Anent - Nouvelles des Indiens jivaros
L'expérience d'un ethnologue racontée avec humour.
Amazonie Les petits éditeurs indépendants Tribus et peuples isolés
Au cœur de la jungle amazonienne, les Jivaros Achuar conversent quotidiennement avec les plantes, les animaux et les esprits grâce aux anent, de petits poèmes fredonnés à voix basse ou récités mentalement. Du moins en était-il ainsi il y a quarante ans, lorsque l’anthropologue Philippe Descola partagea leur vie pendant trois années. Fasciné par son récit, Alessandro Pignocchi repart aujourd’hui sur ses traces… (texte : Steinkis)
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Date de parution | 13 Janvier 2016 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Je découvre à rebours l’œuvre de Pignocchi, puisque j’ai lu ses deux autres séries avant cet album, pourtant premier paru. Du coup mon regard en est sans doute biaisé, et c’est peut-être pourquoi j’ai à certains moments ressenti une attente déçue. Car il n’y a pas ici le côté fortement « engagé » très présent dans La Recomposition des mondes ou Petit traité d'écologie sauvage, ni l’humour – du moins le même type d’humour ironique et pince sans rire parfois – qui innerve le Petit traité (qui est une sorte d'inverse d'Anent, puisque ce sont des Amérindiens qui observent et jugent les "Occidentaux" !). Mais j’ai mieux compris le Petit traité en découvrant cet « Anent », et je cerne bien mieux cet auteur, franchement original et une personne très fine. Ici, il se lance à la découverte des Jivaros (on est souvent presque plus proche du documentaire que du pur roman graphique). Ou plutôt à la redécouverte. En effet, il a été marqué par la lecture du récit d’un ethnologue, Philippe Descola, qui a vécu chez eux il y a une cinquantaine d’années, et qui en a fait un récit qui sert de « guide » à Pignocchi, qui le cite abondamment – surtout dans la première partie de l’album. Et du coup cet album révèle plusieurs degrés de lecture. D’abord un côté un peu ethnologique. Mais aussi un aspect historique indéniable, tant la société des Jivaros a été bouleversée par la rencontre avec le « monde moderne », voire l’évangélisation – partielle ! De fait, Pignocchi est très souvent surpris de ne pas retrouver ce qu’il a lu dans le livre de Descola. Ces « surprises » sont souvent source d’humour (il y en a donc, mais pas le même que sur le Traité d’écologie) et sont à la fois source de dynamisme pour le récit, et source d’information pour ceux qui s’intéressent à ces « peuples premiers ». Une lecture d’autant plus intéressante que le dessin de Pignocchi – qui use de styles différents selon qu’il s’inspire du récit de Descola ou que c’est son expérience qui est illustrée – est vraiment bon, et souvent beau. Note réelle 3,5/5.
Ayant aperçu la couverture de cet album par-ci par-là, j'étais persuadé qu'il s'agissait d'une BD d'Emmanuel Lepage, un de ses nouveaux documentaires témoignages suite à un périple exotique de sa part. En réalité, même si l'album n'est pas de lui, l'esprit est ici très similaire, quoique je n'ai pas ressenti la même émotion qu'avec du Lepage. L'auteur, Alessandro Pignocchi, qui a visiblement vécu une grande partie de sa jeunesse en Equateur et y a rencontré pas mal de tribus indigènes, a plus tard été fasciné par le livre écrit par l’anthropologue Philippe Descola qui a vécu trois ans avec une tribu Jivaro à la fin des années 1970. Alessandro s'est alors rendu compte que malgré ses visites auprès d'eux durant sa jeunesse, il n'avait eu qu'un aperçu trop superficiel de leur culture. Il va alors décider de s'y dédier plus sérieusement et de s'organiser des séjours à leurs côtés, et plus particulièrement aux côtés d'une tribu en particulier, celle des Achuar qui à l'époque de Philippe Descola était celle la plus coupée de la société moderne. Il va ainsi mettre en parallèle sa vision de l'expérience de Philippe Descola quarante ans auparavant avec la sienne. Graphiquement, il différencie les deux époques par un style différent. L'illustration du récit de Descola est réalisé dans une aquarelle très esthétique, en teintes de gris. C'est ce style là qui se rapproche de celui d'Emmanuel Lepage et c'est forcément un compliment que de dire cela. Le témoignage de l'auteur lui-même est réalisé dans un style plus proche de la BD documentaire, avec un trait fin rappelant un peu Davodeau. Et si la première partie de l'album est en pur noir et blanc, des couleurs à l'aquarelle vont venir là aussi s'ajouter à partir de la moitié de l'ouvrage. C'est efficace, plutôt joli, mais moins envoutant que le pur dessin à l'aquarelle. Avec l'évolution de l'immersion de l'auteur dans la culture Jivaro, il va aussi faire évoluer son dessin pour que celui des deux époques viennent à se ressembler davantage. C'est une bonne idée sur le plan du message narratif, mais pas toujours idéal car du coup j'ai eu quelques hésitations parfois pour savoir si quelques planches parlaient de Descola ou de l'auteur car en plus les personnages s'y ressemblaient beaucoup. De même, dans la seule époque de l'auteur, j'ai fini par confondre certains Jivaros qui là aussi se ressemblaient trop. Sur le plan anthropologique, c'est très intéressant. Je ne connaissais rien de la société Jivaro. Comme beaucoup, je l'associais aux réducteurs de tête stéréotypés alors que le sujet n'est même pas abordé ici. Vivre à leurs côtés n'est pas une expérience qui m'attirerait, surtout sur le plan culinaire je dois dire, mais je peux comprendre l'intérêt qu'ont ressenti Descola et l'auteur de cette BD. Et j'ai découvert avec eux le sujet de ces fameux anents, ces comptines plus ou moins secrètes, chantées pour s'adresser aux plantes, aux animaux et aux esprits, et dont je ne connaissais rien jusqu'à présent. C'est aussi très intéressant de voir à quel point leur culture et leur univers ont été bouleversés durant les quarante années qui séparent les deux séjours qui sont ici observés en parallèle, même si on s'aperçoit en fin d'album qu'il y avait un pan de la vérité qui avait été maintenu caché à Alessandro Pignocchi en attendant que la confiance s'établisse pour de bon entre les indiens et lui. Je n'ai pas été foncièrement emporté par ce récit, même si j'ai cru que la mayonnaise allait vraiment prendre en milieu d'album, avant le second retour de l'auteur sur site. Je pense que cela tient en partie à mon faible intérêt personnel général envers les tribus indigènes des forêts tropicales, mon cœur étant plus porté vers la mer ou les espaces désertiques, qu'ils soient chauds ou froids. Je m'imaginais plusieurs fois dans les bottes de l'auteur et je sais que je m'y serais senti très mal à l'aise, d'où un ressenti en demi-teinte à la lecture de cet album, même si je l'ai trouvé instructif et plutôt bien construit et dessiné.
