Un certain Cervantès
Mike Cervantès, vétéran mutilé d'Afghanistan, découvre l'œuvre de son célèbre homonyme et devient un Don Quichotte dans l'Amérique moderne.
Don Quichotte Les prix lecteurs BDTheque 2015 Nouveau Futuropolis Road movie [USA] - Les déserts Nord-Américains
Cervantès, Mike de son prénom, est un jeune homme plutôt paisible. Pour éviter de menus ennuis avec la police, il s’engage dans l’armée, et part comme GI en Afghanistan. Prisonnier des talibans, évadé, repris, maltraité, il est amputé d’un bras. Exactement comme cet autre Cervantès – Miguel de son prénom de baptême, auteur du célèbre roman publié en 1605, qui perdit l’usage de sa main gauche au cours de la fameuse bataille de Lépante le 7 octobre 1571. Révolté contre la société ultralibérale qui broie les vies des moins riches, Mike part en lutte pour plus de justice, endossant alors au volant de sa Ford Mustang le costume d’un Don Quichotte des temps modernes ! De retour en Arizona, Mike, comme beaucoup de ces « revenants » de la guerre, est déboussolé. Il devient irritable, entre violence et dépression. Révolté contre une société sans égard pour les faibles, fou de rage, il détruit une succursale de banque et se voit incarcéré. C’est au pénitencier où il purge sa peine qu’il découvre le roman chevaleresque et satirique de Miguel de Cervantès. C’est une révélation : Mike sera Don Quichotte à son tour, en butte à toutes les inquisitions contemporaines, économiques, politiques, intellectuelles ou religieuses, et en lutte contre toutes les formes d’injustice… Mike Cervantès n’écrira pas une version nouvelle de l’épopée du « chevalier à la triste figure » mais à bord de sa Rossinante rutilante, modèle 1971, il la vivra pleinement… [Texte de présentation de l'éditeur]
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Date de parution | 02 Avril 2015 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Je suis aficionados de Christian Lax et sa série le choucas. J’ai donc acheté les yeux fermés « un certain Cervantès ». Et je n’ai absolument pas été déçu bien au contraire. Encore un bel album à mettre à son actif. Le parallèle entre Mike Cervantès, vétéran d’Afghanistan et Miguel de Cervantès peut dérouter a priori, mais in fine cela reste très convaincant. Les comparaisons entre l’Amérique d’aujourd’hui et l’Espagne de l’Inquisition peuvent dérouter, mais au fil du récit les séquences se mêlent avec dextérité. Un road movie à la fois sensible, engagé, émouvant et amusant. On se régale les yeux tout au long des 200 pages de cet album sous les traits du talentueux Christian Lax. Je conseille ardemment sa lecture.
Eh bien, voilà un album plutôt bien fichu, et qui mérite vraiment le détour ! Le dessin d’abord est très réussi. Une belle exploitation de Noir et Blanc, un trait réaliste et sombre – mais très lisible. Sans fioriture, cet aspect graphique réussi rend la lecture fluide (relativement rapide malgré près de 200 pages) et agréable. Certains dessins, au lavis, sont vraiment superbes, et m’ont fait penser au travail de Victor Hugo. Pour ce qui est de l’intrigue, c’est là aussi une réussite, avec une histoire mêlant aspects atypiques et aventure et road movie plus classiques. Les passages faisant le parallèle entre Mike et Miguel de Cervantès sont généralement très réussis, avec quelques échanges savoureux (le jeu de mot entre automate et Ottoman, combattus par l’un ou l’autre est assez bien senti). Les passages faisant apparaître les deux Cervantès dialoguant sont aussi bien amenés. Le personnage de Mike, sorte d’illuminé partant en croisade « au quart de tour », contre la censure, la société puritaine et mercantile américaine, les banques et autres rapaces de l’après crise des sub-primes, les racistes ou les télévangélistes, est très attachant. La chasse à l’homme dont il est l’objet (sans forcément s’en rendre compte), avec de petites touches humoristiques (l’hyper sérieux shérif) et un côté absurde, ajoute au côté picaresque de l’aventure. Autour – mais aussi au cœur – de l’histoire, Lax brasse un certain nombre de thèmes, tous traités de manière intelligente et intelligible. Le traumatisme des anciens combattants (survivants mais handicapés, qui peinent à « se réinsérer ») tout d’abord. C’est