Ar-Men - L'Enfer des enfers
Une plongée fantastique dans le plus mythique des phares, Ar-Men !
BD à offrir Best-of des 20 ans du site Bretagne Documentaires Les coups de coeur des internautes Les phares Les prix lecteurs BDTheque 2017 Nouveau Futuropolis One-shots, le best-of
Ar-Men est le phare le plus exposé et le plus difficile d’accès de Bretagne, c’est-à-dire du monde. On le surnomme " l’Enfer des enfers" Mêlant fiction, documentaire et légendes, épopée autant que récit intimiste, Emmanuel Lepage livre un récit de forte intensité.
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Date de parution | 16 Novembre 2017 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Décidément, il est fort ce Emmanuel Lepage. Il nous livre ici bien plus qu’une simple BD sur un phare. C’est une incursion, presque mystique, dans l’univers brut et impitoyable de la mer d’Iroise, où le phare d’Ar-Men (l’enfer des enfers) se dresse comme une sentinelle à l’écart de tout. Les premières pages font immédiatement sentir le sel, l’humidité et la solitude de ce lieu où Germain, un gardien solitaire, assure la veille. Et le talent artistique de Lepage y jour pour beaucoup avec cette intensité du bleu profond de la mer et la texture presque palpable des vagues, tantôt sereines, tantôt déchaînées. L’histoire jongle assez habilement entre plusieurs récits : Germain, dans sa solitude, se remémore les mythes et légendes bretonnes, comme celui de la ville d’Ys, engloutie par les flots, tout en explorant la construction chaotique du phare à travers les souvenirs de Moïzez, un bâtisseur aussi tenace que les éléments qu’il affrontait. Les récits s’imbriquent, mêlant réalité historique et folklore breton, avec l’Ankou et les marins de l’île de Sein qui y font leur apparition, évoquant un passé où mythe et quotidien se confondaient. Lepage jongle avec des styles visuels différents pour rendre ces périodes et ces histoires distinctes. Ca fonctionne très bien même si les différents niveaux de récits, entre mythologie et histoire personnelle, peuvent sembler presque dispersés par moments. On passe de la solitude de Germain aux légendes de Ker-Is, avant de revenir au quotidien rude des bâtisseurs du phare. Cette superposition renforce aussi l’aspect mystique du lieu et du récit, comme si Ar-Men était le point de convergence de toutes ces histoires. Visuellement, c’est un pur régal. Lepage capture la violence de la mer, la force brute des vagues s’écrasant sur le phare, et la lumière du fanal qui transperce la nuit noire. Chaque case est un hommage à l’immensité de la mer et à la petitesse de l’homme face à elle. Les scènes de tempête, en particulier, sont magnifiques. Une BD qui sent la mer, au récit riche et équilibré et avec les superbes illustrations d'Emmanuel Lepage pour relever le tout. Que demander de plus ?
Je me range du côté des admirateurs de cette série. Je ne suis ni breton ni marin ce qui ne m'a pas empêché d'être séduit , touché et très intéressé par le travail d'Emmanuel Lepage. Dans un scénario bien construit, l'auteur introduit trois thèmes qui donnent une belle cohérence à l'ensemble de la série. On y trouve une partie légende axée sur l'histoire d'Ys, une partie historique sur la construction du phare d'Ar-Men ( mais pas seulement lui) en fin du XIXème siècle et une fiction très touchante qui fait la liaison avec les deux thèmes précédents. On pourrait reprocher une certaine superficialité puisque chaque partie pourrait faire le sujet d'une série complète. Ici la forme choisie par l'auteur de documents lus impose cette contraction de l'histoire. Cela donne un fort rythme au récit et privilégie la dimension de la fragilité humaine face à l'océan. Je n'ai trouvé aucun temps mort dans les articulations d'un thème à l'autre sont excellentes. L'humanité des différents personnages est souvent bouleversante et le lecteur peut y puiser matière à réflexion sur ses propres blessures et propres fantômes. Le merveilleux graphisme de Lepage introduit l'océan et ses récifs comme des personnages incontournables du récit. Personnages muets et indifférents à la misère des hommes capables de fortunes et d'infortunes pour ceux qui croisent leur chemin. Lepage réussit à nous procurer ce sentiment paradoxal d'enfermement au milieu d'une étendue presque infinie. Le travail sur le mouvement des vagues et le mouvement des hommes crée une harmonie entre le vivant et le minéral. Malheur à celui qui ne suit pas cette harmonie presque cosmique. Une très belle création sensible, intelligente et belle. Excellente lecture.
