libre arbitre tiraillé entre la spontanéité du rire et le flegme de la décence. Haro donc ! Décrassons nos inhibitions ! Fustiger la stupidité, conjurer les angoisses en nous gloussant de la réalité (pour ne pas en pleurer ?) ! Si le panorama de cette politesse du désespoir (joliment baptisé par Achille Chavée) ne nous autorisait qu’une œillade orpheline, adoptons les sentiers imagés de Macadam Valley. Alors bienvenue ! Dès les premiers pas, d’aucuns relèveront une filiation singulière. Du format italien aux tonalités gémellaires de la couverture, depuis la construction narrative jusqu’en toile de fond, voire un clin d’œil ironique dans le titre, l’album transpire l’aura du sensationnel « Ice Haven ». Hommage décalé ou hasard croustillant ? Passons. Les chemins divergent là où Clowes acère son pamphlet social en exhibant la banalité du quotidien alors que Dessy emprunte les voies de la loufoquerie acide. En effet – revenons à notre bourgade avenante –, la bande à Ben, avec ses bouilles à croquer et ses éraflures à la tirelire, trimballe son déphasage existentiel aux quatre coins de la vie de tous les jours. Et c’est Monsieur le Maire qui régale ! Castagnant les conventions du savoir-vivre à coups de strips ravageurs, boxant les convenances avec un cynisme hilarant, rimant irrévérence avec intelligence dans l’acuité de la figuration. Crédulité, effronterie, surprise, fatalité, inquiétude (même les ustensiles jouent du sentiment) ; l’attirail de la bonhommie est prodigue et chaque nouvelle expression, chacune des mues émotionnelles confond par son éloquence unique. Affinant les perceptions, épurant les images, la ligne sobre, minutieuse, émancipe les ultimes idées encore dissimulées. Les saynètes achèveront de se dénuder aux outils de la dérision : mots valises librement réinterprétés, symbole ou propos empoigné au pied de la lettre, croche-pieds graphiques et parodie salée… Soumis par le talent, aiguisés de subtilité, ils façonnent le détachement glacé de chutes à plusieurs temps. Absurdes ou choquantes. Jubilatoires, mais sans mépris. Je voue une reconnaissance affectueuse à l’auteur pour tous ces courts tableaux salutaires qui continuent d’habiter ma mémoire, longtemps après les avoir lus. Je ne résiste pas à l’envie de vous livrer l’un de mes favoris (Strip 51 du blog ; il n’est pas dans le bouquin, mais on s’en fout). Un petit garçon en chemise de nuit se tient immobile sur le pas de la porte. Une moustache « brosse à dents » tristement célèbre orne sa lèvre supérieure et une longue mèche balaye son front. Visiblement, le gamin sort d’un sommeil agité et il observe son père lisant le journal dans son fauteuil. Le papa : « - retourne te coucher Adolf… Ça n’existe pas les monstres » *Terrassé par le triple effet kill cool : se figurer un des pires criminels de l’humanité en mouflet inoffensif / s’interroger sur ce qui pouvait bien lui coller les miquettes (qui hantait ses cauchemars ?) / LA réplique laconique assenant le coup de grâce Prêt à succomber ? Que Belzébuth vous patafiole si vous n’y trouvez pas le bonheur ! Apostille : c’est avec une mauvaise foi occasionnelle que je conseille l’achat. Il serait déloyal de soutenir l’urgence impérative à acquérir l’objet. Il y a beaucoup moins de matière dans le bouquin que sur le blog (y’a un blog, je ne vous l’avais pas dit ?), et l’on peut, avec la même injustice, reprocher la brièveté d’une lecture réclamant moins de temps qu’il n’en faudra pour parcourir cette
assommanteexceptionnelle chronique. Pour ma part, je privilégie le support papier et, par dessus tout, il faut encourager l’auteur…Gung Ho
