Deux Frères
Will Eisner Award 2016 : Best Adaptation from Another Medium Adapté du roman de Milton Hatoum, 'Deux Frères' nous conte la vie de jumeaux brésiliens d'origine libanaise dans Manaus depuis l'entre deux guerres jusqu'aux années '70. Un récit sensible tout en états d'âme.
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Yaqub, fils d’une famille libanaise établie dans la ville brésilienne de Manaus, revient au pays après cinq ans passés au Liban. Il retrouve son père, sa mère et surtout son frère jumeau, Omar. Tous attendent d’assister au bonheur de la réunion des deux frères mais personne n’a véritablement pris conscience que ces cinq ans de séparation ont en réalité cristallisé leur rivalité née à l’occasion d’une querelle sentimentale, quelques mois avant le départ subit de Yaqub pour le Liban. Une rivalité que la cicatrice au visage de Yaqub ne cessa de lui rappeler chaque jour de son exil au Liban.
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Date de parution | 20 Mars 2015 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
J’avais découvert ce duo brésilien avec Daytripper (au jour le jour), une lecture que j’avais trouvé plaisante, même si ce style de roman graphique n’est a priori pas ma tasse de thé. L’histoire développée ici est une adaptation (d’un auteur et d’un roman que je ne connais pas), mais mes réserves sont un peu du même ordre. La principale surprise vient du dessin, là encore réalisé à quatre mains, mais qui est très différent de ce que j’avais vu sur "Daytripper". Ici, c’est un Noir et Blanc gras et très tranché, proche de ce que peuvent faire des auteurs comme l’argentin Risso – il est vrai dans des univers plus noirs et glauques le plus souvent. Un travail graphique que j’ai bien aimé en tout cas, malgré certaines difficultés parfois pour reconnaitre quelques personnages. L’histoire est assez classique, nous suivons l’évolution d’une famille sur une bonne partie du XXème siècle, avec ses hauts et ses bas, la fin étant quand même une lente déchéance, morale et financière – autant que physique. Une chronique familiale avec ses petits secrets – relativement vite éventés – et qui tourne autour de deux jumeaux, dont la trajectoire est très différente, et qui vont entrainer l’écartèlement de la cellule familiale. Le rythme est assez lent, comme si la chronique familiale, aux faux airs de tragédie grecque, s’était engourdie sous le climat chaud et humide de l’Amazonie : l’intrigue se déroule à Manaus, et les changements de la ville (urbains et sociaux), du pays (la dictature fait son entrée vers la fin) accompagnent l’histoire familiale. Une lecture plaisante, mais que je n’ai pas trouvé aussi emballante que certains de mes prédécesseurs.
J'ai mis du temps à me procurer et à lire cette série, mais en définitive je ne regrette pas mon achat ! Déjà, parce que j'aime beaucoup ce que les auteurs ont déjà produit avec Daytripper (au jour le jour) ou L'Aliéniste, dans des scénarios réfléchis et qui prenaient leurs temps pour développer une histoire complexe. Ici, c'est le même cas, puisque partant de l'histoire d'un roman, les auteurs vont prendre le temps de nous présenter la déchéance d'une famille à travers le combat que se livrent les deux frères. Cette famille est dysfonctionnelle, mais surtout elle représente un état d'esprit d'un certain moment. Le père qui n'a pas voulu avoir d'enfants, la mère qui en voulait après la disparition de son père et en surprotège un, la fille qui ne se marie pas, le fils aimé par la mère et le fils qui réussit tout. Avec la servante d'origine amérindienne, le tout vu par le fils de cette servante, on obtient plusieurs personnages marquants et marqués, dont le déroulé de vie ne sera pas heureux, semble-t-il. Le scénario s'enfonce dans un marasme progressif, suivant ces deux frères opposés qui se haïssent et se mettront chacun en travers du chemin de l'autre. Même si l'histoire est surtout une histoire de vengeance familiale, j'ai eu l'impression de vivre la disparition de certains membres de la population brésilienne. Ces immigrés qui sont arrivés avant la seconde guerre mondiale et dont les enfants seront déchirés jusqu'à leur mort semble un constat amer sur la population et les transformations de l'après-guerre. La maison qui finit par être transformée en casino en est un autre exemple assez parlant, à mon goût. Bref, on sent que l'auteur parle d'un changement sociétale et de rupture générationnelle : les parents ne comprennent pas leurs enfants et leurs querelles, mais ils sont aussi en décalage avec leur monde qui change. Le dessin est fort sympathique, même si les jumeaux ont été assez souvent difficile à distinguer (volontairement d'ailleurs) en dehors de la cicatrice sur la joue. Mais il joue aussi avec quelques le noir et le blanc, donnant des ambiances à chaque page. On sent la folie, la violence, le mépris, la haine qui traversent les planches. Les décors ne sont pas très chargés, mais retranscrivent bien l'atmosphère de l'Amérique du Sud, avec ses maisons très reconnaissables. D'autre part, j'ai beaucoup aimé la façon dont le dessin transmet une grande partie des intentions des gens et de leurs échanges. C'est dans les regards transmis par les cadres, notamment, que toute l'animosité entre les deux frères passent. Comme sur la couverture, qui donne le ton de l'intérieur. Bref, ce récit sombre et tragique, aux accents de tragédie grecque, est une très bonne BD. Je ne pourrais dire trop de choses dessus par peur de dévoiler les rouages de l'histoire, mais c'est le genre de lecture que je recommanderais !
