L'Art de voler (El Arte de Volar)
Préférant mourir debout plutôt qu’à genoux, le 4 mai 2001, le père d’Antonio Altarriba, âgé de 90 ans, saute du quatrième étage de sa maison de retraite. Il peut ainsi voler librement…
Anarchiste ! Auteurs espagnols Biographies Espagne La Guerre civile espagnole
Ce livre est né d'un fait réel : le suicide d'un homme de 90 ans qui s'élance du quatrième étage de sa maison de retraite pour voler enfin librement. Dernier fils d'une famille rurale, le père d'Antonio Altarriba naît en Aragon à l'orée du XXe siècle. Son idée fixe est de quitter son village pour les lumières de la ville. Il rallie les cohortes d'Espagnols sans pain ni toit, exploités, exposés à toutes les rigueurs du temps : chute de la monarchie, Seconde République, guerre civile, dictature de Franco, exode, Deuxième Guerre mondiale, retour et exil intérieur... À travers les tribulations extraordinaires de cet homme ordinaire, Altarriba et Kim donnent une dimension universelle à la trajectoire d'une particule élémentaire qui ne renonce jamais jusqu'à l'heure ultime à voler sur les ailes de la justice et de la liberté. [Texte Denoël]
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Date de parution | 10 Mars 2011 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
J’ai vraiment bien aimé cet album, dans lequel l’auteur dresse en fait la biographie de son père – et plus généralement d’une génération de militants sacrifiés. Le sujet et la narration m’ont plu. L’enfance difficile dans la cambrousse autour de Saragosse, l’engagement anarchiste durant la guerre d’Espagne, l’exil en France (incarcération, résistance), puis une longue suite de désillusions, sur les idéaux bafoués, et à propos des êtres croisés (femmes, compagnons de lutte, famille, etc.). C’est aussi, on le comprend à la fin, lorsque l’auteur dans une postface présente son travail et ses interrogations, une façon pour lui de faire le deuil de son père (qui s’est suicidé), et de rendre hommage à ceux qui n’ont pas démérité de leurs idéaux, même si la vie ne leur a pas fait de cadeaux (en ce sens la mesquinerie, pour ne pas dire pire de la maison de retraite après la mort de son père est hallucinante – comme quoi Orpéa n’a rien inventé !). Il n’y a rien de brillant ni d’extraordinaire dans la personnalité du héros, mais il s’en dégage quand même une force qui ne peut laisser indifférent. Une chouette lecture en tout cas.
Comme l’auteur le raconte en postface, cette bande dessinée est née de sa colère, qui est arrivée après une longue période de dépression induite par la culpabilité d’avoir « abandonné » son père dans une maison de retraite, de n’avoir pas été suffisamment à ses côtés au crépuscule de sa vie. Et cette colère, c’est la même que celle qui avait habité son ascendant tout au long de sa vie, une colère contre les exploiteurs et les profiteurs, contre l’administration qui est allée jusqu’à réclamer au fils les arriérés de son père lorsqu’il mourut, des arriérés si insignifiants (34 euros !) qu’ils s’apparentaient à une insulte vis-à-vis de celui qui avait consacré sa vie à la lutte contre les oppresseurs, une broutille qui entraînera l’auteur dans un enfer administratif ubuesque et humiliant. Avec une telle accumulation de rage et de souffrance, il fallait trouver un exutoire. C’est ainsi qu’Antonio Altarriba « junior » a tenté de transformer sa colère et sa culpabilité en récit épique racontant la vie de son paternel qui décida de quitter la Terre en « volant »… Sans conteste, « L’Art de voler » est une fresque romanesque ambitieuse. Le père d’Antonio s’y voit littéralement transformé en héros de cinéma dans une Espagne où la vie, au cours du XXe siècle, fut rarement un long fleuve tranquille (en particulier depuis l’avènement de la République en 1931 jusqu’à la dictature franquiste en 1939), un pays où il fallait baisser la tête pour ne pas s’exposer aux représailles d’un pouvoir inique qui avait placé la vie démocratique sous cloche. La narration reste très linéaire, avec un découpage chronologique qui rend la lecture fluide, sans digressions inutiles. Sans doute peut-être par un désir compréhensible de rester en retrait par rapport à ce géniteur érigé au statut d’icône, lui-même narrateur de sa propre histoire. Ses déchirures et ses