Le Monde à tes pieds (El Mundo a tus pies)
Un triptyque chargé d’intensité et d’émotions qui dessine le portrait lucide d’un mal-être social.
Auteurs espagnols Format à l’italienne La Boite à Bulles Les petits éditeurs indépendants
Chronique de l’Espagne contemporaine en trois chapitres, Le Monde à tes pieds se penche sur le malaise de trois existences. Celle de Carlos — ingénieur surdiplômé contraint d’émigrer en Estonie au détriment de son couple — de David — chômeur depuis 4 ans et dont la seule opportunité financière devient une femme mûre en mal d’amour — et de Sara — promise à un brillant avenir mais finalement devenue une démarcheuse téléphonique aux ressources insuffisantes... Ils ne se connaissent pas mais partagent le même mal-être, les mêmes ressentiments, les mêmes vies éclaboussées par l’échec. Chacun se bat à sa façon contre une société en pleine crise économique où joindre les deux bouts passe avant la recherche du bonheur personnel. Incarnations d’une génération sacrifiée à qui l’on a fait miroiter un futur radieux, Carlos, David, Sara — et tous les autres — cherchent leur place et cet avenir fait d’opulence et de joie qu’on leur avait promis. Texte : Editeur.
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Date de parution | 29 Mars 2017 |
Statut histoire | Histoires courtes 1 tome paru |
Les avis
Même si je serai moins généreux dans ma note, je me retrouve très bien dans l’avis de gruizzli – y compris au niveau des convictions politiques, qui me rapprochent facilement de la critique sociétale sous-jacente dans les récits. C’est du roman graphique qui se lit bien, assez bavard, avec une succession de trois histoires centrées chacune autour d’un personnage. Le point commun de ces trois personnages est qu’ils souffrent d’un positionnement dans la société qui ne correspond pas à leurs attentes, à leurs compétences, et que leur vie sociale, amoureuse en est impactée. C’est là que Nadar glisse, mine de rien, une critique de nos sociétés, qui produisent de la frustration, et qui broient trop facilement les rêves et les individus. Moi qui pourtant apprécie le plus souvent le format à l’italienne, je n’ai pas trouvé ici qu’il soit utile. De plus, j’ai trouvé brutale et artificielle la transition entre ces trois histoires, qui chacune auraient pu mériter un 48 pages classique. Mais bon, ça reste quand même une lecture agréable.
Très très joli album que celui-ci. J'avais flashé dessus depuis un petit moment et la lecture fut particulièrement savoureuse. Je n'ai encore lu aucun récit de Nadar, mais je sens ici une touche plus personnelle qui n'est pas pour me déplaire. J'ai bien sur entendu parler de la crise économique espagnol, qui fit tant de ravages dans le pays. Le chômage des jeunes a explosé littéralement, donnant des scènes de milliers de jeunes dans les rues, désœuvrés et attendant de trouver un travail s'il en reste. C'est une vision assez dure dont je garde des souvenirs. Ici, la BD se concentre sur trois personnages différents qui vivent cette crise de l'intérieur. Ou plutôt qui subissent un changement de société qui s'amorce en Espagne. Une façon de comprendre que désormais, il est possible que nos études deviennent inutiles, qu'on fasse des boulots alimentaires à la chaine sans passion, que l'on déménage du jour au lendemain pour correspondre au offres du marché, que l'on doive se couper de ses liens familiaux, amicaux, tout ça pour suivre l'emploi, le saint emploi. Évidemment, vu mes convictions politiques, cette BD est dans l'axe que je connais déjà. Mais elle sait se faire intéressante en présentant trois façons différentes d'aborder ces soucis, mais aussi en nous représentant les diverses façons d'être coincé : question de couples, de reprises d'études, de personne à charge, de parents inquiets pour l'avenir de leurs enfants ... Tant de choses que je peux comprendre pour en avoir fait (ah, le management des centres d'appels ... horrible souvenirs) mais aussi que j'ai vu autour de moi. Les sur-diplômés qui vendent des sandwichs ou se retrouvent à marteler des chiffres sur un clavier jusqu'à l'abrutissement, j'en ai vu. Et je comprends tout les points soulevés par la BD : "je mérite mieux, enfin, je crois. Après tout, c'est pire ailleurs. Et qui me dit que demain ça sera pas encore pire ? J'ai déjà ça, c'est bien." Cette situation provoque des colères, des envies envers ceux qui ont plus, du ressenti envers soi-même. Mais rien n'est question de mérite ou de travail, surtout de chance, comme le dit si bien la fin de la BD. Une stupide chance que certains ont et d'autre non, tout simplement. Je n'en ai pas tant parlé, mais les histoires sont très sympathique. Des tranches de vie mais qui sont toutes avec une fin, ce que j'apprécie, et une sorte d’optimisme final qui prédomine. C'est aussi très lisible au niveau du dessin, qui exploite peu le format à l'italienne mais qui utilise surtout des très grandes cases assez aérés, une façon de faire que je n'avais pas vu depuis très longtemps. C'est le genre de BD qui n’intéressera que des gens déjà intéressés par le roman graphique de base, mais reste dans les bons crus du genre. Lisible, clair, au propos très sympathique, assez bavard aussi, mais avec de la tendresse. C'est un bon aperçu de ce que peut être la vie de jeunes gens d'aujourd'hui, une vie ni ratée ni réussie, une vie ordinaire. J'ai beaucoup aimé !