2.5 Je pense avoir un problème avec ce duo d'auteurs. Je n'ai rien à dire contre le dessin que j'ai bien aimé. J'aime ce noir et blanc et le format est parfait pour admirer le dessin. En revanche, j'ai trouvé le scénario moyen. Il n'est pas mauvais, mais à aucun moment je n'ai trouvé cette histoire de frères bien passionnante à lire. À aucun moment j'ai trouvé leurs rivalités et leurs problèmes relationnels intéressants. Je lisais ça sans vraiment m'ennuyer, mais sans vraiment m'amuser non plus. J'étais un peu indifférent et les personnages m'ont paru distants, je n'ai pas ressenti leurs émotions. En gros, si vous avez aimé d'autres albums de ces auteurs, il y a des chances que vous accrochiez à celui-ci. Si ce n'est pas le cas, je ne pense pas que cet album va vous paraître mieux que les autres.
J’avais beaucoup aimé Daytripper et c’était avec pas mal d’attentes que je me suis lancé dans cet épais album des mêmes auteurs. El là, surprise, les dessins sont complètement différents de leurs autres ouvrages ; du noir et blanc au trait épais, des cases souvent très épurées et un style assez proche de l’esquisse. C’est très loin d’être aussi joli que d’habitude (soyons franc) mais ça donne un genre sympa à l’album en plus d’une lecture claire et d’une grande expressivité aux personnages. J’ai beaucoup apprécié l’histoire de ces deux frères aux caractères opposés, jaloux et rivaux, de cette gémellité destructrice s’étalant sur presque une vie. Les personnages, à la psychologie profonde et soignée sont très intéressants et donnent beaucoup de force à ce récit qui m’a happé de bout en bout. Je ne suis pas étonné que les auteurs, jumeaux eux-mêmes, aient eu envie d’adapter ce roman. Deux frères est un beau roman graphique.
Je vais encore me démarquer mais j'assume entièrement. je n'ai pas franchement été emballé par cette histoire de deux frères jumeaux dont l'un est jaloux de l'autre au point de détruire sa famille. On va vite se perdre dans les méandres de ce scénario un peu alambiqué. J'avoue ne pas avoir très bien compris mise à part la querelle sentimentale. On sent un lien très fort avec la mère qui souhaite la réconciliation. Par ailleurs, le thème de l'exil n'est pas très bien mis en valeur. Des mêmes auteurs, j'avais pourtant adoré "Daytripper". Là, même le dessin a changé pour du noir et blanc. La narration est omniprésente et vampirise tout. L'originalité et l'inventivité font vraiment défaut. C'est vrai que cela fait sérieusement penser à des soap brésiliens. Cette sombre histoire de famille ne m'a absolument pas convaincu et c'est le moindre que je puisse dire. Je me suis ennuyé ferme.
