Cet été-là (This One Summer)

Note: 3.44/5
(3.44/5 pour 9 avis)

Will Eisner Award 2015 : Best Graphic Album: New Qui a oublié cet été où tout bascule, où le monde adulte, avec ses libertés et ses difficultés, semble s’ouvrir pour de bon ? C’est ce passage vers l’adolescence qu’explore tout en finesse ce beau roman graphique.


Adolescence Canada First Second La BD au féminin Une histoire de famille Vacances à la plage Will Eisner Awards

Rose et Windy se connaissent depuis l’enfance. Elles se retrouvent chaque été au lac Awago où leurs familles louent des cottages. Cet été là, elles ont 13 ans et 11 ans et demi, passent leurs journées à se baigner, à faire des barbecues en famille et regardent des films d’horreur en cachette. Mais surtout, elles partagent les mille questions de l’entrée dans l’adolescence. Une étroite différence d’âge, suffisante à cette étape charnière pour que leurs préoccupations diffèrent : tandis que Windy aime encore jouer, Rose suit avec beaucoup d’intérêt les démêlés d’un groupe d’adolescents plus âgés...

Scénario
Dessin
Traduction
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 14 Mai 2014
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Cet été-là © Rue de Sèvres 2014
Les notes
Note: 3.44/5
(3.44/5 pour 9 avis)
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26/05/2014 | bab
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Présence