Avec « Ar-Men », Emmanuel Lepage nous offre un album touffu chargé d’histoires. Celle de la construction et de l’exploitation d’un phare mythique au large de l’ile de Sein. Bien nommé « l’enfer des enfers », le Ar-Men existe grâce à la détermination d’ouvriers face à des conditions de travail surréelles. C’est aussi l’histoire d’hommes de mer, hommes solitaires, qui œuvrent dans cet étroit navire vertical et immobile. Nous suivons deux d’entre eux et Lepage nous propose une ligne d’évènements qui souligne que l’âme solitaire et ses fantômes se développent petit à petit, le tout distillé avec une grande sensibilité, page après page. Pour ces histoires, Lepage réussit à nous imposer un lent rythme de lecture. Son travail de dessin et de colorisation est envoutant. Il est tantôt lumineux, parfois menaçant et il décline de multiples ambiances tout au long de l’album. De facto, le dessin devient une importante ligne narrative qui permet d’introduire une autre histoire, celle d’une incontournable, la mer. Avec ses dessins, elle prend vie. Elle nous rappelle à tout moment que le phare et ce métier existent grâce à sa présence et nous pourrions ajouter contre son gré. Nous ne pourrons plus jamais regarder le métier de gardien de phare en haute mer de la même façon. Nous ne pouvons que prendre notre temps pour lire et pour nous imprégner de ces grands dessins chargés d’atmosphère qui forcent le respect pour cette mer et pour le talent d’Emmanuel Lepage qui lui donne vie.
Le marin rêve face à la mer, le gardien de phare face à la terre. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Publié pour la première fois en 2017, il est réalisé par Emmanuel Lepage, scénario, dessins et couleurs. Dans cette édition de 2022, se trouvent un dossier de dix pages, une rédigée par Claude Gendrot sur l'origine du projet, et les autres contenant de somptueuses illustrations préparatoires. À l'école ou au café, Germain a toujours aimé la table du fond, dos au mur, seul dans son coin. Invisible, il écoutait bruisser les autres. Rien ne pouvait l'atteindre, il se sentait en sécurité. Il a choisi de vivre au fond du monde. Par temps clair, il croit apercevoir la silhouette sombre de la pointe du Raz qui s'avance comme une griffe. Au creux d'abers imprécis, les taches blanches des maisons de pécheurs se confondent avec l'écume qui ruisselle le long de falaises labourées d'entailles. Parfois il distingue la tour de la Vieille, qui semble s'arracher à ces tenailles pour gagner le large. À moins que ce soit la masse du phare de Tévennec, le phare maudit où aucun gardien ne veut vivre. Seule maison-phare en pleine mer, Tévennec est vide depuis des décennies, mais les légendes demeurent. Puis à l'ouest, l'île de Sein résiste aux assauts incessants d'une mer jamais tendre. Maigre échine d'une terre que l'on prétend aujourd'hui engloutie. Et puis un chapelet de roches qui court jusqu'à lui : la chaussée. On dit qu'un navigateur qui la traversait sans l'aide d'un bon pilote de l'île ne devrait son salut qu'à un heureux hasard. Pendant des siècles, les navires se sont fracassés sur ses récifs meurtriers, un cimetière. le territoire sacré du Bag Noz, le vaisseau fantôme des légendes bretonnes. À la barre œuvre l'Ankou, le valet de la mort. Au bout de cette basse froide, un fût de vingt-neuf mètres émerge des flots, Ar-Men. Il est le phare le plus exposé et le plus difficile d'accès de Bretagne, c'est-à-dire du monde. On le surnomme l'enfer des enfers. C'est à Ar-Men que Germain s'est posé, adossé à l'océan. Loin de tout conflit, de tout engagement, il est libre. Ici, tout est à sa place… et il est à la sienne. Ce matin, c'est la relève, le pain frais. Pierrick qui est là depuis vingt jours cède sa place à Louis. Dix jours l'un, dix jours avec l'autre. Encore une dizaine pour Germain