Est-ce qu'on pourrait parler d'autre chose ? (Can't we talk about something more pleasant ?)
Confrontée au grand âge de ses parents et à leur déchéance, Roz Chast en a tiré un ouvrage poignant à l’humour salvateur.
Autobiographie La Mort New York Troisième âge
Les parents de Roz vivent depuis cinquante ans dans le même appartement de Brooklyn, convaincus qu'il leur suffit de ne pas penser à la mort pour la tenir à distance. Mais quand les effets du grand âge se font sentir malgré tout, Roz n'a d'autre choix que de s'immiscer dans leur quotidien pour leur venir en aide. Une intrusion qui se révèle aussi perturbante pour le trio que la vieillesse elle-même... Si l’art narratif aborde régulièrement la question du vieillissement, le grand âge demeure souvent délaissé, et pour cause. Roz Chast y a été confrontée en accompagnant ses « très vieux » parents jusqu’à leur mort, sur plusieurs années. De cette période difficile et douloureuse, elle en a tiré un ouvrage poignant dans lequel elle fait preuve d’un humour salvateur.
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Date de parution | 22 Octobre 2015 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Je suis juste à l'âge où je me demande comment je vais me débrouiller avec mes parents, quand ils vont devenir moins autonomes. Cette BD remue le couteau dans la plaie et ne parle pas d'autre chose. Ici nous sommes avec une fille unique, comme moi, mais juive new-yorkaise, qui essaye de se démerder avec ses parents qui perdent pied tout en conservant leur identité, certains défauts, certaines habitudes liées à leur histoire et leur culture, mais aussi en lâchant prise par bien des aspects. Roz décrit avec humour mais aussi avec désespoir la faiblesse grandissante de ses parents, qui petit-à-petit perdent le contact avec une vie de tous les jours "normale". Pour nous montrer ces dérives, elle raconte son histoire et celle de ses parents et essaye de repérer la part des déraillements due à leur histoire et celle due à la vieillesse. C'est une observation que nous pourrons tous faire un jour ou l'autre, j'en ai peur. Elle décrit aussi les institutions qui prennent en charge la fin de vie aux États-Unis. Pendant des décennies notre société a évacué ce qui n'était pas beau à voir : les déchets, le caca, les menstrues, la mort, la vieillesse, le viol, la douleur... Notre époque est en train d'essayer de réparer ces oublis (pêle-mêle : les couches lavables, les toilettes sèches, Me-too, le recyclage des déchets, la réparation des objets plutôt que l'enfouissement, le réemploi des matériaux plutôt que le rejet à la mer, des colocations de personnes âgées, des logements intergénérationnels, des expériences en France pour autoriser des inhumations dans des bois du souvenir, la sédation...) Cette BD ne va pas du tout vers ce coté général et politique, elle reste sur le témoignage au plus proche de son cas personnel et, comme souvent, c'est là que cela devient universel. Elle découpe son histoire en chapitres assez courts pour que l'on puisse interrompre la lecture facilement et ainsi "parler d'autre chose". Les dessins et l'esprit qui rappellent Tom-Tom et Nana par l'aspect caricatural et bon enfant des personnages, ne s'adressent assurément pas à des enfants. Pourtant ce contraste bizarre entre l'image, la drôlerie des dialogues et le fond de l'affaire, qui est sans issue, semble la seule manière d'"en" parler.
A l'image d'un Gemma Bovery, cet album combine planches de bande dessinée et pages de texte illustré pour former un ensemble dense et intéressant pour parler en longueur d'un sujet assez rare : la fin de vie. L'auteure, Roz Chast, y parle en effet de ses parents avec lesquels elle entretient une relation un peu particulière, à la fois affectueuse et distante. Alors que ceux-ci commencent à devenir vraiment âgés, elle s'interroge en effet sur ce qu'ils vont devenir et redoute le moment où ce sera à elle de gérer leurs derniers instants, surtout si l'un meurt avant l'autre. Et le récit va ainsi les suivre au fil des années, tandis que la vieillesse fait son œuvre implacable et que l'inévitable finit par aboutir. Les parents de Roz Chast ont des personnalités très fortes, et c'est ce qui fait le sel de cet ouvrage. Ce sont en effet des juifs new-yorkais dans ce qu'il peut y avoir de plus caricatural, certes pas vraiment pratiquants mais avec toutes les manies et psychoses dignes des films de Woody Allen ou des personnages de Will Eisner. Le père est un angoissé pathologique, craignant de sortir de chez lui et s'imaginant le vol, la maladie et la mort à chaque instant. Quant à la mère, elle est d'une obstination sans borne, colérique et dominatrice, et malgré tout affectueuse envers son mari qu'elle couve. Unis par un passé familial traumatisant, hérité des pogroms, de la Shoah et de la misère des émigrés obligés de survivre de petits boulots à leur arrivée aux Etats-Unis, les deux forment un couple très soudé, presque comme deux alliés face au monde dangereux. Leurs psychoses et leur entêtement font qu'ils refusent catégoriquement d'aborder frontalement le sujet de la mort et de la fin de vie. Et du coup, leur fille se retrouve à devoir gérer leur obstination en partie contre leur gré, même quand ceux-ci se révèlent ne plus avoir guère de choix quand la détérioration physique et mentale sera telle qu'ils ne pourront plus subvenir à leurs besoins essentiels et devront être placés en établissement médicalisé. En parallèle, on suit les états d'âme ambigus de l'auteure et narratrice car, comme elle est plus ou moins fâchée avec ses parents et a cherché à les éviter une grande partie de sa vie, elle a des sentiments à la fois de tristesse et de soulagement à l'idée de leur mort et de ne plus avoir à les gérer. C'est un album dense et long à lire, proche d'un roman court. Son graphisme n'est pas enthousiasmant mais il se révèle suffisamment efficace pour se faire oublier et laisser la place à une narration qui fonctionne bien. Les sujets abordés sont intéressants et amènent le lecteur à s'interroger sur la manière dont chacun se comportera le jour où il devra gérer la fin de vie de ses propres parents. Le caractère de ceux de Roz Chast est parfois tellement excessif qu'il s'en dégage un humour certain tant il tourne à l'absurde, tout en restant tristement réaliste. Bref, c'est un ouvrage qu'on lira avec un sourire jaune, un peu gêné, un peu amusé, mais surtout avec curiosité sur les détails et le déroulement d'une période de la vie à laquelle la majorité des gens seront malheureusement confrontés.