Si proche et si loin du monde des adultes - Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre. Il est paru d'un seul tenant, sans prépublication, édité par First Second Books, en 2014. Cette histoire est l'œuvre de Mariko Tamaki (scénariste) et Jillian Tamaki (dessins). Il s'agit d'un récit de 317 pages, d'un format plus petit qu'un comics, en bleu foncé (en lieu et place du noir) et blanc, avec des tonalités violettes. Tous les étés, Rose va à Awako Beach, avec ses parent Alice & Evan. Ils louent un chalet d'où l'on peut se rendre à la plage à pied. Rose y retrouve tous les étés Windy de 18 mois sa cadette. Cet été ne déroge pas à la règle. Rose prend plaisir à retrouver sa chambre et se laisser tomber sur le lit. Avec l'autorisation de sa mère, elle prend son vélo pour se rendre au bungalow de Windy où elle salue sa mère Evelyn. Les 2 copines se rendent ensuite à la plage en papotant de la communauté lesbienne où Windy a passé quelques jours avec sa mère, de l'absence de petit copain pour Rose. Puis elles vont acheter des sucreries à la supérette du coin, tenue par un grand adolescent ou un jeune adulte appelé Dunc. Le séjour se déroule au rythme indolent des vacances : se lever tard et rester au lit pour lire, regarder son père préparer le barbecue, aller à la plage, papoter de tout et de rien avec Windy, de la future taille de leurs seins, retourner acheter des trucs à la supérette, y louer des DVD, essentiellement des films d'horreur, regarder Massacre à la tronçonneuse (1974) chez Windy le soir, pendant que sa mère n'est pas là, etc. Mais Rose est une jeune adolescente sensible aux émotions autour d'elle, et curieuse de la conversation des autres. Sans aller jusqu'à espionner, elle entend des bribes de ci de là. Elle ressent le vague à l'âme de sa mère et la frustration que cela engendre chez son père. Avec Windy, elle se moque des jeunes adultes qui se rassemblent pour glander autour de la supérette, tout en comprenant à demi-mots que l'une des jeunes femmes craint d'être tombée enceinte. L'éditeur First Second ne publie pas beaucoup de romans graphiques, mais ils sortent tous de l'ordinaire : Red Handed: The fine art of strange crimes de Matt Kindt, The sculptor de Scott McCloud, The fate of the artist d'Eddie Campbell… Le lecteur sait déjà qu'il aura affaire avec un récit qui sort de l'ordinaire de la production. Ensuite il est réalisé par 2 femmes qui sont cousines, ce qui tranche avec la production industrielle des comics, essentiellement masculine. Enfin il a pour thème une tranche de vie, du point de vue d'une jeune adolescente pendant une période de vacances. Dès les premières pages, le lecteur ressent une empathie pour Rose, jeune fille sympathique, curieuse, normale sans agressivité ou traumatisme particulier. Il apprécie également l'ambiance graphique, très prosaïque, sans affèterie. La première page est déconcertante puisqu'il n'y a que quelques onomatopées, et quelques vagues tâches. La suivante fait tout de suite penser à un manga, une approche graphique de type seinen, avec une pointe de shojo. Effectivement, en page 6, Rose est en train de lire un shojo pendant le trajet en voiture. Contrairement à la plupart des dessinateurs américains, Jillian Tamaki n'applique pas à la lettre les conventions de surface des mangas, mais s'inspire de l'esprit. Elle n'hésite pas à insérer des pages silencieuses, ou à accorder de l'espace sur la page à des petits riens. Elle peut consacrer une double page à Windy en train de danser, une autre aux nuages étirés dans le ciel, une autre au plein soleil. Elle peut aussi consacrer une case à des petits cailloux, une autre à un seau avec des flacons de shampoing flottant sur la mer, une autre à une radio éteinte, etc. Cela s'inspire directement des mangas où les auteurs peuvent s'attarder sur un objet sur lequel se fixe le regard d'un personnage, ou transmettre la sensation qu'il éprouve en entendant le ressac de la mère. Jillian Tamaki utilise ces outils narratifs graphiques à bon escient sans en abuser. À travers eux, le lecteur ressent le rythme plus calme des vacances, où il est possible de prendre le temps, de se laisser surprendre par l'environnement, son calme et ses caractéristiques. Elle n'en abuse pas car ses moments sont intégrés au récit, et ne deviennent pas un automatisme. Les personnages représentés par l'artiste sont banals et communs, sans être fades. Rose est une jeune adolescente, après une poussée de croissance, assez élancée. Windy est plus dodue, pas encore complètement sortie de l'enfance, et effectivement, avec un petit faible pour les sucreries. La mère de Rose est maigre, son père est bien découplé. La grand-mère de Windy vaut le détour pour sa façon d'être sans gêne et gentiment exigeante. Les jeunes adultes autour de la supérette respirent le plaisir de vivre et un cynisme de façade pour tenter de faire avec les réalités de la vie. Sans chichi ni esbroufe, les cases contiennent de nombreux détails qui font exister cet endroit : les aménagements des chambres et des pièces à vivre, la construction bon marché de la supérette, le désordre dans la chambre de Rose, à l'arrière de la supérette, les canapés un peu effondrés mais très confortables pour se vautrer dessus, les bois alentours et la plage. Les dessins de Jillian Tamaki contiennent un niveau d'informations visuelles important, avec un trait un peu délié, transcrivant une partie de l'indolence propre aux vacances. Le lecteur se laisse porter par cette tranche de vie sympathique, agréable comme des jours passés à prendre son temps, sans rien d'important à faire, dans un environnement agréable et paisible. Bien sûr, il s'interroge sur ce que les cousines veulent lui