Je suis un peu circonspect après la lecture du roman graphique proposé par Pep Domingo (Nadar) en forme de coup de gueule sur le déclassement de la génération Y dite "sacrifiée". J'ai trouvé que trois histoires sur le même thème nous enfermaient dans une ambiance de généralisation victimaire qui ne reflète pas toute la réalité, en France tout du moins. D'ailleurs comme il est écrit dans la postface, un ingénieur diplômé ne reste jamais de façon significative dans un emploi non qualifié. Un couple du type Carlos/Diégo Ingénieur/Kiné (typiquement TINK) démarre facilement à 4000+ euros/mois en France. Ce type de déclassement (Ingénieur vers emploi non qualifié) vaut surtout pour des étudiants étrangers dont les diplômes ne sont pas reconnus. Je trouve donc le premier cas à la limite du sujet et l'histoire ne vaut que pour la crise du ménage entre les deux amants. Je trouve l'histoire de Sara beaucoup plus proche de la réalité même si son agressivité ne fait pas beaucoup progresser ses chances de réussites. Je ne suis d'ailleurs pas vraiment d'accord avec la vision de l'auteur. En effet des employeurs hésitent souvent à embaucher des super diplômés (sauf des immigrés) pour des emplois vraiment peu qualifiés car ils sont réputés volatiles et vite râleurs. Le propre de la jeunesse est de s'adapter à l'époque dans laquelle elle vit. Si la génération des Babyboomers a profité d'une période extraordinaire c'est probablement une des rares dans l'histoire de l'humanité. De plus si l'on en croit des penseurs comme Jancovici (Le monde sans fin) le modèle des parents et grands-parents de cette génération, modèle sociétal basé sur une croissance forte est caduque et probablement à réinventer. Se lamenter n'y changera rien. Depuis des milliers d'années des personnes se sont prostituées tel David pour pouvoir manger ou faire manger leur famille. Donc là encore rien de nouveau sous le soleil. Par contre j'ai trouvé le graphisme bon avec un format original qui favorise le dynamisme des histoires. J'ai bien aimé la forme des récits mais je suis plus réservé sur le message sociologique à sens unique proposé par l'auteur.
Comme le dit très justement Alix, « Le monde à tes pieds » est à conseiller aux amateurs de romans graphiques. Je serais même enclin à le déconseiller aux autres tant nous sommes là face à un récit du plus pur des quotidiens. Trois histoires (pas spécialement courtes car l’album est volumineux) pour nous parler de trois parcours de jeunes adultes en quête d’une place dans une société espagnole en pleine crise économique. Je me demande si d’ici une vingtaine d’année, cet album n’aura pas gagné en intérêt tant il saisit avec justesse un problème d’actualité et le ressenti de ces jeunes adultes. Ces trois récits offrent trois profils différents. Le premier va devoir s’expatrier pour pouvoir exercer ce pour quoi il a été formé. Le découpage de ce récit, qui fonctionne sur deux lignes temporelles distinctes, est original et permet d’accrocher l’attention du lecteur malgré la banalité de la situation et des propos. Dans le deuxième récit, le personnage, sans réelle formation, va devoir se créer son propre emploi. C’est le récit le plus farfelu à mes yeux, qui veut dénoncer le confort bourgeois d’une certaine classe sociale espagnole face au désastre économique subit par les jeunes en quête d’emploi. La critique est ici plus agressive mais le personnage ne me touche pas. Pas plus que le troisième personnage, objet de toutes les attentions du troisième récit. Celle-là est vraiment énervante. Oui, elle a un boulot de merde (opératrice en démarchage téléphonique), et elle espérait bien mieux grâce à ses études... Mais de là à devenir aussi agressive et rancunière ! C’est le récit qui m’a le moins parlé... Je ne dis pas qu’il n’est pas juste mais ce personnage est tellement irritant... Ca a beau être le sujet de ce récit (la transformation d'un caractère et l'évolution de la rancune suite à la frustration, puis la prise de conscience et enfin l'acceptation de la situation... qui à la fin de ce récit ressemble à de la résignation), ce type de personnage ne me parle pas, il ne m'intéresse pas. En résumé : Je n’ai pas été spécialement touché par les personnages (dont certains sont plus irritants que touchants). Je n’ai pas été interpellé par les situations décrites (que je connais trop bien à force de les croiser au quotidien). Je n’ai pas été subjugué par le dessin (même si, pour ce genre de sujet, il est très bon et offre des cadrages variés). J’ai beaucoup aimé le découpage. Le format à l’italienne apporte un plus et certaines idées graphiques m’ont vraiment bien plu (notamment pour la description du caractère mécanique du démarchage téléphonique). Je ne me suis pas ennuyé mais je n’ai pas été passionné. Je n’ai rien lu de neuf mais je pense que cet album permettra dans un avenir éloigné de comprendre l’état d’esprit des jeunes adultes à une certaine époque. Pas mal en somme… mais sans plus pour moi. Je ne déconseillerais pas l'achat mais uniquement si vous êtes fans de romans graphiques... ou si nous sommes en 2050 et si vous aimeriez savoir comment les jeunes Espagnols ont vécu la crise économique des années 2010.
