Winter Road (Roughneck)

Note: 3.88/5
(3.88/5 pour 8 avis)

Ancien hockeyeur connu pour ses excès de violence, Derek Ouelette part s'isoler au beau milieu des bois afin d'échapper à la prison et d'aider sa sœur à se sevrer. Un roman graphique intimiste et introspectif.


Auteurs canadiens Canada Froid. Neige. Glace Futurs immanquables Le Hockey Les meilleurs comics Nouveau Futuropolis One-shots, le best-of

Pimitamon est une petite ville de l'Ontario au Canada. Derek Ouelette boit tranquillement un verre dans l'un des bars du coin lorsque deux types viennent le voir. Ils ont reconnu l'ancien joueur de hockey sur glace dont la carrière fut brutalement arrêtée en raison de ses excès de violence. Venus le saluer mais aussi le taquiner, les deux hommes sont maladroits. Derek, taciturne, répond très vite à leurs provocations par des coups. S'il peut craindre la cellule avec le casier judiciaire qu'il se trimbale, Derek peut néanmoins compter sur l'aide de Ray, son ami policier. L'ancien hockeyeur a repris depuis quelques temps le restaurant de sa défunte mère et loge dans une salle de la patinoire locale grâce à Al, un vieil ami. Le quotidien passe et les déboires sont toujours les mêmes pour Derek, jusqu'au jour où sa petite sœur Beth réapparaît. Partie à Toronto il y a quelques années, elle revient avec des marques de coups sur le corps et une addiction sévère aux drogues. À peine est-elle revenue qu'elle a de nouveau consommé des stupéfiants. Derek, de colère, fonce voir les deux dealers du coin et leur rentre dedans. Le temps que cela se tasse, Al propose à Beth et son frère de passer quelques semaines dans une maison isolée située dans les bois...

Scénario
Dessin
Couleurs
Traduction
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 15 Septembre 2016
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Winter Road © Futuropolis 2016
Les notes
Note: 3.88/5
(3.88/5 pour 8 avis)
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30/12/2016 | Erik
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Présence