raconter mais rien que cette reconstitution habile d'un été tranquille lui apporte une forme de détente et de nostalgie dépourvue de regret, de ces moments si particuliers. Les copines papotent entre elles, et Rose ressent, plus qu'elle n'analyse, le comportement des adultes. Au travers de la narration, le lecteur ressent bien cette dichotomie, entre les temps passés avec Windy à son rythme en fonction de l'inspiration du moment, et ceux où Rose est amenée à côtoyer des adultes. Il accompagne bien volontiers Rose et Windy dans leur déambulation sur la plage, leurs jeux pour passer le temps, leurs interrogations sur leur corps de femme en devenir, leur regard curieux sur ces étranges adultes. Jillian et Mariko transcrivent ces petits rien avec une justesse de ton qui réchauffe le cœur pour cette insouciance dépourvue de mièvrerie. Ces 2 adolescentes transgressent quelques interdits, sans idée de rébellion, sans volonté de confrontation, juste l'envie de découvrir. Cela prend essentiellement la forme de visionnage de film d'horreur bien gore, sans traumatisme pour le lendemain, mais quand même avec des arrière-pensées sur les horreurs vues. Le contraste lors des interactions avec les adultes provient du fait qu'il semble alors y avoir un enjeu mal circonscrit, pas complètement intelligible par Rose et Windy lorsqu'ils parlent. Il y a cette histoire de Jennifer enceinte d'un type qui ne veut pas en prendre la responsabilité. Rose est plus ou moins sous le charme de Dunc, grâce à son attitude nonchalante, mais tout en sentant qu'elle n'appartient pas à son monde, qu'elle n'est pas assez grande pour qu'il lui manifeste autre chose que l'intérêt qu'il porte à des enfants. Elle souhaite prendre pied dans son monde si incompréhensible, tout en ressentant que ses tentatives ne seront pas de la bonne nature. De la différence d'âge découle une différence de centres d'intérêt et de façon de voir le monde. Elle préfère de loin la sagesse simple et évidente de Windy, plus compréhensible. Le lecteur se rend alors compte que toutes ces nuances délicates sont montrées avec sensibilité, sans aucun texte explicatif, sans ficelle apparente, avec naturel et simplicité, comme si elles étaient évidentes. Mariko et Jillian Tamaki font preuve d'une sensibilité encore plus subtile dans les interactions entre Rose et ses parents. Elles montrent avec un naturel confondant à quel point le jeune adolescent peut être mystifié par les remarques les plus anodines de ses parents. Par exemple, Evan (le père) s'éclate à écouter des chansons de Rush, en particulier à suivre le travail du batteur Neil Peart, alors que Rose a du mal à dépasser l'impression bizarre donnée par la voix haut perché de Geddy Lee (ce qui correspond exactement à la première impression lors de la découverte des morceaux de ce groupe). Le lecteur habitué à des récits reposant sur une intrigue est tout de suite accroché par le mystère qui enveloppe le comportement d'Alice, la mère de Rose. À nouveau, les auteures montrent la tension existant entre les époux, faite de petites irritations, de petits heurts de tous les jours. Elles montrent les réactions décalées d'Alice, inexpliquées, une sensibilité plus importante, un caractère déprimé, sans explication toute faite. Rose finit par apprendre ce qui mine ainsi sa mère pendant cet été. Ce n'est pas une révélation tonitruante, ce n'est pas un secret honteux, c'est encore moins un crime. Cette information est délivrée sans effet de manche, naturellement, parce que le temps est venu, en phase avec la tonalité générale de la narration. La fin des vacances arrive, le quotidien reprendra ses droits, et la vie continuera. En refermant le livre, le lecteur se rend compte qu'il aurait bien aimé passer encore quelques jours (quelques pages) avec Rose. Il se dit que le drame d'Alice tout aussi ordinaire qu'il soit, a été évoqué avec sensibilité et intelligence émotionnelle, que l'absence de sensationnalisme le rend plus concret et touchant. Puis il remarque qu'un autre fil narratif parle de la même question d'un point de vue très différent parce que les circonstances pour les personnages concernés sont différentes (la situation de Jennifer). Ainsi les auteures relient l'universalité de la douleur ressentie par Alice, avec le cas particulier de la vie de chacun pour un événement dépendant de contingences sur lesquelles les individus n'ont aucune prise, qu'ils ne peuvent que subir. Il prend également conscience qu'ils ont lu une histoire racontée à la manière de Rose, avec son état d'esprit, sa maturité de jeune adolescente. Loin d'être réducteur, ce positionnement narratif est un tour de force car il permet de voir le monde par les yeux de Rose, de retrouver une part d'innocence, tout en se rappelant que ce n'est pas synonyme d'égocentrisme ou d'indifférence. Ce récit tranche sur la production industrielle de bande dessinée, de toutes les manières possibles. Les dessins sont personnels, reflétant la sensibilité des auteures, mais aussi de leur personnage principal. Cette tranche de vie est vécue de manière prosaïque, sans aucun effet dramatisant, mais avec une justesse exceptionnelle. La vie normale conserve toute sa banalité, sans rien perdre de sa diversité et de sa complexité. Le lecteur a l'impression d'avoir retrouvé ses vacances insouciantes de ses jeunes années, sans rien perdre de l'étrangeté du monde des adultes, des événements dont la compréhension reste hors de son atteinte, mais dont les effets émotionnels l'atteignent et l'affectent incidemment. Jillian et Mariko Tamaki racontent avec naturel et aisance une tranche de vie d'une jeune adolescente normale, en en transcrivant toutes les subtilités les plus délicates.