Voilà un livre dont on se souvient. D'abord, son graphisme en noir et blanc réussit à être novateur : une grande économie de traits toujours de la même épaisseur, des visages où la caricature et l'expression voisinent avec une beauté graphique peu habituelle. Parfois des traits blancs sur des surfaces noires parfois l'inverse, des mouvements de corps tellement stylisés qu'on dirait une esquisse cubiste. Cette image très contrastée, où chaque page fait figure d'un enchevêtrement de yin et de yang en plein mouvement semble le symbole de la relation fraternelle racontée entre Yaqub et Omar. Un va-et-vient incessant entre deux pôles opposés par une mère inconsciente. En feuilletant l'album très épais (228 lourdes pages) on voit peu de dialogues et on se dit que ce sera vite lu. Eh bien ce n'est pas le cas, c'est très long. La voix off (souvent présente dans les adaptations de roman) accentue les silences. Ces deux vies qui s'entredéchirent sous les stratagèmes avortés de la mère, Zana, sont racontées par plusieurs personnages, le père Halim, le demi-frère, Naël. Je dis tous ces prénoms parce qu’ils font comme une musique de fond au même titre que le décors de la ville de Manaus. Ils encrent l'histoire dans des relations familiales anciennes, dans celles à venir, bref c'est riche par bien des aspects. Donc c'est une tragédie, un poème, un tableau mais c'est tellement triste et la mère a tellement le mauvais rôle que je n'ai pas vraiment envie de le relire...Mais lisez-le une fois c'est une belle expérience!
Jeu de mains, jeu de frangins ! À l'instar de leur précédent ouvrage, L'Aliéniste, l'adaptation graphique de roman devient décidément une habitude pour Gabriel Bá et Fábio Moon. Ils nous livrent, dans leur dernier one shot, un autre regard sur celui de Milton Hatoum, Deux frères, dans une interprétation dessinée parée du même titre. Des frères jumeaux qui collaborent pour nous faire vivre, en B.D., les péripéties de deux frères aussi jumeaux que rivaux, l'idée ne manque pas de piment ! Un concept digne d'une mise en abîme dans un roman aux antipodes de la relation qu'ils partagent dans la sphère privée ou professionnelle. Fils d'une famille d'origine libanaise installée au Brésil, nés de l'amour d'Halim pour Zana, Yaqub et Omar sont des frères que, à contrario des auteurs, tout oppose. Le premier, studieux et respectueux des règles, a réussi alors que le second, oisif et impertinent, enchaîne les petites magouilles. C'est toute l'attention de la mère dévolue à Omar qui entraînera un déséquilibre familial accentué par la suite d'une rivalité grandissante de la fratrie, courtisant le même cœur, menant à leur séparation à l'âge de 13 ans. Une dernière dispute scellera à tout jamais leur destin, laissant sur le visage de Yaqub une cicatrice, empreinte de la rupture. Exilé au Liban, Yaqub ne reviendra dans sa famille que cinq années plus tard. Entre amour, coups bas, vengeances, secrets de famille, le narrateur, fils illégitime de la servante indienne en quête d'identité, dépeint l'ombrageux portrait d'une famille sur le déclin suivant les vicissitudes de la ville dans laquelle évolue l'action : Manaus. Au rythme de ses départs et de ses retours, Yaqub devient progressivement le chef d'orchestre du déroulement de cette aventure extraordinaire par ses intrigues ordinaires. Bien que fictif, le récit croise la réalité du contexte historique brésilien du XXe siècle ancrant ainsi les scènes dans une période que le lecteur peut identifier. Les nombreux protagonistes, tous porteurs d'une histoire dans l'histoire, se mêlent aux événements de l'époque : immigration libanaise, évolution et développement socioculturel rapide du pays bousculé par des changements politiques et touché par la dictature militaire, etc. Le choix d'opter pour le noir et blanc se révèle judicieux. Il accompagne la lenteur du récit, l'intensité de l'intrigue et l’alternance des sombres souvenirs et des brefs moments de bonheur procurés par les retrouvailles. Force est de constater que les auteurs maîtrisent encore une fois leur sujet et que leur reconnaissance internationale dans le monde de la bande dessinée est loin d'être galvaudée. Alimentés de café noir, fort et sans sucre, carburant essentiel de leurs travaux, Gabriel Bá et Fábio Moon nous tiennent en haleine de la première à la dernière page. Puisant dans leurs racines et dans l'œuvre de leur compatriote brésilien, ils cultivent la curiosité du lecteur qui enchaîne les onze chapitres ponctués de flashbacks, impatient de dénouer les fils de cette intrigue. Avis aux amateurs de télé-réalité ou autres indigences cathodiques, avides de petits secrets et de grands maux, éteignez vos écrans et procurez-vous cet ouvrage ! KanKr