La reproduction des schémas comportementaux - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. L'histoire a été publiée initialement en 2017, d'un seul tenant, sans prépublication. Il s'agit de l'œuvre de Jeff Lemire : scénariste, dessinateur et metteur en couleurs, et qui a également réalisé le lettrage. À Pimitamon dans le nord de l'Ontario, Derek Ouelette est en train de descendre des bières au comptoir et de fumer des clopes, dans le bar The Pit Stop, tenu par Gerry. Lisa propose qu'il lui paye un coup, mais il décline, pas ce soir. Deux gugusses s'approchent de lui : ils l'ont reconnu comme étant un joueur de hockey professionnel qui avaient atteint un niveau national. Ouelette ne leur serre par la main. Son interlocuteur l'asticote un peu, et Ouelette lui flanque un violent coup de boule sur le nez et le tabasse. L'homme tombe sans connaissance sur le sol. Ouelette sort se soulager sur le mur dans la ruelle. Un chien vient lui aboyer dessus puis s'en va. La voiture de police s'arrête et le shérif Ray en descend. Il dit à Ouelette qu'il devrait l'arrêter, pas pour se soulager sur la voie publique, mais pour avoir brutalisé le conducteur de motoneige. Ouelette répond que c'est l'autre qui l'a cherché, et demande à Ray s'il n'aurait pas une bouteille. Ray finit par lui tendre une flasque. Ouelette en boit une rasade et s'en va, sans même prendre la peine de récupérer son manteau dans le bar. Il garde la flasque avec lui. Il se rend au stade hockey sur glace, et se rend compte que la clef de la loge du gardien qu'il occupe est restée dans son manteau. Il descend les tribunes et pénètre sur la glace du terrain. Il contemple la surface le regard dans le vide. Beth Ouelette, la sœur de Derek, est en train de marcher le long de la route nationale à Pimmins, à 120 kilomètres au sud de Pimitamon. Elle rentre dans le restaurant routier de la station-service, après avoir remis à leur place deux hommes lui ayant demandé où elle va. Elle demande un café au comptoir dans l'établissement vide. La serveuse remarque que Beth est frigorifiée et qu'elle n'est pas assez habillée pour le temps. Beth répond qu'elle a dû partir à la hâte : elle a décidé de quitter son copain et de se rendre Pimitamon là où elle a de la famille. La serveuse lui demande si elle a de l'argent. La réponse étant négative, elle lui déconseille de faire du stop. Elle ajoute que Beth peut rester une nuit ou deux dans l'une des chambres à l'arrière. Attendrie par la situation de la jeune femme, la serveuse finit par lui donner quelques billets, en lui conseillant de finir son café. À peine s'est-elle retournée vers la machine à café, que Beth sort, sans un mot, sans un remerciement, sans même attendre l'heure du bus. Le lendemain matin, au stade couvert de Pimitamon, Al, le responsable du stade, retrouve Derek endormi sur la glace avec la flasque vide du shérif dans la main. Entre deux séries plus longues, majoritairement avec un dessinateur, Jeff Lemire réalise une histoire complète et indépendante de toute autre qu'il met lui-même en images avec son graphisme si particulier. Il donne l'impression de réaliser ses dessins de manière spontanée, avec un trait un peu irrégulier, un niveau de détails sommaire. Pour habiller ces cases, il applique de l'aquarelle, généralement une seule teinte (ici un bleu entre Gris de lin et gris Horizon). Il n'utilise d'autres couleurs que pour les scènes peu nombreuses et courtes se déroulant dans le passé. L'impression générée par ces pages est celle de l'essentiel : pas de fioriture, pas d'embellissement, une réalité plutôt crue, sans fard, un peu fruste en phase parfaite avec les personnages et leur condition sociale. Ça fonctionne également parfaitement pour les paysages urbains, une petite ville sans beaucoup de personnalité, avec des bâtiments surtout fonctionnels, et pour les paysages naturels, une zone enneigée et boisée, sans rien de remarquable si ce n'est de la neige terne et des bouleaux dénudés. En deux scènes, Jeff Lemire a établi son personnage principal : Derek Ouelette, un individu costaud, très soupe-au-lait et ayant tôt fait d'atteindre sa limite et de frapper son interlocuteur, de le cogner trop fort, pour faire mal, pour blesser. Il a été un joueur de hockey, mais il a été expulsé de la Ligue National de Hockey pour avoir envoyé à l'hôpital, un membre de l'équipe adverse. Depuis, il a repris l'emploi auparavant occupé par sa mère dans le petit restaurant de Pimitamon, semblable à tant d’autres. Il n'a pas de maison ni d'appartement, et dort dans la loge du concierge du stade de hockey, en fait juste une grande pièce rectangulaire avec un lit et une ou deux étagères. Le soir, il va descendre des verres au bar du coin, en regardant les matchs de hockey, un bon à rien. Le retour de sa sœur n'améliore pas les choses, car elle-même se classe dans la catégorie des bons à rien. Elle a quitté Pimitamon il y a quelques années pour aller à Toronto, où elle a zoné dans la rue, avec de prendre un emploi de serveuse dans un café, puis de se mettre à la colle avec un gugusse violent, étant devenue accro à l'oxycodone. C'est pas gai tout ça. Pourtant, ce n'est pas une lecture qui donne le cafard. Jeff Lemire raconte une tranche de vie, un peu particulière dans un coin du monde finalement particulier lui aussi, sans misérabilisme. Il est visible que Derek Ouelette ne s'aime pas et qu'il est incapable d'envisager une autre vie. Il est visible que Beth Ouelette ne s'aime pas, mais qu'elle ne peut plus supporter la vie avec Wade Daniel Lachine. Il apparaît quelques autres personnages, un peu mieux lotis dans la vie : Ray le shérif (un emploi régulier et stable), Al le gérant du stade. Ce sont les deux personnages secondaires principaux. En les regardant, le lecteur constate que l'apparente simplicité des dessins est trompeuse : chaque personnage dispose d'une morphologie spécifique, d'une forme de visage spécifique, et même de postures particulières. Ray est plus filiforme que Derek, Al est beaucoup plus âgé. Brenda, le médecin, a des hanches un peu larges. Wade a une chevelure tignasse plus fournie. Il ne fait pas de doute que l'artiste a réalisé des études graphiques pour définir l'apparence de chaque personnage. Étrangement, le lecteur ne se sent pas agressé par le comportement de Derek Ouelette, ni plombé par l'addiction de Beth Ouelette. Pourtant, il ressent bien de l'empathie pour eux. Il faut un peu de temps se rendre compte que cela vient à la fois des deux personnages, à la fois de leur environnement. S'il est possible de compatir au fait que Derek ne se maîtrise pas, il n'est pas possible de cautionner de brutaliser toux ceux dont il estime qu'ils l'ont agacé. De même, si elle ne l'a pas bien cherché, Beth s'est mise toute seule dans sa situation. De plus, l'un comme l'autre ne sont que moyennement affectés par leur condition : ils n'en sont pas satisfait, mais ils font avec. Autour d'eux, Ray, Al et Brenda indiquent qu'il faudrait qu'ils évoluent, mais sans non plus s'ériger en sauveur. Il y a une autre caractéristique de la narration qui reste très posée, calme sans être indolente : la longueur. En tant qu'auteur complet, Jeff Lemire maîtrise sa pagination et a décidé de se donner la place de raconter son histoire. Il peut ainsi consacrer une page muette à Derek en train de se soulager contre un mur, 3 pages muettes à montrer Beth marcher sur le bas-côté de la nationale, consacrer un dessin en pleine page à montrer Beth sortant du café en vue du ciel, une page de 3 cases de la largeur de la page montrant deux motoneiges venant vers le lecteur en plan fixe, un dessin en pleine page avec la neige qui tombe sur les bouleaux, etc. Cela donne un rythme apaisant à la narration. Le lecteur éprouve vite la sensation que l'environnement de cette petite ville au nord de l'Ontario impose son rythme aux personnages : elle ne les englue, elle ne rend pas leurs efforts dérisoires, mais elle fait comme un tampon pour leurs émotions, ce qui les rend plus supportables pour le lecteur. Celui-ci est à la fois concerné par les personnages, à la fois il dispose d'une forme de recul. Les pages se tournent rapidement du fait du faible nombre de cases par page, généralement 4 ou 5, et des dialogues succincts. S'il connaît déjà les œuvres indépendantes de l'auteur, le lecteur se doute bien que ce moment de crise pour Derek et pour Beth correspond à la cristallisation d'un élément de leur passé. Beth fait remarquer à son frère qu'il est devenu le même genre d'individu que son père, brutal et alcoolique, et Derek lui répond qu'elle-même s'est mise avec un individu brutal et alcoolique. Jeff Lemire révèle par petites touches le relationnel entre Mary et Pat, la mère et le père de Beth et Derek, ainsi que l'empreinte que ça a laissé sur leurs enfants, la façon dont ils reproduisent ce schéma, sans forcément en avoir conscience. L'auteur n'a rien perdu de sa sensibilité émotionnelle et psychologique et de sa capacité à mettre en scène ces mécanismes au travers d'individus complexes, avec une délicatesse épatante, comme il l'avait fait dans Royal City . Cela n'aboutit pas à un mélo larmoyant, mais à une histoire touchante et émouvante. Jeff Lemire est passé maître dans l'art de raconter une histoire simple, avec des individus ordinaires, un peu paumés, dans un bled sans éclat. Il raconte histoire l'histoire d'un mec trop violent cuistot dans un diner d'une petite ville, sans avenir, et de ses retrouvailles avec sa sœur qui fuit un compagnon violent, et qui est dépendante à l'oxycodone. À l'opposé d'un drame social pesant, la narration raconte une prise de conscience plus ou moins explicite pour les personnages, dans une petite ville banale, en emmenant le lecteur relever des pièges à martres d'Amérique, sans que cela n'apparaisse comme le comble de l'exotisme.