Le titre annonce parfaitement la couleur. Le thème abordé, le grand âge et la décrépitude jusqu’à la mort, n’a vraiment rien de glamour à une époque où le « jeunisme », idéologie doucement discriminante qui ne veut pas dire son nom, se présente de manière doucereuse via nos écrans comme une valeur « positive ». A la question du titre, Roz Chast répond évidemment par la négative, bien décidée à évoquer vaillamment ce « voyage au bout des soins palliatifs » qu’elle a partagé avec ses parents pendant plusieurs années. Des parents – un père soumis corps et âme à une épouse autoritaire et dépourvue d’humanité – dont il lui est arrivé de se demander si elle n’était pas la fille adoptive. Roz Chast, dont c’est le premier ouvrage publié en France, réussit ici un véritable tour de force. Recourant à un humour instaurant une distance salutaire vis-à-vis d’une situation très difficile, elle parvient à nous captiver grâce à son sens narratif incontestable, mais aussi en creusant au plus profond d’elle-même, sans faux-semblants. On imagine facilement que cette expérience lui a occasionné de terribles blessures morales et qu’il lui fallait trouver un exutoire. A mi-chemin entre littérature et bande dessinée, le livre alterne passages écrits et dessins, en cases ou en illustrations, avec parfois des photos qui viennent renforcer l’authenticité du propos. Sur plus de 200 pages, on assiste à la lente dégradation de M. et Mme Chast, qui demeurèrent jusqu’à la fin dans le déni vis-à-vis de leur propre déchéance puis de leur disparition inéluctable. Tout commence alors que Roz décide de leur rendre visite dans leur quartier de Brooklyn, après des années de séparation liées à la distance géographique, mais surtout à un besoin plus ou moins conscient de se détacher de ce duo parental fusionnel et vivant dans un vase clos étouffant. Jusqu’alors, le téléphone suffisait amplement, lui évitant de voir ce qu’elle ne voulait pas voir... Mais lors de sa visite, le choc survient, sans préliminaires. Les premiers signes du déclin se dévoilent à ses yeux incrédules, comme autant d’exhalaisons de la faucheuse pointant le bout de son nez : la couche de crasse qui envahit tout, meubles et objets, les piles de magazines et de pubs qui grossissent… C’est alors que viendront les questionnements, la culpabilité mais aussi les colères et les rancœurs remontant à l’enfance, et plus prosaïquement la perte d’autonomie progressive des géniteurs, le déménagement vers la résidence pour personnages âgées (« cet endroit »), l’aspect pécuniaire et les inquiétudes liées aux frais prohibitifs de la prise en charge non couverts par l’assurance, le temps des cartons et du rangement d’un appartement où macère un fatras de souvenirs dérisoires, les premières chutes et l’hospitalisation qui s’ensuit, tels des coups de boutoir avant l’approche du précipice à vitesse grand v., et enfin le retour à l’état de nouveau-né annonçant un dernier soupir, toujours reporté en ce qui concerne la mère, comme dopée par un instinct de survie hors-normes et sa robustesse « de paysanne ». Des « prolongations » qui finiront par provoquer un début de déprime chez Roz, déjà affublée du lourd statut de fille unique, et à qui sa mère indifférente consentira un « Je t’aime » ténu une semaine avant sa mort. Le dessin tient plus des pattes de mouches mais n’en dégage pas moins une grande expressivité, très efficace dans sa manière de montrer l’essentiel, s’effaçant pudiquement derrière le texte lorsque les mots se passent d’images. Le ton est juste, et cette volonté de se mettre à nu tout en conservant un humour protecteur produit quelque chose de sincèrement poignant, sans pathos aucun. Pour comprendre, il suffit d’observer les croquis incroyables de la mère assoupie sur son lit d’hôpital, vers la fin du récit. Il fallait un certain courage à l’auteure pour évoquer avec autant de détails cette douloureuse expérience, mais autant que le lecteur soit prévenu : il devra faire preuve lui aussi d’une certaine endurance. Le sujet est aussi captivant que macabre, et c’est un miroir de notre destinée commune que Roz Chast nous tend, un miroir peu enjôleur que certains rechigneront peut-être à empoigner, mais immense sera le gain d’accepter cette leçon d’humilité quant à notre condition de misérables mortels. Après l’atypique Ici publié en début d’année, Gallimard confirme qu’il prend au sérieux le neuvième art en étoffant son catalogue d’ouvrages hors-normes et de qualité.
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