Cet album est une petite perle. J’avais découvert son auteur via le tome 1 du « Petit traité d'écologie sauvage », un album très original qui nous propose d’inverser deux univers, les animistes étant aux commandes de nos sociétés. En découlaient situations cocasses et absurdes, qui prêtaient à rire tout en nous obligeant à réfléchir sur notre perception du monde et notre place sur la terre. Anent est le versant « sérieux » du travail de l’auteur, ethnologue, philosophe et dessinateur de talent. Il nous relate ici son séjour chez les Achuars, peuple jivaro vivant au cœur de la forêt amazonienne. Mais « sérieux » ne veut pas dire « dénué d’humour », l’auteur pratiquant régulièrement l’autodérision. Ce qui m’a d’abord marqué, c’est l’intelligence avec laquelle Alessandro Pignocchi utilise son dessin pour faire passer un message. Il alterne en effet des styles différents qui figurent avec finesse le niveau de compréhension entre les deux cultures. Au début, deux styles bien distincts. Puis un seul style dans lequel cohabitent les deux styles mais sans que la fusion ne soit parfaite. Enfin, un style propre dans lequel la couleur fait son apparition. A chaque changement de style correspond une évolution dans la compréhension par Alessandro Pignocchi du mode de pensée, et de vie, des Achuars. Des fourvoiements du début succèdent la compréhension puis l’assimilation. Au niveau de l’usage du dessin pour transmettre une idée, c’est digne à mes yeux d’un Scott McCloud ou du duo d’Enfin Libre : original et intelligent. Et comme, en plus, le gaillard sait tenir un pinceau, certaines planches sont de pures splendeurs. Particulièrement celles qui illustrent des oiseaux, que je trouve magnifiques de précision et de vie, Alessandro Pignocchi parvenant à combiner la rigueur du trait à l’art de la suggestion par l’absence de traits. Quant au contenu, il est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, parce que se développant sur deux époques, il permet de montrer l’évolution (ou la dévolution, question de point de vue) de la culture Achuar au contact de nos cultures occidentales. Ensuite, parce que, alors que comme lecteur, on se dit que cette culture est en net recul, l’auteur va nous montrer le contraire grâce à certains aspects de cette culture –dont les fameux anent, qui donnent leur nom à cet album- avec une explosion finale où l’on se dit que, à nouveau (à l’image du premier séjour de l’auteur en Amazonie), on a failli passer complètement à côté. Enfin, parce que les anecdotes surprenantes et amusantes se succèdent, relançant régulièrement notre curiosité et notre envie de finir ce copieux bouquin. Intelligent, très bien illustré, amusant à l’occasion… voici un très beau récit sur la rencontre entre un ethnologue curieux et ouvert et un peuple qui n'a pas encore oublié qu'il n'était qu'un élément parmi tant d'autres de la planète Terre.
Je n'ai pas su comment aborder cet album. Mais sans a priori, c'est sûr. c'est d'ailleurs l'idée qu'a eue Philippe Descola, ethnologue considéré comme le successeur de Lévi-Strauss, quand il est allé voir plusieurs groupes d'Indiens d'Amazonie à la fin des années 70. Lentement, il s'est intégré à leur mode de vie, a appris leur langage, leur façon de se comporter... Et en a tiré un livre-référence, Les Lances du crépuscule. C'est sur ses traces que s'est lancé Alessandro Pignocchi, lui-même ethnologue, mais aussi illustrateur de talent. Cet album est un mix de leurs deux témoignages, proposant un récit à deux voix, qui laisse une large part à l'écoute, au dialogue, à la contemplation. Et rectifie au passage quelques idées reçues sur les Indiens appartenant au groupe des Jivaros. J'ai eu un peu de mal à rentrer dans le livre. D'abord à cause de ces sautes d'une époque à l'autre, même si les Indiens rencontrés par Pignocchi ont beaucoup changé par rapport à 35 ans plus tôt. Mais aussi parce que le graphisme me semblait hésitant. Et puis au tiers du bouquin, Pignocchi a trouvé un rythme de croisière, les récits sont devenus plus fluides, mieux articulés, tandis que son dessin s'est stabilisé, démontrant une admiration sans bornes pour la nature amazonienne. Je suis resté scotché sur certaines pages, à la poésie et au anturalisme indéniables. Une belle découverte, qui m'a donné envie de me procurer le bouquin de Descola.
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