Ici même
La vie de monsieur Même.
Absurde Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs Les années (A SUIVRE) Noir et blanc Tardi
Monsieur Même est un bien étrange personnage, il règne, tel un monarque déchu sur une terre dont il ne possède plus que les murs. Pour emmerder le plus possibles les habitants de ce royaume indépendant du « pays clos », ceux qui ont, selon lui, volé la terre de ses ancêtres, il est devenu le portier de toutes les grilles et passages et fait monnayer leur ouverture. Une fois son éreintant boulot achevé, il reste seul dans sa petite maison, posée sur l’arrête d’un mur, et parle à sa mère défunte, au téléphone (ne me demandez pas comment !) Il ne rêve que d’une chose, que le procès qu’il intente depuis des années contre ses « congénères » passe enfin en justice et qu’il récupère les terres et l’honneur bafoué de ses ancêtres. La vie de monsieur Même aurait pu continuer longtemps à être monotone s’il n’avait pas rencontré Julie, une jeune femme vulgaire et sans manière, qui fût la compagne d’un ministre qui adorait la regarder pisser (ne me demandez pas pourquoi !). Cette fable surréaliste et fantaisiste illumina par son ton nouveau les premiers numéros de la célèbre revue (A suivre). Scénarisé par Jean-claude Forest, le créateur de Barbarella, et dessiné par Jacques Tardi, cet album, véritable roman graphique de plus de 160 planches est considérée par beaucoup comme la pièce maîtresse de l'oeuvre respective de ces deux auteurs.
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Date de parution | Octobre 1979 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
N’y a-t-il donc à l’orgueil d’autre issue que l’humilité ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Avant d’être rassemblées en album publié par Casterman, les planches de ce récit paraissent dans les numéros un à douze de la revue (À Suivre) entre février 1978 et janvier 1979. La première édition en album date de 1979. Il a été réalisé par Jean-Claude Forest (1930-1998) pour le scénario, et par Jacques Tardi (1947-) pour les dessins. Il comprend cent soixante-trois pages de bande dessinée en noir & blanc. En ouverture, se trouve une préface de quatre pages, rédigée par le scénariste évoquant sa collaboration avec l’artiste, ainsi que la question du sens de l’œuvre. Arthur Même se tient sur le faîte du mur de séparation, et il s’adresse aux ouvriers en train de réparer un autre mur : il leur demande s’ils veulent boire quelque chose. L’un d’eux répond par la formule de politesse : si M. Même insiste… Arthur indique qu’il ne se souvient pas d’avoir insisté et il ne se souvient pas non plus avoir jamais compris pourquoi les gens boivent tant… Il continue à voix haute : il se demande si un jour quelqu’un lui expliquera ce qu’il y a dans le vin. Pour lui, le vin et l’huile c’est pareil. Avec le vin sur la langue, les gens dérapent de la tête, comme avec l’huile sur le pavé, on dérape de la semelle. Comment discuter avec des gens qui dérapent et qui, à tort et à travers, lui attribuent de l’insistance, pourquoi pas de l’entêtement ? Tout en monologuant, il a débouché une bouteille de vin avec le tire-bouchon passé à l’anneau de son trousseau de clés, et il a servi un verre aux deux ouvriers. Celui avec la casquette s’adresse à lui : il faut qu’il lui dise une chose, une chose qui n’a pas bien d’importance, mais qui l’asticote sérieusement : Gâcher le ciment, bien gras ou maigre (c’est selon), poser une pierre sur une l’autre, etc. tout ça c’est son affaire. Et avant de toucher la truelle pour Arthur Même, il la touchait déjà pour sa pauvre mère. L’ouvrier demande alors : Pourquoi faut-il qu’Arthur soit là à lorgner tous ses gestes, comme s’il passait le plus clair de son temps à se cracher dans les mains ? Arthur Même répond que l’entretien des murs est à sa charge. Si une pierre se détache, tue une bête ou un enfant, lui Arthur est responsable et au moindre accident, ils essaieront de le chasser des murs. Alors il ne surveille pas les ouvriers, il veille. L’ouvrier lui répond qu’à sa place, il vendrait. Même s’emporte : il est facile de faire l’intéressant lorsqu’il s’agit des affaires des autres. Il continue : Ces collines, cette campagne morcelée, découpée comme bête à l’abattoir, ces propriétés comme des escalopes et qui s’étalent du lac aux coteaux de Machepaille, sans les murs, c’est un seul et magnifique