questionnements, le fils ne les exposera que dans la postface, de façon très touchante, en concluant sur une note lumineuse, extrêmement libératrice. S’accommodant fort bien du noir et blanc, le dessin semi-réaliste de Kim reste plutôt agréable à l’œil et révèle un certain souci du détail, évoquant peu ou prou Joe Sacco. À ce titre, on pourra regretter que l’éditeur ait choisi ce format réduit (155 x 230 mm), qui ne met pas suffisamment en valeur le travail du dessinateur. Même si on ne retrouve pas l’audace d’un Maus, « L’Art de voler » s’inscrit dans le même registre : l’évocation par un fils d’une page importante et douloureuse de l’Histoire à travers son paternel. Mais à la différence d’Art Spiegelman qui se refusait à faire du sien une icône en montrant ses facettes les moins glorieuses, malgré la souffrance endurée, Antonio Altarriba fait preuve d’un profond respect. Pourtant, l’auteur ne s’interdit rien, notamment lorsqu’il montre « papa » en séducteur libertin, préférant la compagnie des prostituées — scènes explicites à l’appui —, jusqu’à ce qu’il soit pris au piège d’une relation durable et toxique, où nous sera révélé son côté sombre. Somme toute, l’homme s’est révélé être un juste parmi les justes, conservant toujours une certaine droiture, et le fils exprime ici beaucoup d'empathie à l’endroit de celui qui l’a vu grandir. Nul doute qu’un tel ouvrage ait permis à l’auteur de faire son deuil et de laisser son père, ce héros, s’envoler en aller-simple vers des contrées lointaines. Et au risque de faire dans la redondance, il est indéniable que « L’Art de voler » s'impose comme l’équivalent espagnol de Maus.
J'ai mis pas moins d'une semaine avant de venir à bout de cet ouvrage qui commence joyeusement par le suicide d'un vieil homme de 90 ans qui se jette du 4ème étage de sa maison de retraite. Il faut dire qu'il n'était pas réellement libre dans cette institution qui le privait de toutes ses petites joies. On va dès lors remonter le temps et vivre dans l'Espagne de l'avant-guerre. La vie de cet homme qui naquit dans le milieu paysan ne fut pas très facile de bout en bout. C'est un peu comme une histoire d'homme ordinaire qui en a vu passer. Certes, il y a eu la guerre d'Espagne, puis les camps en France, la désillusion à la fin du conflit. Sur la forme, je n'ai pas aimé le format trop petit et les cases surchargées de textes et de dialogues ce qui ralentit fortement le rythme de la lecture. Sur le fond, c'est un témoignage plutôt poignant d'un homme qui a eu une vie bousculé par les sombres périodes du siècle dernier notamment pour l'Espagne sous Franco. Dense et intense à la fois.
L'Art de voler est l'intéressante biographie complète du père de l'auteur, un espagnol ayant vécu quasiment du début à la fin du 20e siècle. Par son biais, cela nous permet de découvrir toute l'Histoire de l'Espagne et des espagnols des années 20 à nos jours. Cela va de ses origines paysannes modestes dans un contexte familial difficile à sa découverte de Saragosse, son engagement anarchiste, la guerre civile espagnole, l'exil en France durant la seconde guerre mondiale, le retour dans une Espagne sous le règne de Franco puis le reste de sa vie familiale compliquée et sa vieillesse en maison de retraite. Beaucoup de thèmes sont traités, beaucoup d'informations sont transmises. Et toujours demeure la question d'un homme qui ne s'est jamais senti nulle part à sa place et qui n'avait aucune autre crainte que de trahir ses engagements moraux et son désir de liberté. Tout cela est intéressant et plutôt agréablement mis en image, mais ce n'est pas captivant pour autant. La quantité de matière incluse dans ce long récit est telle qu'on s'y perd un peu dans les thématiques et qu'inversement, beaucoup de passages sont abordés parfois superficiellement. Cela a un côté un petit peu indigeste. Suivre le parcours complet de cet homme permet de mieux le comprendre et notamment de comprendre comment il en est venu à mettre fin à ses jours, évènement qui sert d'introduction à l'album, mais il ne l'a pas rendu tellement plus attachant pour autant à mes yeux. J'ai été intéressé mais pas vraiment touché par ce récit dont je suis resté plus ou moins distant jusqu'à la fin. Ce fut une lecture instructive et dense, mais elle a manqué d'émotion à mon goût.
