Suite Française
Comme dans un film de Renoir ou d'Altman, les personnages, les trajectoires, les destinées se heurtent et s'emmêlent sur les routes de l'Exode de juin 1940, traçant le portrait de ces heures noires où il a semblé que la donne sociale, morale, nationale se rebattait intégralement.
1939 - 1945 : La Seconde Guerre Mondiale Adaptations de romans en BD
Une décennie après le triomphe mondial de Suite française, roman miraculeusement réchappé de l'oubli, prix Renaudot 2004, Emmanuel Moynot s'empare du premier volet du diptyque, Tempête en juin. Sous sa plume acérée, le classique d'Irène Némirovsky trouve sa dimension visuelle. Comme dans un film de Renoir ou d'Altman, les personnages, les trajectoires, les destinées se heurtent et s'emmêlent sur les routes de l'Exode de juin 1940, traçant le portrait de ces heures noires où il a semblé que la donne sociale, morale, nationale se rebattait intégralement. Les figures inoubliables qui peuplent les pages de Némirovsky prennent corps. On retrouve comme si on les avait toujours connus le banquier Corbin, le gentil couple Michaud, la tribu des Péricand, l'infortuné abbé Philippe, la frivole Arlette Corail, le sinistre Corte et sa maîtresse écervelée, tous les autres, les perdants, les affreux, les purs et les morts de cette débâcle française. Et l'on découvre au passage que l'auteur de David Golder – dont on connait la passion pour la narration cinématographique – aurait fait une grande scénariste.
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Date de parution | 08 Janvier 2015 |
Statut histoire | One shot (le 2nd volet pourrait être adapté à l'avenir) 1 tome paru |
Les avis
Une lecture sympathique, mais qui m’a laissé quelque peu sur ma faim. Le dessin, simple, parfois proche du crobar amélioré, est lisible et efficace. On y retrouve quelques accointances avec le trait de Tardi (rapprochement accentué par le ton un peu ironique et vachard adopté par ce récit). Nous suivons quelques groupes/familles de personnages durant le printemps et l’été 1940, essentiellement durant l’exode devant l’avancée des troupes allemandes. Le casting comprend surtout des membres de la grande bourgeoisie, du tout Paris. C’est l’occasion de dépeindre certaines préventions de classe, certaines grandes lâchetés drapées dans un courage fuyons d’opérette. Certains passages tournant en ridicule quelques protagonistes sont jouissifs (comme l’humour noir autour du curé, massacré par les gamins qu’il prétendait sauver). Mais il y a aussi des longueurs, et surtout les va-et-vient de plus en plus rapides entre les différents personnages hachent un peu le récit. Je ne connais pas le roman d’origine, et ne sais donc pas si ce problème vient de l’adaptation, mais cela manque parfois de liant. Reste une peinture sarcastique d’un milieu et d’un moment, vraiment peu glorieux. A compléter, pour le côté burlesque et piteux de l’exode, par La Déconfiture de Rabaté.
L'Exode de Juin 40 en BD mais avec comme intérêt notable qu'il s'agit de l'adaptation d'un récit écrit entre 1940 et 1942, donc clairement au cœur de l’événement. Nous y suivons une brochette de personnages variés, allant de la famille bourgeoise à de simples employés de banque en passant par un écrivain snob et la maîtresse débrouillarde d'un riche banquier. L'histoire se passe entre le moment où ils décident tous de quitter Paris dans l'urgence et celui où la plupart d'entre eux y reviennent quand finalement la France a signé l'Armistice. J'ai bien aimé la crédibilité de cet ensemble de récits ainsi que la diversité de son panel de protagonistes. Cela permet d'avoir plusieurs points de vue et plusieurs types de déroulement de ce moment historique. Le dessin est également appréciable, dans ce style d'Emmanuel Moynot qui s'apparente à celui de Tardi. Par contre, le fait que le récit alterne rapidement entre les situations de chaque groupe de personnages donne un sentiment de superficialité au récit. On ne s'attache à aucun d'entre eux. De même, le rythme est un peu rapide et empêche le lecteur de se sentir impliqué et de vraiment apprécier ce qui arrive à chacun. En définitive, ce fut pour moi une lecture historiquement intéressante mais pas vraiment très prenante.
A l’origine, Suite française est un roman d’Irène Némirovsky. Ecrit durant les deux premières années de la seconde guerre mondiale, il survivra miraculeusement à son auteure, décédée quant à elle à Auschwitz dès l’été 1942, pour être publié finalement en 2004. Son auteure est à ce jour la seule à avoir reçu le prix Renaudot à titre posthume. Ce roman se présente sous la forme d’un diptyque (et aurait connu une suite sans la mort tragique d’Irène Némirovsky) et le présent album nous en propose le premier volet. A l’heure actuelle, je ne sais pas si Emmanuel Moynot compte en adapter le second volet mais je trouverais malheureux que ce ne soit pas le cas. De fait, ce premier volet, Tempête en Juin, m’a énormément plu tant par sa forme que par son fond. Irène Némirovsky n’en était pas à son premier roman et cela se sent à plusieurs niveaux. Le récit est très bien structuré, le découpage est bien pensé et le passage d’un centre d’intérêt à un autre relance constamment l’intrigue. Des recoupements apparaissent en seconde partie du récit, qui nous permettent de mieux cerner les intentions de l’auteure. La galerie de personnages est bien pensée : en majorité des bourgeois ordinaires, totalement déconnectés de la réalité pour certains, réactifs pour d’autres, lâches ou dignes en fonction des circonstances, admirables ou détestables selon les cas. Cette galerie permet de créer un récit-chorale sans redondance, où chaque personnage trouve sa place et son importance. Le ton employé, enfin, permet à l’auteure de nous plonger dans une réalité de terrain. Ici, la mort peut atteindre n’importe lequel de ces personnages au coin d’une rue, alors que tous tentent d’oublier cette réalité de la guerre. Cette particularité (contrairement à bien d’autres récits du même genre dans lesquels on devine aisément quel héros l’on va suivre jusqu’au terme de la guerre) m’a tenu dans un état de tension dramatique sans que je sombre dans la noirceur absolue : les événements décrits sont juste parfois absurdes… à l’image de la guerre. L’adaptation en image de Moynot est d’une belle qualité. L’auteur recoure intelligemment à la présentation des personnages via une galerie proposée en début d’album (bien pratique pour s’y retrouver au début tant les personnages sont nombreux et les liens entre eux pas toujours évidents à mémoriser). Le découpage est clair : chapitres – sous-chapitre – ces derniers scindés par famille. Cette manière de bien structurer le récit permet à un lecteur dans mon genre -qui retient très difficilement le nom des protagonistes- de ne pas s’égarer en cours de lecture. Les personnages, enfin, sont bien typés et donc assez aisément identifiables. En définitive, ce récit nous propose un récit-chorale prenant qui nous plonge dans le quotidien de gens ordinaires (même si majoritairement issus de milieux aisés) face des événements qui les dépassent. Ma seule réserve vient du fait qu'en l'état, cet album offre un goût prononcé d'inachevé. J'attends donc la suite avant d'éventuellement remonter ma cote.
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