Decorum : fin de civilisation. Un poste avancé, village grossièrement fortifié, cerné de tours de surveillance. Clairsemés, boiteux, des poteaux télégraphiques survivants disputent l’horizon aux bâtiments abandonnés, aux ponts et routes désaffectés crachant leurs rares carcasses de véhicules dévorées par la végétation. En mode grand spectacle, le trait livre des pastorales ciselées, aguichantes, esquissant le portrait d’un territoire fantôme reconquis par la nature. La couleur déploie sa vague chlorophyllienne, noie une mosaïque de vestiges évocateurs, festivités eschatologiques consommées d’un nouveau mojo postapocalyptique, obsédant, irrésistiblement invitatif : ça y est, vous y êtes ! Soudain le chant d’une sirène hurlant le danger exhorte à roder votre art de la fugue ; sans hésitation, courez ! Car ici, depuis longtemps, Sapiens a troqué son leadership contre une place de met de choix au buffet garni de la chaîne alimentaire. Et, quand le maillon du dessus est de sortie, il ne fait pas bon traîner ses guêtres en pleine zone de menace… Déjà une décennie que le péril a surgi du froid. Que la « peste blanche » échappée de Sibérie a frappé, décimé. Homme après homme, ville après ville. Quand l’ouverture nous livre ses premières cases : les frangins Goodwoody, orphelins aux pédigrées encombrés, déboulent à « Fort Apache », une des colonies reliques de l’humanité déclinante. La dernière chance pour ces deux brebis galeuses… Parlons franc ! D’emblée, le scénario libère une impression familière, la mémoire de chemins déjà empruntés où l’appréhension guette un ennui mortifère. Sauf ! En étirant avec talent la cordelette du temps, dénudant son univers par brides, installant pas à pas ses personnages dans un climat souvent insoucieux, Benjamin Von Eckartsberg instille la curiosité puis une appropriation bientôt évidente. La mise en bouche accrocheuse, suffisamment pour se laisser chatouiller par ses relatives imperfections, séduit tout à fait dans un récit qui resserre ses desseins autour des spécimens de l’espèce adolescence. Augurant des karmas marqués du filigrane William Golding, arborant les promesses d’une anticipation intimiste, plus proche de l’humain, l’histoire ébauche les contours d’un changement de statut espéré dont l’œuvre dissémine les premières pousses dans son incroyable esthétisme. Les mains du dessinateur – en l’occurrence de l’illustrateur - façonnent des planches à la beauté asphyxiante. Parenthèse : sans m’exhiber Ayatolah du dessin dans ton gros nez labellisé « bd à papa », je confesse un goût certain du classicisme crayons-feuille blanche et quelques réactions épidermiques voire d'imbéciles préjugés quand l'infographie courtise le neuvième art. Alors heureux que moi ! Car j’ai rencontré un gourou… et je mourrai moins idiot (euphémisme). Prince du mulot, thaumaturge de la tablette graphique, alchimiste du stylet, ou qu'ajouterais-je encore : les compositions de Thomas Von Kummant sont simplement éblouissantes. Chaque case suggère une profondeur démentielle, libérant son lecteur abasourdi dans des cadrages virtuoses, dans la sophistication, la générosité du détail et une lumière exceptionnelle de maîtrise. Où la scénographie définitivement périlleuse devrait se parer d’ombre ou de désespoir, elle puise régulièrement ses couleurs à l'insouciance inhérente aux caractères des jeunes personnages, dans leur inspiration à vivre intensément. Esquivant un rendu graphique au style parfaitement réaliste, chacun des visages parvient néanmoins à insuffler un degré d’émotion, d’existence prêtant la respiration au papier. Les tempéraments archétypes, les remarques, les comportements banals ou les situations moins attendues en résonnent plus vrais. L’immersion est totale, le pouvoir d’attraction irrémédiable. Chronique d’un carton annoncé ? Gung Ho ! Osons le pari !