domaine : Mornemont ! Et Mornemont, au début du siècle, appartenait tout entier à sa famille. À la suite de querelles avec les voisins à propos de misérables lopins de terre, sa famille a dû entamer une ribambelle de procès, elle a perdu… Et peu à peu le domaine tout entier a changé de propriétaire ! Un homme perché sur un mur, des ouvriers qui réparent un autre bout de mur, un domaine dont les demeures et les terrains appartiennent à différentes familles, mais les murs d’enceinte appartiennent à un unique individu qui a en charge d’ouvrir et de fermer les portails qui constituent autant de péages dont encaisse l’argent. À l’évidence, une métaphore… Grossière erreur !!! Dans son introduction, Jean-Claude Forest pose clairement les choses : Mais qu’on ne vienne pas lui écrire dans le dos ce qu’il n’a pas écrit. Ni travestir par rajouts, en filigranes ou estampilles, la mise en images. Qu’on n’aille pas voir dans Ici Même un pamphlet, une satire de la société ou des représentants de son régime politique. Il n’a pas eu davantage l’intention particulière de tourner en dérision l’attachement à la propriété. […] Il veut dire qu’à la tradition, aux habitudes culturelles qui toujours poussent le lecteur à être un raisonneur s’ajoute une incitation renforcée à chercher dans la moindre idée, dans le moindre récit, la morale, l’idéologie clairement ou obscurément véhiculées. Il faut donc au lecteur une belle indépendance d’esprit pour s’accrocher au seul récit et jetant la leçon aux orties, ne tirer parti que du charme des situations et de la surprise des rebondissements, sinon du rêve offert en prime. Pourtant il lui serait malvenu de critiquer ce type de lecture orientée. Ainsi averti, le lecteur se garde bien de passer en mode analytique et il suit la recommandation du scénariste à la lettre en restant au premier degré. Il plonge donc dans un monde en noir & blanc (non, pas d’interprétation sur ce choix) : des images avec un fort contraste. Des traits de contour fins, parfois un peu tremblé, plus comme vivants que comme mal assurés. Un usage des aplats de noir important pour le costume noir de monsieur Même, pour des chevelures, pour des ombres portées, pour le relief des objets et des décors, ce qui donnent une consistance visuelle à chaque planche. Bien sûr, le lecteur peut se demander si l’histoire d’un type qui se balade sur des murs va être visuellement intéressante… sauf s’il a déjà lu des œuvres de ce bédéiste. Indépendamment de l’interaction limitée entre scénariste et dessinateur évoquée dans l’introduction, le lecteur éprouve la sensation qu’il s’agit de pages d’une seule et même personne. Le scénariste a visiblement pensé à la dimension visuelle de son histoire, variant régulièrement les décors grâce aux séquences consacrées à des personnages secondaires, et il parvient même à introduire de la diversité dans l’arpentage des faîtes de mur grâce à des éléments inattendus. Le lecteur commence par admirer la variété des tuiles et des sommets de mur, exigeant parfois un excellent équilibre de la part de Même. Il jette régulièrement des coups d’œil aux différents jardins, pelouses et arbres, et aux demeures. Il apprécie le goût de l’artiste pour la pierre, la brique, les ferrures, les persiennes, les toitures, les portails, les colonnes, et même une serre de jardin. Le récit s’aventure donc dans d’autres endroits, décrits avec autant de soin : un cimetière, l’intérieur de la chambre de Julie Maillard, le petit bateau à moteur de l’Épicier, le palais présidentiel, les appartements du Président, la salle du conseil des ministres, et l’intérieur de la petite guérite servant d’habitation au personnage principal. Il prend le temps de regarder les accessoires : l’antique modèle de téléphone de Même, son trousseau de clés, un chevalet de peinture, les stèles des tombes, le lustre à pendeloques dans la salle du conseil des ministres, la plante verte en pot dans la chambre du Président, le bidet dans la salle de bain de Julie, les marchandises de l’Épicier, etc. Il découvre ou il retrouve la capacité surnaturelle de Tardi à donner des trognes à chacun de ses personnages, à la limite du plausible sans jamais franchir la ligne de la carricature, des visages très expressifs, des silhouettes diversifiées, chacune en disant long sur la personnalité de l’individu. Le lecteur se dit qu’un personnage servile à sa manière