et il redescendra à Sein, si le temps le permet. Il aimerait parfois qu'on l'oublie là. Il se blottirait dans un coin et ne ferait plus de bruit. Quand Louis monte, ils se saluent à peine. Un bref kenavo à la Velléda, Louis rentre les épaules et dans le phare comme dans une mine. Gardien depuis dix-sept ans, et pourtant il semble surpris chaque fois de l'humidité glacée qui suinte des murs, été comme hiver, accablé de draps rêches, de l'odeur de pétrole qui imprègne tout, et du fracas des vagues. Louis râle. Germain est monté sur la galerie qui fait le tour du fanal au sommet du phare et il se plante sous les rayons du maigre soleil de novembre, à l'abri des lames du vent. Il attend que ça passe. Une fois installé, Louis prépare un repas, steak-frites, et ils écoutent la radio en mangeant : la dissolution de l‘assemblée voulue par le général De Gaulle a eu lieu. Une marine magnifique en couverture, un titre explicite : le lecteur sait qu'il va séjourner dans ce phare construit à l'extrémité de la chaussée de Sein, entre 1867 et 1881, en mer d'Iroise. S'il a rapidement feuilleté la bande dessinée, il a pu découvrir de magnifiques planches rendant hommage à ce phare classé au titre des monuments historiques en 2017. En effet, le récit s'ouvre par une séquence de cinq pages évoquant un survol en hélicoptère, avec des grandes cases mettant en valeur la mer et son bleu unique, l'extrémité dénudée de l'île de Sein, la maison-phare de Tévennec, l'île de Sein dans une belle perspective donnant à la voir dans toute sa longueur, la chaussée à son extrémité, le vol gracieux d'un oiseau de mer, et un dessin en double page avec la mer et ses vaguelettes, ainsi que le phare au loin dans la partie de droite. Dans la postface de Claude Gendrot, le lecteur apprend qu'Emmanuel Lepage a joué son propre rôle dans le documentaire Les gardiens de nos côtes, réalisé par Herlé Jouon en 2017, et qu'il a été déposé sur Ar-Men, en étant hélitreuillé, vraisemblablement l'origine de ladite séquence d'ouverture. Par la suite, le lecteur trouve tous les plans qu'il attend sur le phare et bien d'autres. Page dix, une vue de la mer en plongée depuis la galerie du sommet du phare. Page treize, Germain se tient sur la galerie de nuit, se découpant en ombre chinoise devant la lumière du fanal. Page quatorze, la silhouette du phare est à demi mangée par la brume de nuit. Page vingt-trois, le phare est lui-même réduit à une ombre chinoise dans la nuit, alors que son faisceau la transperce. Page vingt-cinq, c'est une nuée d'oiseaux de mer qui passe de chaque côté de la lanterne. Page vingt-six un nuage chargé de pluie s'abat sur le phare dans une image saisissante, et en vis-à-vis, ce sont des vagues aussi hautes que le phare qui viennent s'écraser dessus. La mer est présente dans presque toutes les pages, l'artiste y transcrivant les changements de texture, de fluidité, de luminosité en fonction des courants, des tempêtes, de l'heure de la journée. C'est un délice visuel du début à la fin grâce à un artiste à l'évidence amoureux de cette mer, dans cette région. Séduit par la promesse de séjourner dans ce phare, surnommé l'enfer des enfers, le lecteur ne s'interroge pas trop sur la nature du récit avant d'entamer la bande dessinée, certainement un séjour de plusieurs jours, voire de plusieurs années, en accompagnant un gardien. Cette portion de son horizon d'attente est bien comblée par l'auteur : séjourner dans le phare au quotidien avec Germain, sa relation avec Louis, à la fois quotidienne, à la fois distante, chacun ayant sa chambre à un étage différent, chacun respectant la volonté de solitude de l'autre. Les cases montrent deux hommes normaux, en bonne santé, sans musculature exagérée, sans dramatisation de leurs gestes ou de leurs humeurs. S'il n'y prête pas attention de prime