Albin et Zélie
Yannick Marchat serait-il un apprenti cupidon fou ? Décochant ses traits fulgurants et totalement hallucinés au hasard des planches, au hasard des gens, au danger d’atteindre et de rapprocher les opposés les plus improbables : Touché Albin ! Ce garçon imposant, trentenaire rondouillard, timide et solitaire, emplit son existence entre les diverses occupations routinières et son copain de bocal, Jacques Yves. Un étrange poisson rouge, complice de toujours, lui accordant, bon gré mal gré, une ouïe attentionnée quotidienne. Il n’est pas tout à fait malheureux Albin. Pas vraiment heureux non plus. Et derrière la lassitude des habitudes, nait le désir de transcender sa vie… Touchée Zélie ! Jolie jeune fille pleine d’énergie, caractérielle rieuse et primesautière, elle croque le présent à pleines dents et n’a pas la langue dans sa poche. Célibataire déçue des hommes, elle ne veut plus prendre le risque d’aimer. Bien que peu encline à en recevoir les égards, elle se découvrira un faible pour le « gros nounours »… Deux personnalités attendrissantes. Deux destins qui vont se heurter, se mêler, et basculer dans une autre dimension stupéfiante, invraisemblable. Si les premières pages dessinent les esquisses d’un coup de foudre archétype, découvrent les prémisses d’une histoire d’amour à la limite du cliché, mais tellement évidente qu’elle donne pourtant l’envie d’y croire, la magie resserre son étreinte lorsque Cupidon déploie les grands moyens. Une scénographie singulière, fantaisiste, camée à un irréel galactique convoquant extra-terrestres et vastes espaces inconnus. Intriguant merveilleux où le réflexe premier force à dénicher de supposées métaphores malicieuses, avant de succomber à la romance et son invitation au lâcher-prise. Goûter simplement la poésie immanente. Poésie d’aujourd'hui. Tendre. Tamisée ou pétillante. Habile et détachée. Elle laisse évoluer les personnages dans un noir et blanc changeant, délicat, parfois violent ou flou, aussi ambigu que les sentiments de ses acteurs. L’imagination visuelle babillarde d’une sphère irrationnelle dont le retour sur Terre achèvera d’exposer les non-dits, effleurera des émotions indicibles, révélant l’essence des choses et des êtres. À la fermeture de l’album persiste cette agréable sensation, comme un sourire épinglé au coin du cœur.
Le Magasin des Suicides
Tout comme je n’aime pas la mayonnaise allégée, le fromage sans matière grasse, tout comme je déteste la bière sans alcool, le beurre qui t’épargne du cholestérol ou les bombecs qui filent pas de carie, j’ai tendance à avaler de travers un humour gris clair certifié sans agent corrosif quand on m’appâte à la gourmandise glauque option burlesque. Avec son idée de départ originale et son titre à grincer des dents, « Le magasin des suicides » éveillait les promesses d’impertinence cynique entre tragique et grotesque. Pensez donc ! Une famille faisant bizness de la mort, dans une société dystopique où pullulent les dépressifs chroniques. Des candidats à l’autodézingage, impatients de se libérer de leurs noeuds gordiens existentiels, les passant au fil du rasoir, à la lame du seppuku ou se glissant de plus coulants autour du kiki. La garantie d’un potentiel client inépuisable pour qui vend les accessoires adéquats. Mais quel malheur quand déboule le dernier né, un bambin joyeux qui risque de foutre la pagaille, et accessoirement propager le bonheur, dans un magasin réputé où le respect et la fidélité du client imposent grisaille, mal-être et morosité permanents. Alléchant menu ! Mais au moment de l’addition, un constat : choisis ta recette camarade ! Il y avait matière à beaucoup mieux et moultes approches imaginables : verser franchement dans l’absurdus delirium estampillé Monty Python, le funeste gothico-drôlatique d’un Adams family, adopter l’esthétisme et la poésie morbides façon Burton ou encore emprunter le chemin d’idées noires sulfurées à la mode Frankin. Un saupoudré édulcoré de tout ça ne pouvait que composer les arpèges boiteux d’un requiem cocasse manqué. Des personnages désespérément lisses (mais caractérisez moi ces gus, bordel !) dans un fond laissant la part belle à un blabla creux pour justifier que machin est anorexique, que truc est mal dans sa peau ou bidule a la joie de vivre (regardez, z’ai fait de zolis dessins colorés !), mais également dans la forme où le trait radin dépouille les expressions, abandonnant les personnalités à trois coups de pinceau aux codes chromatiques sacrément "originaux" (gris, brun =
– couleurs flamboyantes =
). Un sel absent dans le contraste négligé et facile de protagonistes décidément fadasses auquel s’ajoute l’impression d’être pris pour une quiche tant on est constamment abreuvé d’explicatifs, alors qu’une modeste allusion par-ci, un regard réussi, un silence par là seraient plus convaincants
Le raté serait sans appel si quelques parlottes béhavioristes, gadgets et autres méthodes sur l’autozigouillage extorquant un ou deux déridages des commissures de lèvres, une mise en cases bougrement inspirée (point fort incontestable), ce dessin sobre, agréable, nonobstant son cruel manque d’expressivité, et la fin bien sentie ne sauvegardaient le reste des meubles dans cette bande dessinée qui faillit ressembler à un simple catalogue, un empilement d’idées (faussement ?) pittoresques, énumérant, à trop grand renfort de conjectures, les cent et une façons de passer l’arme à gauche.
Désabusé et même pas mort… de rire.
Ce sera deux Prozac pour moi !