comme Arthur Même ne pouvait qu’avoir une constitution longiligne, que Julie se devait d’être solidement charpentée du fait son assurance et de son indépendance, les petits yeux et les grandes oreilles de l’Épicier insensible au regard des autres, etc. Mais voilà, cette diversité des personnages met en lumière l’ouverture vers l’extérieur : ces familles qui vivent dans toutes ces demeures (une dizaine d’évoquées même si elles n’apparaissent pas toutes : Maillard, Gandelut, Pouilleron, Sergy-Merival, Michelot, La mère Linéa, Morlebœuf, Gandelu, Maury-de-Nancelles, Clairbeaux), le Président et ses ministres (Harlan, Badinski, Debarandon, Hayouli-Hayounberg, plus quelques autres non nommés), Gisèle la première dame, Georges le valet particulier, De Barandon, le général Desgriottes, le colonel Demalpine, Harlan ministre des armées. Il faut encore ajouter les avocats (Maître Roubillard, Maître Bougreval, Maître Patelot, la secrétaire mademoiselle Mireille) et l’espion Quatre-Septembre. Alors, même s’il veut bien faire l’effort de ne tirer parti que du charme des situations et de la surprise des rebondissements, le lecteur reste incapable de s’arrêter là. Quand même, il est question de gouvernement, d’élection et de leur résultat à venir, de propriétaires qui profitent, d’une guerre même. Et puis le scénariste lui-même titille le lecteur : Qu’est-ce que c’est que ce nom de Quatre-Septembre pour l’espion ? Cela ne peut que renvoyer à la date du 4 septembre 1870, quand Léon Gambetta proclame la Troisième République, à la suite de la défaite de Sedan et de la chute du Second Empire. Puis cette reprise de la formule Aujourd’hui rien, attribuée à Louis XVI dans son journal pour le 14 juillet 1789. Mais quel rapport avec la situation d’Arthur Même ? Et aussi ce nom de pays Mornemont, quelle similitude avec l’adverbe Mornement. En outre à plusieurs reprises, la narration visuelle glisse vers la fantasmagorie : Arthur Même recouvert par des insectes, une oreille géante qui empêche le cheminement sur le mur, deux coureurs avec dossard portant au-dessus de leur tête le lit d’Arthur avec lui et Julie dedans, le macabre carnaval venant menacer Arthur. Tout cela revêt l’apparence de métaphores visuelles, et même d’allégories parfois. Sans même parler de la mise en scène de la sexualité, avec une touche d’ondinisme, ou encore de la relation à la mère. Heureusement que le scénariste accorde que pourtant il serait malvenu de de critiquer ce type de lecture orientée… Un monsieur dégingandé qui parcourt le faîte des murs d’enceinte pour aller ouvrir des portails : assurément il s’agit d’un conte. La narration visuelle s’avère d’une justesse extraordinaire, entre description factuelle et prosaïque et éléments décalés s’intégrant parfaitement. L’histoire au premier degré se dévore comme un feuilleton, chaque chapitre bâtissant sur le suivant, avec une logique interne et une progression d’une solidité inattendue. Mais quand même, il y a matière à interprétation de ce conte, et même à interprétations multiples, et peut-être même à psychanalyse de ce conte même s’il est dépourvu de fées.
"Ici même" est une oeuvre vraiment singulière. Je la lis comme un récit du désespoir profond devant l'absurdité et le cynisme du monde. Forest nous propose un récit complexe où se mêle philosophie, poésie et pamphlet politique. C'est beaucoup, même si c'est fait avec dextérité. Dans un contexte de BD le texte est parfois très lourd et il faut du temps pour en saisir tout ou partie du message. Cela provoque un décalage entre le rythme de la narration et le rythme de l'image forcément plus rapide. C'est aussi le récit d'une époque qui voit un monde élever des murs et se cloisonner dans la peur. J'ai pu y lire cette désillusion face à un pouvoir politique prêt à tout pour conserver son pouvoir et notamment créer des conflits pour manipuler sa population. Le graphisme de Tardi s'accommode à merveille à l'esprit du récit. Son ambiance bourgeoise, froide et perverse dans un monde bipolaire en N&B donne le frisson. Julie est le seul personnage qui apporte un peu d'humanité dans ce théâtre de marionnettes. Les cadrages sont rapprochés comme si l'horizon lointain se trouvait bouché ou inaccessible. J'ai trouvé cette lecture difficile et pas toujours à mon goût mais j'admire l'audace créatrice des auteurs sur une oeuvre qui mérite une lecture approfondie.