13/04/2024 (modifier)
L'avatar du posteur Mac Arthur

J’ai trouvé le propos de cet album d’une finesse extrême. Via ce qui pourrait paraître n’être que de simples souvenirs de vacances, ce sont des questions délicates qui sont abordées au fil des planches. La copine retrouvée le temps des vacances et ce sont l’identité sexuelle et l’image de soi qui sont abordés. Le sympathique loueur de vidéo permettra d’observer la subjectivité du regard amoureux tout en créant une intrigue autour du déni de sale gueule. Une tension palpable dans la famille permettra d’aborder les dégâts causés par l’absence de communication. Une attirance pour les films d'épouvante, et ce sont les étranges fascinations de l'adolescence qui ressortent (et une bonne manière d'apporter un peu d'humour et de légèreté supplémentaire au récit... qui n'en manque pourtant jamais malgré les sujets abordés). Chaque thème est traité sans précipitation aucune, ni manichéisme. Les personnages sont vrais et il nous faudra du temps pour bien les cerner. Les non-dits sont nombreux et le lecteur devra souvent s'interroger sur les raisons d'un silence, d'un regard, d'une fuite. Heureusement, l’album est copieux (320 pages) et permet donc aux deux auteures d’opérer par petites touches. Du coup, certains auront le sentiment qu’il ne se passe rien. Pourtant, à titre personnel, j’ai trouvé que chaque page apportait un élément nouveau au récit. Rien n’est gratuit mais rien n’est spectaculaire. Cet album, c’est simple et beau comme un bourgeon qui éclot. A vous de voir si vous êtes prêts à passer le temps nécessaire pour assister à l’épanouissement (et cette image de me rappeler que le thème central du livre est la perte d’innocence). Le dessin, dans son style réaliste et épuré, est d’une grande efficacité. Le trait est net, les personnages sont bien typés. Les décors sont facilement identifiables. Les cadrages visent l’efficacité plutôt que l’effet de manche. Tout contribue à une lecture fluide et plaisante. Du pur roman graphique… mais du roman graphique de très grande qualité ! Et puis bon ! Quand on mentionne 'Rush' dans le récit et dans les remerciements, on touche une corde sensible à mon coeur (et oui, cela a peut-être influencé ma note... c'est con mais c'est comme ça... et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si j'ai attendu mon 2112ème avis pour dire tout le bien que je pensais de cet album ;) )

14/04/2016 (modifier)
Par bab
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur bab

Avec mon copain pol, on s’était fait la réflexion que Rue de Sèvres nous préparait de bien jolies surprises éditoriales à venir. Et pour l’instant cet éditeur est loin de nous donner tort. Pour preuve la sortie de "Cet été-là". Roman graphique de 300 pages, "Cet été-là" nous plonge dans les vacances estivales de deux jeunes adolescentes. Rose et Windy, 13 ans et 11 ans et demie, se retrouvent tous les étés au bord du lac Awago. Deux visions vont alors se côtoyer, une plus enfantine mais d’une grande maturité et une autre qui commence à basculer franchement vers l’adolescence sans vouloir renier ses plaisirs d’enfance. On suit donc avec une belle justesse de ton, qui ne sombre jamais dans la caricature, les journées de ces deux jeunes filles qui oscillent sur le fil mince de la frontière entre l’enfance et l’adolescence. Pour quiconque a l’habitude d’avoir passé ses vacances d’été toujours au même endroit, on ne peut ignorer l’écho que fait résonner cette bd à sa lecture. On y retrouve la joie des lieux et des habitudes retrouvées, les jeux,… Rose et Windy nous délivrent leurs histoires, leurs états d’âmes, leurs questionnements avec une grande finesse de narration et un rythme qui nous plonge habilement dans cette ambiance estivale dans laquelle elles évoluent. N’allez pas croire que je vous décris là 300 pages de torpeur, au contraire. Ce sont 300 pages de vie, de joie, de découverte et de tristesse parfois. Graphiquement, le dessin n’est pas en reste. Il est tout en nuances de noir et blanc, allant de lignes presque claires à des "effets de matière". Avec un cadrage travaillé et un style qui a fait ses preuves avec Craig Thompson, il vient parfaitement appuyer l’histoire. Certaines cases, voire planches sont vraiment magnifiques et on peut facilement rester quelques minutes devant, comme devant une fenêtre ouverte sur un paysage dont on ne se lasse pas. Loin des fioritures sans jamais tomber dans la simplicité, j’ai pris beaucoup de plaisir à passer un été avec Rose et Windy.

26/05/2014 (modifier)