abord, le lecteur finit par prendre conscience qu'en toute discrétion le dessinateur effectue également une, ou plutôt deux reconstitutions historiques : celle de l'époque du récit, c'est-à-dire 1962, et celle des années de construction du phare. Cela peut se voir dans les tenues vestimentaires, dans les outils et les équipements utilisés, ainsi que dans l'état du phare lui-même et les différents navires. Le lecteur se tient donc aux côtés de Germain et perçoit le phare, ce qu'il représente par ses yeux. Il comprend rapidement que ce personnage a souhaité obtenir cette affection pour jouir du calme qui vient avec l'isolement du phare, la coupure d'avec le monde. En filigrane, il apparaît que d'un côté cet homme a besoin du calme qui vient avec cette vie très réglée dans un espace restreint, celui du phare et le rocher autour, et d'un autre côté il se sent rasséréné par son rôle, assurer le bon fonctionnement de cet équipement pour éviter tout naufrage, et par le besoin d'entretien, de petites tâches de maintenance et de réparation qui ne connaît jamais de fin, qui assure une occupation continue. Il n'y a pas à proprement parler de mystère concernant la jeune fille à qui il raconte la légende de la cité d'Ys le soir, le lecteur ayant tôt fait de comprendre qui elle est et quelle est sa nature. Lorsque Germain lui raconte ladite légende, cela constitue un fil narratif secondaire, venant répondre comme un reflet déformé à la nature du phare. Cela donne lieu à des pages à l'apparence un peu différente, avec une palette de couleurs spécifique pour faire apparaître qu'il s'agit d'un conte, une histoire dans l'histoire. L'engloutissement de la ville agit comme un écho des lames qui viennent recouvrir le phare. La légende a également pour effet d'inscrire le phare dans le folklore breton, la ville d'Ys, mais aussi les marins décédés en mer et l'Ankou. À partir de la page trente-neuf apparaît un troisième fil narratif qui va prendre plus de place, et passer au premier plan à l'occasion de différentes séquences. Germain a découvert le journal de Moïzez, sous une forme originale, jeune homme ayant participé à la construction du phare, et étant devenu un de ses premiers gardiens. À l'opposé d'un artifice narratif pour remplir un quota de pages imposé, ce journal crée à la fois une profondeur de champ, la longue lignée d'hommes ayant officié comme gardiens de phare, et à la fois son origine même, ou plutôt l'histoire de sa construction, une entreprise humaine sortant de l'ordinaire. Moïzez est un orphelin découvert en tant que nourrisson en 1850, roux qui plus est. Il se porte volontaire pour construire le phare, lorsque que l'ingénieur Paul Joly et son chef viennent s'adresser aux îliens pour les informer du projet et requérir leur aide. L'auteur apporte plusieurs éléments historiques relatifs à ladite construction de 1867 à 1881 : la difficulté de travailler sur un rocher recouvert par la mer la plupart du temps, les risques de tempêtes, le travail en milieu humide, etc. Cette composante du récit est vécue au travers des yeux de Moïzez. Le lecteur s'attend à séjourner dans le phare et à ressentir le choc d'énormes vagues venant s'écraser dessus, sur toute sa hauteur, comme il a déjà pu le voir sur des photographies spectaculaires. Il découvre un vrai récit, deux hommes devenus gardien pour jouir de la retraite du monde agité, chacun pour leur raison. Il constate dès la première séquence l'amour de l'artiste pour ce coin du monde, pour le phare et pour la mer perpétuellement en mouvement, dans des planches auxquelles il ne manque que l'odeur de sel. Il découvre une bande dessiné généreuse, évoquant avec émotion la construction du phare d'Ar-Men, et l'inscrivant dans les contes et légendes celtes et bretons. Une œuvre touchante imprégnée par les embruns.