Que voilà une histoire originale ! Originale et fraiche, tout en restant à la fois simple et alambiquée. En tout cas, c’est une histoire dans laquelle je suis entré très facilement, pour ne plus la quitter jusqu’à son terme. Avec pas mal d’absurde, de poésie, de folie douce, Forest déroule l’histoire douce-amère d’Arthur Même, qui règne sur ses murs en vivant de rêves de revanche (son procès constamment remis au lendemain contre les occupants des propriétés qui le martyrisent en lui demandant sans cesse d’ouvrir les grilles est comique), et qui n’ose pas vivre pleinement l’amour lorsqu’il s’offre à lui – il est vrai sous les traits d’une jeune femme assez spéciale ! La partie « politique », menée en parallèle, est elle aussi ubuesque, avec force discours et gesticulations ridicules, rodomontades inutiles, le tout se finissant là aussi aux dépens de Même. Le côté quelque peu désuet du récit, parfois, doit aussi beaucoup au dessin de Tardi, tout à fait adapté à cette histoire finalement très noire, qui passe à la moulinette le carriérisme et les prétentions politiques, mais aussi et surtout qui nous dresse le portrait d’un inadapté, sur qui la réalité n’a pas de prise. Et, au milieu de tout ça, des poussées de surréalisme, des dialogues longs, longs, mais qui n’ennuient jamais, qui envoûtent… Un album hautement recommandable !
Généralement, je ne suis pas fan des romans graphiques parce que souvent, c'est trop long, c'est lourd, ça s'égare dans des digressions inutiles, ou alors ça part dans tous les sens... Mais avec "Ici Même", c'est un peu l'exception qui confirme la règle ; quand on commence à pousser la porte du domaine de Mornemont en Pays Clos, je crois qu'on peut difficilement s'arrêter, on pénètre dans un monde vraiment étrange, et quand j'ai découvert ce récit dans le premier numéro de A Suivre en 1978, j'étais tellement intrigué que j'ai voulu à chaque fois savoir ce qui allait arriver à ce pauvre Arthur Même, personnage pathétique à la petite vie triste et étriquée. Pourtant, il y avait tout ce que je décris au début de cette rubrique : le récit était non seulement trop long, un peu lourd par endroits, avec des situations surréalistes, mais en plus, c'était bavard...bref, rien pour m'attirer. Le surréalisme, certains habitués ici savent peut-être que je n'aime guère ça, parce que ça ne veut rien dire, et que certains auteurs utilisent cet instrument souvent parce que ça fait bien et que ça défie le bon sens ; mais quand il est bien utilisé, le résultat peut être bon, c'est le cas ici. Et puis, je ne sais pas, il y eut comme un déclic, peut-être aussi le fait que j'ai vécu la naissance de A Suivre, ce nouveau mensuel prometteur, très décalé des autres journaux BD, qui avec cette première grande série, frappait fort d'emblée avec un récit surprenant. Il est difficile en effet de résumer cette histoire tant elle est délirante et surréaliste, pleine de poésie, aux situations saugrenues et à l'humour décalé. Née de la rencontre de 2 géants de la BD, c'est une oeuvre dessinée peu commune de 163 planches où les idées oniriques de Forest s'accordent bien au dessin souple en superbe noir et blanc de Tardi. Une oeuvre totalement atypique et inclassable, qui a marqué les esprits à juste titre, où seul compte le vrai plaisir de l'imaginaire. Même si c'est peu facile d'accès, c'est un récit à lire au moins une fois dans toute vie de bédéphile.