24/04/2024 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
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J’aime beaucoup Jeff Lemire, et j’avais repéré l’avis de Mac Arthur sur « Winter Road » depuis un moment… mais j’ai pas mal repoussé ma lecture, de peur de ne pas forcément accrocher au personnage violent de cet album (nommé « Roughneck » en VO, cad « voyou », « dur à cuire » selon mon fidèle dictionnaire Collins)… d’autant plus que le hockey, c’est vraiment pas mon truc. Mais je suis une nouvelle fois tombé sous le charme du talent narratif de l’auteur. L’univers décrit est d’une violence et d’une froideur extrêmes… tout en restant très humain. Jeff Lemire tisse tout doucement (à coups de flashbacks) la personnalité de ses personnages, à commencer par le « héros » de cette histoire, Derek Ouelette, ex joueur de hockey, violent et alcoolique, mais aussi sa sœur Beth, droguée et battue par son compagnon. On en apprend plus sur leur passé, on comprend leur douleur, leur comportement, leurs motivations… la mise en scène de leurs retrouvailles, après tant d’années sans se voir, est vraiment bien amenée, juste et remplie d’émotion. L’histoire est très prenante… quelle tension narrative, impossible de reposer l’album avant d’en connaitre la fin. Le dénouement est surprenant, avec une scène vraiment forte et inattendue… mais aussi selon moi un peu confus, j’ai dû relire la fin plusieurs fois, ce qui en a réduit l’impact… dommage. La mise en image est superbe, notamment les couleurs, avec des lavis du plus bel effet (choix judicieux pour représenter la froideur ambiante) et des tons plus vifs réservés aux flashbacks et à certaines scènes plus violentes. Un excellent moment de lecture, un gros album que j’ai avalé d’une traite !