aussi une défense de la grande littérature (et une attaque de la censure, mais aussi du conformisme et de la paresse intellectuelle). La liste des auteurs et/ou œuvres que Mike tente de sauver – quitte à les « enterrer » est d’une grande qualité. Je reste par contre dubitatif par rapport à la probabilité de trouver, dans un pénitencier américain, une édition de Don Quichotte avec illustrations de Gustave Doré, en grand format ! On peut y voir aussi une déclaration d’amour à un certain cinéma, celui de Ford et ses grands espaces, les territoires Navajos (dont les dessins de Lax, superbes, peuvent compléter les non moins superbes photographies prises il y a près d’un siècle et demi par E. S. Curtis). Hommage aussi – référence tout du moins – à certains chefs d’œuvre de la RKO (King Kong)… Le regard porté par Lax – et Mike, son « porte regard » – sur les laissés pour compte, ruinés des sub-primes, Indiens des réserves (même si les Navajos sont loin d’être les plus mal lotis) est plein d’empathie. Alors, combat perdu d’avance ? Oui et non. Comment va finir la cavale de Mike, on s’en ficherait presque. Comme des moulins à vent qu’il combat (voir la charge ubuesque du chevalier Mike contre des rochers, accompagné de son Sancho péruvien, plus ou moins otage du délire de Mike). Ce qui compte, c’est la soif de vie retrouvée par Mike, les rencontres plus ou moins éphémères, mais terriblement humaines (un flirt avec la prothésiste, une discussion et un regard complice avec une lectrice, la fraternité avec des Navajos) : l’amour de la liberté, des grands espaces de Monument Valley à ceux de l’imagination, qui s’étendent à l’infini. A lire absolument !
Et si Don Quichotte vivait aujourd'hui ? Il ne manquerait certes pas d'injustices à combattre ni de nobles causes à défendre… Mike Cervantès est un laissé pour compte du rêve américain. Au fond de son bled perdu d'Arizona, il vivote en jouant les cowboys dans un village pour touristes. Parce qu'il fume de la marijuana, le shériff local lui pourri la vie et il fait un séjour en prison. C'est « pour fuir les conneries » qu'ils s'engage dans l'armée et se retrouve en Afghanistan. Fait prisonnier par les talibans, amputé d'un bras, Mike revient traumatisé au pays. L'armée lui offre une jolie prothèse mais personne ne calme son sentiment de révolte face à une société dont les discours remplis d'autosatisfaction ne suffisent pas à masquer les injustices sociales. Découvrant par hasard l'œuvre et la vie de son illustre homonyme, Mike Cervantès s’identifie à Miguel Cervantès, qui fut lui aussi mutilé, prisonnier et marginalisé dans la société de son époque. Révolté par l'Amérique contemporaine, Mike devient une sorte de Don Quichotte, mais les moulins à vents sont devenus légions dans l'Amérique actuelle… Dans un road movie intelligent et désabusé, Lax nous entraîne dans les pas de ce personnage hors norme, révélant l'envers du décor d'une Amérique qui ne fait plus rêver. Mike Cervantès évolue parmi les migrants latinos, les exclus de l'économie, les expropriés de la crise des subprimes, les indiens qui végètent dans les réserves, les abrutis acculturés et les clochards. Il montre comment la société américaine, anesthésiée par les médias et la bien-pensance, oublie le sens des valeurs qu'elle prétend défendre. Le récit, servi par de superbes dessins au lavis, est teinté d'une désespérance pleine d'ironie. Cependant, au fil de ses errances, Cervantès rencontre de belles personnes qui prouvent que si la société perd son humanité, certains individus valent encore d'être défendus par de vaillants chevaliers… Même si le combat de Cervantès est perdu d'avance, on rêve de marcher à ses côtés. Cet album qui m'a rappelé la tonalité de Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter) de Michael Cimino, un de mes films préféré, peut-être le discours le plus intelligent que l'on ait jamais tenu sur la guerre et ses conséquences sur la société. Cervantès est la synthèse réussie entre l'Amédée de L'Aigle sans orteils et Le Choucas redresseur de torts. Une saine lecture en ces temps d'individualisme, qui confirme l'immense talent et la profonde sensibilité humaniste de Christian Lax.
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