Le Dérisoire
Angoulême 2003 : Alph Art du meilleur dessin. Une belle fable onirique et graphique au format original.
Angoulême : récapitulatif des séries primées Carrément BD Format carré Marine moderne
Le capitaine d'un bateau ne commande plus qu'à des spectres moqueurs Une femme aux pouvoirs surnaturels va lui montrer qu'il reste en lui une part de rêve et d'espoir. Son navire qui est échoué loin de la mer ne l'empechera, même abandonné par la magie de retrouver la mer.
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Date de parution | 15 Mai 2002 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Persistance rétinienne. Persistance émotionnelle. Je suis poursuivi par une carcasse immobile, un cargo dérisoire au squelette gangréné par la rouille. De ses entrailles lugubres a surgi un curieux Quasimodo, abandonné. Marinier-chef de rien, maugréant sans fin contre les spectres de matelots insubordonnés et railleurs, il s’agace de cette citadelle inachevée, éternellement encalminée. Longtemps, elle lui a tenu chaud. Maintenant, elle l’étouffe. Prisonnier à bout de souffle, la mémoire brumeuse, engloutie dans les regrets, il fait le constat détestable du naufrage de sa vie et m’invite à bord d’une sombre parabole. Mais je n’aime pas les cauchemars (personne n’aime les cauchemars)… enfin, jusqu’à présent. Ligoté dans une plénitude contemplative, subjugué par sa mélancolie aux mille feux, je plonge sans cesse dans mon nouveau musée de la tristesse. Chacune de ses cases dénude un tableau, une dissertation que je ne me lasse pas de décortiquer. Olivier Supiot est un poète, un thaumaturge de la lumière. Son pinceau saisit, éclabousse. Chaud, éthéré, lubrique, sensible, glacial, désespéré, emporté ou morbide : le geste d’un peintre alchimiste qui magnifie tout, des vapeurs colorées au plus lourd des plombs. Spirales tonales, palpitations mélodiques, ses couleurs sont un pouls qui orchestre l’émotion. Au-delà de sa traduction narrative, chaque composition picturale libère une dominante chromatique source de sensations précises et intenses : suffoquer par l’ocre sale et si pénétrant de la rouille ; craindre le vide claustrophobe du noir, le blanc fantomatique des limbes d’un esprit résigné ; respirer le vert, se vivifier à l’or solaire de pastorales idylliques ; mimer l’apnée dans les profondeurs d’un bleu aquatique et ses baignades romantiques voluptueuses ; prendre le rouge aux joues d’un apprenti voyeur soudain nourri aux figurations grotesques de la luxure et ses plaisirs dépravés ; savourer l’andante d’un orangé crépusculaire, saudade obsédante. Ce ballet de dioramas expressionnistes étourdit, dérègle les sens. J’entends les images et je regarde une musique. La partition est lancinante et dans cet arpège symbiotique de la peinture et du verbe, Éric Omond joue, lui aussi, des notes étincelantes. Les tourments existentiels de son animal métaphysique sont travestis au cœur d’une allégorie subtile et émouvante. Une vision tragico-satirique qui, explosant dans la collision du fantastique et du rêve, prend le temps de suggérer. Marchant dans l’ombre des démons de son loup de mer, de ses vaines rouspétances intérieures, glissant sur des vagues à l’âme peinant à rider l’océan croupissant de son désespoir, elle expose l’insidieuse abdication d’un homme. Un fatalisme ébranlé par la troublante, la délicieuse Constance Imbroglio. Apparition sensuelle, oasis de frivolité dans une existence aride, la jeune femme pointe de nouveaux caps, ouvre des horizons inconnus et mon capitaine, émoussant ses interdits, inhibant ses certitudes, découvre une perspective à son destin. Mais, derrière le cache-blessure onirique, le trop vieux marin n’a pas abdiqué sa personnalité, les peurs ne sont pas toutes passées par-dessus le bord. Constance s’exaspère. Les répliques claquent, comme autant de morsures, de rappels à l’ordre de la réalité. Constance a donné, Constance reprend. Pauvre hère ! Perdu à la lisière des espérances et de la folie, tu n’as plus que le souvenir de ces pulsions de vie pour constater la vacuité de ton être et, enfin, tu trouves la force de stopper le supplice. Au bout du Parcours expiatoire, la liberté. Et pendant que tu redeviens le capitaine de ton âme, ô pacha saturnien, chante-moi encore et encore ton flamboyant requiem ! Comme à mon habitude, j’ai cédé devant l'enthousiasme. Obsédé textuel exalté, je me suis emporté avec emphase. Mais cela ne pouvait être autrement. Cette œuvre est un puits insondable de poésie, une source que l’on ne craindra pas de tarir par d’innombrables lectures passionnées. Pour ne rien gâcher, l’édition est superbe : dos toilé, plats au toucher satiné et un format dont les grandes pages carrées mettent en relief la qualité du travail des auteurs. Alors, embarquez en toute confiance et faites de très beaux cauchemars !
Je ne chercherai pas à apporter un résumé rationnel sur ce one-shot. Le scénario est rempli de sens mais laisse avant tout au lecteur sa propre appréciation selon son humeur et sa sensibilité. Cela est possible grâce au dessin hors norme de Supiot : une véritable oeuvre d'art, avec des couleurs qui en mettent plein les mirettes. Graphiquement c'est une des plus belles BD que j'ai eu l'occasion de lire. Avec un scénario moins abstrait, je serai peut être monté à la note maximale. A découvrir de toute urgence, cette BD atypique sur tous les points de vue offre une expérience surprenante. Cette espèce de conte relativement noir marque les esprits grâce à ses superbes cases allant jusqu'à la page entière.