Ahhh Emmanuel Lepage, il ne faut décidément pas louper ses créations. Même si le sujet principal reste Ar-Men, phare érigé à l'extrémité Ouest de l'île de Sein en Bretagne, n'allez pas penser qu'il n'y ait que ça à retenir, oh que non! En réalité, l'auteur nous fait voyager à travers les âges pour mettre en lumière toute une histoire régionale. La prise de recul offerte par la narration nous permet d'apprendre plein de choses. Mais ne pensez toujours pas que c'est juste une BD-docu! Toutes ces histoires sont des aventures, inspirantes et extraordinaires, dont il faut en extraire l'essence et les faire confronter entre elles pour saisir tout l'intérêt du bouquin. Après, c'est du Lepage tout craché (tout bisou plutôt, parce-que je l'adore) : pour une 4ème découverte de cet auteur, il est encore et toujours question du rapport entre l'Homme, son histoire, son orgueil face à la nature, la nature elle-même et ce que l'individu pourrait tirer de tout cela, à commencer par le lecteur. On retrouve aussi ce travail de mémoire, cette volonté de partager des connaissances et de nous faire grandir. Bref, ce sont des thèmes ancestraux et éternels qui permettent à Lepage, je trouve, d'avoir des BD intemporelles et à portée universelle. La petite chose en deçà que j'ai en tête, c'est mon intérêt porté sur le personnage principal. J'ai l'habitude de lire Lepage se mettre en scène et structurer ses pensées. Ici, nous suivons Germain, personnage fictif. Le ton est donc forcément plus impersonnel, ce qui m'a fait prendre quelques distances. Et même si j'ai beaucoup d'intérêt pour les solitaires, je n'ai pas été convaincu dans l'absolu, trouvant cette partie d'histoire trop accessoire ou sous-exploitée. On commence à connaître le gaillard: si Lepage avait eu l'opportunité de vivre 30 jours dans le phare par exemple, il se serait mit en scène j'en suis sûr, et le récit aurait été autrement grandiose! Et par-dessus tout, je suis toujours ébahi par la magnificence du dessin, qui nous fait rendre compte de la fragile ou dévastatrice beauté de ce qui nous entoure. Lepage m'émerveille par ses planches absolument somptueuses. Comment ne pas voir, même ressentir, le fracas des vagues contre le phare, ces tempêtes sur le récif, ces oiseaux virevoltant au-dessus des rochers indissolubles, ces plans larges avec l'océan pour seul horizon... La notion d'émerveillement est toujours là graphiquement, moins scénaristiquement (aussi parce-que nous ne retrouvons pas l'œil de l'auteur, cf. paragraphe précédent). C'est intelligent, sensible, immersif et contemplatif. Du Lepage comme on aime. Ca s'achète les yeux fermés.
Mythique, inaccessible, au bout du bout du monde breton, il était plus que temps que je me décide à lire « Ar-Men ». Avec Emmanuel Lepage, j'en attendais beaucoup. Trop peut-être. Alors, visuellement, c'est parfait. La mer dans tous ses états, les paquets d'iode, les goëlands...on sent littéralement les embruns, même la lumière du phare est éblouissante. En revanche, je n'ai pas bien su quelle histoire je lisais. L'introspection de Germain, l'un des derniers gardiens du phare, ou alors un témoignage de la construction, ou la légende de la ville engloutie d'Ys ? Un peu tout à la fois et du coup rien n'est vraiment développé. Personnellement, j'aurais apprécié surtout que l'auteur se concentre sur la construction de ce phare. Quelle aventure humaine cela a dû être ! J'aurais aimé qu'on voie les marins, les pêcheurs, les îliens, les épouses qui attendent de voir revenir les ouvriers, les défis titanesques à relever... cette partie était vraiment courte à mon goût. Attention, je n'ai pas dit que ma lecture a été désagréable. Loin de là, au contraire même.
Mais mais mais, c'est quoi tous ces 3/5 ? Sans doute que Lepage met la barre graphique à chaque fois plus haute et les attentes des lecteurs n'en sont que plus aiguisés, l'erreur épiée. Cette vision de la mer, ces rendus de rochers balayés par la houle, à se damner de beauté. Un sujet qui a sans doute toujours traîné dans un coin du cerveau de l'auteur, une passion qui tourne presque au culte. La mer, l’océan, les éléments naturels bigger than life, encore et toujours. Belle idée d'alterner une histoire à vue d'homme et un documentaire sur la construction de ce phare (j'ai encore du mal à m'imaginer ces travailleurs en sabot tapant la roche à coup de barre à mine). Et maintenant j'attends de voir la prochaine claque visuelle que m'infligera Monsieur.