J’avais découvert ce duo d’auteurs brésilien via l’intrigant Daytripper (au jour le jour) et, je l’avoue, j’étais tombé sous le charme tant du trait que de l’originalité du récit et de la clarté de la narration. Je retrouve avec plaisir Gabriel Bá et Fábio Moon dans un exercice toujours périlleux : l’adaptation d’un roman (en l’occurrence, le roman éponyme de l’écrivain brésilien Miltom Hatoum : Deux Frères). Et je peux le dire haut et fort : les jumeaux réussissent l’épreuve haut la main ! Ce qui marque dès les premières pages, c’est le style graphique. Un noir et blanc épuré, élégant et empli de vie. Le trait est parfois volontairement peu fouillé mais le charme et la lisibilité qui s’en dégagent font de chaque page un plaisir pour l’œil. J’ai été sensible à ce style rond et en noir et blanc à un tel point que je me suis parfois surpris à m’attarder sur certaines planches, plongé dans des pensées mélancoliques nées de ce trait. Mais adapter un roman, c’est aussi et surtout parvenir à traduire un texte en un assemblage de dessins et de mots, sans que l’un ne prenne le dessus sur l’autre. Et c’est peut-être à ce niveau que l’exploit est le plus retentissent. A aucun moment, je n’ai senti qu’il s’agissait d’une adaptation… et à chaque instant, j’ai senti que cette œuvre était avant tout littéraire… tout en m’attardant souvent sur son dessin. Un équilibre parfait dans lequel chaque élément atteint un niveau tel qu’il en devient centre d’intérêt. Outre cette réussite technique, il fallait encore que l’histoire en elle-même m’intéresse pour que je parvienne au terme de ce copieux récit. Retracer le parcours de jumeaux brésiliens depuis l’entre deux-guerres jusqu’aux années ’70 peut s’avérer fastidieux. Mais Miltom Hatoum a intelligemment nourri son récit, qui propose ainsi de multiples centres d’intérêt. Le thème de la gémellité en est le pilier. Ces deux frères qui vont s’entredéchirer par jalousie nous offrent un portrait sensible de fraternité dévastatrice. Le récit s’en va crescendo, les origines du mal nous sont dévoilées via d’autres personnages et gagnent en nuance à chaque témoignage. Rien n’est évident, rien n’est simple et au terme du récit on en vient à se dire qu’il n’y a dans ce drame que des victimes et non des coupables. Et si ces deux frères focalisent l’attention, c’est à un portrait de famille, serviteurs inclus, que l’on a droit ! Du père au fils illégitime, chaque personnage apporte sa pierre à l’édifice. Mais par-delà cet aspect, les auteurs nous offrent également le portrait d’une ville, Manaus, de sa splendeur et de son déclin, échos de la splendeur et du déclin de la famille dont ces deux frères sont issus. Il y a une belle symbiose entre le lieu et les personnages, qui fait que j’aurais du mal à imaginer ce récit en un autre lieu. Enfin, ce récit fictif s’inscrit dans un contexte historique intéressant. Depuis l’immigration libanaise (dont sont originaires ces deux frères) jusqu’à la dictature militaire des années ’60-’70 au Brésil, chaque élément historique nourrit le récit pour nous le rendre plus authentique. Ce récit est un pur roman graphique. L’action y est pour ainsi dire exclue. Tout son intérêt réside dans ses non-dits et dans la qualité d’écriture de la retranscription des états d’âme des acteurs. Sensible mais lent (il faut aimer le genre pour apprécier cet album), c’est une belle réussite dans le genre. Un grand coup de chapeau également pour la traduction, qui permet de garder l’essence littéraire du roman. Certaines phrases sont d’une justesse et d’une finesse splendides. Seul petit bémol : ce livre, lourd et volumineux, a émis des bruits de craquement lors de la lecture qui me font craindre que sa reliure ne résistera pas au poids des ans.
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