Cette bd j'ai mis longtemps à la lire. Des années ! Tellement célébrée partout comme un chef d'œuvre que cela ne me disait rien du tout. Et puis un jour je me suis mis à la lire et là le choc ! Un chef d'œuvre. J'ai été transporté par cette poésie douce-amère, cet univers poétique et plutôt triste où le pauvre héros vit dans une maison minuscule (un placard) construite sur un mur labyrinthique autour d'une propriété qu'il prétend posséder (ou qui lui revient de droit, je ne sais plus). Il ne peut descendre car il y a les chiens en bas. Il reluque la fille des voisins le soir après avoir mangé sa boite de conserve et téléphoné à sa mère (qui est morte). C'est triiiiiste ... Les dessins sont magnifiques (superbe noir et blanc). L'intrigue n'est jamais ennuyeuse. Ce monde surréaliste est un enchantement. LE roman graphique culte (avec Silence).
Ainsi naquit « à suivre »… (re)Lire aujourd’hui cet album me place dans un doute certain, trouverait-on aujourd’hui un éditeur lançant un magazine BD avec ce duo d’auteur produisant un tel sujet ? De fait, le propos même de déshumanisation contenu dans l’album en devient aujourd’hui d’autant plus puissant en replaçant cet album à la fin des années 70. Dénoncer la manipulation de masse pour l’inscription dans un prêt à penser machiavélique au service des élites au détriment des masses se laissant faire avec aveuglement peut paraître galvaudé, suranné, tout ce que vous voudrez. Mais proposez un projet aussi fou à un quelconque éditeur aujourd’hui et voyons s’il en ressortira autant d’audace que le merveilleux « A suivre » a su nous proposer. Passé ce jeu de miroir involontaire de la part des auteurs, cet album nous propose un pavé d’un autre temps totalement surréaliste. Pas au sens courant artistique, il y a un côté provocateur scénaristique dadaïste associé à une qualité narrative bien réaliste, qui au final aurait tendance à rapprocher du symbolisme. Quoi qu’il en soit, la poésie se dégageant de cet album nous emporte pour notre plus grand bonheur, l’on se prend à admirer la mise au point de complot d’état, de guetter le résultat d’un procès ubuesque, d’essayer tant bien que mal d’ordonner notre univers totalement chaotique que forme notre terrain de jeu pour trouver quelques repères. L’intrigue nous entraîne dans une poursuite renouvelée vers l’inconnu toujours lisible, toujours prenante, toujours pertinente. Le dessin magnifie cette chute perpétuelle dans un inconfort de la ligne particulièrement brillant et adapté à Tardi. Noirs et blancs se mêlent pour un clair obscur soutenant le propos et amplifiant l’effet d’absurde. L’architecture de ce pays clos devient si présente au lecteur qu’il ne convient plus de remettre en cause le postulat qu’un habitant possède les murs et actionne des péages pour laisser les gens sortir de chez eux ! Quant aux bureaux décisionnels parisiens : qu’en dire si ce n’est Tardi… La fin brutale, dure, violente même vient perturber ce joli petit équilibre que le lecteur s’était bâti. Le confort de l’absurde trouvé au cours du récit se désagrège de façon abrupte dans une chute insoutenable de déshumanisation. Certes le lecteur peut être choqué et malmené mais ajoute cette touche finale de dureté sous-jacente à tout l’album. D’aucuns la trouvent inadaptée, pour ma part je dirai que c’est elle qui fait du récit un magistral album et non une succession de tableaux surréalistes finalement sans autre but que le divertissement. Alors ne manquez pas cet album. Je crains qu’il ne soit pas hélas à la portée de tous, non par un propos élitiste mais plutôt par des barrières à l’entrée fortes (noir et blanc apparemment peu léché, longueur, difficulté de trouver un fil…). Mais cela vaut le coup et doit être dans toute bibliothèque de bonne qualité.