C'est une BD que j'ai achetée sur un coup de cœur au salon de la BD de Montreuil-Bellay. La couverture a attiré mon œil. J'ai alors commencé à la feuilleter et là je dois reconnaître que j'ai été scotché par les magnifiques dessins d'Olivier Supiot. D'ailleurs il était présent au festival et il m'a fait un dessin magnifique, avec des couleurs splendides. Il a vraiment un sacré coup de crayon ! Dans cette BD, les dessins vous plongent vraiment au cœur d'un vieux bateau. On ressent vraiment toute la lourdeur du navire, la crasse et surtout la rouille. L'équipage est lui aussi vieux et usé (tellement vieux que ce sont des morts) à l'image du cargo et de son capitaine. C'est une atmosphère très prenante qui nous est proposée. Puis tout à coup, le héros rencontre d'autres personnages et on passe à un univers différent. D'un vieux cargo rouillé, on passe à un paquebot luxueux des années folles, avec ses riches passagers insupportables et excentriques. Ce qui me rend encore plus admiratif du travail du dessinateur, ce sont toutes ces ambiances qui s'enchaînent. De la salle des machines à la salle de bal, du pont du paquebot à la passerelle du cargo, chaque planche a son atmosphère et cela se ressent rien qu'en feuilletant l'ouvrage, notamment dans le choix des couleurs. D'après la discussion que j'ai pu avoir avec l'auteur, c'était un de ses buts, créé des univers bien marqués. Personnellement, je trouve l'effet réussi. Le scénario maintenant (signé Eric Omond). Le bateau est ici une métaphore de la vie de son capitaine. Le cargo n'est pas terminé et il n'a pas de destination. Il est immobile au milieu de nulle part. Les marins sont morts et errent sans but en se moquant de leur supérieur, sans relief, sans ambition et surtout sans volonté. Il n'arrive même plus à se tromper lui-même. C'est une rencontre avec une femme dans une partie du cargo transformée en paquebot qui va lui donner l'illusion qu'il peut s'en sortir. Dit comme ça, ça a l'air incompréhensible. Il faut lire la BD pour saisir la transformation de l'embarcation et ce que cela implique pour le héros. Cette BD est un voyage intérieur, dans les tourments d'un homme. En tout cas c'est comme ça que je l'ai comprise. O. Supiot m'a dit lors de la dédicace que beaucoup de gens avaient réagi de manières différentes. Un lecteur lui a dit un jour que cette BD lui avait rappelé la période de sa vie où il était alcoolique (ce qui peut se comprendre quand on réfléchit après lecture de la BD). J'ai l'impression que chacun peut trouver dans ce vieux rafiot des éléments de son passé, pour peu qu'il rentre dans l'histoire. C'est là je pense le principal problème. Si on ne rentre pas dans l'univers des auteurs, on passera à côté de ce qui fait la force de la BD. Pour conclure, je dirais que cette BD mérite que l'on y jette un coup d'œil. Laissez-vous embarquer par ce pauvre hère, vous verrez que l'on ressent son impuissance puis son espoir. Les dessins vous plongent au plus profond de son mal-être, ce cargo est vraiment captivant. Le passage dans l'univers de la femme risque d'en rebuter plus d'un, mais prise dans son ensemble, l'histoire se tient bien. Il est malheureusement assez facile de passer à côté de la BD. Laissez-lui une chance, relisez la. Si vous restez insensible aux souffrances de ce capitaine, il vous restera malgré tout un bel objet, avec des très beaux dessins. Allez, faites tourner les machines, cap vers...
Ne vous fiez pas à la couverture du « Dérisoire » qui est à mon avis ratée et jetez un coup d’œil sur les pages intérieures : à moins d’être allergique à la couleur, vous en prendrez plein la vue dans le sens le plus positif du thème ! Le « Dérisoire » est une BD pleine de poésies. C’est aussi un conte qui reste d’actualité, celle de l’individu qui privilégie son travail à sa vie familiale. C’est l’histoire d’un capitaine solitaire d’un vieux cargo qui découvre peu à peu qu’il existe une vie en dehors de son métier, il rencontre une femme qui l’invite à sortir de son « moule » et à l’occasion l’amour. O. Supiot, habitué à dessiner des BD pour enfants, nous surprend agréablement avec « le dérisoire ». Il nous montre la pleine mesure de son talent de coloriste en réalisant cet album, les planches d’ensemble comme celles des pages 7 et 26 font franchement magnifiques ! Les ambiances changent selon que l’on trouve à l’intérieur du cargo avec les teintes rouilles, dans la forêt à dominante verte et j’en passe… C’est tout simplement de l’art ! Difficile en effet d’imaginer une version noire et blanche car la transition entre le monde maritime et celui extérieur aurait été, à mon avis, ratée dès la page 18. Le livre est publié dans un format inhabituel pour les amateurs de BD mais il est parfaitement adapté à l’histoire et au trait d’O. Supiot Cependant, je regrette dans cet album la qualité inégale de certaines planches comme celle de la page 41 où les décors sont absents et les couleurs un peu trop « flashy » à mon goût. « Le dérisoire » est une BD que tous les bédéphiles se doivent de découvrir ! Si la couleur était une diplomatie, O. Supiot serait certainement un de ses meilleurs ambassadeurs ! Au fait, si vous avez aimé « Le dérisoire », n’hésitez pas à feuilleter Féroce des mêmes auteurs.
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