Avec cet album, vous plongez dans l’histoire du phare d’Ar-Men, ce phare majestueux construit entre 1867 et 1881 à l’extrémité de la chaussée de l’Ile de Sein, en mer d’Iroise, à la pointe ouest de la Bretagne. Il est surnommé par les gardiens de phare, l’enfer des enfers. Les coups de boutoir portés par la grande houle pendant les tempêtes pouvaient faire trembler tout l’édifice, rendant ces périodes particulièrement difficiles pour les gardiens. C’est dans cet endroit particulier, un phare accroché à un minuscule rocher au milieu des eaux qu’Emmanuel Lepage nous emmène. Dans son récit il entremêle, la vie des gardiens qui doivent contre vent et marée maintenir la lanterne allumée, la construction titanesque de cet édifice pendant presque quinze années et les légendes bretonnes. On vogue donc allégrement entre hier et aujourd’hui. L’histoire est envoûtante et attrayante. La mer est omniprésente. Les vagues sombres et violentes fracassent ce bout de terre perdu dans la mer d’Iroise. Chaque planche est magnifique. La colère de l’océan est magnifiée par le trait d’Emmanuel Lepage. Mais que c’est beau. Quel talent. Le rendu est magnifique. Cet album, hommage à l’océan en furie, à la Bretagne et aux gardiens de phare, est admirable. Pour le plaisir des yeux je vous recommande cet album sans équivoque. Vous serez assurément fascinés par cette histoire du phare d’Ar-Men. Si vous passez par Sein un de ces quatre, pour le reconnaitre dans la nuit … trois éclats toutes les vingt secondes.
La pierre de feu. Le mythique phare d’Ar-Men, bâti au bout de la chaussée de Sein, n’en est pas moins ancré dans la dure réalité que des paquets de mer font vibrer régulièrement. Bâtiment prestigieux que sa rudesse et son isolement rehaussent, il concentre le génie et l’opiniâtreté des hommes dans leur combat contre les éléments naturels. Avant son automatisation en 1990, le phare breton aura composé un austère huis-clos tournant le dos à l’océan pour des générations de gardiens. Emmanuel Lepage, artiste exceptionnel, dont les albums souvent multi-primés demeurent relativement confidentiels, semble fasciné par ces endroits utopiques et inhumains, adossés au néant, à l’instar des îles Kerguelen ou de la zone irradiée de Tchernobyl. Il fallut qu’Ar-Men existât pour lui aussi. La fiction, documentée aux sources primaires (témoignages des derniers gardiens du phare, hélitreuillage sur Ar-Men), nourrie aux auteurs essentiels (Henri Queffélec, Jean-Pierre Abraham, Bruno Le Floc’h), etc. compose un reportage en bande dessinée dont la construction narrative se révèle émouvante et poétique. En effet, la mer, en s’engouffrant dans le phare, déshabille les murs de leur crépi et met à jour l’histoire écrite de Moïzez, premier gardien ayant participé à la construction du phare que Germain, ultime gardien, va déchiffrer. Dans l’oscillation entre passé et présent, l’édification d’Ar-Men, le brassage des légendes bretonnes (la cité d’Ys, l’Ankou) et les histoires personnelles s’emboîtent et composent une fresque humaine et féérique où la solitude s’engouffre dans la démesure océanique. Les techniques graphiques utilisées par Emmanuel Lepage sont variées, maîtrisées et utilisées à propos : de splendides aquarelles lumineuses et transparentes pour la période contemporaine, du lavis noir & blanc rehaussé de brou de noix et enrichi d’encre terre de Sienne pour la partie consacrée à la construction du phare, des encres de couleur pour l’évocation des légendes. Artiste inspiré, il donne à voir l’insondable puissance vitale qu’est la mer en mouvement. Dès la saisie de l’ouvrage, le lecteur sent qu’il se trouve au seuil d’une œuvre habitée.
Comme je m’y attendais, j’ai été bluffé par le dessin d’Emmanuel Lepage, qui a su retranscrire la violence et la beauté des rivages bretons, de la mer déchaînée. Beaucoup de planches sont, de ce point de vue, vraiment superbes ! Et justifient à elles seules un avis favorable. Mais si je ne vais pas au-delà des trois étoiles, c’est que le récit sensé s’ancrer dans cet univers de fin du monde m’a paru un chouia léger, et en tous les cas moins captivant que le côté purement visuel. Car ce qui ressort de ma lecture, c’est la même chose que si j’avais feuilleté un album de photos (de Yann Arthus-Bertrand par exemple). Même si Lepage a cherché à « romancer » cet hommage à ce phare et à ceux qui l’ont construit (cette partie est la plus intéressante de mon point de vue, révélant le travail et la volonté colossaux nécessaires pour essayer d’amadouer la mer) et qui en ont été les gardiens, j’ai trouvé qu’il réussissait là moins bien que dans d’autres de ses « reportages » réalisés dans d’autres bouts du monde (à Tchernobyl ou dans les TAAF). Un très beau livre d’images donc. Sans plus serais-je tenté de dire, hélas.
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