Très très belle surprise avec cette bd qui nous vient d'Espagne. C'est ni plus ni moins à toute l'Histoire du XXeme siècle que nous convie Antonio Altarriba, au travers de la vie de son père, qui a toujours voulu être libre. Mais hélas, la révolution franquiste est passée par la, et Antonio a du fuir la dictature. Plus tard il passera par la France, envahie par les Nazis, avant de pouvoir rentrer dans son pays, et de rentrer dans le rang. Loin de nous livrer une fresque grandiose, cet album se présente comme un récit intimiste, celui d'un homme ordinaire mais pétri d'idéaux de liberté et d'honnêteté, même s'il ne cache pas ses menus écarts... Un récit très profond donc, et empli de symbolisme avec en particulier des séquences oniriques. Je suis un peu plus réservé au sujet du graphisme de Kim. Dans un style semi-réaliste, constamment tenté par la caricature, on ne le sent pas forcément à l'aise. De plus je trouvais que ça manquait de maîtrise au niveau des personnages ; Antonio change pas mal d'une case à l'autre... Malgré cette petite réserve, il ne faut pas minimiser la qualité de ce roman graphique, qui nous invite à vivre 90 ans de l'histoire espagnole à la place d'un homme ordinaire ; et ce genre de récit est précieux.
C'est sur les conseils de mon libraire que je me suis laissé convaincre et attelé à la lecture de cette BD. Pourtant, à la base, rien qui ne m'inspire plus que ça : un pavé petit format de 200 pages en noir & blanc, usant d'un graphisme semi réaliste, le tout de facture très classique. Pour couronner le tout, il s'agit d'un récit retraçant les grandes lignes de l'histoire de l'Espagne au siècle dernier, par le petit bout de la lorgnette...et moi et les BD historiques, c'est pas trop ça... Mais c'est ce "petit bout de la lorgnette" qui va finalement faire la différence. Car Antonio Altarriba a le sens du récit. Et celui qu'il construit pour nous narrer la vie de son père à la première personne, est vraiment bien foutu. Entre les anecdotes et les Événements, on (re)découvre la tragédie que ce pays a vécue il y a de cela une génération. Ou comment des utopies, des rêves de révolutions vont laisser une population humiliée et pleine de désillusions. Pour survivre, il faut parfois savoir s'asseoir sur ses idéaux, même si ça fait mal au "luc". Et c'est là, à mon avis, la force de cet ouvrage. Si la vie du père d'Antonio Altarriba fût difficile et empreinte de désespoir, jamais il ne se résigna. Même sa mort fût un choix. Un suicide, certes, mais un geste d'homme libre. C'est donc un récit dense, riche et profond que structure Altarriba, et qui nous fait un peu oublier la banalité du trait de Kim ; ce genre de dessin n'est pas franchement ce qui m'attire le plus en BD. Mais il sert parfaitement l'épopée historique de cet homme, et son jeu sur l'expression des personnages et les quelques scènes oniriques qui parsèment ces pages, donnent un peu d'élan et de stimuli à cet aspect faussement rigide. Une BD qui demande un engagement certain pour rentrer dedans, mais qui en vaut largement la peine. J'ai longtemps hésité entre trois et quatre pour noter cette BD ; c'est en concluant cette critique que je me rends compte que c'est un bien mérité que j'attribue.
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