06/07/2020 (modifier)
L'avatar du posteur Mac Arthur

Wéééééééééééééééééééé !!!!!!!!!!!!!!!! Ça y est ! Ce coup-ci, Jeff Lemire me l’a vraiment mis dans les dents !!! Bon, après cet emballement, je me calme et m’explique. Ça fait quelques temps que je suis le travail de Jeff Lemire, trouvant ses différents projets intéressants, intrigants, engageants. Seulement, voilà, rarement j’ai eu le sentiment que la promesse avait été tenue. Mais j’y retourne à chaque fois… Sa narration, son dessin… rahhh, il y a une fragilité, une fêlure, une humanité qui m’interpellent. Et puis, à un moment, je me dis : « mais pourquoi il fait ça ? Pourquoi ça part en couille ? Pourquoi ça devient tout mou ? » Et bien, avec Winter Road, c’est jamais devenu tout mou. Et le final de l’album ! Le final, Jésus, Marie, Joseph, le bœuf, l’âne, les moutons, l’encens, les centwafers… tout ce que vous voulez !!! Ce final !! Hein ? Quoi ? Ça fait vachement penser à un film célèbre ? Oui, je sais… mais je m’en fous parce que ce final est parfait pour ces personnages ! Parce que Winter Road, c’est avant tout une histoire humaine, avec deux personnages brisés, qui vont se reconstruire en s’appuyant sur l’autre. Les silences sont nombreux et c’est tant mieux car ces personnages expriment bien plus en ne disant rien ! Rahhh, j’aime ces grandes gueules fêlées ! C’est classique, déjà-vu… mais chez moi, ça marche à tous les coups. Et puis, il y a le décor aussi. Ce bled paumé du Canada, cette cabane isolée en pleine forêt, ces scènes de hockey sur glace. L’auteur est dans son élément et ça se sent ! La progression dramatique est parfaite à mes yeux. Les personnages se révèlent au détour de flash-backs (avec une utilisation intelligente de la couleur) tandis que le drame approche, petit à petit mais inexorablement. Et puis, il y a ce final ! Putain de final !!

19/11/2018 (modifier)