Souterrains
Un récit étrange où drame social rime avec aventure fantastique !
La Vie sous terre Luttes des classes & conflits sociaux
Le monde de la mine se divise en deux catégories : ceux qui sont avec le Patron, et ceux qui creusent. Lucien creuse... Jusqu'au jour où les entrailles de la terre lui révèlent un monde peuplé de créatures aux proportions effrayantes. En mêlant réalisme et fantastique, Romain Baudy dynamite les frontières entre l'imaginaire et le récit politique pour nous offrir une aventure coup de poing.
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Date de parution | 13 Septembre 2017 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Dans les années 1930, quelques part dans le bassin minier du Nord-pas-de-Calais, la routine suit son cours pour Henri, son beau-frère Lucien et sa petite famille, tous deux mineurs de charbon. Entre un boulot harassant mal payé sans protection sociale, les conflits avec la direction patronale et la peur des réductions d’effectifs, ce n’est pas la joie tous les jours mais la vie étant ainsi faite, chacun tente de trouver des motifs de satisfaction. Pour Henri c’est plutôt contestation ouvrière, théories marxistes et bibine le soir au bar Chez Moustache. Pour Lucien c’est plutôt la famille avant tout et philosophie terrienne sans faire de vague. Lorsque ce dernier accepte de rejoindre une nouvelle équipe de miniers chargés de tester une innovation « high-tech », un poste mieux rémunéré faisant miroiter une évolution hiérarchique ; sa relation d’amitié commence à sentir le souffre avec Henri qui y voit une trahison et pressent une cabale patronale pour les remplacer tous. Quand Lucien prend conscience de la supercherie et qu’il s’est fait dupé, il tente un geste désespéré en voulant tout faire exploser. Mais il se rate, lui et ses camarades Tobiaz, Andrezj, le vieux, la corneille et le porion, se retrouvent abîmer dans un monde fantastique qu’ils ne soupçonnaient pas… J’ai sincèrement pris un grand plaisir à la lecture avec cette histoire fraîche d’un auteur qui casse les codes et barrières des genres. Cela débute comme un récit social tout ce qu’il y a de plus classique sur la dureté et la précarité du statut du mineur de charbon, avec son lot d’imageries à la Germinale, les corons et barreaux, la descente dans les puits, les chevalements, etc. Mais aussi le thème des conflits sociaux qui virent à l’empoignade entre ouvriers syndiqués et chiens de garde à la botte du patronat. Le contexte historique est bien rendu donc même si volontairement stéréotypé. Aussi avec la thématique du remplacement de l’homme par la machine, on se souvient qu’il s’agit d’une problématique bien plus ancienne qu’on ne le pense et pas seulement présente dans nos récits d’anticipation d’aujourd’hui, mais qui déjà pouvait se poser à l’époque (ou au XVIIIème siècle et la navette volante de John Kay qui révolutionna le métier à tisser par exemple). On pense alors que le récit prend le chemin de la science-fiction (sans oublier le teasing horrifique de l’intro) avec ce robot esclave-minier asimovien ingénieusement conceptualisé que je nommerai pour la forme mini-S.A.M. parce qu’il me rappelle le mécha géant de la série du même nom. Et puis « PAF ! », l’histoire prend le lecteur à contre-pied et bascule dans un remake de Daylight où le but va être de retrouver la lumière du soleil. À partir de ce quatrième chapitre Romain Baudy reprend presque les codes de la Portal Fantasy puisque, tout en étant définitivement dans une histoire Fantastique, nous avons des personnages qui explorent un monde secondaire merveilleux, par moment « médiéval », et dont ils sont totalement ignorants. La faune et la flore n’ont rien de commun avec ce qu’ils connaissent, toute retraite est impossible, et ils vont y jouer le rôle quasi « cliché » du héros prophétique libérateur. Le background fantaisiste ne manque pas de sel avec ce brassage des mythologies germanique et nordique où les Jötunn géants fusionnent avec les Nibelungen souterrains. La recherche est poussée jusqu’au runes qui ont une véritable signification et ne sont pas mises là juste parce que ça fait jolie : l’Othila la rune de pouvoir pour commander, et Uruz, la force. L’idée que des mineurs humains croisent des créatures mythologiques caractérisées pour leur travail des métaux est d’ailleurs plutôt cocasse. Voilà, je trouve l’intrigue très bien construite et pensée : la mise en abyme est chouette car si malheureusement pour Zola il n’y aura pas de « grand soir » dans le monde du dessus, nos héros pourront toujours se la jouer Sergio Leone et refaire Il était une fois la révolution chez les Jötunn. D’ailleurs pour la mise en abyme, peut-être que je pars en live mais je me demande si l’auteur n’a pas lu le Moi, Asimov de l’écrivain éponyme qui évoquait entre autres dans cette autobiographie ses origines juives puis un échange où il s’était opposé à Elie Wiesel qui était disons pour faire court, « obsédé » par l’Holocauste, que les juifs, parce que persécutés étaient bons et innocents par essence. Asimov lui avait répliqué que les juifs étaient persécutés parce qu’en position de faiblesse et qui sait s’ils s’étaient retrouvés de l’autre côté du manche… que le phénomène de persécution est universelle et que de persécutés certains passent à persécuteurs en un clin d’œil lorsqu’ils sont les plus forts comme le démontrent des comportements extrémistes d’israéliens envers les palestiniens. Et je me suis demandé avec mini-S.A.M. le robot asimovien briseur de chaînes du joug des nains/ewoks qui ont fuit les persécutions des vénitiens pour persécuter à leur tour les Jötunn/Nibelungen, si… enfin bon, peut-être est-ce tiré par les cheveux. Romain Baudy qui est entre autres choses designer sur la jolie série animé jeunesse "Wafku", démontre qu’il a plus d’une corde à son arc et est capable de se muer en auteur complet. Nous avons entre les mains un véritable roman graphique de plus d’une centaine de pages où parfois le dessinateur nous régale avec des dessins en pleine page totalement gratuits, que d’autres auraient réduit à cause de la limitation en 48 planches. Il y a parfois une fausse impression d’être en présence d’un héritier de Mike Mignola avec un encrage profond lorsqu’on s’enfonce dans la mine (proche du Dessous - La Montagne des morts de Bones). J’ai apprécié les jeux d’ombre entre encrage et couleurs qui donnent un rendu très riche, ainsi que cette variété dans le trait entre décors bien détaillés et physionomie des personnages parfois simple, vieille école. Toutefois, l’œuvre parfaite n’existant pas, j’ai relevé quelques scories qui m’ont dérangées : - Certaines proportions entre tête et corps ne sont pas toujours nickel en début d’album. - Pas très convaincu par le changement brutal de comportement de Lucien qui passe trop vite de père de famille responsable à dangereux poseur de bombe. - Les dialogues des personnages lors de la découverte de la créature manquent de naturel et de surprise (genre « OK y a une grosse bestiole… what else ? »). - Le coup de poing du Jötunn sur Lucien façon One-Punch Man qui ne fait que l’assommer alors que dessiner comme ça, il aurait dû se faire écrabouiller. - Les lutins qui parlent un français moderne impeccable alors qu’enfermer depuis des siècles sous terre. Un défaut qui m’agace toujours dans ce genre d’histoire. Une découverte surprenante qui m’envoie ravi. Un des tops de 2017.
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