Excellent opus que celui-ci ! Tardi me réconcilie avec son trait et son style ! Le dessin est toujours égal à lui-même et Tardi maîtrise toujours aussi bien le noir et le blanc. L'absurde qui se dégage de l'ensemble est franchement excellent, on nage dans un délire complet mais tellement cohérent qu'il nous semble possible. Les caricatures s’enchaînent, dans les personnages, les situations ... J'ai personnellement un faible pour l'écrivain qui relate les péripéties sans cesse en embellissant la réalité au maximum. Comme dans tout les Tardi (enfin, je crois) le texte prend une place particulièrement grande, parfois un peu trop (avec force de parenthèse) qui ralentit la lecture. De plus je note que parfois le texte est un peu superflu, des phrases moins longues auraient été bienvenues. Mais ne crachons pas dans la soupe, l'ensemble est d'une remarquable qualité. La fin est par contre très brutale, alors qu'avant le développement avait pris un rythme assez bon, voila que les auteurs concluent le tout en une page assez rapide, sans tout expliquer, ce qui est assez curieux. Une excellente BD absurde au final, qui me réconcilie avec Tardi même si je ne suis toujours pas un fan de ses "gueules". 4/5 !
L’histoire est aussi originale qu’absurde, bien servie par le trait talentueux de Tardi. Mais Forest, le scénariste, le précise : il ne faut pas chercher un sens politique à cette fable inquiétante, qui se veut avant tout un voyage dans l’imaginaire où toutes les extravagances, même les plus malsaines, sont permises… Oui car ce dernier se méfie des interprétations au profit d’une idéologie quelconque… Qu’on se le dise ! Malgré cela, on pourra sans trop prendre de risques, y voir un constat désabusé sur le pouvoir mais aussi une ode à la liberté, un appel à faire tomber tous les murs, quels qu’ils soient… En ce qui me concerne, j’avais été vraiment scotché lors de ma première lecture. En effet, s’il est difficile de deviner où les auteurs veulent nous emmener, on reste intrigué par une histoire qui ne cesse de monter en puissance au fil des pages. Je fus moins enthousiaste les fois suivantes pour plusieurs raisons… Bien sûr, il n’y avait plus d’effet de surprise… Et l’ouvrage recèle une grande poésie mais tend parfois à se disperser dans des méandres quelque peu fastidieux… Ne serait-ce qu’à travers les dialogues où ces parenthèses placées à tout bout de champ sont assez agaçantes, plombent la lecture et n’apportent selon moi pas grand chose à l’histoire…Parce que comme souvent chez Tardi, le texte tient une place importante voire excessive, mais si l’on veut être indulgent, on pourra dire que c’est un parti pris… Dommage que ce cher Jacques semble avoir du mal à admettre qu’on lit ses BD davantage pour ses dessins (et l’intrigue qui les accompagne) que pour ses textes… est-ce là un excès de modestie ou une frustration liée au fait de n’avoir pas été (aussi) romancier ? Cela ne remet pas en cause les qualités indéniables d’ « Ici Même », heureusement…
Autant dire qu'Ici Même est la bande dessinée absurde par excellence. Un homme spolié de sa propriété ne règne plus que sur les murs et les portails de ses terres qu'il ouvre à la demande des différents habitants. Il ne pose jamais le pied sur le sol, se fait ravitailler par bateau et vit dans une petite cahute plantée sur un de « ses » murs. Même si je trouve le concept de base intéressant, je n'ai pas vraiment accroché sur l'ensemble du récit : trop long, trop de parlote, un délire assez pénible finalement. Ajoutons à cela que je n'aime pas vraiment le dessin en fait et ça me rappelle trop une période typé années folles. De plus on est habitué à voir le dessin de Tardi sur des récits de la grande guerre, on voit un poilu dans chaque personnage ; et par ailleurs je n'aime pas le dessin qu'il fait des femmes. En conclusion j'en attendais beaucoup et bof en fin de compte.
Cette bd fait l'éloge de l'absurdité comme un art et visiblement cela passe. Des longs monologues philosophiques à n'en plus finir... Du pseudo-intellectualisme chic bravant la pensée unique. Il y a certainement matière à interpréter tout ceci comme une vaste parabole contre le pouvoir ou l'individualisme des gens poussés à outrance dans le droit à la propriété. Mais désolé, c'est pas mon truc. Ou plutôt le fait d'utiliser un type chapeau melon qui téléphone à sa mère morte depuis belle lurette avec un téléphone au fil coupé etc... :S Ce style peut convenir... ou pas ce qui est mon cas. Encore une fois, il y a de la matière intéressante et j'adhère à toutes ces dénonciations du pouvoir et de la justice. Cependant, le kitch des situations ne m'a guère paru convaincant. Au final, une lecture quand même pénible.
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