Les auteurs espagnols sont manifestement assez marqués par la crise qui a touché violemment l’Espagne durant la décennie 2007-2017. Sur le même sujet, un auteur comme Miguelanxo Prado avec ses « Proies faciles » ne m’avait guère convaincu. J’ai découvert Nadar en 2015 avec l’excellent Papier froissé. Je viens d’enchaîner sur cette œuvre que je qualifie d’excellente à tous les points de vue. Il a fait coup double. C’est un autre auteur espagnol plus jeune et très prometteur. Bref, au lieu de se pencher sur les vieux de la vieille qui nous ont laissé ce monde pourri, on ferait mieux de découvrir de jeunes porteurs d’espoir. Cela ne vaut pas que pour la bd. Il faut dire que j’adhère totalement à ce discours de l’auteur. Par ailleurs, il développe une thématique qui m’est très cher pour l’avoir également connu à savoir le déclassement professionnel. Vous êtes hyper diplômés de type Bac+5 major de promotion en droit et vous vous retrouvez à servir du café pour des ignares, faute d’avoir de bonnes relations surtout lorsque vous venez d’un milieu défavorisé. C’est le lot de milliers de jeunes en Espagne mais je dirai également en France. L’avenir se situe dans le fait d’accepter des boulots à l’étranger et pourquoi pas à Tallin en Estonie où il fait -4 degrés. D’ailleurs, cette œuvre se sépare en trois récits et trois jeunes ayant un parcours différents pour faire face à cette crise. Le premier Carlos doit partir en Estonie et émigrer dans un pays dont il ne parle même pas la langue en sacrifiant la personne qu’il aime et qui partageait sa vie. Le second à savoir David n’a pas d’autres choix que de se prostituer pour satisfaire des vieilles bourgeoises en manque de sexe tout en cachant cette lucrative activité à sa pauvre maman qui a placé beaucoup d’espoir en lui. La dernière à savoir Sarah, diplômée en histoire, s’apitoie sur son sort de vendeuse par téléphone sur des plateformes dédiées à l’assurance-vie. C’est difficile d’entrer sur le monde du travail dans une société en crise et d’essayer de construire un couple et pourquoi pas une famille. J’ai bien aimé la façon dont Sarah remet à leur place ses parents qui font la morale dans une scène que je qualifierai d’anthologie. La génération Y est très souvent décriée. Cependant, c’est la génération précédente qui a eu droit à la retraite à 60 ans en bénéficiant des 30 Glorieuses et qui nous laisse à gérer les conséquences de leurs actes. La nouvelle génération a du mal à avoir le même niveau de vie que les parents et c’est quand même un problème. L’auteur a su gérer tout cela à merveille en évitant le pathos. Il a su trouver l’équilibre exact dans sa réflexion sur l’Espagne contemporaine. Par ailleurs, il apporte des réponses ou des pistes. C’est clair que cela passera par des efforts et le sens du sacrifice.
Cet album regroupe 3 histoires sur un thème similaire : le monde du travail, les choix difficiles que les jeunes doivent faire de nos jours, les attentes et les déceptions. Sans être nommé, le thème du « déclassement » est central, cad selon la postface « le décalage défavorable entre le niveau de formation et la position sur le marché du travail. » Les différents protagonistes sont diplômés, remplis de rêves et d’espoirs, mais se retrouvent confrontés à la dure réalité du monde du travail… Se mêlent à tout ça des problèmes plus personnels, la famille, les relations amoureuses etc… Bref, le ton est donc très humain, et très juste, même si certains personnages sont un peu horripilants par moments. La mise en image est réussie, j’aime beaucoup les couleurs un peu flashy et le format à l’italienne, cela donne un certain charme à l’album. Deuxième album du jeune espagnol Nadar après Papier froissé chez Futuro, et deuxième réussite… à recommander aux amateurs de romans graphiques !
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